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Date : 20070614

Dossier : T-937-06

Référence : 2007 CF 630

Ottawa (Ontario), 14 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

ELSIE BEALL

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire dans le cadre de laquelle le procureur général du Canada sollicite l’annulation d’une décision datée du 19 avril 2006 par laquelle un examinateur indépendant (l’examinateur) désigné conformément au programme de dotation de l’Agence du revenu du Canada a ordonné la nomination permanente de la défenderesse comme agente des services de rémunération avec une classification AS-01. La question est celle de savoir si l’examinateur avait compétence pour nommer la défenderesse à un poste permanent en vertu des « Directives sur les recours en matière de dotation » du programme de dotation.

 

Les faits

Le processus de sélection

[2]               En 2004, l’Agence a annoncé qu’elle comptait ouvrir et doter un nouveau Centre de service à la clientèle pour la rémunération à Winnipeg (le Centre de service) en mai 2005. Un avis d’offre d’emploi a été publié; il décrivait le poste, les fonctions, l’expérience et la formation requises ainsi que la cote de sécurité.

 

[3]               Le comité de sélection a reçu 177 candidatures. Après l’étape de l’évaluation, il restait 58 candidats, dont la défenderesse. Pour la première ronde de dotation, on avait besoin de 30 candidats. Se fondant sur les notes globales des candidats au chapitre des habiletés, notamment la pensée analytique et la capacité d’utiliser certains logiciels précis, l’Agence a émis des offres d’emploi intérimaire et de durée déterminée jusqu’à ce que le Centre ait 30 candidats prêts à entreprendre un programme de formation de sept semaines débutant en mai 2005. La défenderesse faisait partie du groupe d’employés qui devaient commencer à travailler le 27 juin 2005. En septembre 2005, le directeur intérimaire du Centre de service a fait savoir que des postes permanents pourraient être dotés à même ce premier groupe de stagiaires.

 

[4]               Le 9 septembre 2005, le chef d’équipe de la défenderesse a informé cette dernière qu’elle ne serait probablement pas nommée à un poste de durée indéterminée comme le reste des stagiaires du groupe. Le chef d’équipe de la défenderesse a indiqué à cette dernière que son utilisation problématique de congés pour raisons familiales et de congés de maladie le préoccupait. Il a donc avisé la défenderesse qu’il ne pouvait pas considérer que sa performance était conforme à la norme exigée à moins qu’elle devienne plus assidue. Après cette rencontre avec son chef d’équipe, la défenderesse a envoyé courriel dans lequel elle a demandé un bref exposé des conditions qu’elle devrait remplir et du délai dont elle disposerait pour ce faire afin de décrocher un poste permanent au Centre de service. Elle n’a pas reçu de réponse.

 

[5]               Le 15 septembre 2005, la défenderesse a rencontré le directeur adjoint par intérim et lui a présenté un résumé écrit des congés qu’elle avait pris jusqu’alors cette année-là. Elle a affirmé qu’à la fin de cette rencontre, elle éprouvait [traduction] « un optimisme prudent découlant de son impression que rien n’était coulé dans le roc ».

 

[6]               Le directeur adjoint par intérim a demandé aux chefs d’équipe d’examiner le rendement au travail des stagiaires comme l’exigeait le bulletin de dotation relatif aux placements proposés. Le chef d’équipe de la défenderesse a terminé le contrôle de son rendement dans le courant de la dernière semaine de septembre. Un comité de sélection formé à la fois des chefs d’équipe et du directeur adjoint par intérim a examiné la documentation. Les candidatures de tous les employés qui répondaient aux exigences alors en vigueur en matière de rendement au travail ont été retenues en vue d’un placement, tandis que les candidats qui ne satisfaisaient pas à ces exigences – notamment la défenderesse – ont été écartés. Ces dernières personnes ont été avisées par lettre que leur candidature n’avait pas été retenue pour le moment en vue d’une nomination. Leurs candidatures seraient examinées à nouveau en vue d’une nomination permanente éventuelle lorsque leur rendement se serait amélioré et aurait atteint le niveau requis. Au total, 28 employés ont reçu une offre de nomination le 6 octobre 2005. La défenderesse ne figurait pas parmi eux.

 

[7]               Le 7 octobre 2005, le chef d’équipe de la défenderesse l’a informée qu’elle n’obtiendrait pas un poste permanent. La défenderesse a tenté de persuader son chef d’équipe de revenir sur sa décision.

 

Recours

[8]               Le 13 octobre 2005, la défenderesse a demandé une rétroaction individuelle en vertu du programme de dotation de l’Agence. En compagnie d’un représentant syndical, elle a rencontré le directeur adjoint par intérim le 19 octobre 2005. Une copie en blanc du formulaire utilisé pour évaluer le rendement des candidats dans le cadre des processus de sélection a été remise à la défenderesse. Celle‑ci a demandé une copie de son propre contrôle du rendement, mais cette demande a été refusée parce que le directeur adjoint par intérim croyait que la défenderesse avait déjà examiné le formulaire avec son chef d’équipe. Dans les faits, la défenderesse n’a vu le formulaire de contrôle de son rendement que le 14 février 2006, lorsqu’elle en a obtenu une copie après en avoir fait la demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[9]               Le 26 octobre 2005, la défenderesse a déposé une demande d’examen par un tiers indépendant en vertu du programme de dotation de l’Agence.

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]           Dans une décision datée du 19 avril 2006, l’examinateur a conclu, en se fondant sur les éléments énoncés ci‑dessous, que la défenderesse avait fait l’objet d’un traitement arbitraire à l’étape de placement du processus de sélection :

i.          l’évaluation des congés de maladie et des congés pour raisons familiales de la défenderesse était déraisonnable et arbitraire;

ii.          l’évaluation selon laquelle la défenderesse était incapable d’accepter les critiques constructives était déraisonnable;

iii.                  le défaut du chef d’équipe de respecter l’entente relative à un plan d’action conclue avec la défenderesse était déraisonnable et arbitraire;

iv.                 l’évaluation du rendement de la défenderesse au travail était arbitraire et injuste.

 

[11]           L’examinateur a ordonné les mesures correctives suivantes à la page 23 de sa décision :

[traduction]

J’ordonne les mesures correctives suivantes :

 

a)         L’erreur commise par l’Agence le 6 octobre 2005 sera corrigée. [La défenderesse] sera nommée, rétroactivement au 6 octobre 2005, à un poste de durée indéterminée de classification AS‑01 au [Centre de service].

 

b)         L’évaluation du rendement futur de [la défenderesse] devrait être confiée à un autre gestionnaire que [le chef d’équipe de la défenderesse].

 

c)         Si possible, [la défenderesse] devrait être assignée à un autre chef d’équipe que [son chef d’équipe actuel].

 

dispositions législatives et directive applicables

[12]           La loi applicable dans le cadre de la présente demande est la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, c. 17 (la Loi), et en particulier ses articles 53 et 54, qui prévoient :

Pouvoir d’embauche de l’Agence

53. (1) L’Agence a compétence exclusive pour nommer le personnel qu’elle estime nécessaire à l’exercice de ses activités.

Nominations par le commissaire

(2) Les attributions prévues au paragraphe (1) sont exercées par le commissaire pour le compte de l’Agence.

 

Programme de dotation

54. (1) L’Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

 

Exclusion

(2) Sont exclues du champ des conventions collectives toutes les matières régies par le programme de dotation en personnel.

[non souligné dans l’original]

Appointment of employees

53. (1) The Agency has the exclusive right and authority to appoint any employees that it considers necessary for the proper conduct of its business.

Commissioner’s responsibility

(2) The Commissioner must exercise the appointment authority under subsection (1) on behalf of the Agency.

Staffing program

54. (1) The Agency must develop a program governing staffing, including the appointment of, and recourse for, employees.

 

Collective agreements

(2) No collective agreement may deal with matters governed by the staffing program.

 

[Emphasis added]

 

[13]           Est aussi pertinente pour la présente demande l’Annexe L du programme de dotation de l’Agence, intitulée « Directives sur les recours en matière de dotation », et qui contient notamment ce qui suit :

Énoncés du Programme :

-       Les recours offrent aux intéressés la possibilité d’exprimer leurs préoccupations concernant le processus de dotation et d’obtenir un redressement en temps opportun.

 

-     Les intéressés ont accès à des mécanismes de recours, depuis la rétroaction individuelle jusqu’à la révision de la décision et à un examen par un tiers indépendant, selon la nature de l’activité de dotation et la Directive sur les recours en matière de dotation.

 

-       La rétroaction individuelle est fournie sur demande par la ou les personnes responsables du processus de dotation ou de l’étape du processus de dotation.

 

-       La rétroaction individuelle s’applique aux mesures suivantes :

·         les prolongations de contrat;

·         le rappel d’employés nommés pour une période déterminée;

·         les mutations latérales temporaires;

·         à l’étape de l’évaluation préalable des qualités du processus interne de sélection.

 

-      La rétroaction individuelle est une étape obligatoire avant qu’on puisse passer aux autres formes de recours en matière de dotation.

[…]

-     Un examen par un tiers indépendant (ETI) est un examen des préoccupations exprimées par une personne de l’extérieur de l’Agence, qui donne lieu à une décision exécutoire n’établissant pas de précédent.

 

-     Cet examen s’applique aux circonstances suivantes :

·         promotions à des postes permanents sans processus de sélection;

·         processus de sélection internes et aux décisions de placement à des postes permanents à partir du répertoire de candidats pré‑qualifiés;

·         l’adhésion (d’un employé de l’Agence) à un programme d’apprentissage.

 

 […]

 

Motifs de recours

-     Les motifs de recours visent à établir si l’employé se prévalant d’un recours a fait l’objet d’un traitement arbitraire. On doit mettre l’accent sur le traitement dont l’individu a fait l’objet durant le processus et non sur l’évaluation des autres candidats ou employés.

 

-     Pour chacun des trois mécanismes de recours, la révision doit se limiter aux circonstances reliées directement à la mesure de dotation ou à l’étape en question du processus de sélection. Par exemple, la révision par une tierce partie indépendante se limitera aux décisions prises à l’étape de placement du processus de sélection.

 

-     Le terme arbitraire se définit comme suit :

« de manière irraisonnée ou faite capricieusement; pas faite ou prise selon la raison ou le jugement; non basée sur le raisonnement ou une politique établie; n’étant pas le résultant d’un raisonnement appliqué aux considérations pertinentes; discriminatoire (c’est‑à‑dire différence dans le traitement ou méconnaissance des privilèges normaux dus aux personnes à cause de leur race, âge, sexe, nationalité, religion ou appartenance syndicale) ».

 […]

 

Mesures correctives

-      Les personnes autorisées ont la responsabilité de prendre les mesures correctives qui s’imposent, en temps opportun. Dans le cadre du processus de sélection, ces mesures correctives doivent être prises sur‑le‑champ afin que le processus ne soit pas retardé indûment. Les mesures correctives doivent être mises en œuvre au moins dans les 21 jours civils suivant la décision prise à la suite du recours.

 

-     En ce qui concerne la dotation, les mesures correctives peuvent comprendre, notamment :

·         la correction de l’erreur dans le processus;

·         la recommandation de la révocation de la nomination de l’employé, s’il y a lieu;

·         la recommandation de faire participer un autre gestionnaire à la décision.

 

Question en litige

[14]           Le demandeur ne remet pas en cause les conclusions de fait de l’examinateur ni ses deux recommandations relatives à l’assignation de la défenderesse à un gestionnaire différent. Par conséquent, la seule question à trancher est celle de savoir si l’examinateur a outrepassé sa compétence en ordonnant la nomination de la défenderesse à un poste de durée indéterminée.

Norme de contrôle

[15]           La Loi ne comporte pas de clause privative et ne prévoit pas un droit d’appel de la décision de l’examinateur. Le programme de dotation de l’Agence et les Lignes directrices relatives à l’examen par un tiers indépendant sont aussi silencieux. L’étendue de la compétence de l’examinateur est une pure question de droit et elle dépend de l’interprétation correcte de la Loi et du mandat établi aux fins de l’examen par un tiers indépendant. L’expertise de l’examinateur dans le domaine de l’emploi et sa connaissance des pratiques de dotation de l’Agence ne commandent pas la retenue judiciaire dans le contexte de cette question de compétence. Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

Analyse

[16]           La Cour a déjà été saisie de demandes de contrôle judiciaire visant des décisions rendues par un « examinateur indépendant » désigné dans le cadre du programme de dotation interne de l’ADRC. Dans Canada (Agence des douanes et du revenu) c. Kapadia, 2005 CF 1568, j’ai effectué le contrôle judiciaire d’une telle décision et j’ai conclu, au paragraphe 4 :

Les recours

 

[4]                Le programme de dotation en personnel de l’ADRC prévoit des recours pour les personnes dont la candidature n’est pas retenue. Mme Kapadia, conformément aux règles, a sollicité une séance de « rétroaction individuelle », avant de demander un ETI le 27 mai 2003. L’ETI est un mécanisme de règlement rapide et informel des différends en matière de dotation, qui fait appel à des examinateurs inscrits sur une liste, indépendants de l’ADRC et remplissant des conditions déterminées de formation et d’expérience.

 

[17]           Le cadre juridique régissant l’examen par un tiers indépendant a été décrit brièvement par le juge Sean Harrington dans Canada (Procureur général) c. Gagnon, 2006 CF 216, aux paragraphes 6 à 11:

¶6        La Loi établit l’ADRC comme étant une entité morale. Or, parmi ses autres tâches, l’ADRC est également responsable pour l’administration et la mise en exécution de la législation fiscale ce qui inclut la Loi sur les douanes, la Loi sur l’accise, et la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

¶7        En ce qui concerne les ressources humaines, la Loi relative aux relations de travail dans les services publics stipule que l’ADRC est un organisme distinct. Cette dernière peut donc déterminer ses propres exigences en ce qui a trait à ses propres besoins ainsi que la répartition et l’utilisation efficace de ses ressources humaines et, ce, en vertu des articles 53(1) et 54(1) de la Loi.

 

50. L’Agence est un organisme distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

 

53. (1) L’Agence a compétence exclusive pour nommer le personnel qu’elle estime nécessaire à l’exercice de ses activités.

 

54. (1) L’Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

 

8        Afin de satisfaire à ses responsabilités juridiques, les ressources humaines ont développé un programme détaillé qui inclut les : « Directive sur le processus de sélection/répertoire des candidats préqualifiés », « Directive sur les recours en matière de dotation » et « Directives concernant la présentation et le traitement d’une demande de révision par un tiers indépendant (RTI) ». Dans le cadre de ce processus global, il y a trois étapes à franchir, soit : 1) « Révision du profil des candidats pour les pré-requis »; 2) « Étape de l’évaluation »; et 3) « Étape de placement ». Madame Gagnon en était à la troisième étape. Étant donné qu’elle n’avait pas été choisie pour le poste, elle avait le droit d’entamer le processus de « rétroaction individuelle », chose qu’elle a fait. Puisque ce processus n’avait pas été satisfaisant, elle avait donc le droit de procéder « soit à la révision de la décision ou à la révision par une tierce partie indépendante ». Madame Gagnon a opté d’entamer une révision par une tierce partie indépendante.

 

9        Les « motifs de recours » dans le cadre d’une révision par une tierce partie indépendante doivent être basés sur le fait que l’employé a « fait l’objet d’un traitement arbitraire » […]

 

10      En ce qui concerne le « recours », la « Directive » stipule ce qui suit :

 

En ce qui concerne la dotation, l’éventail de mesures correctives possibles peut comprendre :

 

- prescrire la correction de l’erreur dans le processus;

- recommander la révocation de la nomination de l’employé, s’il y a lieu;

- recommander qu’un autre gestionnaire soit impliqué dans la décision.

 

11      La « Directive » en ce qui a trait au traitement d’une demande de révision par un tiers indépendant inclut une annexe qui établit la gamme des mesures correctives pour la dotation dans le cas d’une cessation d’emploi ou une rétrogradation non disciplinaire ainsi que le licenciement involontaire. Il importe de noter que dans les deux derniers cas, le tiers indépendant peut ordonner la réintégration de l’employé. Toutefois, la seule ordonnance permise dans le cas d’une dotation est la correction de l’erreur dans le processus.

 

[non souligné dans l’original]

 

 

[18]           Le programme de dotation de l’Agence limite la compétence de l’examinateur au pouvoir d’ordonner qu’une « erreur dans le processus » soit corrigée. Puisque l’examinateur a conclu que le processus d’évaluation de l’Agence avait été entaché d’erreurs, notamment dans l’évaluation de l’utilisation autorisée de la défenderesse de congés de maladie et de congés pour raisons familiales, il a eu raison d’ordonner, comme dans Gagnon, précitée, qu’une erreur devait être corrigée. Dans Gagnon, le juge Harrington a dit, au paragraphe 21 :

¶21      Le règlement limite le pouvoir du tiers indépendant d’ordonner la correction de l’erreur dans le processus. Puisque le tiers indépendant a effectivement identifié que le processus d’embauche avait débuté avec un avis en date du 25 février 2002 invitant les employés à poser leur candidature et que l’employeur avait agi de façon arbitraire, il avait raison d’ordonner qu’une erreur devait être corrigée. Il avait le pouvoir de faire des recommandations à ce sujet, mais il n’avait aucune autorité d’ordonner à l’ADRC comment cette dernière devait procéder afin de rectifier l’erreur.

 

[non souligné dans l’original]

 

Je conviens avec le demandeur que l’examinateur a outrepassé sa compétence en vertu du programme de dotation de l’Agence lorsqu’il a ordonné la nomination de la défenderesse à un poste de durée indéterminée. Cependant, je n’expliquerais pas tout à fait de la même manière que le juge Harrington la cause de cet excès de compétence.

 

[19]           À mon avis, les mots « erreur dans le processus » posent les limites fonctionnelles de l’étendue des mesures correctives que l’examinateur peut ordonner. La défenderesse souligne qu’à la différence des deux dernières mesures correctives énoncées dans le programme de dotation de l’Agence, où l’on emploie le mot « recommend », on utilise plutôt le mot « order » dans la première mesure corrective. Cette distinction, soutient la défenderesse, tend à démontrer que l’examinateur est investi du pouvoir d’imposer une mesure de redressement spécifique pour corriger une erreur de dotation plutôt que se borner à recommander des changements dont la mise en œuvre sera laissée à la discrétion de l’Agence. J’admets que l’emploi de termes distincts relativement à la première mesure corrective autorise l’examinateur à rendre des ordonnances correctives finales. Cependant, l’étendue des ordonnances de l’examinateur n’est pas illimitée. À mon avis, la gamme de mesures correctives possibles décrites dans le programme de dotation de l’Agence doit être interprétée de manière à limiter les ordonnances à celles qui concernent et corrigent des vices de procédure donnant lieu à un traitement arbitraire de la défenderesse. Si un traitement arbitraire découle de la prise en considération de facteurs non pertinents lors d’un processus de sélection, par exemple, l’examinateur pourrait ordonner que le processus soit repris sans égard aux facteurs non pertinents. Cependant, l’examinateur n’est pas autorisé à rendre des ordonnances finales qui dictent le résultat sur le fond d’un processus jugé vicié.

 

[20]           L’interprétation différente proposée par la défenderesse permettrait à l’examinateur de substituer sa propre conclusion quant au résultat final approprié du processus de dotation de l’Agence. Cette interprétation est incompatible avec le régime général de la Loi et du programme de dotation de l’Agence, qui lui laissent l’autonomie voulue pour mener ses propres processus de dotation, sous réserve, dans certains cas, d’un examen indépendant concernant des questions procédurales.

 

 

Conclusion

[21]           À l’audience sur la présente demande, j’ai ajourné l’affaire en attendant l’issue d’un appel interjeté de la décision du juge Harrington dans Gagnon, précitée. Le 25 avril 2007, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel à l’audience et a statué que l’examinateur dans Gagnon avait outrepassé sa compétence et ne pouvait pas nommer la plaignante à un poste : Gagnon c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 164. Les parties ont été invitées à formuler des observations au sujet de l’effet du jugement de la Cour d’appel fédérale, et elles l’ont fait par écrit. Je suis convaincu qu’il n’y a rien dans cette décision qui influe sur l’analyse qui a été faite plus haut, et je conclus donc que l’examinateur a outrepassé sa compétence en ordonnant la nomination rétroactive de la défenderesse. Le pouvoir de l’examinateur d’ordonner la correction d’erreurs dans le processus de sélection ne comprend pas le pouvoir de dicter le résultat sur le fond d’un processus entaché par un vice procédural. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie, et la décision faisant l’objet du présent contrôle sera renvoyée au même examinateur pour que celui-ci détermine les mesures correctives appropriées et autorisées en vertu du programme de dotation de l’Agence. Chaque partie dans le cadre de la demande assumera ses propres dépens.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.             la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;

2.             la mesure corrective ordonnée par l’examinateur et consistant à nommer la défenderesse à un poste de durée indéterminée est déclarée illégale et incompatible avec le programme de dotation de l’Agence;

3.             l’affaire est renvoyée au même examinateur pour qu’il détermine les mesures correctives appropriées et autorisées en vertu du programme de dotation de l’Agence et de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada;

4.             chaque partie assumera ses propres dépens dans le cadre de la demande.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              T-937-06

 

INTITULÉ :                                             PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                  c.

                                                                  ELSIE BEALL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 19 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 14 JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alexander M. Gay

 

POUR LE DEMANDEUR

David Yazbeck

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

FOR THE APPLICANT

Raven, Cameron Ballantyne & Yazbeck, LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

FOR THE RESPONDENT

 

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