Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

  CANADA

Federal Court

 

Date : 20070619

Dossier : T-66-86

Référence : 2007 CF 657

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Edmonton (Alberta), le 19 juin 2007

EN PRÉSENCE DE :  L’honorable juge Russell

 

ENTRE :

BANDE DE SAWRIDGE

  demanderesse

  - et -

 

  SA MAJESTÉ LA REINE

  défenderesse

 

  - et -

 

  LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES,

   LE CONSEIL AUTOCHTONE DU CANADA (ALBERTA),

  L’ASSOCIATION DES INDIENS NON INSCRITS DE L’ALBERTA

   et L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

intervenants

 

 

 

 

 

 

 

 

  Dossier : T-66-86-B

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

ENTRE :

 

 

  LA PREMIÈRE NATION TSUU T’INA

 

  demanderesse

 

  - et -

 

  SA MAJESTÉ LA REINE

 

  défenderesse

 

  - et -

 

LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES,

   LE CONSEIL AUTOCHTONE DU CANADA (ALBERTA),

  L’ASSOCIATION DES INDIENS NON INSCRITS DE L’ALBERTA

   et L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

  intervenants

 


 

Table des matières

  Page no

 

LA REQUÊTE......................................................     5

 

LE DOSSIER ......................................................    6

 

LA POSITION DES PARTIES

 

Les demanderesses      6

 

  L’utilisation de résumés de témoignage anticipé au

procès.........................................................  7

  L’audience Peshee.........................................  7

  La période suivant l’audience Peshee ..................  8

  La conformité des résumés de témoignage anticipé..  8

  Les leçons tirées du témoignage de l’Aîné Starlight..  9

  Les conclusions concernant les décisions rendues....  9

 

 

La Couronne  11

 

  Généralités......................................................  11

  Le défaut d’expliquer des demanderesses.................  11

  La véritable question en litige...............................  11

  La corroboration insuffisante................................  12

  Les possibilités de produire des éléments de preuve

pertinents............................................................  12

  La confirmation de la Cour d’appel fédérale.................  13

  Les décisions rendues avant le procès.........................  13

  Les décisions rendues en date du procès......................  13

  La rétractation....................................................  14

  Les droits de la Couronne.......................................  14

 

MOTIFS  15

 

  Introduction..................................................  15

  Décisions à ce jour – Directives ........................ ..  16

  La question en litige est celle du guet-apens, et non

celle des témoignages anticipés...........................  25

  La situation difficile des demanderesses................  32

  L’audience Peshee..........................................  52

  Autres commentaires des demanderesses..............  56

  La période suivant l’audience Peshee..................  98

  Les questions d’inégalité...................................  111

  Généralités...........................................   111

  Les décisions judiciaires à ce jour...............  114

  L’avantage de la Couronne........................  117

  Le témoignage de l’Aîné Starlight...............  122

 

CONCLUSIONS.......................................................  131

 

LA JURISPRUDENCE TRAITANT DE L’ANNULATION

DE PROCÈS...........................................................  134

 

  Généralités..................................................  134

  Annulation du procès et admissibilité de la preuve..  137

  La compétence fédérale..................................  .  138

  Autres affaires.............................................    139

 

 

CONSÉQUENCES.................................................  152

 

ORDONNANCE............................................................  158

 

 


 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LA REQUÊTE

 

  • [1] La présente requête, plutôt extraordinaire, émane du procès et a de sérieuses répercussions sur l’avenir des procédures.

 

  • [2] Les demanderesses demandent à la Cour d’annuler les deux actions.

 

  • [3] Le fondement de la requête est une allégation des demanderesses, selon laquelle la Cour a exclu pour elles la possibilité d’exposer leur cause adéquatement et a rendu des décisions concernant l’admissibilité de la preuve qui ont eu pour effet de rendre le procès inéquitable. Cette allégation de base comporte plusieurs facettes, mais selon le point de vue des demanderesses, les principales questions découlent du fait que la Cour a créé une situation où les résumés de témoignage anticipé que les demanderesses ont présentés, conformément à l’ordonnance préparatoire du juge Hugessen en date du 26 mars 2004 et l’ordonnance que j’ai rendue le 25 novembre 2004, ont servi de motif légal pour exclure des éléments de preuve admissibles pertinents lors du procès. De surcroît, les demanderesses affirment que les décisions rendues par la Cour jusqu’à la présente étape du procès démontrent que la Couronne jouit d’un [traduction] « énorme avantage » par rapport à elles, parce que [traduction] « le terrain de jeu est devenu inégalitaire [...] ».

 

  • [4] La requête a été introduite lors d’un procès ouvert, à titre de demande de directives de la part des demanderesses. La Cour a entendu les observations de tous les participants, et il a été convenu subséquemment par toutes les personnes concernées que la Cour devait traiter les questions soulevées comme une requête officielle, examiner le dossier pertinent et rendre une décision permettant de dénouer l’impasse actuelle, ou renvoyer les procédures à la gestion de l’instance sur le fondement de l’annulation du procès.

 

LE DOSSIER

 

  • [5] En raison de la façon extraordinaire dont la présente requête a fait surface, la Cour ne dispose pas d’un dossier complet pour travailler. Les parties ont prié la Cour de fonder sa décision sur les éléments suivants :

  1. le dossier d’instruction et les pièces produites à ce jour;

  2. les arguments des participants concernant le point présenté lors du procès ouvert;

  3. les ordonnances générales de la Cour à la suite de l’ordonnance préparatoire rendue par le juge Hugessen, le 26 mars 2004;

  4. les directives connexes et les transcriptions pertinentes à l’ensemble du contexte dans lequel les demanderesses soulèvent leurs préoccupations.

Aucun affidavit n’a été présenté pour appuyer ou réfuter la requête.

 

LA POSITION DES PARTIES

 

  • [6] Aux fins de contexte et de compréhension, j’énoncerai certains arguments importants qu’ont avancés les parties. Je n’entends pas faire de cet énoncé un compte rendu exhaustif de tout ce qui m’a été présenté. J’ai pris en considération tous les points soulevés par les parties dans le cadre de la présente décision, et j’ai aussi examiné les brefs commentaires des intervenants que je ne résume pas ici.

 

  Les demanderesses

 

  • [7] Du point de vue des demanderesses, les préoccupations fondamentales en raison desquelles elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement et le procès est devenu inéquitable sont soulevées à plusieurs égards importants.

    1. L’utilisation de résumés de témoignage anticipé au procès

Les demanderesses affirment que la Cour a créé au procès une situation où les résumés de témoignage anticipé qu’elles ont présentés, conformément à l’ordonnance rendue par le juge Hugessen avant l’instruction, le 26 mars 2004, et l’ordonnance que j’ai rendue le 25 novembre 2004, ont été utilisés par la Couronne et la Cour pour créer [traduction] « une situation où les résumés de témoignage anticipé visent à servir et servent effectivement de motif légal pour exclure des éléments de preuve admissibles pertinents ». Les demanderesses affirment que les résumés de témoignage anticipé ne peuvent pas être utilisés de cette façon au procès, que dans les présentes procédures il n’avait jamais été question qu’ils le soient, et qu’elles ne comprennent pas et n’acceptent pas que les résumés de témoignage anticipé soient utilisés au procès pour exclure des éléments de preuve admissibles pertinents produits par l’une ou l’autre partie. Elles font valoir que [traduction] « l’acceptation d’une norme de présentation de résumés de témoignage anticipé lors de la divulgation préalable et les efforts qu’elles ont déployés afin de s’y conformer sont [...] sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès ». En raison de l’utilisation que la Cour a faite des résumés de témoignage anticipé, affirment les demanderesses, [traduction] « la Cour a exclu pour elles la possibilité d’exposer leur cause adéquatement ».

 

  1. L’audience Peshee

Les demanderesses affirment que les décisions rendues par la Cour et l’échange entre l’avocat et la Cour lors de l’audience de bene esse de Mme Florence Peshee (audience Peshee) tenue le 13 décembre 2004, à Calgary, ne constituent pas un précédent concernant l’utilisation de résumés de témoignage anticipé qui devrait s’appliquer au procès, et ne démontrent pas que les demanderesses avaient compris que les résumés de témoignage anticipé seraient utilisés au procès pour exclure des témoignages pertinents livrés par leurs propres témoins. Les demanderesses font valoir que Mme Peshee était un témoin cité par un intervenant, et que les mêmes règles d’exclusion devraient donc s’appliquer à leurs propres témoins. Les demanderesses affirment aussi que les objections soulevées par M. Healey (leur avocat) à l’égard du témoignage de Mme Peshee ne concernaient que des questions liées à l’histoire orale, et que tout ce que M. Healey peut avoir dit de façon générale concernant l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès visait la preuve des intervenants et les questions liées à l’histoire orale, et non l’ensemble de la preuve présentée par leurs propres témoins.

 

  1. La période suivant l’audience Peshee

Les demanderesses affirment que les faits, ainsi que les documents invoqués et produits au cours de la période suivant l’audience Peshee et précédant le début du procès, le 24 janvier 2007, montrent que sans égard à ce qui s’est passé lors de l’audience Peshee, elles ont clairement signifié qu’elles n’acceptaient pas que les résumés de témoignage anticipé fussent utilisés pour exclure leurs propres éléments de preuve au procès, qu’elles ont indiqué à la Couronne que la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé serait tranchée au procès, et que la Couronne avait compris et accepté cela.

 

  1. La conformité des résumés de témoignage anticipé

Les demanderesses ont fait remarquer à la Cour que les résumés de témoignage anticipé rédigés pour leurs témoins sont entièrement conformes à toutes les ordonnances de la Cour traitant des résumés de témoignage anticipé.

 

  1. Les leçons tirées du témoignage de l’Aîné Starlight

Les demanderesses affirment en outre que si le témoignage livré par l’Aîné Bruce Starlight est considéré dans son ensemble, il est évident que la Couronne jouit maintenant d’un [traduction] « énorme avantage », et peut, par exemple, parcourir tout le dossier de la Cour aux fins du contre‑interrogatoire, tandis qu’elles sont effectivement confinées aux résumés de témoignage anticipé aux fins de l’interrogatoire principal.

 

  1. Conclusions concernant les décisions

Les demanderesses ont examiné les décisions que la Cour a rendues concernant l’admissibilité à ce jour, et elles affirment que les règles énoncées ci‑dessous s’appliquent désormais aux témoignages de leurs témoins profanes :

 

[traduction]

 

Et nous comprenons, monsieur le juge, que vos décisions à ce jour sont les suivantes :

 

Premièrement, si la Couronne s’oppose au témoignage d’un témoin cité par les demanderesses sur le fondement de la non‑divulgation, et si le témoin n’a pas été présenté en qualité de déposant pour les demanderesses lors des interrogatoires préalables, il suffira à la Couronne de montrer que le témoignage n’est pas signalé dans un résumé de témoignage anticipé du témoin et la brève description du témoin figurant dans la lettre d’explication, inscrite comme pièce E aux fins de l’identification. Si le témoignage n’est pas signalé dans ces deux documents, il sera inadmissible et exclu.

 

Deuxièmement, si la Couronne s’oppose au témoignage d’un témoin cité par les demanderesses sur le fondement de la non‑divulgation, la Cour ne tiendra pas compte de la divulgation découlant a) des plaidoiries; b) de l’interrogatoire préalable, y compris des réponses aux résolutions de la Couronne avant le premier procès, aux interrogatoires préalables, notamment des réponses aux résolutions et aux interrogatoires écrits menés par la Couronne après le premier procès et avant le présent, à moins que le témoin n’ait été présenté en qualité de déposant par les demanderesses lors des interrogatoires préalables; c) des transcriptions de la preuve du premier procès et de l’ensemble de la preuve produite, notamment de la preuve présentée par les demanderesses dans le cadre des témoignages directs et du contre-interrogatoire mené par la Couronne; d) des pièces déposées en preuve lors du premier procès; e) du résumé détaillé de l’histoire orale inscrit comme pièce F aux fins d’identification; f) de tous les documents produits par les demanderesses et la Couronne; g) des rapports d’expert soumis par les demanderesses et la Couronne; h) des résumés de témoignage anticipé des autres témoins déjà cités ou qui seront cités par les demanderesses; i) des témoignages des témoins ayant déjà livré leur témoignage au présent procès; j) des pièces déposées en preuve au présent procès; k) des renseignements de la Couronne provenant d’autres sources.

 

Troisièmement, si la Couronne s’oppose au témoignage d’un témoin cité par les demanderesses sur le fondement de la non‑divulgation, et que le témoin était déposant pour l’une des demanderesses lors des interrogatoires préalables, la Cour ne tiendra pas compte du fait que la Couronne aura eu la possibilité d’interroger le témoin, parce que la Cour ne voit pas (citation) [traduction] : « [...] comment on aurait pu s’attendre, lors de l’interrogatoire préalable, à ce que la Couronne fût au courant et se préparât au fait que si quelque chose n’était pas divulgué dans un résumé de témoignage anticipé, elle aurait à rendre compte du fait de ne pas avoir retenu ce renseignement lors de l’interrogatoire préalable ». Et il s’agit d’une citation extraite des remarques de la Cour que j’ai consultées, monsieur le juge, à la page 19, lignes 16 à 21, de la décision rendue le 21 mars 2007.

 

Quatrièmement, si la Couronne s’oppose au témoignage d’un témoin cité par les demanderesses sur le fondement de la non‑divulgation, que le témoin était déposant pour l’une des demanderesses lors de l’interrogatoire préalable, et que la Couronne a interrogé le témoin sur l’objet du témoignage auquel il est fait objection, à moins que l’interrogatoire mené par la Couronne ne retienne le témoignage contesté de façon pleine et entière, le témoignage sera jugé inadmissible et exclu.

 

Cinquièmement, si la Couronne s’oppose au témoignage d’un témoin cité par les demanderesses sur le fondement de la non‑divulgation et que le témoignage a été présenté en réponse à une question pertinente posée au témoin afin d’obtenir une preuve dans un résumé de témoignage anticipé, et que la réponse du témoin englobait une preuve non mentionnée dans le résumé de témoignage anticipé du témoin ou la lettre d’explication, la pièce E aux fins d’identification, le témoignage sera jugé inadmissible et exclu.

 

Sixièmement, si la Couronne s’oppose au témoignage d’un témoin cité par les demanderesses sur le fondement de la non‑divulgation, la Cour n’envisagera pas de remédier à un élément de surprise ou un préjudice allégué de la part de la Couronne en ordonnant des ajournements du procès, et la Cour ne tiendra pas compte non plus de la durée d’un ajournement ou d’un retard survenu concrètement entre l’assignation des témoins des demanderesses et le début du contre‑interrogatoire de la Couronne.

 

 

  • [8] Les demanderesses disent proposer que le reste du procès soit mené de la manière suivante : [traduction] « sur le fondement de cette compréhension de vos décisions, et si notre compréhension à cet égard est erronée de quelque façon que ce soit, nous vous prions de nous en aviser ».

 

  La Couronne

 

  1.  Généralités

La Couronne est d’avis que la présente requête ne divulgue pas de nouvelles circonstances ou préoccupations qui justifieraient que la Cour annule les décisions fondées sur la preuve qu’elle a rendues antérieurement.

 

2.  Le défaut d’expliquer des demanderesses

La Couronne souligne également que si la Cour a effectivement exclu des éléments de preuve pertinents parce qu’ils n’avaient pas été divulgués dans un résumé de témoignage anticipé, en ce cas les demanderesses n’ont pas expliqué pourquoi ces éléments de preuve n’avaient pas été divulgués conformément aux normes. La Cour ne peut pas perdre de vue le fait que les demanderesses se sont vu ordonner de le faire, et que, dans la mesure où la présente requête révèle qu’elles ne l’ont pas fait, il s’agit simplement, de la part des demanderesses, d’une reconnaissance du fait qu’une fois de plus elles n’ont pas respecté une échéance ordonnée par la Cour.

 

3.  La véritable question en litige

La Couronne affirme que dans la présente requête, il est simplement demandé à la Cour de faire abstraction des résumés de témoignage anticipé lorsqu’elle se penchera sur les questions d’admissibilité. Il s’agit d’un choix que la Cour a déjà rejeté à plusieurs reprises, si nous nous reportons à la décision qu’elle a rendue le 25 novembre 2005, lorsqu’elle a estimé pour la première fois que certains éléments de preuve proposés étaient inadmissibles, parce qu’ils n’étaient pas conformes à la norme de présentation des résumés de témoignage anticipé, qui consistait à présenter un résumé de ce que les témoins devaient dire de manière suffisamment détaillée pour permettre aux autres participants de se préparer au procès. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale et l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été rejetée.

 

4.  La corroboration insuffisante

La Couronne est d’avis que les arguments avancés par les demanderesses dans la présente requête ne sont étayés par aucun élément de preuve ou texte officiel, et qu’ils sont fondés sur des idées fausses au sujet de ce qui s’est réellement passé à ce jour dans le cadre des procédures.

 

5.  Les possibilités de produire des éléments de preuve pertinents

En ce qui concerne la divulgation et la production d’éléments de preuve, la Couronne souligne que tous les éléments de preuve qui paraissaient importants aux demanderesses, et que celles‑ci voulaient produire, pouvaient et auraient dû être divulgués dans leurs résumés de témoignage anticipé. Tout le dossier préalable au procès était à leur disposition, et il leur était loisible d’ajouter toutes les questions qu’elles jugeaient nécessaires pour plaider leur cause. En réalité, il ne leur était pas seulement loisible de le faire, la Cour le leur avait ordonné, et aucune explication n’a été présentée quant aux raisons pour lesquelles les demanderesses n’ont pas divulgué dans leurs résumés de témoignage anticipé les éléments de preuve pertinents et importants pour leur cause. En plus des documents provenant du dossier préalable au procès auxquels les demanderesses ont fait renvoi, celles‑ci pouvaient également consulter les témoins eux‑mêmes, ainsi que l’ensemble de l’histoire orale et de ses sources, domaines auxquels la Couronne n’avait pas accès.

 

La Couronne affirme que la preuve n’a pas été exclue comme le laissent entendre les demanderesses. Il appartient à la Couronne de s’opposer aux éléments de preuve qu’elle estime ne pas avoir été divulgués ou découverts au moment de la citation d’un déposant, et les demanderesses ont eu la possibilité de réagir pleinement aux objections de la Couronne. Il n’incombe rien de plus aux demanderesses, puisqu’elles retiennent des témoignages démontrant où les éléments de preuve ont été divulgués.

 

6.  La confirmation de la Cour d’appel fédérale

La Couronne souligne que la Cour d’appel fédérale a déjà commenté la question de l’équité de l’exclusion d’éléments de preuve de la manière utilisée dans les présentes procédures.

 

7.  Les décisions rendues avant le procès

La Couronne affirme en outre que diverses décisions que la Cour a rendues avant le procès confirment aussi ce qui s’est passé au procès concernant l’exclusion d’éléments de preuve, par exemple, la décision rendue le 7 décembre 2006, dans laquelle les demanderesses se sont vu refuser le droit de remanier leurs résumés de témoignage anticipé. Il n’y a pas vraiment de différence entre la proposition de remanier leurs résumés de témoignage anticipé peu de temps avant le début du procès et la proposition faite au procès, soit de ne pas tenir compte de l’exigence de présenter un résumé de témoignage anticipé et des normes, et d’autoriser les témoins à livrer des témoignages sur n’importe quel sujet, sauf que le choix du moment consistant à accorder cela au procès tiendrait encore moins compte du régime qui a été établi par la Cour afin d’assurer la planification et la préparation efficaces du contre‑interrogatoire.

 

8.  Les décisions rendues en date du procès

En ce qui concerne les répercussions des décisions rendues à ce jour, la Couronne a ses propres points de vue sur ce que ces décisions indiquent, mais souligne que les décisions doivent être examinées au cas par cas, dans le contexte entourant les témoins cités lorsqu’ils proposent de témoigner. La Couronne affirme qu’il ressort de l’examen du dossier qu’elle ne jouit d’aucun avantage en contre‑interrogatoire, et qu’il n’y a aucune iniquité, que ce soit à l’égard d’un témoin en particulier ou du fonctionnement du système. L’exigence de présenter un résumé de témoignage anticipé qui a été lancée par le juge Hugessen n’entraîne aucune iniquité. En réalité, les demanderesses ne font que déplorer la nature même du contre‑interrogatoire, et leur assimilation de la portée générale du contre‑interrogatoire à une sorte de désavantage découlant de l’exigence de présenter un résumé de témoignage anticipé est une échappatoire. Les résumés de témoignage anticipé ne permettent pas davantage à la Couronne d’aborder en contre‑interrogatoire des motifs ou des sujets qui ne le sont pas dans l’interrogatoire principal.

 

9.  La rétractation

La Couronne affirme que les demanderesses souhaitent simplement revenir sur les observations qu’elles ont faites à la Cour et aux autres participants, selon lesquelles elles avaient accepté l’exigence de présenter des résumés de témoignage anticipé, qui divulgueraient ce que diraient leurs témoins. En dernier ressort, les demanderesses demandent simplement d’être libérées de certaines exigences en matière de divulgation qui leur ont été imposées lorsque la Cour a rétabli leur droit à citer des témoins profanes.

 

10.  Les droits de la Couronne

La Couronne souligne qu’elle a droit au dénouement le plus équitable, le plus expéditif et le moins onéreux des présentes procédures, tout autant que n’importe quel autre litigant. Le paragraphe 3 des Règles de la Cour fédérale est compromis par la présente requête, qui réexamine les décisions que la Cour a rendues antérieurement, sous prétexte de les interpréter sans que des faits vraiment nouveaux ne soient survenus dans l’intervalle.

 

MOTIFS

 

  Introduction

  • [9] Le présent procès se trouve dans une impasse qui doit être dénouée. Les demanderesses affirment qu’il est devenu inéquitable et qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. La Couronne affirme que les demanderesses essaient simplement de se soustraire aux exigences de divulgation qui constituent une condition de la citation de leurs témoins. Les deux parties sont frustrées et les procédures ont abouti à une impasse. Dans l’espoir de stabiliser et d’éclaircir la situation, puis de permettre aux parties de planifier l’avenir du procès, la Cour a accepté d’examiner les plaintes des demanderesses à titre de requête, sur le fondement du dossier convenu. Un bon nombre des points soulevés ont déjà été examinés et tranchés par la Cour, que ce soit sous la forme de décisions judiciaires ou lors des requêtes que les deux parties (quoique ce fût habituellement la Couronne) ont introduites devant moi concernant des affaires liées au procès. Par conséquent, la Cour s’estime liée par les précédents et les choses jugées à certains égards qui seront précisés ci‑après.

 

  • [10] Réduit à l’essentiel, l’argument principal des demanderesses est le suivant :

  1. elles ont produit des résumés des dépositions de leurs témoins qui sont conformes en tous points aux exigences ordonnées par la Cour concernant les résumés de témoignage anticipé, et qui divulguent ce que chacun des témoins dira, conformément aux normes établies par la Cour;

  2. par ses décisions, la Cour a créé un déséquilibre et les a empêchées de plaider leur cause adéquatement, parce que sur l’insistance de la Couronne et des intervenants la Cour a adopté une règle de droit qui exclut les éléments de preuve qui n’ont pas été divulgués dans un résumé de témoignage anticipé, conformément aux normes ordonnées par la Cour.

 

Bref, les résumés de témoignage anticipé des demanderesses divulguent ce que diront leurs témoins, mais ne permettent pas de plaider leur cause adéquatement, parce que la Cour autorisera les témoins à dire seulement ce que les demanderesses auront divulgué dans leurs résumés de témoignage anticipé.

 

  • [11] En réalité, la Cour n’a ni adopté, ni appliqué une pareille règle juridique d’exclusion. Mais même si les demanderesses avaient raison à cet égard, la requête qui est présentée à la Cour renferme une contradiction inexpliquée. Si les résumés de témoignage anticipé des demanderesses divulguent ce que chaque témoin dira conformément aux normes établies par la Cour, en ce cas le témoignage livré au procès ne peut pas être exclu, comme celles‑ci le prétendent, même par une règle de droit qui exclut les éléments de preuve non divulgués dans un résumé de témoignage anticipé conformément aux normes.

 

  • [12] Ainsi, sur le fondement des renseignements présentés à la Cour, il semblerait que les demanderesses affirment qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement si leurs témoins disent exactement ce qui est précisé dans des résumés de témoignage anticipé qui sont conformes aux normes en tous points.

 

  • [13] Les demanderesses n’ont pas tenté d’expliquer cette contradiction, même si elle a des répercussions sur tout ce que celles‑ci présenteront à la Cour dans le cadre de la présente requête, et même si elle a de graves conséquences pour l’avenir des procédures.

 

  Les décisions rendues à ce jour – Directives

 

  • [14] En qualité de juge de première instance, je crois être tenu de trancher les présentes actions avec équité et de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse, conformément aux Règles de la Cour fédérale. Dans le cadre de cette obligation, je crois pouvoir fournir des directives limitées de temps à autre, mais je ne pense pas être en mesure de présenter effectivement le genre d’opinion extrapolée que les demanderesses semblent vouloir obtenir au sujet des répercussions éventuelles de mes décisions pour la suite du procès.

 

  • [15] Il y a de nombreuses raisons à cela. Les décisions parlent d’elles‑mêmes, et si je devais maintenant fournir le genre d’interprétation que les demanderesses demandent à la Cour, cela pourrait entraîner de l’incohérence et de la confusion. La Cour ne peut ni confirmer ni rejeter les arguments que les demanderesses souhaitent maintenant établir pour atteindre leurs propres objectifs stratégiques. Les avocats doivent en arriver à leurs propres conclusions concernant la portée et l’importance des décisions, et aviser leurs clients en conséquence.

 

  • [16] Comme il s’ensuivra une nouvelle décision, je peux fort bien envisager les leçons tirées d’une décision antérieure, et je crois devoir rechercher la cohérence, mais les circonstances peuvent fort bien varier, de sorte que la confirmation d’une généralisation proposée par les demanderesses à la présente étape serait à la fois dangereuse et entièrement trompeuse quant à ce que la Cour s’efforce de faire dans chaque cas, c’est‑à‑dire, décider de ce qui est juste et équitable sur le fond des faits et des arguments que les avocats présenteront à l’égard de chaque objection.

 

  • [17] La Cour n’essaie pas de rendre les choses difficiles pour les avocats des demanderesses à cet égard. Ceux‑ci sont maintenant placés face à des décisions concernant les éléments de preuve à déposer, compte tenu de ce qui est ressorti à ce jour, et en raison de cela, si les choses se déroulent comme ce fut le cas jusqu’ici, les demanderesses ne pourront pas plaider leur cause adéquatement. Mais il s’agit du travail de tous les avocats dans tous les procès. Ce que je crois pouvoir dire, c’est que les six conclusions des demanderesses sont fondées sur la prémisse inexacte que la Cour utilise les résumés de témoignage anticipé comme motif juridique pour exclure des éléments de preuve pertinents. La vérité à ce sujet est que la Cour traite des objections fondées sur la surprise et le guet‑apens que soulève la Couronne (et aussi les demanderesses), à l’égard desquelles les résumés de témoignage anticipé produits par les demanderesses ont joué un rôle important jusqu’ici, pour les motifs justifiant chacune des décisions. En raison du fait que le motif légal et de facto pour avoir maintenu une objection pertinente a été l’acceptation du guet‑apens dans chaque cas, il est tout simplement impossible pour la Cour de dire ce qui est susceptible de se produire dans le cas des futurs témoins, ni quel rôle les résumés de témoignage anticipé continueront à jouer à l’égard des futures objections que soulèvera la Couronne.

 

  • [18] Commej’ai prié la Couronne de répondre aux allégations des demanderesses dans la présente requête, la Couronne a produit ses propres conclusions sur les répercussions de mes décisions à ce jour.

 

  • [19] Cependant, ni l’une ni l’autre des parties ne saisit exactement ce que la Cour observe ici. Les deux parties – tout naturellement et à des fins stratégiques qui leur sont propres – aimeraient me coincer et supprimer la souplesse dont je crois avoir besoin pour traiter chaque objection sur le fond.

 

  • [20] La Cour a signifié très clairement dans ses décisions qu’elle refuse d’utiliser les résumés de témoignage anticipé comme règle d’exclusion de la preuve, et cela tout simplement parce que si un élément n’est pas indiqué dans un résumé de témoignage anticipé, cela ne veut pas dire qu’il est inadmissible. La Cour a aussi signifié clairement que chaque objection sera examinée séparément, afin de décider si, en faisant appel à la raisonnabilité et au bon sens, il y a une véritable surprise ou un guet‑apens à l’égard d’un point important. Lorsqu’elle s’est penchée sur cette question, la Cour a indiqué que l’une ou l’autre partie peut utiliser tout le dossier pour faire valoir ou contester la surprise. Derrière les dernières affirmations d’iniquité des demanderesses se cache la réalité, à savoir qu’en examinant ce que chacune des parties avait apporté à chacune des décisions, j’ai estimé que la plupart des arguments des demanderesses n’étaient pas convaincants, et que certains documents (c’est‑à‑dire, les résumés de témoignage anticipé) ont été des indicateurs plus convaincants que d’autres d’une surprise raisonnable. Mais il y aura sans doute des variantes de temps à autre (comme il y en a eu dans le cas de l’Aîné Starlight), et la Cour devra exercer chaque fois son pouvoir discrétionnaire en fonction de ce que les parties soutiendront et révèleront.

 

  • [21] Le rôle important qu’ont joué les résumés de témoignage anticipé jusqu’ici, lorsqu’il s’agissait de décider s’il y avait eu une véritable surprise et un guet‑apens dans chaque cas, rôle que déplorent les demanderesses, peut difficilement être imprévu compte tenu des éléments suivants :

  1. les problèmes de divulgation avant le procès et les demandes particulières aux procédures;

  2. les solutions particulières élaborées par la Cour (englobant les résumés de témoignage anticipé) qui s’avéraient nécessaires pour résoudre ces problèmes de divulgation et répondre à ces demandes afin de traduire les actions en justice;

  3. les antécédents très épineux des procédures, qui ont obligé d’abord le juge responsable de la gestion de l’instance, le juge Hugessen, puis le juge de première instance, à ordonner la prise de certaines mesures (au vu de la résistance des demanderesses et des violations des ordonnances de la Cour), y compris la production de résumés de témoignage anticipé qui offrait un certain degré de divulgation permettant de bien préparer le procès et d’y éviter le guet‑apens;

  4. les motifs et ordonnances de la Cour donnaient des consignes claires aux demanderesses concernant ce qu’elles devaient produire sous forme de résumés de témoignage anticipé, puis leur allouaient le temps qu’elles avaient estimé nécessaire pour produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes;

  5. les propres observations des demanderesses et les assurances données à la Cour et aux autres participants selon lesquelles leurs résumés de témoignage anticipé respectaient les normes établies par la Cour, de façon à divulguer ce que chaque témoin dirait effectivement, conformément aux normes. Ces assurances persistent dans le cadre de la présente requête;

  6. les propres objections des demanderesses fondées sur le guet‑apens lors de l’audience de bene esse de Mme Florence Peshee et leur utilisation du résumé de témoignage anticipé de Mme Peshee pour convaincre la Cour qu’il y avait eu un guet‑apens. Les demanderesses ont fortement insisté sur le fait que ce qui était arrivé lors de l’audience Peshee peut être écarté et ne devrait pas s’appliquer à leurs propres éléments de preuve, mais (pour des motifs auxquels je ferai renvoi plus loin) la Cour a conclu que leurs arguments étaient peu convaincants et incompatibles avec la formulation claire du dossier et le bon sens élémentaire concernant les obligations réciproques dans les actions en justice;

  7. les remarques d’ordre général qu’ont passées les demanderesses, tant à l’audience Peshee qu’en d’autres occasions, concernant la façon dont les résumés de témoignage anticipé devraient être utilisés à l’égard de la preuve que tous les participants doivent produire au présent procès, afin de décider s’il y a eu un guet‑apens.

 

Je ferai renvoi à ces facteurs et/ou les illustrerai tout au long du présent exposé des motifs.

 

  • [22] À titre d’exemple, les demanderesses semblent escompter que la Cour accepte que si elles ont dit à la Couronne dans un résumé de témoignage anticipé qu’un témoin n’abordera que les aspects de la preuve qui y sont mentionnés (selon les normes, la divulgation de ce qu’un témoin « dira » doit être présentée sous forme synoptique), la Couronne doit aussi être disposée – et ne devrait pas être surprise – à contre‑interroger ce témoin sur n’importe quel aspect de la preuve au procès, même s’il n’est pas fait renvoi à cet élément de preuve dans le résumé de témoignage anticipé conformément aux normes. Les demanderesses ont présenté divers arguments quant aux raisons pour lesquelles cela devrait se faire (en se fondant généralement sur le dossier de divulgation préalable dans son ensemble), mais elles n’ont pas abordé de manière satisfaisante un point évident, à savoir que si la Couronne devrait être disposée à contre‑interroger un témoin sur n’importe quel aspect de la preuve, les résumés de témoignage anticipé n’auraient aucune raison d’être, et il serait illogique de présenter pour chacun des témoins un résumé de témoignage anticipé indiquant clairement les aspects précis de la preuve que celui‑ci va aborder. Les demanderesses ont aussi refusé de reconnaître et d’aborder un point évident, à savoir que si elles sont autorisées à faire des déclarations à la Couronne au moyen de chacun des résumés de témoignage anticipé, le témoignage d’un témoin sera limité aux aspects indiqués conformément aux normes établies par la Cour, mais que si elles ont ensuite recours à ce même témoin pour livrer un témoignage concernant un aspect non divulgué, le résumé de témoignage anticipé risquerait de devenir un moyen de créer un guet‑apens au procès, plutôt qu’une façon de l’éviter.

 

  • [23] Les demanderesses affirment maintenant qu’en autorisant la Couronne às’opposer à la preuve sur le fondement du guet‑apens au procès (ce que les demanderesses ont fait elles‑mêmes) et à faire renvoi au résumé de témoignage anticipé d’un témoin pour expliquer comment il y a eu guet‑apens, la Cour a fait des résumés de témoignage anticipé un motif légal pour exclure des éléments de preuve. Mais ce n’est pas ce qu’a fait la Cour; la Cour a simplement examiné les arguments à l’appui ou à l’encontre du guet‑apens à mesure que chacune des objections était soulevée et tranchée, de manière raisonnable et logique, afin de déterminer s’il y avait réellement eu guet‑apens. Les demanderesses affirment que l’acceptation des normes et la production de résumés de témoignage anticipé lors de la divulgation préalable ne devraient pas être liées à l’admissibilité de la preuve au procès. Elles souhaitent dissocier les résumés de témoignage anticipé de toute décision en matière d’admissibilité. Mais les demanderesses n’ont pas affirmé que la Couronne ne pouvait pas soulever d’objection en invoquant le guet‑apens au procès; elles contestent simplement le fait que les résumés de témoignage anticipé soient utilisés comme ils l’ont été, pour décider s’il y avait vraiment eu guet‑apens. Pour les motifs qu’elle a déjà mentionnés, la Cour est d’avis qu’il n’y a rien d’étonnant, si un guet‑apens est allégué au procès, à ce que les résumés de témoignage anticipé jouent un rôle de premier plan, et cela en raison du rôle qui a été assigné aux résumés de témoignage anticipé dans les présentes procédures de façon générale, ainsi qu’en raison des problèmes liés à la divulgation préalable au procès que les résumés de témoignage anticipé étaient censés résoudre.

 

  • [24] Il n’a pas non plus échappé à la Cour que les témoins cités par les demanderesses à ce jour ont confirmé le schéma de base et l’impression qui se dégagent des résumés de témoignage anticipé dans leur ensemble, c’est‑à‑dire que les témoins à titre individuel ont des domaines de connaissances différents et ne peuvent parler que de sujets précis.

 

  • [25] Dans ce contexte, et compte tenu du rôle que les résumés de témoignage anticipé étaient censés jouer dans les présentes procédures, la Cour est d’avis qu’il était inévitable qu’ils occupent une place prépondérante dans les décisions concernant les guet‑apens au procès. Mais cela ne signifie certainement pas que la Cour a fait des résumés de témoignage anticipé une règle de droit en matière d’exclusion. En réalité, la Cour a expressément refusé de le faire. En alléguant le contraire dans la présente requête, les demanderesses semblent faire valoir que la Cour ne s’exprime pas franchement, ou ne fait pas ce qu’elle prétend faire. Mais les demanderesses n’ont produit aucune preuve à l’appui de ce questionnement manifeste sur la sincérité de la Cour, et elles n’éludent pas les remarques explicites de la Cour qui contredisent le point de vue point qu’elles font valoir dans la présente requête.

 

  • [26] L’examen du dossier permet à la Cour de constater que les demanderesses comprennent depuis longtemps le lien qui existe entre les résumés de témoignage anticipé et la surprise au procès, et qu’elles préconisent aussi l’utilisation des résumés de témoignage anticipé pour décider s’il y a eu surprise. Comme je l’ai souligné ailleurs, tout cela a été démontré à l’audience de bene esse de Mme Florence Peshee, mais cela s’est produit en de nombreuses autres occasions sur lesquelles je reviendrai.

 

  • [27] Si je fais ici allusion à ces questions, c’est uniquement pour indiquer que le point de vue actuel des demanderesses, selon lequel pour une raison ou une autre elles ne comprennent pas que les résumés de témoignage anticipé en soient venus à occuper une place aussi prépondérante lorsque le guet‑apens au procès devient une question problématique, n’est pas un point de vue que la Cour peut accepter.

 

  • [28] Et indépendamment de ce que les demanderesses affirment maintenant, qu’elles comprennent ou non, l’utilisation des résumés de témoignage anticipé afin de prévenir les guet‑apens au procès est une conséquence inévitable des ordonnances de la Cour qui établissent les normes requises et ont contraint tous les participants, y compris les demanderesses, à produire des résumés de témoignage anticipé qui respectent ces normes. Dans une requête écrite, les demanderesses ont effectivement demandé etobtenu l’aide de la Cour afin de s’assurer que la Couronne et les intervenants produiraient des résumés de témoignage anticipé conformes auxnormes.

 

  • [29] Le fait que les demanderesses souhaitent maintenant désavouer les points de vue qu’elles avaient adoptés antérieurement (même après avoir tiré avantage de l’utilisation d’un résumé de témoignage anticipé au procès afin d’exclure des éléments de preuve fournis par un autre participant) et souhaitent maintenant que la Cour renonce au lien entre le guet‑apens au procès et la divulgation présentée dans les résumés de témoignage anticipé n’a pas pour effet de rendre les présentes procédures inéquitables ou déséquilibrées. Et cela d’autant plus que les demanderesses se sont vu accorder une prorogation importante du délai pour se préparer au procès et introduire les requêtes préalables au procès qu’elles estimaient nécessaires ou souhaitables, notamment toute requête qu’elles jugeaient nécessaire pour aborder la question de l’utilisation et du rôle des résumés de témoignage anticipé au procès. Les demanderesses ont refusé d’introduire une pareille requête et escomptent maintenant que le lien évident entre les résumés de témoignage anticipé et le guet‑apens au procès puisse simplement être abandonné lors du procès. Cela n’est tout simplement pas possible du point de vue de la Cour. Les demanderesses se sont vu accorder le temps dont elles disaient avoir besoin pour produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes établies par la Cour. Elles se sont vu accorder un délai supplémentaire pour examiner la situation avant le procès, à la suite de la désignation d’un nouvel avocat et pour introduire les requêtes que celui‑ci aurait pu souhaiter introduire. Elles comprennent depuis longtemps, de l’avis de la Cour, le lien qui existe entre les résumés de témoignage anticipé et le guet‑apens au procès. Les demanderesses peuvent difficilement s’attendre maintenant à ce que les résumés de témoignage anticipé n’entrent pas en jeu de manière importante s’il y a allégation de guet‑apens.

 

  • [30] Enfin, lorsqu’il s’agit de décider s’il y a vraiment eu guet‑apens au procès, la décision repose sur un équilibre entre une question de principe et l’exercice du pouvoir discrétionnaire, et comme la Cour l’a déclaré clairement, la question sera examinée du point de vue de la raisonnabilité et du bon sens. Les demanderesses peuvent certainement ne pas être d’accord avec la Cour au sujet de ce qui est raisonnable et de ce qui concorde avec le bon sens dans un cas particulier. Mais cela n’est qu’un désaccord au sujet d’une décision discrétionnaire que la Cour doit prendre chaque fois qu’une objection est soulevée. En pareil cas, l’une des parties est portée à croire que la Cour est dans l’erreur. Tous les autres participants ont dû produire des résumés de témoignage anticipé, et les mêmes décisions discrétionnaires devront être prises lorsque leur preuve sera produite.

 

  • [31] Les demanderesses ont maintenant le sentiment d’être entravées par un système dont elles sont responsables, au moins en partie, et qu’elles ont utilisé à leur avantage. Mais cela n’a pas pour effet de rendre le système inéquitable ou susceptible de mener à un procès déséquilibré.

 

  • [32] Ainsi, en établissant leurs propres conclusions et en invitant la Cour à les confirmer, les demanderesses ont interprété le fondement des décisions de la Cour de manière à pouvoir soutenir leurs objectifs stratégiques dans le cadre de la présente requête, mais cette interprétation ne correspond pas à ce qui s’est vraiment passé d’après ce qui ressort du dossier. Dans les présentes procédures, il n’y a aucune règle de droit visant à exclure des éléments de preuve parce qu’ils n’apparaissent pas dans un résumé de témoignage anticipé. De plus, les demanderesses invitent la Cour à poser des conclusions générales, déterminées et extrapolées dans un cas où la Cour a refusé de rendre des décisions générales et a expliqué pourquoi, par nécessité, il doit en être ainsi pour procurer à la Cour la souplesse dont elle a besoin pour trancher des objections sur le fond en faisant appel à la raisonnabilité et au bon sens, après avoir entendu les arguments et les témoignages qu’un avocat peut apporter chaque fois qu’une objection est soulevée.

 

  • [33] Les demanderesses demandent à la Cour de fournir des directives fondées sur le postulat que tout ce qu’elles allèguent dans la présente requête est juste. Bien entendu, la Cour ne peut pas accepter ce postulat. Cela ne veut pas dire que la Cour ne peut pas fournir des directives aux demanderesses, mais de pareilles directives doivent se fonder sur uncompte rendu exact du dossier et sur les principes que la Cour a déclaré utiliser pour traiter la question du guet‑apens au procès.

 

La question en litige est celle du guet-apens, et non celle des témoignages anticipés

 

  • [34] Il ressort de mon examen des parties pertinentes du dossier que la requête des demanderesses dénature ce qui se passe vraiment à mesure que le procès se déroule. Les demanderesses affirment que la Cour a créé au procès une situation où les résumés de témoignage anticipé qu’elles ont produits ont été utilisés par la Couronne et la Cour pour engendrer des conditions dans lesquelles les résumés de témoignage anticipé ont servi, en réalité, de motif légal pour exclure des éléments de preuve admissibles pertinents. Les demanderesses affirment que les résumés de témoignage anticipé ne peuvent pas être utilisés de cette façon au procès, que dans les présentes procédures il n’avait jamais été question qu’ils le soient, et qu’elles ne comprennent pas et n’acceptent pas que les résumés de témoignage anticipé soient utilisés au procès pour exclure des éléments de preuve admissibles pertinents produits par l’une ou l’autre partie. Les demanderesses font valoir que l’acceptation d’une norme de présentation de résumés de témoignage anticipé lors de la divulgation préalable et l’effort qu’elles ont déployé afin de s’y conformer sont sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès.

 

  • [35] Ce point de vue n’est guère plus qu’une affirmation non corroborée, que les demanderesses ont faite pour appuyer les objectifs de la présente requête. Cette affirmation n’est pas corroborée par ce qui ressort du dossier et, comme je le préciserai, il s’agit d’un désaveu des positions que les demanderesses ont adoptées dans le passé. De plus, il s’agit aussi d’une tentative visant à remettre en litige des conclusions et des décisions rendues au début du procès concernant les objections au témoignage de M. Darrell Crowchild.

 

  • [36] Comme je l’ai déjà souligné, cette affirmation repose sur une interprétation inexacte des décisions rendues par la Cour à ce jour. Il faut donc comprendre, si elles font cette affirmation, que les demanderesses supposent que la Cour n’est pas sincère lorsqu’elle affirme que les résumés de témoignage anticipé ne constituent pas une règle juridique d’exclusion.

 

  • [37] Comme cela s’était produit dans le passé, la Cour a dû réexaminer le dossier lui‑même, afin de vérifier l’exactitude des affirmations des demanderesses et de voir ce qui ressortait du dossier au sujet des propres jugements formels de la Cour.

 

  • [38] Ce que la Cour a dit sur ce point est tout à fait clair et précis. Je l’ai maintenant dit de différentes façons un grand nombre de fois. J’ai simplement décidé, par souci de commodité, de citer ce que j’ai dit dans ma première décision concernant une objection soulevée à l’égard du témoignage de M. Darrell Crowchild :

[traduction]

 

Quatrièmement, et je pense que cela est très, très important, il doit cependant y avoir un véritable guet‑apens et une perte de possibilité de se préparer à contre‑interroger. Les résumés de témoignage anticipé ne constituent pas, en soi, un motif légal pour exclure des éléments de preuve. Ils sont conçus à titre d’outil procédural afin d’assurer l’équité, l’efficacité et la préparation, et de prévenir le guet‑apens au procès.

 

  • [39] À cette occasion, j’ai dit beaucoup d’autres choses à l’appui de ce même point. Et la Cour a certainement mis en pratique ce qu’elle avait prêché lorsqu’elle a rendu les décisions subséquentes.

 

  • [40] Les demanderesses ont le droit d’être en désaccord avec la Cour, bien entendu. Mais je ne crois pas qu’elles aient le droit, dans le cadre d’une requête aussi sérieuse que la présente, où elles accusent la Cour de restreindre leur capacité de plaider leur cause adéquatement, de se contenter de faire abstraction de ce que la Cour a dit et fait concernant un point sans aborder la question dans le détail.

 

  • [41] La Cour a expressément et péremptoirement rejeté l’utilisation des résumés de témoignage anticipé à titre de motif légal ou de facto pour exclure des éléments de preuve pertinents au procès.

 

  • [42] Mais la Cour tient‑elle parole?

 

  • [43] Bon, voici ce qu’il ressort de mon propre examen du dossier au sujet des décisions concernant le guet‑apens qui ont été rendues à ce jour :

  1. Absolument aucune utilisation des résumés de témoignage anticipé n’a été faite à moins que les demanderesses ou la Couronne n’aient allégué un guet‑apens et présenté le résumé de témoignage anticipé pertinent afin de démontrer le guet‑apens. La Cour n’a rendu aucune décision selon laquelle l’une ou l’autre des parties devait s’abstenir de chercher à présenter un élément de preuve non mentionné dans un résumé de témoignage anticipé. À moins qu’un guet‑apens ne soit allégué, les résumés de témoignage anticipé n’entrent même pas en jeu.

  2. Des éléments de preuve non mentionnés dans un résumé de témoignage anticipé, conformément aux normes, ont été produits et versés au dossier.

  3. Lorsqu’un guet‑apens a été allégué, la Cour n’a pas automatiquement exclu un élément de preuve parce qu’il n’apparaissait pas dans un résumé de témoignage anticipé. La Cour a donné aux avocats la possibilité d’essayer de démontrer que, même si le résumé de témoignage anticipé ne fait pas état de ce que dira le témoin, conformément aux normes, il n’y a pas de véritable guet‑apens. Le fait que la Cour ait conclu que certains arguments étaient moins convaincants que d’autres au moment de l’examen du véritable guet‑apens et, pour les motifs que j’ai déjà expliqués, que les résumés de témoignage anticipé aient joué un rôle de premier plan dans ce processus, ne signifie pas que la Cour s’est forgé une opinion définitive et a choisi de se fonder exclusivement sur les résumés de témoignage anticipé, comme s’il s’agissait d’une règle de droit, pour exclure des éléments de preuve pertinents.

  4. Il y a eu des décisions dans lesquelles il a été conclu que la lettre d’explication et (dans le cas de l’Aîné Starlight) l’interrogatoire préalable avaient été convaincants à l’égard de certains aspects non mentionnés dans le résumé de témoignage anticipé.

 

  • [44] Indépendamment des décisions antérieures, il est impossible de prédire les nouveaux faits que révèleront les futurs témoins pouvant contrebalancer la force de persuasion de leurs résumés de témoignage anticipé lorsqu’il s’agira de décider s’il y a eu un véritable guet‑apens.

 

  • [45] Le dossier montre sans équivoque que la Cour se concentre sur le véritable guet‑apens et n’utilise pas les résumés de témoignage anticipé comme motif légal pour exclure des éléments de preuve, malgré le fait que, pour des raisons évidentes, les résumés de témoignage anticipé ont joué un rôle de premier plan jusqu’ici lorsqu’il s’agissait de décider s’il y avait eu un véritable guet‑apens. Cela étant, la prémisse fondamentale des demanderesses sur laquelle repose toute la présente requête en annulation du procès est nulle et non avenue pour ce seul motif. Les demanderesses n’ont pas démontré à l’aide du dossier que la Cour utilise les résumés de témoignage anticipé comme motif légal pour exclure des éléments de preuve pertinents au procès, et tout ce qu’elles allèguent dans la présente requête se fonde sur cette prémisse. Les demanderesses font simplement abstraction de ce que la Cour a effectivement dit et fait. Pour ce seul motif, et il y en a beaucoup d’autres, la Cour doit rejeter larequête dans son ensemble.

 

  • [46] Car si la Cour accorde vraiment un redressement à la Couronne sur le fondement du guet‑apens, comme elle en a accordé un aux demanderesses lors de l’audience Peshee, il ne peut y avoir ni déséquilibre, ni iniquité pour ce motif. Jusqu’ici, les demanderesses ont cité la majorité des témoins. Il ne peut y avoir iniquité ou déséquilibre que si, au moment de trancher les objections fondées sur le guet‑apens, la Cour organisait les choses de façon à ce que les demanderesses (auxquelles incombe le fardeau de la preuve) ne puissent pas faire défiler leurs témoins et prévoir les témoignages de façon à s’acquitter de leur fardeau, ou encore traitait les témoins des demanderesses différemment de ceux des autres participants. Aucun de ces facteurs n’entre en jeu dans la présente requête ou les présentes procédures de façon générale, et les demanderesses, hormis des affirmations non étayées, ne le démontrent pas. La Cour a déjà alloué aux demanderesses le temps qu’elles avaient demandé pour faire défiler leurs témoins et présenter leur preuve conformément au processus axé sur les résumés de témoignage anticipé et les normes de divulgation établies par la Cour. Les demanderesses ont assuré la Cour que cela avait été fait. Et même si cette assurance n’avait pas été donnée (elle a été donnée de nouveau dans le cadre de la présente requête), cela n’importerait pas, parce que la Cour (afin de s’assurer que les demanderesses puissent citer les nouveaux témoins dont elles avaient besoin – malgré le fait qu’elles avaient violé une ordonnance de la Cour les obligeant à produire des résumés de témoignage anticipé) a ordonné aux demanderesses de produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes de divulgation établies par la Cour.

 

  • [47] Manifestement, il ne peut être démontré à ce stade‑ci que la Cour traite différemment les témoins des demanderesses pour ce qui est des guet‑apens tendus par les témoins des autres participants. Le seul élément de preuve dont nous disposons à cet égard provient de l’audience Peshee, où la Cour a été très réceptive aux objections soulevées par les demanderesses à l’encontre du guet‑apens et a autorisé celles‑ci à consulter le résumé de témoignage anticipé de Mme Peshee pour démontrer qu’il y avait eu guet‑apens.

 

  • [48] Ainsi, l’affirmation de base des demanderesses selon laquelle les résumés de témoignage anticipé ont été utilisés comme motif légal pour exclure des éléments de preuve pertinents n’est pas corroborée par les faits qui ressortent du dossier en ce qui concerne les objections soulevées à ce jour. Le dossier montre que les résumés de témoignage anticipé ont certainement figuré au premier plan pour ce qui était des témoins des demanderesses. Mais ces résumés ont aussi figuré au premier plan à l’audience Peshee, lorsque les demanderesses ont sollicité un redressement par suite d’un guet‑apens. Et il n’y a aucune raison de soupçonner que les résumés de témoignage anticipé ne figureront pas au premier plan lorsque les témoins des autres participants seront cités. Lorsque la Couronne a soulevé des préoccupations en matière de guet‑apens, ces préoccupations concernaient des éléments de preuve importants pour les principales questions en litige dans les présentes actions, et dans les cas où l’interrogatoire préalable n’avait pas permis d’obtenir les renseignements nécessaires pour se préparer au procès, ou des cas où les demanderesses avaient signifié clairement que chaque témoin n’aborderait qu’un éventail limité d’éléments de preuve, afin que la Couronne n’ait aucune raison de se préparer à contre‑interroger ces témoins sur des aspects non divulgués selon les normes applicables aux résumés de témoignage anticipé. La Cour a entendu les arguments des avocats concernant chacune des objections, elle a examiné chacune de ces objections sur le fond, puis elle a appliqué une approche raisonnable, axée sur le bon sens, pour décider s’il y avait eu une véritable surprise ou un guet‑apens. Cela n’équivaut pas à utiliser les résumés de témoignage anticipé comme motif légal, ou de facto, pour exclure des éléments de preuve.

 

  • [49] L’affirmation des demanderesses selon laquelle les résumés de témoignage anticipé ne peuvent pas être utilisés au procès comme motif légal pour exclure des éléments de preuve pertinents s’effondre aussi parce que les résumés de témoignage anticipé n’ont pas été utilisés ainsi. Il n’existe ni texte officiel, ni logique laissant penser que la Couronne ou les demanderesses ne peuvent pas demander un redressement par suite d’un guet‑apens au procès et ne peuvent pas utiliser les résumés de témoignage anticipé pour démontrer comment ce guet‑apens peut être survenu. Les résumés de témoignage anticipé ont été utilisés par les deux parties pour demander un redressement par suite d’un guet‑apens au procès, et les demanderesses ne laissent pas entendre dans la présente requête qu’il n’est pas loisible à l’une ou l’autre partie d’alléguer un guet‑apens si des éléments de preuve sont produits. Les résumés de témoignage anticipé ne sont qu’un moyen permettant d’établir le guet‑apens, un moyen que les demanderesses elles‑mêmes ont déjà utilisé à leur avantage.

 

  • [50] L’allégation des demanderesses selon laquelle il n’a jamais été prévu que les résumés de témoignage anticipé soient utilisés comme ils l’ont été se fonde, encore une fois, sur leur affirmation inexacte voulant que les résumés de témoignage anticipé aient été utilisés comme motif légal ou de facto pour exclure des éléments de preuve pertinents. Mais en réalité, l’utilisation qui a été faite des résumés de témoignage anticipé était manifestement une conséquence inévitable de l’ensemble du système de divulgation préalable au procès, qui a été conçu pour répondre à des exigences et des problèmes particuliers, auxquels les présentes actions ont donné lieu. De surcroît, les propres déclarations antérieures et pratiques des demanderesses montrent clairement qu’elles savaient et prévoyaient que les résumés de témoignage anticipé seraient utilisés à l’égard des allégations de surprise et de guet‑apens au procès. Cela est devenu remarquablement clair à l’audience Peshee, où les demanderesses ont non seulement utilisé un résumé de témoignage anticipé pour démontrer le guet‑apens, mais ont aussi formulé des remarques générales et démontré qu’elles comprenaient très bien que les résumés de témoignage anticipé seraient utilisés de cette façon pour les témoins de tous les participants. Je me pencherai plus particulièrement sur ce point lorsque j’aborderai les plus récentes affirmations des demanderesses concernant l’audience Peshee, mas j’ai aussi traité cette question dans mes décisions.

 

  • [51] Les demanderesses peuvent bien adopter maintenant au procès la position selon laquelle l’acceptation d’une norme applicable aux résumés de témoignage anticipé dans la divulgation préalable au procès, et les efforts qu’elles ont déployés pour s’y conformer, sont sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès, mais cette position est tout à fait incompatible avec l’ensemble du système de divulgation préalable au procès qui a été mis en œuvre par la Cour dans les présentes procédures (y compris l’exigence même de produire des résumés de témoignage anticipé), puisqu’il est prévu dans les diverses décisions que la Cour a rendues. Cette position est également incompatible avec les décisions que la Cour a rendues à ce jour en faveur des demanderesses lorsqu’elles étaient en procès à l’audience Peshee. De plus, ce point de vue est incompatible avec les pratiques antérieures des demanderesses et les observations qu’elles ont formulées elles‑mêmes à l’audience Peshee et ailleurs. Enfin, cela équivaut à une tentative des demanderesses de remettre en litige au procès toute la question des résumés de témoignage anticipé.

 

La situation difficile des demanderesses

 

  • [52] Les demanderesses ont indiqué dans le dossier la situation difficile face à laquelle elles se trouvent dans les présentes actions, ce qui pourrait expliquer en grande partie qu’elles aient introduit une requête extraordinaire en annulation du procès à la présente étape des procédures.

 

  • [53] Les demanderesses affirment qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. Le motif qu’elles invoquent pour justifier cela est que la Cour a créé cette difficulté, parce que [traduction] « la Cour a créé une situation où les résumés de témoignage anticipé visent à servir et servent effectivement de motif légal pour exclure des éléments de preuve admissibles pertinents ».

 

  • [54] Comme je l’ai déjà mentionné, la justification des demanderesses n’est pas étayée par le dossier. Mais elle signifie toujours que les demanderesses ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. Et c’est là que la situation difficile des demanderesses soulève des préoccupations extrêmement sérieuses au sujet de l’avenir des présentes actions.

 

  • [55] En supposant que les demanderesses aient raison et qu’elles ne puissent pas plaider leur cause parce que la Cour utilise les résumés de témoignage anticipé comme motif légal pour exclure des éléments de preuve pertinents, cela signifie que les demanderesses n’ont pas divulgué suffisamment d’éléments de preuve pertinents dans leurs résumés de témoignage anticipé pour plaider leur cause adéquatement. Visiblement, si les témoignages prévus (c’est‑à‑dire ce que diront chacun des témoins) ont été divulgués dans les résumés de témoignage anticipé conformément aux normes établies par la Cour (et les demanderesses en ont assuré la Cour), en ce cas, même l’utilisation des résumés de témoignage anticipé comme motif légal d’exclusion n’empêcherait pas les témoins des demanderesses de dire ce que leurs résumés de témoignage anticipé indiquent qu’ils diront. Cela veut donc dire que si les témoins des demanderesses disent uniquement ce que leurs résumés de témoignage anticipé indiquent qu’ils diront, les demanderesses ne peuvent pas, selon elles, plaider leur cause adéquatement.

 

  • [56] En ce qui concerne les faits qui sont présentés dans le cadre de la présente requête, il ne peut y avoir que deux motifs pour les expliquer. Tout d’abord, il se pourrait qu’en réalité les résumés de témoignage anticipé ne soient pas conformes aux normes établies par la Cour, de sorte qu’ils ne divulgueraient pas ce que diront les témoins, et que si les témoins étaient autorisés à dire plus que ce qui est divulgué dans leurs résumés de témoignage anticipé, les demanderesses seraient en mesure de plaider leur cause adéquatement. Les demanderesses ont cependant assuré la Cour que les résumés de témoignage anticipé respectaient les normes de divulgation établies par la Cour, alors si cela est exact, la non‑conformité ne peut pas être la cause du problème.

 

  • [57] Selon la seule autre explication possible, les résumés de témoignage anticipé (qui sont tout à fait conformes aux dires des demanderesses) révèlent que les demanderesses n’étaient pas en mesure de plaider leur cause au moment de la rédaction desdits résumés.

 

  • [58] Par voie de conséquence, cela laisse penser que les demanderesses ont éventuellement amené tous les participants au procès en utilisant des résumés de témoignage anticipé non conformes, qui dérogent aux ordonnances de la Cour, ou en se fondant sur des résumés de témoignage anticipé conformes, qui indiquent qu’elles ne sont pas en mesure de plaider leur cause adéquatement, et cela, cela après s’être vu accorder le temps supplémentaire dont elles avaient besoin pour préparer des résumés de témoignage anticipé conformes. Le défaut des demanderesses d’éclaircir cette question fondamentale sape le point de vue qu’elles adoptent dans la présente requête.

 

  • [59] Dans une requête en annulation du procès où les demanderesses affirment que la Cour les a empêchées de défendre leur cause, en utilisant les résumés de témoignage anticipé comme motif légal pour exclure des éléments de preuve pertinents, il est tout naturel que la question de savoir si les demanderesses ont déjà été en mesure de plaider leur cause adéquatement suscite l’intérêt de la Cour. Les demanderesses ont toutefois négligé cette question importante, et la Cour a dû la soulever avec elles.

 

  • [60] Il est important, à ce stade‑ci, de garder à l’esprit que je ne fais pas allusion à des questions de marge de manœuvre. Tous les participants ont reconnu qu’une certaine marge de manœuvre s’avère nécessaire au moment d’utiliser les résumés de témoignage anticipé au procès. Dans le passé, les demanderesses avaient adopté le point de vue selon lequel, au procès, lorsqu’il s’agissait d’aborder des questions de marge de manœuvre, les normes établies par la Cour étaient [traduction] « fondamentales ». À l’audience de Mme Florence Peshee, les demanderesses ont fait valoir ce qui suit : [traduction] « Les avocats doivent jouir d’une certaine marge de manœuvre. Mais on ne peut pas aborder de nouveaux aspects :

 

La question fondamentale – quelle est la question qui se pose à la Cour? La question qui se pose à elle est la suivante : L’autre partie est‑elle avisée de ce en quoi consiste la question que vous allez aborder? C’est la question décisive, selon mon observation. Et la – la réponse à cette question est de s’appuyer sur la norme (sic) applicable au résumé de témoignage anticipé. Et il est important que les deux parties soient avisées, qu’elles aient reçu le même genre d’avis. »

 

  • [61] Le problème auquel se heurte la Cour dans la présente requête dépasse la question de la marge de manœuvre. Le problème, ici, c’est que les demanderesses affirment que, même si leurs résumés de témoignage anticipé respectent les normes (et présentent par conséquent ce que dira chaque témoin sous forme synoptique), elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement.

 

  • [62] La situation serait différente, bien entendu, si les demanderesses affirmaient que les résumés de témoignage anticipé étaient incomplets et n’énonçaient pas ce que dira chaque témoin, conformément aux normes. En pareil cas, la Cour comprendrait pourquoi les demanderesses ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement, mais le pourraient peut‑être si leurs témoins en disaient plus que les résumés de témoignage anticipé et abordaient des questions non divulguées conformément aux normes. Mais les demanderesses insistent pour dire que ce n’est pas le cas, et que les résumés de témoignage anticipé respectent effectivement les normes établies par la Cour.

 

  • [63] La Cour a l’obligation de trancher les présentes actions sur le fond, avec équité et de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse, conformément aux Règles de la Cour fédérale. Par conséquent, la Cour doit découvrir ce que les demanderesses espèrent réaliser dans un procès où elles insistent sur le fait qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement, et où elles remettent en litige des questions que la Cour a déjà tranchées, conformément aux Règles de la Cour fédérale. La Cour se préoccupe également des questions liées à l’abus de procédure, dans un cas où les ordonnances et les décisions de la Cour ont imposé aux demanderesses des obligations strictes, qui prévoient notamment de présenter des résumés de témoignage anticipé conformes pour tous les témoins profanes qu’elles peuvent envisager de citer. Malgré leur négligence à l’égard de cette question fondamentale, la Cour a tenté de sortir les demanderesses de cette situation, et l’échange ci‑dessous a eu lieu entre la Cour et leur avocat :

 

[traduction]

 

LA COUR :  D’accord. Ce point acquis, j’imagine qu’il s’agit simplement d’une sorte de – je dois m’orienter aux fins des prochaines discussions, alors je pense, d’après ce que vous m’avez dit, que selon le point de vue des demanderesses leurs résumés de témoignage anticipé sont conformes en tous points – aux ordonnances de la Cour qui établissent les normes et les obligent à produire des résumés de témoignage anticipé conformes à ces normes. Est‑ce bien votre point de vue aujourd’hui? –

 

M. MOLSTAD :  Oui, le point de vue que les demanderesses adoptent à l’égard des résumés de témoignage anticipé, c’est qu’elles ont fait tout leur possible pour respecter la norme que vous avez établie concernant les résumés de témoignage anticipé, et qu’elles y ont consigné des renseignements, mais comme je vous l’ai souligné, votre Seigneurie, elles – et aujourd’hui, je pense vous avoir déjà souligné qu’elles ont eu affaire à un grand nombre de témoins dans un court laps de temps, qu’elles n’avaient pas la main‑d’œuvre dont nous disposons maintenant pour ce dossier et qu’il s’agissait d’une tâche exceptionnellement difficile. Et il n’y a encore jamais eu de procès que j’ai mené où j’ai dirigé un témoin qui a fourni des renseignements supplémentaires dont je n’avais pas entendu parler auparavant en le préparant pour le procès. 

 

LA COUR :   D’accord. En ce cas, avez‑vous pu, vous ou votre nouvelle équipe, examiner ces résumés de témoignage anticipé et déterminer, vous savez, dans quelle mesure ils étaient incomplets pour ce qui était d’exposer ce que les témoins allaient dire? 

 

M. MOLSTAD :  Bon –

 

LA COUR :  Parce que, vous savez, nous pensons à l’avenir, et vous m’avez parlé du problème que vous éprouvez. Je m’efforce de cerner l’ampleur du problème que vous éprouvez. S’agit‑il d’un problème terriblement gros?  

 

M. MOLSTAD :  Bon, c’est difficile à évaluer à cet égard.  Je veux dire que cela dépend de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé qui est faite au procès. Je veux dire que si l’utilisation des résumés de témoignage anticipé qui est faite au procès est telle que les points qui ne sont pas indiqués précisément dans un résumé de témoignage anticipé ne constituent pas des éléments de preuve, en ce cas nous avons un énorme problème. 

 

LA COUR :  Je ne dis pas cela. Je vous demande si vous les avez examinés conformément aux normes, et je veux dire que les normes sont rudimentaires, et que vous devez préciser le thème et présenter un résumé de ce que le témoin va dire. Les avez‑vous revus sous cet angle?

 

M. MOLSTAD :   Oui, et certains sont meilleurs que d’autres.

 

LA COUR :  Donc certains d’entre eux sont certainement incomplets à l’égard de ce que les témoins vont dire. 

 

M. MOLSTAD :  Certains le sont, oui.

 

  • [64] En bonne partie, les réponses des demanderesses aux questions de la Cour sont tout simplement irrecevables et hors de propos. À titre d’exemple, personne n’a jamais laissé entendre que les résumés de témoignage anticipé devaient indiquer [traduction] « précisément » ce que dira un témoin. Il est seulement exigé dans les normes de présenter un compte rendu synoptique. Tous les participants ont reconnu qu’il était nécessaire de jouir d’une certaine marge de manœuvre, et les demanderesses elles‑mêmes ont fait valoir au procès qu’en matière de marge de manœuvre, les normes établies par la Cour sont [traduction] « fondamentales ». Dans la même veine, le fait que les témoins en arrivent souvent à présenter des renseignements supplémentaires n’est pas en cause. La question est celle de savoir si, au moment de leur rédaction, les résumés de témoignage anticipé des demanderesses divulguaient suffisamment, et conformément aux normes, les témoignages prévus pour permettre aux demanderesses de plaider leur cause adéquatement.

 

  • [65] Les réponses que présente l’avocat des demanderesses laissent penser que certains résumés de témoignage anticipé, tout au moins, sont incomplets et ne respectent pas les normes, parce qu’ils ne divulguent pas ce que dira un témoin. Mais la Cour ne connaît pas l’ampleur du problème. Le terme « certains » désigne une quantité indéterminée, mais à tout le moins la Cour est avisée du fait que certains résumés de témoignage anticipé ne révèlent pas ce que dira un témoin et, si les décisions de la Cour sont compatibles avec les décisions antérieures, en ce cas les demanderesses ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement.

 

  • [66] Le problème est que cette réponse semble contredire les assurances itératives des demanderesses, selon lesquelles leurs résumés de témoignage anticipé respectent les normes établies par la Cour. Les demanderesses essaient de jouer sur les deux tableaux. Elles insistent sur le fait que leurs résumés de témoignage anticipé divulguent ce que diront chacun des témoins – [traduction] « elles ont fait tout leur possible pour respecter la norme que vous avez établie à l’égard des résumés de témoignage anticipé » –, mais leur avocat confirme qu’au moins certains résumés de témoignage anticipé – il ne révèle pas combien d’entre eux – sont certainement incomplets à l’égard de ce que diront les témoins, conformément aux normes.

 

  • [67] Cela peut sembler une contradiction, mais il ressort clairement du dossier que la faute ne peut pas en être imputée à M. Molstad. Il est plutôt méticuleux. Lorsqu’il me présente le « point de vue » des demanderesses, c’est en ces termes :

 

[traduction]

 

[...] le point de vue que les demanderesses adoptent à l’égard des résumés de témoignage anticipé, c’est qu’elles ont fait tout leur possible pour respecter la norme que vous avez établie à l’égard des résumés de témoignage anticipé, et qu’elles y ont consigné des renseignements [...]

 

Mais lorsque je lui demande s’il a personnellement vérifié les résumés de témoignage anticipé  afin de voir s’ils respectent les normes, il confirme que certains d’entre eux sont certainement incomplets à l’égard de ce que diront les témoins. Le « point de vue » que les demanderesses adoptent peut se fonder sur un nombre indéterminé d’éléments non précisés, par exemple, le fait d’avoir respecté les normes, parce que selon les normes elles n’étaient tenues que de faire tout leur possible (un point de vue que j’ai rejeté). Mais ce que je veux savoir, c’est si les résumés de témoignage anticipé respectent l’esprit et le sens des normes tels que je les ai définis dans les ordonnances de la Cour.

 

  • [68] Comme je ne dispose d’aucun moyen pour évaluer les résumés de témoignage anticipé en question dans le cadre de la présente requête, je ne dispose d’aucun moyen pour vérifier le « point de vue » des demanderesses. Le seul élément de preuve dont je suis saisi à cet égard vient de M. Molstad personnellement, et celui‑ci confirme que certains résumés de témoignage anticipé sont incomplets à l’égard de ce que diront les témoins.

 

  • [69] Les demanderesses ont manifestement eu la possibilité de produire suffisamment d’éléments de preuve devant la Cour pour démontrer leur affirmation selon laquelle leurs résumés de témoignage anticipé ne dérogent pas aux ordonnances de la Cour, et d’éclaircir cette question, mais elles ont refusé de le faire. Par conséquent, pour traiter cette question la Cour doit examiner ce dont elle est saisie.

 

  • [70] Tout ce dont je dispose pour poursuivre en ce moment, ce sont les renseignements que l’avocat des demanderesses a fournis ou confirmés, selon lesquels :

  1. les demanderesses ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement;

  2. certains résumés de témoignage anticipé soumis par les demanderesses sont incomplets, en ce sens qu’ils ne divulguent pas ce que dira un témoin.

 

  • [71] La raison pour laquelle les facteurs qui nous occupent sont importants, à mon avis, c’est qu’ils soulèvent pour la Cour l’obligation de se demander pourquoi les demanderesses mènent un procès dans lequel elles insistent sur le fait qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement et où elles soulèvent des questions que la Cour a déjà tranchées conformément aux Règles de la Cour fédérale. Le motif qu’elles invoquent pour expliquer cela est une affirmation (que j’ai rejetée) portant que la Cour a fait des résumés de témoignage anticipé une règle de droit visant à exclure des éléments de preuve pertinents. Mais même si cette affirmation était vraie, les décisions de la Cour ne pourraient pas être invoquées pour expliquer que les demanderesses ne sont pas en mesure de plaider leur cause adéquatement. Et les raisons en sont assez simples.

 

  • [72] Si seulement « certains » des résumés de témoignage anticipé qu’ont présentés les demanderesses sont incomplets et dérogent aux normes, visiblement d’autres ne le sont pas. Dans le cas des résumés de témoignage anticipé qui ne sont pas incomplets, il ne peut y avoir le moindre risque que la Couronne cherche à exclure des éléments de preuve pertinents en alléguant le guet‑apens, même si les résumés de témoignage anticipé en question étaient utilisés comme motif légal pour exclure des éléments de preuve. Si les résumés de témoignage anticipé divulguent ce que dira un témoin conformément aux normes, il ne peut y avoir la moindre allégation de guet‑apens tenable.

 

  • [73] Par conséquent, le problème doit résider dans les résumés de témoignage anticipé qui sont incomplets et ne divulguent pas ce que dira un témoin, de sorte que toute objection fondée sur le guet‑apens que pourrait soulever la Couronne pourrait être admise. Et l’avocat des demanderesses affirme que le problème est tel que les demanderesses ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. La Cour ignore donc le nombre correspondant au terme « certains », mais elle sait qu’il s’agit d’un nombre suffisant de résumés de témoignage anticipé pour empêcher les demanderesses de plaider leur cause adéquatement, alors que lesdits résumés s’ajoutent aux éléments de preuve que les demanderesses ont versés au dossier par l’intermédiaire des témoins qu’elles ont cités à ce jour.

 

  • [74] M. Molstad a présenté des observations à la Cour dans le cadre de la présente requête, [traduction] « en raison de son rôle de fonctionnaire judiciaire et afin de l’aviser ». M. Molstad a donc avisé la Cour que les demanderesses ne pouvaient pas plaider leur cause adéquatement et (en qualité de fonctionnaire judiciaire) a confirmé que certains résumés de témoignage anticipé étaient certainement incomplets à l’égard de ce que les témoins allaient dire.

 

  • [75] Par conséquent, compte tenu de l’état du dossier la Cour ne peut pas faire simplement abstraction de cette question. Les demanderesses insistent sur le fait qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. Les seuls renseignements que possède la Cour concernant la raison de cette incapacité vient de leur propre avocat, et il s’agit de la confirmation que certains de leurs résumés de témoignage anticipé sont certainement incomplets à l’égard de ce que les témoins vont dire.

 

  • [76] Bien entendu, il peut y avoir une autre explication. Mais il est difficile de voir laquelle, au vu de ce que les demanderesses ont dit à la Cour. De plus, les demanderesses ont certainement décidé de ne présenter ni explication ni solution de rechange possible dans le cadre de la présente requête, par laquelle elles demandent à la Cour d’annuler le procès.

 

  • [77] Cela met en lumière un problème important, qui est à l’origine de la présente requête en annulation du procès, et qui ramène la Cour à l’ordonnance préparatoire que le juge Hugessen a rendue le 26 mars 2004 et à tout ce qui en a découlé. D’après les renseignements dont je dispose, il semble que la Cour soit saisie d’une question très ancienne qu’elle croyait résolue depuis quelques années.

 

  • [78] Si « certains » résumés de témoignage anticipé sont incomplets et ne respectent pas les normes, cela pourrait vouloir dire qu’ils dérogent à l’ordonnance rendue par la Cour le 25 novembre 2004, qui obligeait les demanderesses à produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes établies par la Cour. Et cette ordonnance péremptoire était nécessaire, parce que la Cour avait conclu que les demanderesses avait violé l’ordonnance du juge Hugessen en date du 26 mars 2004 et n’avaient pas produit des résumés de témoignage anticipé conformément à cette ordonnance. Cela voudrait dire aussi que la Cour doit chercher une explication aux assurances itératives que lui ont données les demanderesses, selon lesquelles leurs résumés de témoignage anticipé respectaient les normes établies par la Cour (et j’y ferai renvoi plus loin).

 

  • [79] Si les demanderesses cherchaient maintenant à citer des témoins (ou avaient déjà cité des témoins) pour lesquels elles n’ont pas produit de résumés de témoignage anticipé conformes aux ordonnances de la Cour, cela mettrait en jeu la dignité et l’autorité de la Cour. Si les demanderesses peuvent violer deux ordonnances de la Cour, rassurer la Cour en disant qu’elles s’y sont conformées, puis révéler ensuite que leurs résumés de témoignage anticipé sont certainement incomplets à l’égard de ce que les témoins vont dire, mais citer néanmoins ces témoins, cela voudrait dire que les demanderesses peuvent faire abstraction des ordonnances de notre Cour sans que cela ne prête à conséquence. Et il ne peut pas en être ainsi. Si « certains » résumés de témoignage anticipé sont incomplets, ne respectent pas les normes et dérogent aux ordonnances de la Cour, les témoins en cause ne devraient pas être cités sans autorisation supplémentaire de la Cour. Des problèmes analogues pourraient survenir dans le cas de témoins ayant déjà témoigné.

 

  • [80] Les demanderesses semblent conscientes de ce problème, parce qu’elles ont fait allusion à des moyens qui pourraient leur épargner les conséquences que je viens d’évoquer.

 

  • [81] Tout d’abord, comme nous pouvons le constater à la lecture de la partie précitée du dossier, l’avocat des demanderesses a dit ce qui suit : [traduction] « elles ont eu affaire à un grand nombre de témoins dans un court laps de temps, elles n’avaient pas la main‑d’œuvre dont nous disposons maintenant pour ce dossier et il s’agissait d’une tâche exceptionnellement difficile ».

 

  • [82] Ce point acquis, si c’est effectivement le cas, cela semblerait contredire les déclarations que les demanderesses ont faites et auxquelles elles se sont référées dans d’autres décisions, selon lesquelles les résumés de témoignage anticipé respectaient effectivement les normes. La Cour et d’autres participants se sont fondés sur ces assurances pour se préparer au procès. J’ai déjà fait allusion à ces questions, et tous les avocats sont au courant de ce que j’ai dit dans mes décisions. À titre d’exemple, dans la décision sur la requête alléguant la partialité, que j’ai rendue le 30 mai 2006, j’ai traité longuement de ce qui ressortait du dossier au sujet de l’acceptation des normes par les demanderesses et des questions de délai associées à la production des résumés de témoignage anticipé. Il n’est pas nécessaire d’examiner exhaustivement la requête alléguant la partialité, mais je pense qu’il serait utile de présenter quelques citations pour situer le contexte de la présente requête :

[441.] J’estime qu’après avoir lu la lettre en son entier, la personne raisonnable tirerait les conclusions suivantes :

 

  1. Mis à part sept ou huit témoins pour lesquels un « court délai » sera demandé, les demanderesses ont été en mesure de produire les résumés de témoignage anticipé dont elles avaient besoin pour établir leur preuve.

  2. Nulle part il n’est dit dans la lettre, implicitement ou explicitement, que les demanderesses n’ont pas pu convoquer les témoins dont elles auront besoin au procès pour faire valoir, notamment, la question de l’autonomie gouvernementale.

  3. Mme Twinn se sent tout à fait à l’aise de demander à la Cour le report du délai fixé au 14 décembre 2004 en raison d’un petit nombre de cas exceptionnels.

  4. La preuve qu’elles requièrent, les demanderesses peuvent maintenant l’établir grâce à 69 témoins, soit environ 50 % du nombre initialement mentionné le 15 septembre 2004.

  5. Les demanderesses estiment avoir respecté intégralement les normes fixées par le juge Russell pour les résumés de témoignage anticipé.

 

 

[448] Pour qu’il ne subsiste aucun doute sur le sujet, M. Healey a déclaré ce qui suit lors de la conférence téléphonique du 7 janvier 2005 :

 

[traduction]

 

M. le juge, vous avez établi les règles et nous nous y sommes conformés du mieux que nous pouvions. Nous agissons dans le cadre des règles fixées par la Cour. Les demanderesses ont ainsi présenté leur cause en procédant à la signification des résumés de témoignage anticipé ainsi que de leurs observations du 21 décembre 2004 selon le mode autorisé par la Cour, et nous désirons procéder ainsi et que nos vis-à-vis s’y conforment également.  [Je souligne.]

 

[451]  Je crois également qu’en rapport avec l’examen de la transcription de l’audience du 18 novembre 2004 - où l’on a traité de la « solution viable » proposée par les demanderesses -, la personne raisonnable trouverait d’intérêt les passages qui suivent ayant trait à l’argumentation de M. Shibley.

 

1.  Acceptation des normes imposées

 

 

[traduction]

 

M. Healey :         Je soutiens, M. le juge, qu’ils [les 18 résumés de témoignage anticipé alors produits] respectent toutes les exigences que vous avez fixées. En réalité, ils vont au-delà et sont extrêmement détaillés. Ils le sont d’ailleurs bien davantage, par exemple, qu’il n’était envisagé dans l’ordonnance du juge McKay dans l’arrêt Buffalo.

 

(pages 32: 8-13)

 

  1. Nombre de témoins

 

La Cour pose la question suivante à M. Healey :

 

[traduction]

 

LE JUGE RUSSELL :         Très bien. Est-ce que – vous attendez-vous encore à ce qu’il y en ait cent quarante-deux (142) ou –, quel en est le nombre?

 

(page 19-21)

 

M. Healey ne donne pas de réponse.

 

  1. Report de la date du procès

 

Le juge Russell a abordé cette question avec M. Faulds, avocat du Conseil national des Autochtones du Canada (Alberta), l’un des intervenants en l’espèce.

 

[traduction]

 

LE JUGE RUSSELL :         Mais – présumons pour l’instant qu’elles aient besoin de cent cinquante (150) témoins, que pourraient-elles faire?

 

M. JON FAULDS :           Bien, je suppose que dans ce cas tout ce qu’elles feraient serait de demander l’ajournement du procès et d’accepter les conditions que la Cour leur imposerait pour la présentation de ces témoignages. Et ce serait une reconnaissance – de leurs lacunes – ou des problèmes qu’elles ont occasionnés.

 

Ce qu’elles ont plutôt fait, M. le juge, c’est adopter une position consistant à passer totalement sous silence le préjudice causé par elles aux autres parties, et qui leur permet de continuer de produire des résumés pendant une période de trois (3) mois après l’échéance originale, sans ordre particulier ni nombre déterminé.

 

(page 55: 10-25)

 

Mme MARY EBERTS :       Cela nous laisse essentiellement deux (2) choix. Le premier consiste à préserver le statu quo en date du 18 octobre 2004, soit de telle sorte que les demanderesses ne soient pas autorisées à appeler ces témoins.

 

Le second choix, c’est qu’on accorde aux demanderesses l’occasion, ou que celles-ci saisissent l’occasion, de demander le report du début du procès. Toute telle demande, nous le soumettons respectueusement, devrait être accompagnée d’un calendrier détaillé ainsi que d’un ensemble d’engagements quant au moment où les choses seront faites.

 

(page 65:  11-20)

 

M. KINDRAKE :             La Couronne n’a désormais plus le temps voulu pour se préparer au procès, à moins que celui-ci soit reporté.

 

(page 46: 18-20)

 

M. Healey a répondu comme suit à ces suggestions :

 

[traduction]

 

« [N]ous désirons commencer le 10 et nous allons leur donner des résumés de témoignage anticipé. »

 

(page 72: 10-11)

 

« Les intervenants n’ont pas le droit de demander un ajournement. »

 

(page 76: 3-4)

 

Face à toute suggestion d’ajournement, en d’autres mots, M. Healey s’indigne et dit à la Cour qu’elle ne peut pas même écouter les propositions des intervenants sur la question. Malgré cela, l’argument avancé par les demanderesses dans la présente requête c’est qu’il est raisonnable de craindre que la Cour était de connivence avec la Couronne et les intervenants pour s’assurer que les demanderesses ne disposent pas du temps dont elles avaient besoin, et que la Cour avait comme position que la date du 10 janvier 2005 ne pouvait pas être changée à moins que la Couronne ne requière plus de temps.

 

  1. Échéance du 14 décembre 2004

 

 

[traduction]

 

Mme MARY EBERTS : Une question très importante était celle de la planification de l’instruction.

 

Il est possible qu’il y ait à l’étape préalable à l’instruction et pendant l’instruction des questions restant à trancher quant aux résumés de témoignage anticipé et à la liste de témoins des demanderesses en l’état où ils étaient à l’époque.

 

(page 59: 22-25 à 60: 1-3)

 

Cela nous laisse dans une situation où - on peut prédire avec assurance que d’ici au 14 décembre, au contraire de ce qu’elles avaient promis, les demanderesses n’auront pas produit tous leurs résumés de témoignage anticipé, en la version intégrale prescrite.

 

Et même si elles le faisaient, réussissant ainsi à comprimer sept (7) mois de temps de travail dans le mois qui reste, par suite de la production de tous les résumés d’ici le 14 décembre ferait, si vous comptez à la fois le 14 et le 10, il resterait vingt-six (26) jours entre la date limite qu’elles proposent et le début du procès, y compris les jours de Noël et du Nouvel An ainsi que les autres jours de congé des fêtes de fin d’année.

 

Nous soumettons respectueusement que cela est totalement impossible.

 

(page 61: 1-15)

 

Une fois encore, M. Healey a alors répondu :

 

M. PHILIP HEALEY : Puis, elle (Mme Eberts) a sorti une formule, M. le juge, selon laquelle, bien, vous en faites dix-huit (18) par mois, nombre que vous divisez de cent quarante-quatre (144), ce qui fait tant de mois pour se préparer pour le procès. J’ai demandé si le 14 décembre ça allait. Elle n’a pas à se soucier d’une formule qu’elle a elle-même inventée. [Je souligne.]

 

(page 81: 8-14)

 

M. Healey a exprimé son indignation avec une certaine agressivité face à toute suggestion visant à ce qu’on prévoie davantage de temps au calendrier pour la production des résumés de témoignage anticipé ou qu’on reporte la date du procès.

 

 

  • [83] Un autre problème qui se pose en ce qui a trait aux remarques des demanderesses concernant le délai et la « main‑d’œuvre », c’est qu’elles sont incontestablement familières et ne présagent rien de bon. Il s’agit également d’un point que j’ai déjà abordé et tranché, et pas seulement dans le cadre de la requête alléguant la partialité. Dans ma décision en date du 18 octobre 2004, dans laquelle j’ai radié les résumés de témoignage anticipé des demanderesses, parce qu’il ne s’agissait pas du tout de résumés de témoignage anticipé et que ces documents dérogeaient à l’ordonnance préparatoire du juge Hugessen en date de mars 2004, l’avocat des demanderesses a tardivement laissé entendre à la Cour (après que la Cour eut effectué des recherches) que le délai et les ressources pouvaient avoir posé un problème. Aucune précision n’a été fournie et aucun élément de preuve n’a été produit pour étayer quelque chose de ce genre, mais c’est l’une des raisons pour lesquelles je n’ai pas accédé à la demande de la Couronne, soit de faire simplement radier l’ensemble des témoignages et des résumés de témoignage anticipé des demanderesses, et d’envisager le procès sur le fondement du dossier du premier procès. Comme je voulais entendre les nouveaux témoins des demanderesses, j’ai prié celles‑ci d’apporter une solution viable et, lorsqu’elles y ont manqué, je suis intervenu et leur ai ordonné de produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes pour les témoins qu’elles souhaitaient citer au procès. De surcroît, je leur ai accordé le temps qu’elles demandaient pour le faire, et j’ai reçu l’assurance que cela avait été fait. J’ai établi l’ensemble de cet enchaînement des faits dans des décisions antérieures, mais il est également utile de citer quelques brefs paragraphes extraits des motifs que j’ai présentés le 18 octobre 2004 pour définir le contexte global de la présente requête :

[45]  Les demanderesses semblent laisser entendre qu’elles ne se conformeront pas ou qu’elles ne peuvent se conformer à l’ordonnance préparatoire du juge Hugessen en ce qui a trait aux listes de témoins et aux résumés de témoignage anticipé et que la Cour ne possède aucun recours efficace en pareil cas, parce que chaque partie possède [traduction] « le droit absolu de déterminer comment elle entend procéder et présenter sa cause à la Cour... » .

 

[46]  À mon avis, les arguments que les demanderesses ont invoqués en ce qui a trait à l’observation de l’ordonnance préparatoire du juge Hugessen sont fallacieux et malhonnêtes. Personne n’essaie de modifier la façon dont les demanderesses entendent présenter leur cause; tout ce qu’on leur demande, c’est de reconnaître les droits des autres parties au présent litige de se préparer de façon satisfaisante en vue de l’instruction conformément à l’ordonnance du juge Hugessen et de collaborer afin d’assurer le déroulement du litige de la façon la plus rapide, la plus équitable et la moins coûteuse qui soit. Les demanderesses semblent penser qu’elles peuvent simplement agir comme bon leur semble. Or, des avertissements leur ont été donnés à maintes reprises dans la présente affaire. Dans une ordonnance du 6 mars 2002, le juge Hugessen a formulé les commentaires suivants :

 

J’en arrive donc à la conclusion regrettable que les parties sont tout simplement incapables de se charger du déroulement de l’instance ou qu’il est impossible de se fier à elles à cet égard, même dans le cadre de la gestion de l’instance.

 

C’est là une situation déplorable qui n’a pas changé, comme l’indique la présente requête.

 

[47]  Les demanderesses ont eu toute la latitude voulue pour présenter leur cause comme elles l’estiment à propos. Cependant, elles ont choisi de ne pas produire de liste de témoins ou résumé de témoignage significatif conformément à une ordonnance de la Cour qui les sommait de le faire d’ici le 15 septembre 2004. Elles proposent plutôt d’entraîner la Cour et les autres parties dans une voie apparemment sans issue qui mènera au chaos à l’instruction. Les demanderesses auraient pu proposer des façons de remédier à la situation, mais elles ont choisi de ne pas le faire et soulèvent maintenant des difficultés d’ordre pratique qui auraient dû être mentionnées et corrigées depuis longtemps. En fait, elles ont décidé de mettre en péril le déroulement de l’instance. Dans ces circonstances, la Cour doit, afin de protéger les droits des autres parties et l’intégrité du processus judiciaire, agir de manière décisive avant que toute l’affaire tourne au chaos.

[Je souligne.]

 

  • [84] Et maintenant, vingt‑neuf mois plus tard, après s’être vu accorder beaucoup de temps supplémentaire pour se préparer elles‑mêmes au procès, les demanderesses disent qu’il y a eu des problèmes de délai et de ressources sous‑jacents à la production des résumés de témoignage anticipé, même si j’ai déjà consenti à leurs demandes à cet égard et leur ai alloué le temps dont elles disaient avoir besoin pour préparer des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes, et qu’elles ont dit à la Cour et aux autres participants que cela avait été fait.

 

  • [85] Hormis la nature contradictoire de ces remarques, l’absence d’éléments de preuve à l’appui et le refus des demanderesses de faire même une simple allusion à ces problèmes dans leur requête en annulation du procès jusqu’à ce que la Cour les ait questionnées, il n’a jamais été question, dans le cas où les demanderesses auraient vraiment éprouvé des problèmes de délai et de ressources au cours de la préparation de leurs résumés de témoignage anticipé, qu’elles ne puissent pas venir demander de l’aide à la Cour en temps opportun et expliquer le problème en apportant une preuve suffisante.

 

  • [86] Afin de justifier la présente requête fondée sur des allégations d’iniquité et de déséquilibre, les demanderesses ont simplement fait abstraction des questions qui ont été soulevées et tranchées en 2004, ou tentent de les soulever à nouveau. Il ne s’agit pas là d’une utilisation appropriée du temps consacré au procès.

 

  • [87] En guise d’autre façon de contourner le problème, les demanderesses ont signifié qu’elles considèrent l’exigence de présenter des résumés de témoignage anticipé comme une sorte d’obligation de faire [traduction] « tout leur possible ». Elles n’étayent pas ce point de vue à l’aide du dossier, et il est visiblement contraire à mes ordonnances traitant des résumés de témoignage anticipé, ainsi qu’aux assurances que les demanderesses ont données à la Cour, selon lesquelles leurs résumés de témoignage anticipé respectaient les normes que j’avais établies.

 

  • [88] Une fois de plus, nous ne voyons pas clairement ce que les demanderesses entendent par [traduction] « tout leur possible » dans ce contexte, ni pourquoi, par exemple, leur possible leur épargnerait les conséquences d’un guet‑apens au procès. La Couronne pourrait tomber dans un guet‑apens même si les demanderesses avait fait tout leur possible pour respecter les normes, mais avaient échoué.

 

  • [89] Cela laisse apparemment supposer qu’il n’est pas nécessaire qu’un résumé de témoignage anticipé indique ce que dira un témoin en particulier, conformément aux normes, et qu’il suffit que ce résumé divulgue ce qu’un témoin va dire dans la mesure déterminée par les demanderesses, compte tenu du temps et des ressources dont elles disposaient au moment de la production des résumés de témoignage anticipé.

 

  • [90] Outre le fait que le temps dont les demanderesses ont disposé pour rédiger leurs résumés de témoignage anticipé a été celui qu’elles avaient estimé nécessaire pour produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes (qu’elles ont confirmé catégoriquement lorsqu’elles ont rejeté la proposition de Mme Eberts selon laquelle le temps risquait de poser un problème), rien n’indique comment ni pourquoi les ressources disponibles à l’époque auraient permis aux demanderesses de découvrir certaines choses qu’un témoin aurait pu devoir dire, et non d’autres.

 

  • [91] Il s’agit, au fond, d’un argument qui prône la variabilité des normes applicables aux résumés de témoignage anticipé. La Cour a rejeté les normes variables (catégoriquement et en faveur des demanderesses lors de l’audience Peshee), et les demanderesses elles‑mêmes ont non seulement préconisé que tous les participants soient liés par les mêmes normes de divulgation des résumés de témoignage anticipé, mais ont aussi présenté devant la Cour une requête fondée sur ce principe, afin de s’assurer que tous les participants respecteraient les mêmes normes.

 

  • [92] L’ordonnance de la Cour en date du 25 novembre 2004, qui autorisait les demanderesses à citer de nouveaux témoins dans les présentes actions en leur ordonnant de produire des résumés de témoignage anticipé, est ainsi rédigée dans le passage pertinent :

1.  La requête des demanderesses est rejetée. Cependant, au plus tard le 14 décembre 2004, les demanderesses signifieront à la Couronne et aux intervenants leurs listes de témoins et les résumés de témoignage anticipé sous une forme qui répond à l’ordonnance préparatoire du juge Hugessen du 26 mars 2004, selon l’interprétation ultérieure de cette ordonnance par la Cour, accompagnés d’un calendrier indiquant l’ordre et la durée de comparution de leurs témoins au procès.

 

  • [93] Il n’y a aucune allusion à [traduction] « tout leur possible », ni autre connotation permissive dans cette ordonnance. Elle est péremptoire et elle l’est pour une raison. Les demanderesses avaient violé l’ordonnance de la Cour de produire des résumés de témoignage anticipé, et avaient effectivement produit une longue liste de témoins et une liste de thèmes qui n’étaient pas conformes à l’ordonnance du juge Hugessen. Les demanderesses insistaient pour aller en procès sans produire de résumés de témoignage anticipé circonstanciés. La Couronne avait instamment demandé à la Cour d’exclure les nouveaux témoins des demanderesses en raison de la violation que celles‑ci avaient commise. La Cour cherchait un moyen d’autoriser les demanderesses à citer leurs nouveaux témoins et de s’assurer qu’il y aurait divulgation préalable comme l’avait exigé le juge Hugessen. La Cour avait prié les demanderesses d’apporter une solution viable, mais elles ne l’avaient pas fait. Il risquait vraisemblablement d’en découler des problèmes de divulgation persistants et une situation chaotique au procès. La seule façon efficace de gérer la situation était d’offrir aux demanderesses la possibilité de citer de nouveaux témoins pour lesquels elles produiraient des résumés de témoignage anticipé répondant aux normes. Par conséquent, la Cour a ordonné aux demanderesses de produire des résumés de témoignage anticipé conformes pour les témoins qu’elles avaient l’intention de citer. Et c’est là l’effet de l’ordonnance rendue le 25 novembre 2004, entre autres choses.

 

  • [94] La décision de la Cour en date du 7 novembre 2005, quitraite largement des exigences applicables aux résumés de témoignage anticipé, indique aussi clairement que les résumés de témoignage anticipé conformes constituent une condition préalable à la citation des témoins. Les principes sur lesquels se fonde cette ordonnance sont ainsi exprimés :

324.  À la lumière de l’exposé qui précède et pour mettre en balance les intérêts divergents d’une manière qui permettra de régler le litige de la manière la plus juste, expéditive et économique possible, la Cour estime que les procédures et principes suivants devraient régir sa décision en l’espèce :

 

a)  Les demanderesses devraient être tout à fait libres de soumettre tous les éléments de preuve pertinents et par ailleurs admissibles qu’elles ont déclaré vouloir présenter dans les résumés de témoignage anticipé signifiés dans le délai qu’elles ont demandé et que la Cour a autorisé, soit les 14 et 15 décembre 2004.

 

b)  Pour produire des éléments de preuve conformément à l’alinéa a), il faut qu’un sommaire de cette preuve ait été communiqué selon les normes de divulgation que la Cour a établies dans le cadre de décisions et d’ordonnances antérieures, normes que les demanderesses ont reconnu comme leur étant applicables et applicables aux autres parties à l’instance.

[...]

 

j.  L’ordonnance que la Cour délivre à l’égard de la présente requête ne vise qu’à parachever le processus entamé le 17 septembre 2004, tel qu’il est présenté en détail dans les ordonnances des 18 octobre 2004 et 25 novembre 2004. Ce processus a pour objet d’assurer l’observation de l’ordonnance préparatoire que le juge Hugessen a délivrée le 26 mars 2004 en vue d’une divulgation préalable complète en imposant des résumés de témoignage conformes, la résolution des difficultés occasionnées par les [traduction] « divergences radicales » au sujet de la portée des actes de procédure et la désignation des témoins ou des éléments de preuve, ou des deux, que les demanderesses ne devraient pas présenter, soit en raison de leur défaut continu de divulgation selon les normes imposées par la Cour, soit parce que les témoins ou les éléments de preuve proposés, ou les deux, dépassent manifestement la portée des actes de procédure [...]

[Je souligne.]

 

  • [95] L’exigence de produire un résumé de témoignage anticipé et son lien avec les éléments de preuve qui doivent être produits au procès ne pourraient être plus clairs. Cependant, les demanderesses ont décidé de ne présenter ni renvoi à ces questions importantes ni explication dans une requête en annulation du procès. Leur approche du problème consiste à alléguer dans la présente requête qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement, parce que la Cour a fait de la présentation des résumés de témoignage anticipé une règle de droit qui a pour effet d’exclure des éléments de preuve pertinents. Outre son inexactitude, cette allégation n’explique pas pourquoi, même si les demanderesses devaient s’en tenir à la divulgation dans leurs résumés de témoignage anticipé comme elles le laissent entendre, elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement si leurs résumés de témoignage anticipé respectent les normes de divulgation établies par la Cour, comme elles continuent de l’affirmer avec insistance.

 

  • [96] Il s’agit d’une préoccupation d’importance vitale pour l’avenir des présentes actions. En l’état actuel des choses, les demanderesses ont clairement déclaré qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. Elles n’ont pas expliqué pourquoi elles avaient traduit en justice tous les participants si elles ne pouvaient pas plaider leur cause adéquatement, ni comment elles peuvent se trouver maintenant dans une situation difficile si elles ont respecté les ordonnances de la Cour concernant les résumés de témoignage anticipé.

 

L’audience Peshee

 

  • [97] Même si j’ai maintenant rendu des décisions contraires, les demanderesses continuent d’affirmer ce qui suit avec insistance :

  1. L’audience Peshee ne confirme pas que les résumés de témoignage anticipé entreront en jeu au procès pour trancher des questions liées à la surprise et au guet-apens pour les témoins de tous les participants.

  2. L’audience Peshee ne concernait que la preuve des intervenants et ne s’applique pas à celle des demanderesses au procès.

  3. L’audience Peshee ne traite que de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé auprès d’un intervenant afin d’exclure des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale.

  4. M. Healey n’a pas signalé sa compréhension du fait que les résumés de témoignage anticipé entreraient en jeu pour évaluer des questions liées à la surprise et au guet‑apens concernant les témoins de tous les participants.

 

  • [98] Comme je l’ai déjà statué, aucun de ces points de vue n’est raisonnablement viable. Le contexte des ordonnances pertinentes que la Cour a rendues concernant les résumés de témoignage anticipé ne peut les appuyer, le contexte de l’audience Peshee dans son ensemble ne peut les appuyer, et même les propos tenus à l’audience Peshee ne peuvent les appuyer.

 

  • [99] D’une part, la Cour est saisie (par l’intermédiaire de M. Molstad à titre de fonctionnaire judiciaire et en l’absence de preuve) du présent compte rendu de M. Healey au sujet de ce qu’il a voulu dire et a compris à l’audience Peshee. D’autre part, la Cour saisit le point de vue des autres participants à l’audience, la transcription, les propos tenus par M. Healey en anglais courant à l’époque, et ce qu’ellea vu de ses propres yeux et entendu de ses propres oreilles. Compte tenu de cette preuve, j’estime qu’il n’est pas déraisonnable que la Cour n’ait pas pu accepter le point de vue actuel des demanderesses sur l’un ou l’autre de ces points comme étant convaincant. La réalitétoute simple est qu’il ne servirait à rien que M. Healey reconnaisse les préoccupations de M. Faulds et exprime ses inquiétudes à la Cour concernant le [traduction] « détail » et la « marge de manœuvre » s’il n’avait pas compris et prétendu que les propres résumés de témoignage anticipé des demanderesses seraient inévitablement soumis à un examen minutieux, tout comme l’a été celui de Mme Peshee à l’audience de bene esse. Pour la même raison, il ne servirait à rien que M. Faulds ait dit ce qui suit :

 

[traduction]

 

J’ai pris la parole en premier et il y avait une divergence par rapport au résumé de témoignage anticipé – j’ai dit, bon, les avocats doivent jouir d’une certaine marge de manœuvre. Mais on ne peut pas aborder de nouveaux aspects.

 

La question fondamentale – quelle est la question qui se pose à la Cour? La question qui se pose à elle est la suivante : L’autre partie est‑elle avisée de ce en quoi consiste la question que vous allez aborder? C’est la question décisive, selon mon observation. Et la – la réponse à cette question est de s’appuyer sur la norme du résumé de témoignage anticipé.

 

Et il est important que les deux parties soient avisées, qu’elles aient reçu le même genre d’avis.

 

  • [100] M. Healey propose maintenant (mais seulement par l’intermédiaire de M. Molstad et sans avoir été assermenté) l’explication suivante :

  1. Lorsqu’il a fait allusion aux avocats et aux nouveaux aspects, il faisait allusion à M. Faulds.

  2. Lorsqu’il a fait allusion aux [traduction] « nouveaux aspects », il faisait allusion à l’histoire orale.

  3. La norme fondée sur les résumés de témoignage anticipé faisait renvoi à l’obligation de fournir un synopsis du témoignage du témoin dans un résumé de témoignage anticipé.

 

  • [101] Par conséquent, sans l’avoir indiqué dans un affidavit M. Healey semble laisser entendre que dans ce passage il ne parle que de M. Faulds, de l’histoire orale et des demanderesses.

 

  • [102] Mais cela n’explique pas pourquoi seul M. Faulds a besoin d’une marge de manœuvre, pourquoi seul M. Faulds ne peut pas aborder de nouveaux aspects, ni pourquoi la question que se pose la Cour à l’égard de M. Faulds et de l’histoire orale devrait être différente s’il est demandé à la Cour de trancher une objection fondée sur le guet‑apens présentée par la Couronne ou un autre participant. Et si [traduction] l’« autre partie » se compose exclusivement des demanderesses, il doit être soutenu que seules les demanderesses doivent être avisées conformément aux normes pour éviter le guet‑apens, et que cela n’importe pas pour la Couronne ni pour les autres participants. Et si [traduction] « l’autre partie » se compose uniquement des demanderesses, qui sont les [traduction] « deux parties » mentionnées à la ligne 11? M. Healey semble laisser entendre qu’il affirme que seul M. Faulds et les demanderesses doivent être avisés conformément aux normes, mais la Couronne et les autres participants n’y souscrivent pas. Je remarque, par exemple, que lorsque j’ai demandé à M. Molstad ce que M. Healey entendait par le mot [traduction] « avocats », il l’a interprété au sens évident et a dit : [traduction] « Je ne peux que présumer qu’il fait allusion à tous les avocats ». Et cela, bien entendu, est la seule interprétation raisonnable de ce mot dans son contexte.

 

  • [103] Bien entendu, rien ne peut empêcher un avocat de présenter des rationalisations ex post facto ce qui a été dit antérieurement, mais je ne crois pas que les demanderesses devraient très surprises si la Cour ne trouvait pas ces rationalisations convaincantes, dans le cas où elles ne seraient pas conciliables avec les indicateurs sémantiques et contextuels évidents dans le dossier et avec les autres éléments de preuve dont dispose la Cour.

 

  • [104] À mon avis, il devrait ressortir du dossier que M. Healey a été présent en cour et disposé à aider le présent avocat des demanderesses à l’égard des questions qui dépassent visiblement leurs connaissances immédiates.

 

  • [105] Le point de vue de la Cour sur l’audience Peshee ne se limite pas à ce passage. J’ai clairement exposé l’ensemble de mon de vue dans les décisions que j’ai rendues à ce jour. J’évoque simplement cette question afin de montrer que la position des demanderesses n’est pas étayée par le dossier, même au niveau syntaxique élémentaire.

 

  • [106] Il ne faudrait pas présumer non plus que la Cour estime que les demanderesses doivent comprendre l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, ou y consentir. Cette utilisation est dictée par les ordonnances de la Cour qui imposent de présenter des résumés de témoignage anticipé et établissent les normes qui s’y appliquent, dont elle est la conséquence logique. Il serait insensé d’exiger des résumés de témoignage anticipé et de fixer des normes s’il n’était pas possible de s’y référer au procès lorsqu’un guet‑apens pose un problème. En faisant renvoi à l’audience Peshee, mon seul objectif à cet égard est de montrer pourquoi les présentes affirmations des demanderesses, selon lesquelles elles n’avaient pas compris que les résumés de témoignage anticipé seraient utilisés au procès comme ils l’ont été, n’est pas conciliable avec le dossier.

 

Autres commentaires des demanderesses

 

  • [107] Dans tout procès, le moment est très grave lorsqu’un demandeur est contraint de demander conseil à la Cour et se retrouve dans une situation où il ne peut pas plaider sa causer adéquatement. Dans la présente requête, les demanderesses ont eu beaucoup de mal et ont pris beaucoup de temps à me mettre au courant de la gravité de leur situation. Le temps ne me permet pas de me pencher sur tous les arguments ou points qu’elles soulèvent, mais je tiens à souligner clairement dans les présents motifs que j’ai écouté attentivement et examiné le dossier demandé du mieux que je le pouvais. C’est pourquoi je veux m’efforcer d’aborder certaines des questions que les demanderesses ont portées à mon attention au cours de leur présentation en audience publique.

 

  • [108] Mais en guise d’introduction, je dois dire qu’une bonne part de ce qu’affirment les demanderesses dans la présente requête constitue une tentative de remettre en litige des questions anciennes que la Cour a déjà tranchées. Dans son examen des points que soulèvent les demanderesses en l’espèce, la Cour ne reconsidère pas les décisions qu’elle a déjà rendues et n’appuie pas le point de vue portant que les demanderesses peuvent rouvrir les décisions indéfiniment. Nous ne savons pas exactement quel statut les demanderesses attribuent à leurs présents arguments et à la réponse que j’y apporte. Ces arguments font probablement partie de la thèse générale avancée dans la présente requête, selon laquelle les décisions de la Cour ont donné un avantage déloyal à la Couronne, et c’est uniquement de ce point de vue que la Cour est disposée à les examiner maintenant. Comme ces arguments reprennent beaucoup de questions anciennes et ont un caractère très étendu, je propose de les abordersous forme abrégée seulement. Mais ce que je dis ici ne constitue pas un nouvel examen des ordonnances ou décisions que j’ai rendues, le cas échéant. Je ne veux tout simplement pas me pencher sur les préoccupations des demanderessesde façon sommaire à un moment aussi grave et aussi difficile du procès.

 

  1. Une part substantielle du témoignage livré par Mme Peshee ne se trouvait pas

dans son résumé de témoignage anticipé

 

  • [109] La Cour a statué que les résumés de témoignage anticipé ne constituent pas un motif légal pour exclure des éléments de preuve. Le simple fait qu’un élément de preuve ne figure pas dans un résumé de témoignage anticipé ne signifie pas qu’il ne peut pas être produit au procès. À moins qu’une objection ne soit soulevée et admise, un élément de preuve qui n’est pas mentionné dans un résumé de témoignage anticipé peut fort bien être produit au procès. Donc tout dépend de l’élément de preuve qu’un participant tente de produire, ainsi que de la nature et de la portée de l’objection. Les témoins des demanderesses ont présenté des éléments de preuve dont il n’est pas fait mention dans les résumés de témoignage anticipé, conformément aux normes. Dans ce contexte, il n’est pas utile de comparer point par point avec l’audience Peshee, parce que l’audience Peshee a été tenue sans disposer de déclarations préliminaires et à une époque où la procédure n’était pas aussi peaufinée qu’elle l’est maintenant. C’est pourquoi la Cour a proposé qu’il ne soit pas nécessaire que l’audience Peshee serve de jalon à l’égard des futures objections.

 

  • [110] L’importance de l’audience Peshee réside dans les principes généraux qui y ont été mis en lumière, essentiellement sur l’exhortation des demanderesses. Ces principes généraux découlent inévitablement des ordonnances de la Cour qui obligent tous les participants à produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes établies par la Cour :

  1. Les parties peuvent demander un redressement à la Cour par suite d’un guet‑apens au procès.

  2. Les résumés de témoignage anticipé peuvent être utilisés pour démontrer qu’il y a eu un guet‑apens.

  3. Lorsqu’il est question d’une marge de manœuvre, les normes sont fondamentales. [traduction] « L’autre partie est‑elle avisée de ce en quoi consiste la question que vous allez aborder? C’est la question décisive [...] Et il est important que les deux parties soient avisées, qu’elles aient reçu le même genre d’avis. »

Par conséquent, si des éléments de preuve qui n’étaient pas mentionnés dans le résumé de témoignage anticipé de Mme Peshee ont été produits, cela n’étaye pas la présente allégation des demanderesses selon laquelle les normes applicables aux résumés de témoignage anticipé sont sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès. Cela confirme que la véritable question est celle du « guet‑apens ».

 

2.  Mme Peshee était un témoin cité par un intervenant, et non par l’une des parties

 

  • [111] Il s’agit d’un vieil argument, sur lequel je me suis déjà penché et que j’ai tranché. Les principes établis à l’audience Peshee devaient manifestement s’appliquer à tous les participants, et les demanderesses ont compris et exprimé leur point de vue, à savoir que ces principes devaient s’appliquer de façon générale. M. Healey a été le premier avocat à demander un redressement par suite d’un guet‑apens, il a été le premier à utiliser un résumé de témoignage anticipé pour convaincre la Cour qu’il y avait eu un guet‑apens, et il a clairement signifié que le concept [traduction] « fondamental » sur lequel la Cour devait se concentrer au moment d’examiner l’avis auquel les deux parties doivent s’attendre dans un résumé de témoignage anticipé, c’était les normes établies par la Cour.

 

  • [112] Les demanderesses n’ont présenté aucun argument convaincant pour démontrer qu’un guet‑apens est moins grand simplement parce qu’il relève du témoin d’une partie, plutôt que de celui d’un intervenant. Et il n’y a aucune raison pour laquelle un résumé de témoignage anticipé devrait être pertinent si on examine le guet‑apens en fonction du témoin d’un intervenant et non pertinent si on l’examine en fonction du témoin d’une partie. Ce qui diffèrera de façon générale, c’est que dans le cas du témoin d’une partie d’autres aspects de l’interrogatoire préalable et du dossier pourront être utilisés pour tenter de démontrer que, malgré le contenu du résumé de témoignage anticipé, il n’y a eu aucun véritable guet‑apens. Un exemple de cela s’est produit dans le cas de l’Aîné Starlight. Même si les documents et d’autres précisions peuvent différer lorsqu’il s’agit des témoins des parties, l’objectif et les principes sont les mêmes : examiner s’il y a eu un véritable guet‑apens et si, compte tenu du résumé de témoignage anticipé et d’une autre partie du dossier auquel l’avocat fait renvoi, le bon sens et la raisonnabilité donnent à penser qu’il est établi qu’il y a eu guet‑apens.

 

  • [113] D’un point de vue général, il est beaucoup plus important pour la Cour d’entendre le contre-interrogatoire efficace d’un témoin d’une partie que celui du témoin d’un intervenant. Voilà pourquoi les problèmes liés à l’interrogatoire préalable et aux résumés de témoignage anticipé sont beaucoup plus importants de façon générale si on examine le guet‑apens en fonction du témoin d’une partie.

 

3.  La véritable question abordée à l’audience Peshee était celle de l’histoire orale

 

  • [114] Il s’agit d’un autre point sur lequel je me suis déjà prononcé. La preuve concernant l’histoire orale et ses liens avec la divulgation et l’admissibilité constituait un aspect de l’audience Peshee, mais ce n’était pas le seul. Les principes généraux établis visaient manifestement à appliquer le guet‑apens à tous les aspects de la preuve et ont été formulés expressément. Il est ressorti clairement de la discussion entre l’ensemble des avocats et la Cour que la demande était d’ordre général, et l’avocat des demanderesses a accepté et préconisé l’utilisation de principes généraux associés au concept fondamental des normes.

 

  • [115] Il n’y a vraiment aucune raison pour laquelle le guet‑apens au procès devrait être limité aux questions d’histoire orale. Et un bon nombre des objections de la Couronne concernaient l’histoire orale.

 

4.  La Cour a déclaré ne pas établir un jalon quelconque

 

  • [116] Il n’était pas nécessaire que l’audience Peshee fût considérée comme un jalon au niveau du détail des décisions concrètes, et cela, parce que ces décisions avaient été prises sans bénéficier de déclarations préliminaires et en l’absence de discussion approfondie et d’examen de ce qui devait être considéré comme un guet‑apens au procès. Mais M. Healey a bien fait comprendre que ses objections se fondaient sur le concept [traduction] « fondamental » des normes, et la Cour y a souscrit dans le cadre de ses décisions.

 

  • [117] Pendant la discussion générale entre les avocats et la Cour, il a été résolu que diverses questions exigeaient un plus ample examen. Mais personne n’a affirmé, ni même laissé entendre, que les résumés de témoignage anticipé ne joueraient aucun rôle au moment de trancher une question de guet‑apens au procès, ni que les résumés de témoignage anticipé étaient sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès (la position actuelle des demanderesses). La question vraiment importante qui a été soulevée était celle de la marge de manœuvre et du détail. Elle a été soulevée par M. Faulds à titre de question d’ordre général, puis confirmée à ce titre par M. Healey.

 

  • [118] M. Healey n’a pas dit que les questions de marge de manœuvre et de détail ne seraient pas importantes pour les témoins des demanderesses parce que, au procès, il n’y aurait aucun lien entre les résumés de témoignage anticipé des demanderesses et l’admissibilité de la preuve produite.

 

  • [119] M. Healey a affirmé qu’il examinait les questions de marge de manœuvre et de détail en fonction des résumés de témoignage anticipé des demanderesses. Cela n’a de sens que si M. Healey avait compris qu’il y aurait un lien entre les résumés de témoignage anticipé et les questions de guet‑apens au procès pour les demanderesses et tous les autres participants.

 

  • [120] À l’audience Peshee, M. Healey a défendu la position de tous les participants que la Cour a effectivement adoptée, à savoir que les normes sont fondamentales lorsqu’il s’agit de décider si un avis suffisant a été présenté à l’autre partie.

 

  • [121] Les normes ne sont pas l’unique point à prendre en considération, mais, comme l’a souligné l’avocat des demanderesses, ces normes sont devenues fondamentales à l’égard des propres témoins des demanderesses. Il est évident que M. Healey le savait et avait accepté cela, sans quoi il n’aurait pas soutenu la même position générale à l’audience Peshee.

 

  • [122] À la lecture de la transcription de l’audience Peshee dans son intégralité, nous constatons que lorsque la Cour se réfère à des jalons, elle parle de l’endroit où tracer la ligne pour permettre une divulgation suffisante. À titre d’exemple, consultez le passage allant de la page 89, ligne 23 à la page 90, ligne 20. La Cour affirme souhaiter entendre de plus amples discussions au sujet de l’endroit où tracer la ligne aux fins de l’ensemble du procès. Consultez aussi, par exemple, la page 92, aux lignes 1 à 13.

 

  • [123] Rien ne donne à penser ici que les résumés de témoignage anticipé seront sans rapport avec l’admissibilité si une preuve est produite au procès. L’ensemble des discussions n’aurait aucun sens en pareil cas.

 

5.  La rétractation

 

  • [124] Voici ce que dit M. Molstad :

 

[traduction]

 

Pendant le présent procès, nous n’avons entendu aucune observation selon laquelle la Couronne reviendrait sur les observations qu’elle a présentées à l’audience Peshee. Et nous devons présumer qu’elles étaient l’expression de la vérité.

 

  • [125] Nous devons aussi présumer que les demanderesses disaient la vérité à l’audience Peshee, ainsi qu’en ces diverses occasions où d’autres assurances ont été données à la Cour concernant les résumés de témoignage anticipé des demanderesses.

 

  • [126] Les demanderesses sont maintenant revenues sur ces positions, mais cela ne veut pas dire qu’elles ne disaient pas la vérité à l’époque.

 

  • [127] La Couronne n’est revenue sur aucune des positions qu’elle avait adoptées à l’audience Peshee. Ce sont les demanderesses qui l’ont fait.

 

  • [128] Selon sa position à l’audience Peshee, la Couronne appuyait la suggestion de M. Faulds portant qu’une norme moins exigeante devait s’appliquer à l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, lorsqu’il s’agit de trancher des questions de marge de manœuvre et de guet‑apens.

 

  • [129] Le fait d’avoir préconisé une norme plus souple à cette occasion signifie nécessairement que la Couronne avait compris que les résumés de témoignage anticipé joueraient un rôle dans l’examen du guet‑apens au procès, et qu’elle le préconisait. Dans aucune discussion il n’a été affirmé que les résumés de témoignage anticipé seraient sans rapport avec la preuve au procès. En réalité, la discussion au sujet des normes présuppose qu’un pareil lien doit exister.

 

  • [130] Quoi qu’il en soit, un pareil lien était une conséquence inévitable des ordonnances de la Cour qui établissent les normes et ont ordonné aux participants de produire des résumés de témoignage anticipé conformément à ces normes.

 

  • [131] Aux fins de la présente instance, la seule discussion pertinente qui a eu lieu à l’audience Peshee portait sur la marge de manœuvre. Sur cette question, la Couronne a appuyé le plaidoyer de M. Faulds en faveur d’une approche plus souple que celle que M. Healey avait préconisée et que la Cour avait adoptée à l’audience Peshee.

 

  • [132] La Couronne craignait que les demanderesses ne soient autorisées à tirer profit de leur propre violation parce qu’elles avaient eu la possibilité de revoir leurs résumés de témoignage anticipé afin de satisfaire aux normes établies par la Cour, tandis que la Couronne et les intervenants n’avaient pas eu cette possibilité. Tout ce que Mme Koch a dit au sujet de la marge de manœuvre et du niveau de détail dans les résumés de témoignage anticipé était fondé sur cette préoccupation.

 

  • [133] Lorsque Mme Koch a convenu avec M. Faulds de préconiser une norme plus souple, cette adhésion reposait sur le tableau limité qu’elle avait vu à l’audience. Mme Koch ignorait que la Couronne et les intervenants pourraient revoir leurs résumés de témoignage anticipé afin de respecter les normes (c’est‑à‑dire, se voir accorder la même possibilité que les demanderesses), par suite de la requête que les demanderesses avaient présentée en vertu de l’article 369 des Règles :

 

[traduction]

 

Mme Jenell Koch : Je me trouve dans [...] une position un peu désavantageuse aujourd’hui, dans la mesure où je n’ai pas vu la requête que M. Healey a présentée en vertu de l’article 369 des Règles, parce qu’elle a été envoyée à notre bureau vendredi, mais je – en fonction de ce que j’ai vu aujourd’hui, je suis d’accord avec M. Faulds [...] (Page 186, lignes 16-20)

 

  • [134] La requête que M. Healey avait présentée en vertu de l’article 369 dissipait la préoccupation de Mme Koch. La Couronne et les intervenants se voyaient accorder la même possibilité de revoir les résumés de témoignage anticipé qui avait été accordée aux demanderesses. Il ne peut y avoir abandon d’une position fondée sur une éventualité si des faits ultérieurs altèrent le fondement de la position adoptée.

 

  • [135] Mais il y a abandon si la Cour admet la position avancée par les demanderesses à l’audience Peshee et ailleurs et que les demanderesses adoptent maintenant une position selon laquelle la divulgation présentée dans un résumé de témoignage anticipé ne devrait pas être liée à la preuve admissible au procès.

 

  • [136] En ce qui concerne la position de M. Faulds à l’audience Peshee, celui‑ci n’a jamais soutenu que les résumés de témoignage anticipé n’auraient aucune incidence sur la production de la preuve au procès (la position maintenant adoptée par les demanderesses). La grande préoccupation de M. Faulds était la marge de manœuvre. Encore une fois, cette préoccupation se comprend, compte tenu du fait que les demanderesses avaient obtenu le délai supplémentaire dont elles disaient avoir besoin pour revoir leurs résumés de témoignage anticipé conformément aux normes, et que les intervenants ne l’avaient pas obtenu (dans son cas, Mme Peshee n’a jamais bénéficié de cette possibilité et les demanderesses ont résisté énergiquement à toute suggestion du contraire).

 

  • [137] La Cour a donc rejeté l’approche plus souple que préconisait M. Faulds à l’égard des résumés de témoignage anticipé et a adopté la position avancée par les demanderesses. Celles‑ci ont obtenu le délai dont elles disaient avoir besoin pour revoir leurs résumés de témoignage anticipé, afin de respecter les normes, mais Mme Peshee n’a pas eu cette possibilité.

 

  • [138] Après avoir soutenu que Mme Peshee ne devait pas avoir cette possibilité, les demanderesses affirment maintenant que les résumés de témoignage anticipé ne devraient avoir aucune incidence sur la preuve qu’elles souhaitent produire.

 

  • [139] Cela ne concorde pas avec les notions d’équité et de cohérence de la Cour.

 

6.  Commentaires au sujet de l’avocat de la Couronne

  • [140] Les demanderesses se plaignent en ces termes :

 

[traduction]

 

[...] à ma connaissance en tout temps, au cours des présentes procédures il n’a pas été signifié à la Cour que l’avocate de la Couronne qui a comparu le 13 décembre 2004 était mal informée ou atteinte d’une incapacité. Nous dirions volontiers qu’il n’a pas été signifié à la Cour que les points de vue de M. Donaldson n’avaient pas été relatés avec précision à la Cour le 13 décembre 2004 [...]

 

Cette affirmation reste en marge des décisions que j’ai rendues dans le cadre des présentes procédures. Elle concerne une remarque qui était simplement formulée en passant.

 

  • [141] La Cour n’a jamais dit que l’avocate de la Couronne (Mme Koch en l’espèce) pouvait être atteinte d’une [traduction] « incapacité », ni que les points de vue de M. Donaldson n’avaient pas été relatés avec précision à la Cour.

 

  • [142] La Cour a affirmé (et il s’agit du point principal) que rien n’obligeait M. Healey à adopter les positions qui étaient les siennes à l’audience Peshee et que [traduction] « la Couronne n’était pas représentée par ses avocats de première ligne habituels qui comprennent parfaitement l’importance des résumés de témoignage anticipé et tout l’historique du présent litige [...] » À titre d’exemple, rien n’empêchait M. Healey de soutenir à l’audience Peshee que les résumés de témoignage anticipé ne devaient avoir aucune incidence sur la production d’éléments de preuve pertinents au procès si un guet‑apens était invoqué. Mais il n’a absolument pas soutenu cette position.

 

  • [143] Comme je l’ai déjà souligné, Mme Koch elle‑même a indiqué à l’audience Peshee qu’elle se trouvait [traduction] « dans une position un peu désavantageuse » lorsque la question des normes avait été abordée, parce qu’elle n’avait pas vu la requête présentée par les demanderesses en vertu de l’article 369 des Règles.

 

  • [144] Mais c’est M. Faulds qui a averti la Cour que pour traiter les questions liées aux résumés de témoignage anticipé, Mme Koch avait réellement besoin de consulter Mme Kohlman et M. Kindrake. M. Faulds a dit ceci : [traduction] « Je suis pleinement d’accord pour dire que – qu’il s’agit d’un sujet approprié à la conférence préalable à l’instruction, et j’imagine que Mme Koch souhaiterait que M. Kindrake et Mme Kohlman soient disponibles aux fins d’une discussion de cette nature ».

 

 

  • [145] Je suis en droit de me fonder sur ce que me disent les avocats en qualité de fonctionnaires judiciaires si je le souhaite (M. Molstad m’a expressément prié de le faire) et j’ai mes propres yeux. Je sais que Mme Koch n’est atteinte d’aucune incapacité (je n’ai jamais dit qu’elle l’était) et qu’elle est une avocate très compétente. Mais je n’ai même pas besoin que M. Faulds me laisse entendre qui est l’avocat principal de la Couronne dans ce dossier et qui comprend toute la complexité des présentes actions.

 

  • [146] Il en va de même pour M. Donaldson. Je n’ai pas dit que ses points de vue n’étaient pas relatés avec exactitude. J’ai dit qu’il devait donner de loin des instructions à M. Faulds. Il devait le faire lorsque des décisions importantes étaient prises à la Cour concernant sa cliente. Son éventuelle arrivée dans la salle d’audience n’a rien changé à cela.

 

  • [147] Mais mes commentaires à cet égard n’ont eu aucune incidence sur la décision que j’ai rendue. Je soulignais simplement qu’à l’audience Peshee, M. Healey aurait facilement pu adopter l’approche plus souple de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé que M. Faulds et Mme Koch avaient proposée – pour les raisons fortuites qu’ils ont données ce jour‑là –. Mais M. Healey a préconisé une approche fondée sur les normes ([traduction] « fondamentales ») qui s’appliquaient aux résumés de témoignage anticipé, et j’y ai souscrit. Son approche va de pair avec les ordonnances de la Cour qui prévoient l’exigence de présenter des résumés de témoignage anticipé et les normes établies par la Cour. À mon avis, cette approche est également nécessaire pour résoudre les problèmes propres aux présentes procédures qui ont donné lieu aux ordonnances de la Cour.

 

7.  Le contexte global

 

  • [148] M. Molstad avertit la Cour en ces termes :

 

[traduction]

 

Nous faisons aussi valoir, votre Seigneurie, que si la Cour doit mettre l’accent sur ce qui s’est passé à l’audience Peshee comme elle l’a fait, la Cour doit tenir compte de ce qui s’est passé à l’audience dans son ensemble.

 

 

  • [149] La Cour a signalé dans ses décisions concernant l’audience Peshee qu’elle avait lu la transcription de l’audience dans son ensemble. Je ne vois donc pas quelles directives de plus je pourrais donner à cet égard.

 

  • [150] Je crois devoir présumer que M. Molstad n’a pas lu mes décisions concernant l’audience Peshee dans son ensemble.

 

  • [151] Mais, bien entendu, l’interprétation de l’audience Peshee ne se limite pas à la transcription. Comme M. Molstad l’a démontré, il n’a pas assisté à l’audience Peshee et se fie sur les autres avocats pour savoir ce qui s’y est passé. Je ne me trouve pas dans une situation aussi désavantageuse. J’étais présent à l’audience Peshee.

 

8.  Résumé de l’audience Peshee

 

  • [152] Quoique j’aie lu la transcription de l’audience Peshee et aie signalé dans mes décisions que je l’avais lue, M. Molstad a de nouveau amené la Cour à parcourir des parties importantes de cette transcription. J’ai de nouveau vérifié la transcription aux fins de la présente requête, et je dois conclure que tout ce sur quoi M. Molstad attire mon attention ne fait que confirmer la justesse des conclusions que j’ai tirées de l’audience Peshee, qui sont incorporées à mes décisions.

 

9.  Lien avec le rapport d’étape en date de septembre 2006

 

  • [153] L’un des moyens que les demanderesses utilisent maintenant pour tenter de se soustraire à mes décisions évoquant l’importance de l’audience Peshee consiste à citer leur rapport d’étape en date de septembre 2006, et à attirer mon attention sur le passage suivant :

 

[traduction]

 

g) Rôle et utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès

 

Les demanderesses n’ont pas l’intention d’introduire une requête à cet égard. Cependant, nous nous attendons à ce que la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé soit nécessairement abordée au procès.

 

 

  • [154] J’aurai beaucoup d’autres choses à dire au sujet de ce document dans le contexte de mon analyse de ce qui s’est passé après l’audience Peshee. Mais les demanderesses soulèvent aussi le point général suivant :

 

[traduction]

 

Nous faisons respectueusement remarquer, votre Seigneurie, qu’il est à la fois inéquitable et inexact d’interpréter la discussion qui a eu lieu avec l’ensemble des avocats à la fin de l’audience Peshee comme une déclaration des demanderesses, surtout compte tenu de la communication que nous avons adressée à la Cour et à l’ensemble des avocats, en septembre 2006, dans laquelle nous anticipions que cette question soit abordée au procès.

 

  • [155] Nous ne voyons pas clairement ce que les demanderesses entendent ici par le terme « déclaration », mais je présume qu’elles entendent tout ce que M. Healey aurait pu dire concernant les résumés de témoignage anticipé et les futures discussions à ce sujet.

 

  • [156] Cela semble donner à penser que lorsque les demanderesses ont dit, en septembre 2006, [traduction] « nous nous attendons à ce que la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé soit abordée au procès », que tout ce qui pouvait alors avoir été établi ou dit au sujet des résumés de témoignage anticipé se trouvait annulé et que toute la question pouvait être débattue de nouveau au procès.

 

  • [157] Il semble aussi que ce que le nouvel avocat avait dit en septembre 2006 ait pu constituer une directive concernant ce que l’avocat précédent avait pu vouloir dire dans les observations qu’il avait formulées en décembre 2004.

 

  • [158] Je n’arrive pas à établir le lien entre le rapport d’étape des demanderesses en date de septembre 2006 et l’audience Peshee, que celles‑ci souhaitent me voir établir.

 

  • [159] Tout d’abord, à l’audience Peshee personne n’a fait observer que les résumés de témoignage anticipé ne devaient pas être utilisés au procès s’il y avait allégation de guet‑apens. Tous les avocats présumaient simplement qu’ils le seraient, et cela, parce que leur utilisation de cette façon découle inévitablement des ordonnances de la Cour qui imposent l’exigence de produire des résumés de témoignage anticipé, établissent les normes et ordonnent aux demanderesses et aux autres participants de produire des résumés de témoignage anticipé conformes à ces normes.

 

  • [160] La seule discussion pertinente à la présente requête qui a eu lieu à l’audience Peshee concernant les résumés de témoignage anticipé touchait les questions de portée et de marge de manœuvre. Personne n’a évoqué ou débattu la question de savoir si les résumés de témoignage anticipé devaient être utilisés au procès. Il s’agissait d’une donnée de base, et l’effet de l’audience Peshee a été de dramatiser ce qui se passerait en cas d’allégation de guet‑apens au procès. L’audience a donné à tous les participants la possibilité d’examiner les résultats et de voir s’ils souhaitaient modifier l’incidence des résumés de témoignage anticipé sur la preuve qui devait être produite au procès. Mais personne n’a soutenu qu’il ne devait y avoir aucune incidence. Il était évident qu’il devait y en avoir une, à moins que les ordonnances de la Cour ayant donné lieu à la création des résumés de témoignage anticipé et des normes ne soient annulées, ce qui ne pouvait se faire que si la Cour émettait une autre ordonnance, ce qui ne s’est pas produit.

 

  • [161] Vraisemblablement, bien entendu, les parties auraient pu convenir que les résumés de témoignage anticipé ne devaient pas être utilisés comme ils l’avaient été lors de l’audience Peshee et comme ils le sont depuis lors.

 

  • [162] Mais pour cela, il aurait fallu non seulement un accord entre les parties, mais aussi une autre ordonnance de la Cour visant à modifier ou à compléter les ordonnances qui traitaient des résumés de témoignage anticipé.

 

  • [163] Un pareil changement aurait pu également être initié par l’une des parties en introduisant sa propre requête, afin de demander à la Cour de modifier le régime qui avait été établi concernant l’utilisation des résumés de témoignage anticipé. Aucune requête de ce genre n’a été introduite.

 

  • [164] Dans une certaine mesure, la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé a été abordée au procès, conformément au rapport d’étape des demanderesses en date de septembre 2006. Mais cette question n’a pas été abordée dans l’abstrait, en faisant abstraction des ordonnances de la Cour et des précédents établis lors de l’audience Peshee. Il fallait apporter des améliorations, ce qui a été fait. Nous avons aussi établi clairement ce que le système supposait et ce que l’audience Peshee avait démontré. Dans ce contexte, rien ne laissait même penser qu’il ne devait y avoir aucun lien entre les résumés de témoignage anticipé et les allégations de guet‑apens au procès, ni que l’acceptation des normes applicables aux résumés de témoignage anticipé n’était qu’une simple question de divulgation préalable et que ceux‑ci ne pouvaient pas servir à examiner l’admissibilité des éléments de preuve au procès si un guet‑apens était soulevé à titre d’objection.

 

  • [165] Il est également important de mentionner que la position des demanderesses en septembre 2006, soit que la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé devait être abordée au procès, ne pouvait aucunement influer sur leur obligation de produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes établies par la Cour, que j’avais ordonné aux demanderesses de produire le 25 novembre 2004.

 

  • [166] Et rien de cela n’entraîne l’iniquité ni le déséquilibre. Les deux parties peuvent demander un redressement sur le fondement du guet‑apens au procès et faire renvoi aux résumés de témoignage anticipé pour démontrer le guet‑apens, et les deux parties l’ont fait.

 

  • [167] Quant à l’établissement d’un lien entre le rapport d’étape en date de septembre 2006 et une interprétation de la discussion qui a eu lieu en décembre 2004 à l’audience Peshee, la Cour s’est penchée sur la question, mais je ne peux guère y accorder de poids par rapport aux éléments de preuve contemporains.

 

10.  Analyse de la preuve au procès

 

  • [168] Les demanderesses font valoir ceci : [traduction] « il convient parfaitement que la question de l’admissibilité de la preuve au procès soit abordée au procès ».

 

  • [169] La Cour a traité la question de l’admissibilité de la preuve au procès. Tous les faits pertinents qui ont eu lieu avant le procès concernaient la divulgation préalable et la portée des plaidoiries. Mais l’analyse de la preuve au procès suppose d’analyser les objections à cette preuve, y compris celles fondées sur le guet‑apens. Et la question du guet‑apens, en l’espèce, exige d’examiner la divulgation préalable.

 

  • [170] La Cour a invariablement affirmé dans ses décisions que les résumés de témoignage anticipé n’étaient pas des éléments de preuve, et elle ne les a jamais considérés comme tels, que ce soit avant ou pendant le procès.

 

  • [171] Les demanderesses ont laissé entendre ailleurs que la question du guet‑apens au procès pouvait être traitée non pas en faisant renvoi aux résumés de témoignage anticipé et à l’interrogatoire préalable, mais en allouant à la partie adverse le temps nécessaire pour se retirer et se préparer au contre‑interrogatoire.

 

  • [172] Une pareille approche est clairement inapplicable. L’unique source auprès de laquelle la Couronne pourrait obtenir une bonne partie de la divulgation préalable dont elle a besoin pour se préparer à contre‑interroger les témoins des demanderesses, ce sont les demanderesses. Dans le passé, celles‑ci n’ont pas collaboré en assurant cette divulgation. C’est pourquoi les résumés de témoignage anticipé se sont avérés nécessaires. Les demanderesses affirment maintenant que la Cour devrait abandonner l’utilisation des résumés de témoignage anticipé et en revenir au système qui n’a pas fonctionné dans le passé, précisément celui qui a donné lieu à l’exigence de produire des résumés de témoignage anticipé.

 

  • [173] Quoi qu’il en soit, après avoir passé beaucoup de temps à mettre en œuvre le système des résumés de témoignage anticipé visant à faciliter la préparation et le contre-interrogatoire efficace au procès, après avoir accordé aux demanderesses le délai dont elles disaient avoir besoin pour produire leurs résumés de témoignage anticipé, et après avoir reçu de celles‑ci l’assurance qu’elles avaient produit des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes, il est insensé pour la Cour d’abandonner le système actuel et de perdre du temps consacré au procès que le système des résumés de témoignage anticipé était censé permettre de gagner.

 

  • [174] Les demanderesses ne sont aucunement lésées par cette approche, qui ne les a pas empêché de produire des éléments de preuve pertinents devant la Cour. Elles ont simplement été priées (puis ont reçu l’ordre) de divulguer au préalable les renseignements nécessaires pour permettre à la Couronne de contre‑interroger de manière efficace au sujet des éléments de preuve pertinents lors du procès.

 

  • [175] Il y a aussi divers autres arguments et questions que les demanderesses soulèvent dans leur réponse afin de justifier l’annulation du procès qui, à mon avis, ne sont pas étayés par le dossier et doivent être abordés pour les motifs que j’ai exprimés. Encore une fois, je ne les aborderai qu’en abrégé :

 

  1. La procédure qui a été adoptée par la Cour concernant l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès a été instamment demandée à la Cour par la Couronne et est approuvée depuis hier, selon notre compréhension des observations présentées par les intervenants.

 

  • [176] La procédure adoptée par la Cour s’applique au redressement accordé sur le fondement du guet‑apens au procès. Dans le cadre de ce processus, les résumés de témoignage anticipé et d’autres aspects du dossier de divulgation préalable sont entrés en jeu pour évaluer le bien‑fondé des objections individuelles. Cette procédure a aussi été instamment demandée à la Cour, par les demanderesses, auxquelles la Cour a accordé un redressement sur le fondement du guet‑apens et qui ont utilisé un résumé de témoignage anticipé pour convaincre la Cour qu’il y avait eu un guet‑apens. Les demanderesses sont revenues sur la position qu’elles avaient adoptée antérieurement et affirment maintenant que ce que fait la Cour lui été instamment demandé par la Couronne et les intervenants. Mais il reste que l’approche utilisée par la Cour pour traiter la question du guet‑apens au procès n’est que la continuité du processus préalable au procès et de l’instruction de l’audience Peshee. J’ai déjà statué sur cette question.

[traduction]

  1. Nous tenons à assurer la Cour que nous ne cherchons pas à remettre en litige les décisions qui ont été rendues.

 

  • [177] Ce que les demanderesses ont soutenu est clair au vu du dossier et très explicite. Du point de vue de la Cour, la décision des demanderesses qui est indiquée dans leur rapport d’étape en date de septembre 2006, soit d’aborder la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, plutôt que selon les directives de la Cour, était une décision de revenir sur la question du système de divulgation préalable mettant en cause les résumés de témoignage anticipé, qui est établi dans diverses décisions de la Cour et sur lequel celle‑ci a statué. Dans leurs diverses tentatives visant à modifier le système au procès, les demanderesses n’ont manifestement pas traité la question des principaux piliers de ce système et de leurs répercussions sur le procès, notamment de l’ordonnance rendue par la Cour le 25 novembre 2004, qui obligeait à produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes. Bien que la Cour ait tranché des objections fondées sur le guet‑apens, les demanderesses tentent de convaincre la Cour de renoncer à tout lien entre les renseignements divulgués dans les résumés de témoignage anticipé et le guet‑apens au procès. Mais ce lien découle nécessairement du système de divulgation préalable conçu pour résoudre les problèmes récurrents à l’étape de la gestion de l’instance et par la suite. Les demanderesses tentent aussi de convaincre la Cour de renoncer à la valeur de précédent de l’audience Peshee de bene esse et aux leçons qui en ont été tirées.

 

  • [178] De plus, dans le cadre de la présente requête, les demanderesses ont remis en question l’audience Peshee et les décisions de la Cour, en se contentant d’affirmer, mais sans démontrer, que ces décisions avaient entraîné un déséquilibre et un énorme avantage pour la Couronne. Pour soutenir les questions soulevées dans la présente requête (déséquilibre et incapacité de plaider leur cause), les demanderesses n’ont pas à soulever de nouveau la question de savoir pourquoi les ordonnances ou les décisions antérieures de la Cour étaient erronées. Ces décisions sont maintenues. Ce sont leurs répercussions qui sont en litige; il ne s’agit pas de débattre à nouveau les raisons pour lesquelles la Cour a commis une erreur ou les demanderesses n’ont pas présenté des arguments et des éléments de preuve supplémentaires lorsque les ordonnances ou décisions en question ont été rendues.

 

    3.  La  position de la Couronne

 

  • [179] Les demanderesses soulignent l’observation suivante de la Couronne :

 

[traduction]

 

Bref, selon la position de la Couronne le principe portant que pour être admissibles les éléments de preuve proposés doivent avoir été divulgués dans les résumés de témoignage anticipé, conformément aux normes établies par la Cour, demeure valable.

 

Les demanderesses affirment que cette observation concerne les résumés de témoignage anticipé, et non les questions liées à la divulgation et à la surprise.

 

  • [180] Les mots de la Couronne doivent être replacés dans leur contexte. Il a été signifié très clairement que si des objections étaient soulevées, c’était la question du véritable guet‑apens qu’il fallait trancher.

 

  • [181] Quoi qu’il en soit, la question à trancher dans la présente requête ne relève pas de la position de la Couronne. Il s’agit de la position de la Cour et des procédures adoptées pour traiter des objections particulières fondées sur le guet‑apens.

 

  • [182] Il est révélateur que dans une requête alléguant que les décisions de la Cour ont créé un énorme déséquilibre, et que la Cour a adopté une règle de droit visant à exclure des éléments de preuve pertinents non indiqués dans un résumé de témoignage anticipé, les demanderesses citent la Couronne, mais nient l’importance des propres mots de la Cour, qui précisent que les résumés de témoignage anticipé ne constituent pas une règle d’exclusion et que la question à trancher est celle du véritable élément de surprise et du guet‑apens, ou encore omettent de référer la Cour à des décisions concrètes afin de lui montrer ce qu’elle fait vraiment.

 

[traduction]

  1. La Cour, et tout tribunal d’appel, pourra maintenant constater à quel point cet interrogatoire préalable a été intensif, et nous soulignons que cette transcription de l’interrogatoire préalable n’a même jamais été présentée à la Cour d’appel fédérale.

 

  • [183] À mesure que des objections individuelles ont été soulevées, il a été loisible aux demanderesses de présenter à la Cour toutes les parties du dossier préalable qu’elles retenaient pour réfuter une allégation de guet‑apens. En réalité, elles ont fait abondamment renvoi à ce dossier, et la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire dans chaque cas et a exposé des motifs.

 

  • [184] Je ne vois pas très bien pourquoi les demanderesses souhaitent me dire ce qui sera présenté à un tribunal d’appel à la présente étape du procès. Bien d’autres choses seraient vraisemblablement présentées à un tribunal d’appel, notamment : mes motifs de refus ou d’accueil des arguments des demanderesses; les éléments de preuve présentés pour chacune des objections; les problèmes liés à l’interrogatoire préalable qui ont entraîné l’imposition de l’exigence de produire des résumés de témoignage anticipé, en sus de tout ce que le reste du processus d’interrogatoire préalable pouvait révéler avant les ordonnances de la Cour traitant des résumés de témoignage anticipé; la propre approbation des demanderesses à l’égard du système et de son utilisation au procès, jusqu’à leurs récentes tentatives de revenir sur leurs anciennes positions, qu’elles ont exhorté la Cour d’accepter et dont elles ont bénéficié.

 

  • [185] Il est évident, dans la présente requête, que même si les demanderesses font renvoi à un dossier volumineux de façon générale et sélectionnent les aspects à l’appui de leur position, elles n’expliquent jamais concrètement et n’invoquent pas expressément ce que les décisions rendues à ce jour les empêchent de faire avec l’aide de témoins précis, sauf pour dire de façon générale qu’elles ne peuvent pas [traduction] « plaider leur cause adéquatement ». Mais elles ne démontrent jamais comment ni pourquoi à la Cour.

 

[traduction]

  1. Nous faisons remarquer, votre Seigneurie, que la décision de la Cour d’appel était une décision rendue concernant la gestion de l’instance. Nous n’en sommes plus à la gestion de l’instance, nous sommes à l’étape du procès.

 

  • [186] Toutes les décisions que la Cour d’appel a éventuellement rendues concernant mes décisions l’ont été dans le cadre d’appels interjetés à l’encontre des décisions dujuge de première instance. Toutes les réunions des avocats auxquelles j’ai assisté étaient des réunions de gestion de l’instruction.

 

    [traduction]

  1. Nous faisons remarquer que le niveau de divulgation que la Couronne a reçu est sans précédent, et que vous n’avez rien entendu qui contredise notre observation à cet égard.

 

  • [187] Il s’agit tout simplement d’une répétition des arguments que les demanderesses ont soulevés à chacune des objections invoquant un guet‑apens. La Cour s’est penchée là‑dessus dans ses décisions.

 

  • [188] De façon générale, cette affirmation n’est pas non plus étayée par le dossier. À titre d’exemple, il a été démontré à la Cour concernant des objections précises que celles‑ci visaient des questions posées aux demanderesses lors de l’interrogatoire préalable, qui n’avaient jamais reçu de réponse significative.

 

[traduction]

  1. Nous n’avons pas vu mon ami produire des décisions dans lesquelles le témoignage d’un témoin profane avait été exclu sur le fondement de résumés de témoignage anticipé dans un procès civil.

 

  • [189] Encore une fois, les demanderesses déforment la question. Dans les présentes procédures, des éléments de preuve ont été exclus sur le fondement du guet‑apens, et non parce que les résumés de témoignage anticipé constituaient un motif légal pour les exclure, comme l’allèguent les demanderesses.

 

  • [190] Il a été fait renvoi aux décisions fondées sur l’exclusion de la preuve du guet‑apens et à l’utilisation d’un résumé de témoignage anticipé pour démontrer le guet‑apens. Ces décisions ont été prises à l’audience Peshee (au procès) des présentes procédures, sur l’exhortation des demanderesses.

 

  • [191] À l’audience Peshee, la question de savoir si la Cour pouvait exclure des éléments de preuve sur le fondement du guet‑apens et se référer à un résumé de témoignage anticipé pour vérifier s’il y avait eu guet‑apens n’a fait l’objet d’aucun litige. Tous les avocats se sont dits d’accord avec cette procédure, et c’est l’avocat des demanderesses qui a exhorté la Cour à l’adopter.

 

[traduction]

  1. Selon notre observation, traiter un témoin profane de la même façon qu’un témoin expert, notamment en comparant un résumé de témoignage anticipé à un rapport d’expert, est inéquitable.

 

  • [192] La Cour a clairement expliqué ce qu’elle a fait dans ses décisions. La Cour n’a jamais dit qu’elle traitait un témoin profane de la même façon qu’un témoin expert. Il s’agit d’une affirmation non corroborée des demanderesses et, en pareil cas, la question de savoir si cela aurait été inéquitable ou non dans les circonstances de l’espèce n’a jamais été intégralement débattue devant moi.

 

  1. Les demanderesses affirment aussi que de toute façon, la Cour a entendu la preuve fondée sur l’histoire orale à l’audience Peshee.

 

  • [193] Dans leurs divers arguments concernant l’audience Peshee, les demanderesses ont tendance à isoler les remarques de leur contexte et à choisir la formulation qu’elles estiment être à l’appui de leur propre point de vue, mais omettent de tenir compte des mots qui ne le soutiennent visiblement pas, puis laissent entendre que dans ses décisions concernant l’audience Peshee la Cour aurait vraiment dû lire intégralement la transcription, même si la Cour a indiqué dans le dossier qu’elle avait lu la transcription intégrale.

 

  • [194] M. Faulds a dit clairement à l’audience Peshee que Mme Peshee était citée [traduction] « comme témoin ordinaire [...] pour témoigner sur des questions qui relèvent de sa connaissance usuelle [...] »

 

  • [195] M. Faulds a dit ceci : [traduction] « on ne demande pas à ce témoin de livrer un témoignage sur les coutumes, on lui demande simplement de dire ce qu’elle sait au sujet des événements survenus dans sa famille, et cela à cette fin précise ».

 

  • [196] Et dans les décisions que j’ai rendues concernant la preuve présentée à l’audience Peshee, j’ai dit ce qui suit :

 

[traduction]

 

[...] il me dit simplement qu’il veut obtenir un exposé de fait quant aux lieux où est allée Mme Goodstone, ce que j’admets sur ce fondement. Je ne l’admets pas comme établissant en soi une sorte - une sorte de coutume se rapportant aux lieux où elle est allée.

 

  • [197] Il serait plus utile pour la Cour que les demanderesses tentent d’aborder les décisions et/ou les remarques dans leur contexte global.

 

  1. Donc ce que nous savons, c’est que M. Healey [à l’audience Peshee] a dit [traduction] « elle livre un témoignage non indiqué dans le résumé de témoignage anticipé » et qu’il ne s’y oppose pas.

 

  • [198] S’il est suggéré que M. Healey a été un parangon d’indulgence à l’audience Peshee, tandis que la Couronne a été maladivement pointilleuse dans ses objections et trop scrupuleuse pendant son contre-interrogatoire, en ce cas je ne crois pas que cela soit étayé par les objections concrètes de M. Healey à l’audience Peshee ou pendant son contre-interrogatoire.

 

  • [199] La raison pour laquelle un témoignage a été livré à l’audience Peshee sans être mentionné dans le résumé de témoignage anticipé, ni indiqué dans les résumés de témoignage anticipé des témoins des demanderesses, c’est que, contrairement aux affirmations des demanderesses dans la présente requête, les résumés de témoignage anticipé ne constituent pas une règle de droit visant l’exclusion. Si aucune objection n’est soulevée, c’est parce qu’il n’y a pas de guet‑apens et que la preuve est admissible. Le fait que M. Healey ne s’oppose pas à certains éléments du témoignage de Mme Peshee qui ne figuraient pas dans son résumé de témoignage anticipé confirme que les résumés de témoignage anticipé ne constituent pas une règle de droit visant l’exclusion dans les présentes procédures.

 

[traduction]

  1. Votre décision figurant dans la transcription de l’audience Peshee pencherait en faveur de l’audition de la preuve, plutôt que de l’exclusion de la preuve.

 

  • [200] J’ai déjà statué sur ce qu’il ressort de la transcription de l’audience Peshee concernant les décisions que j’y ai rendues. Il n’est pas utile de débattre cette question à nouveau dans le cadre de la présente requête.

 

  • [201] La Cour souhaite toujours entendre une preuve pertinente. Mais la Cour doit aussi traiter les objections à la preuve, et c’est ce que la Cour a fait à l’audience Peshee et à l’égard des témoins des demanderesses.

 

[traduction]

  1. Il a été clairement déclaré que l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, plus particulièrement entre les parties, posait un problème (à l’audience Peshee) qui devait être résolu, avant ou pendant le procès. Et nous nous trouvons maintenant face à ce problème au procès.

 

  • [202] Il s’agit d’une affirmation (non corroborée) selon laquelle en s’efforçant de remettre en litige toute la question des résumés de témoignage anticipé au procès, les demanderesses n’ont fait que se conformer à l’audience Peshee.

 

  • [203] Tout d’abord, il n’a pas été établi à l’audience Peshee que le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès était une question tout à fait ouverte. Les questions qui sont demeurées irrésolues après l’audience Peshee y avaient été énoncées.

 

  • [204] Aux fins de la présente requête, les questions de marge de manœuvre et de détail ont été cernées à l’audience Peshee. Il n’aurait pas été nécessaire de résoudre ces questions si tous les participants à l’audience Peshee n’avaient pas compris et accepté que les résumés de témoignage anticipé entreraient en jeu au moment de traiter les objections à la preuve fondées sur le guet‑apens au procès, et qu’il existe un lien nécessaire entre les résumés de témoignage anticipé et l’admissibilité de la preuve au procès.

 

  • [205] La position actuelle des demanderesses, selon laquelle l’acceptation d’une norme applicable aux résumés de témoignage anticipé dans le cadre de la divulgation préalable et leur effort de conformité à la norme sont sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès, n’a pas été soulevée à l’audience Peshee.

 

  • [206] Cette position n’a pas été soulevée à l’audience Peshee pour une foule de raisons, dont les suivantes :

  1. Le lien nécessaire entre les résumés de témoignage anticipé et le guet‑apens au procès est dicté par les normes et les ordonnances de la Cour traitant des résumés de témoignage anticipé. Il serait insensé d’ordonner aux participants de produire des résumés de témoignage anticipé répondant aux normes s’il leur demeurait loisible de produire n’importe quelle preuve sans craindre une objection fondée sur le guet‑apens au procès.

  2. En demandant un redressement à la Cour par suite d’un guet‑apens à l’audience Peshee, et en utilisant un résumé de témoignage anticipé à cette fin, M. Healey a nécessairement confirmé le point évident, soit que les questions d’avis et de guet‑apens sont liées aux normes. Il a affirmé que les normes sont [traduction] « fondamentales ».

  3. Lorsqu’il a soulevé des objections à l’audience Peshee, M. Healey n’a pas soutenu que la divulgation préalable et les résumés de témoignage anticipé étaient sans rapport avec l’admissibilité au procès. En réalité, il a soutenu le contraire et a réussi à en convaincre la Cour.

 

  • [207] À la fin de l’audience Peshee, il restait à approfondir diverses questions concernant les résumés de témoignage anticipé. Mais l’existence d’un lien nécessaire entre les résumés de témoignage anticipé et l’admissibilité de la preuve au procès en ce qui avait trait aux objections fondées sur le guet‑apens a été établie par ordonnance de la Cour et confirmée à l’audience Peshee.

 

  • [208] À la fin de l’audience Peshee, j’ai indiqué ce qui suit :

 

[traduction]

 

Ce que je souhaiterais, c’est qu’en sortant d’ici aujourd’hui après avoir dressé la liste des questions qui ont été soulevées par suite des procédures tenues aujourd’hui [...] que vous entrepreniez le processus de consultation, que vous vous entreteniez et me fassiez éventuellement savoir ce qui devrait faire l’objet d’une discussion et à quel moment nous pourrions utilement avoir une discussion de gestion et parler d’un mode de résolution possible [...] 

 

  • [209] Puis j’ai ajouté ce qui suit :

 

[traduction]

 

[...] Je présume que vous me ferez signe assez prochainement, en gardant à l’esprit notre calendrier général et ce que nous devons prévoir au cours de la brève période dont nous disposons [c’est‑à‑dire, avant d’entamer les pièces de procédure].

 

 

  • [210] À la suite de l’audience Peshee, il y a eu des discussions, mais aucune des questions en suspens concernant les résumés de témoignage anticipé n’a été résolue. Voilà pourquoi les demanderesses ont réalisé qu’elles devaient introduire une requête pour traiter les préoccupations qu’elles pourraient avoir concernant les résumés de témoignage anticipé.

 

  • [211] Cette requête n’a pas été présentée et, éventuellement, la Cour a dû fixer un délai applicable aux requêtes que les demanderesses pourraient souhaiter introduire. Ce délai est expiré.

 

  • [212] En septembre 2006, les demanderesses ont signalé qu’elles n’introduiraient pas de requête, mais qu’elles avaient décidé de suspendre la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé jusqu’au procès.

 

  • [213] C’est ce qui s’est produit.

 

  • [214] En raison de l’expiration du délai imposé par la Cour à l’égard des requêtes concernant les résumés de témoignage anticipé, les demanderesses ne sont manifestement pas en mesure de présenter maintenant au procès une requête traitant du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé. Et pourtant,même si la présente requête est formulée à titre de requête en annulation du procès, elle traite concrètement du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès. Par conséquent, sur ce seul fondement il faudrait la rejeter, parce que les demanderesses se sont vu accorder un délai pour introduire une requête traitant du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès et qu’elles ont refusé de le faire dans le délai imparti.

 

  • [215] Les demanderesses ne peuvent pas tenter maintenant d’accomplir, d’abord par le truchement de décisions, puis dans le cadre d’une requête en annulation du procès, ce qu’elles ont été enjointes à gérer avant le procès.

 

  • [216] De plus, les questions en suspens concernant le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès n’englobaient pas la question de savoir si les normes applicables aux résumés de témoignage anticipé devaient être sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès. Ce lien est établi par ordonnance de la Cour (le lien nécessaire) et confirmé par l’audience Peshee. Toute modification de cette position ne peut s’effectuer qu’en introduisant une requête, et la Cour a dit clairement que les requêtes traitant du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès devaient être présentées dans le délai imparti.

 

  • [217] Donc si la présente requête constitue, de la part des demanderesses, une tentative visant à faire annuler le lien entre les résumés de témoignage anticipé et l’admissibilité de la preuve au procès dans les cas d’allégation de guet‑apens, les demanderesses sont hors délai.

 

  • [218] Une requête en annulation du procès n’est pas statuée en soi. Mais une pareille requête doit supposer l’existence du lien nécessaire entre les normes établies concernant les résumés de témoignage anticipé (dont les demanderesses ont dit qu’elles étaient [traduction] « fondamentales ») et l’admissibilité de la preuve, pour le cas où une objection fondée sur le guet‑apens serait soulevée.

 

  • [219] Les demanderesses ne peuvent pas ignorer un délai fixé par la Cour, puis présenter au procès une requête traitant du thème (le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès) qu’elles avaient été enjointes à aborder par voie de requête dans le délai imparti.

 

  • [220] L’affirmation des demanderesses selon laquelle il a été établi à l’audience Peshee que les questions en suspens concernant les résumés de témoignage anticipé pouvaient être traitées au procès n’est corroborée par aucun renvoi à l’audience Peshee, et elle est clairement contredite par mes propres paroles lors de ladite audience et par le délai ultérieur que j’ai imposé dans les directives que j’ai présentées le 24 août 2006.

 

[traduction]

  1. Je ne veux pas remettre en litige vos décisions; selon notre observation, c’est la position qui avait été prise.

 

  • [221] Cette distinction n’est pas défendable. Les positions qui ont été adoptées à l’audience Peshee sont signalées dans mes décisions et font partie de leur fondement. Soutenir que les positions adoptées à l’audience Peshee ne concordent pas avec mes décisions équivaut à remettre en litige mes décisions.

 

  • [222] Il s’agit manifestement d’une question très préoccupante dans le cadre de procédures où la Cour a déjà dû avertir les demanderesses au sujet de la remise en litige de questions déjà tranchées, et où des dépens ont été attribués aux demanderesses afin de les dissuader de recourir à cette pratique.

 

[traduction]

  14.  Comme les demanderesses ont de nombreux témoins profanes et que la Couronne n’en a qu’un, l’exigence de produire des résumés de témoignage anticipé est inéquitable.

 

  • [223] Il s’agit d’une affirmation non corroborée que les demanderesses n’ont même pas tenté de prouver ou de justifier. Elle n’a jamais été soulevée avant le procès, et dans le passé, les demanderesses ont assuré la Cour qu’elles étaient en mesure de rédiger des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes.

 

  • [224] En revoyant la transcription de l’audience Peshee, encore une fois aux fins de la présente requête, je constate que M. Healey réplique à cet argument à plusieurs reprises. Par exemple, à la page 85, aux lignes 14 à 18, il dit ceci :

 

[traduction]

 

Et ce que je crains ici, ce n’est pas seulement l’iniquité et la double norme. Un guet‑apens est un guet‑apens. Ce que je veux dire, c’est que l’essentiel du témoignage que M. Faulds cherchait à présenter ici n’était même pas indiqué dans le résumé de témoignage anticipé.

 

Il est difficile pour la Cour de comprendre pourquoi les demanderesses allèguent maintenant que la Cour a créé un procès inéquitable, alors que la Cour a simplement fait les choses que leur propre avocat avait préconisées énergiquement.

 

  • [225] Un guet‑apens est un guet‑apens, sans égard au nombre de témoins. Les mêmes normes s’appliquent à tous les témoins profanes. Supprimer le lien qui existe entre les résumés de témoignage anticipé et le guet‑apens aurait pour seul résultat d’accorder aux demanderesses le droit de tendre un guet‑apens à la Couronne au moyen des résumés de témoignage anticipé, les témoins ne devant censément aborder que les éléments indiqués dans leurs résumés de témoignage anticipé. Le fait que les demanderesses aient de nombreux témoins profanes a pour seul effet de rendre le contre‑interrogatoire plus onéreux et l’utilisation de résumés de témoignage anticipé encore plus nécessaire dans les présentes procédures.

 

[traduction]

  15.  Compte tenu du nombre de témoins que citent les demanderesses, de la tâche difficile qui les attend afin de prouver des faits qui sont survenus il y a des centaines d’années, et du fardeau qui leur incombe pour faire valoir des allégations, vous devriez prendre ces facteurs en considération avant de décider d’exclure des éléments de preuve qui ne sont pas mentionnés dans un résumé de témoignage anticipé, mais qui sont pertinents et importants.

 

  • [226] La Cour s’est penchée sur ces facteurs dans le cadre de ses décisions. Les demanderesses ne font que soutenir à nouveau des facteurs abordés dans les décisions qui ont été rendues.

 

  • [227] L’exigence de produire des résumés de témoignage anticipé et les normes ont été établies il y a longtemps et ont été acceptées par les demanderesses. Les mêmes difficultés existaient à l’époque, et les demanderesses ont assuré à maintes reprises la Cour et les autres participants que leurs résumés de témoignage anticipé étaient conformes aux ordonnances de la Cour traitant des résumés de témoignage anticipé, même dans le cadre de la présente requête.

 

  • [228] Il est encore plus difficile de contre‑interroger sur des faits survenus il y a longtemps. Les demanderesses ont accès à leurs témoins. La Couronne n’y a pas accès et doit compter sur la divulgation pour éviter le guet‑apens. C’est pourquoi les résumés de témoignage anticipé ont été imposés.

 

[traduction]

  16.  Nous faisons observer que cette question (c’est‑à‑dire, le rôle des résumés de témoignage anticipé et leur lien avec la preuve au procès) ne devrait pas être résolue dans le cadre de la gestion de l’instance, et nous faisons aussi observer qu’elle devrait l’être au procès, devant le juge de première instance.

 

  • [229] Je n’interviens pas, et ne suis jamais intervenu, au niveau de la gestion de l’instance. J’ai rendu toutes mes décisions concernant les résumés de témoignage anticipé en qualité de juge de première instance. L’audience Peshee constituait le procès.

 

  • [230] L’exigence de présenter des résumés de témoignage anticipé a été imposée par le juge responsable de la gestion de l’instance, mais les aspects concernant le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès dont j’ai été saisi ont été abordés par le juge de première instance.

 

  [traduction]

  17.  Le contre-interrogatoire d’un témoin peut, en réalité, fournir des indices sur ce qui peut se produire à l’égard d’un prochain témoin en contre‑interrogatoire.

 

  • [231] Tout cela peut être pris en compte si une objection particulière est soulevée. Il est manifestement loisible aux demanderesses d’avancer cet argument au moment opportun.

 

  [traduction]

  18.  Les décisions que vous avez rendues en octobre et novembre 2004 – c’est‑à‑dire les 18 octobre et 25 novembre – sont des décisions relevant de la gestion de l’instance qui ont été rendues avant le procès. Nous sommes maintenant à l’étape du procès.

 

  • [232] Je n’ai jamais été le juge responsable de la gestion de l’instance. J’ai rendu toutes mes décisions à titre de juge de première instance. Le fait que certaines décisions aient été rendues par voie de requête avant le début du procès ne les assimile pas à des décisions relevant de la gestion de l’instance. Il s’agissait dans tous les cas de requêtes qui auraient été présentées au procès si le procès avait débuté avant qu’elles n’aient été introduites. Les retards à entamer le procès au moment prévu étaient en grande partie attribuables à des violations des ordonnances de la Cour de la part des demanderesses. Les requêtes que les demanderesses ont introduites ont retardé le procès encore davantage. Ultérieurement, les demanderesses se sont vu accorder un délai afin que leurs nouveaux avocats puissent se familiariser avec les procédures.

 

[traduction]

  19.  Dans la plupart des cas, un juge de première instance ne peut pas être entravé par la gestion de l’instance.

 

  • [233] J’ai traité la question du guet‑apens au procès. En conséquence, j’ai été forcé d’examiner la divulgation préalable afin de donner un sens à ce qui se déroulait sous mes yeux au procès. Mais mes décisions sont rendues au procès. Lorsqu’ils soulèvent ces décisions, il est loisible aux avocats de me référer à tous les éléments qu’ils souhaitent me voir examiner. Les demanderesses l’ont certainement fait.

 

  • [234] Les demanderesses formulent divers commentaires concernant les rôles respectifs d’un juge responsable de la gestion de l’instance et d’un juge de première instance, mais elles ne donnent aucune précision, et rien n’indique comment ces distinctions peuvent avoir influé sur les questions d’équité qui sont soulevées dans la présente requête.

 

[traduction]

20.  Le processus d’instruction est tel que l’admissibilité de la preuve au procès  est déterminée au procès, par le juge de première instance.

 

  • [235] C’est précisément ce qui s’est passé en l’espèce. J’ai traité chaque objection dès qu’elle a été soulevée. Mais de pareilles décisions ne sont pas prises dans l’abstrait. Des facteurs dont il faut tenir compte pour établir l’admissibilité au procès peuvent fort bien survenir avant le procès. Il en est survenu à coup sûr lors de l’audience Peshee.

 

[traduction]

  1. Affirmer que vous pouvez résoudre cette question pendant le réinterrogatoire n’est pas une réponse. Nous faisons observer qu’il est inéquitable pour les demanderesses d’être dans l’impossibilité de produire cette preuve en première instance. Et nous faisons observer aussi qu’il est inéquitable pour les demanderesses de devoir attendre, afin de voir si la Couronne tentera de poser des questions en contre‑interrogatoire.

 

  • [236] Ce que les demanderesses laissent entendre ici, c’est qu’elles ont décidé qu’elles allaient considérer leurs propres résumés de témoignage anticipé comme motif légal pour exclure des éléments de preuve pertinents, et que leur propre décision de le faire est inéquitable.

 

  • [237] En premier lieu, rien n’empêche les demanderesses d’essayer de produire des éléments de preuve, même s’ils ne sont pas mentionnés dans un résumé de témoignage anticipé. Si elles n’essaient pas de produire tous les éléments de preuve qu’elles souhaitent produire, il s’agit de leur décision, et non de celle de la Cour.

 

  • [238] Si aucune objection n’est soulevée, le résumé de témoignage anticipé n’entrera même pas en jeu.

 

  • [239] Si une objection est soulevée, la Cour analysera son bien‑fondé.

 

  • [240] Parce que certaines décisions que la Cour a rendues ne leur plaisent pas, les demanderesses affirment, en réalité, que si la Cour ne rompt pas le lien qui existe entre les résumés de témoignage anticipé et la question du guet‑apens au procès, elles n’essaieront pas de produire des éléments de preuve non mentionnés dans leurs résumés de témoignage anticipé conformément aux normes.

 

  • [241] Mais tout cela se fonde sur une idée fausse, soit que la Cour, malgré qu’elle ait dit précisément le contraire, a fait des résumés de témoignage anticipé un motif légal pour exclure des éléments de preuve.

 

  • [242] Si les demanderesses procèdent comme elles l’indiquent ici, ce seront elles qui auront décidé d’assimiler leurs propres résumés de témoignage anticipé à un motif légal d’exclusion.

 

  • [243] Les demanderesses n’ont pas à attendre afin de voir si la Couronne tentera de poser des questions en contre-interrogatoire. Il s’agit d’une autre idée fausse.

 

  • [244] Les demanderesses sont simplement contrariées du fait qu’en produisant leur preuve, elles se sont heurtées à des objections fondées sur le guet‑apens, et elles souhaitent que la Cour refuse à la Couronne de soulever des arguments fondés sur le guet‑apens, même si elles‑mêmes l’ont fait à l’audience Peshee.

 

  • [245] Par ailleurs, les demanderesses ont refusé de s’attaquer à la principale incohérence que comporte la position suivante : si leurs résumés de témoignage anticipé sont conformes aux normes ordonnées par la Cour (comme elles l’ont allégué de façon itérative), comment se trouveraient‑elles dans l’impossibilité de produire les éléments de preuve de leur choix, même si les résumés de témoignage anticipé constituaient un motif légal d’exclusion?

 

  • [246] Les observations des demanderesses ne sont pas corroborées, contredisent ce que la Cour a dit faire et a fait concrètement, sont peu convaincantes en raison de la contradiction fondamentale qu’elles comportent et ne constituent certainement pas un motif justifiant l’annulation du procès.

 

  • [247] Il y a de nombreuses autres raisons qui militent contre l’acceptation de la position des demanderesses alléguant l’iniquité sur ce point. À titre d’exemple, s’il y a des éléments de preuve que les demanderesses souhaitent produire, elles se sont vu accorder le temps dont elles disaient avoir besoin pour s’assurer qu’ils figureraient dans leurs résumés de témoignage anticipé, afin qu’aucune objection fondée sur le guet‑apens ne puisse même être soulevée au procès. De surcroît, les demanderesses ont assuré à maintes reprises la Cour et les autres participants que ce que leurs témoins ont à dire est énoncé dans leurs résumés de témoignage anticipé, conformément aux normes.

 

[tradcution]

  22.  Nous ne revenons sur aucune des positions que nous avons adoptées concernant les résumés de témoignage anticipé. Nous faisons observer qu’ils devaient servir à la divulgation préalable. Nous faisons aussi observer qu’ils ne visaient pas à exclure des éléments de preuve pertinents présentés au procès.

 

  • [248] La Cour a déjà conclu que les demanderesses sont revenues sur les positions qu’elles avaient adoptées à l’audience Peshee et sur les implications nécessaires de leurs assurances itératives, selon lesquelles leurs résumés de témoignage anticipé sont conformes aux normes ordonnées par la Cour.

 

  • [249] Les résumés de témoignage anticipé faisaient partie de la divulgation préalable, dont ils constituaient une part très importante. Ils ne sont pas pour autant non pertinents lorsqu’il s’agit de traiter les objections fondées sur le guet‑apens au procès.

 

  • [250] Les demanderesses n’ont pas démontré, à l’aide du dossier, à quel moment avant le procès elles avaient fait valoir ou soutenu que les résumés de témoignage anticipé ne joueraient aucun rôle lorsqu’il s’agirait d’examiner l’admissibilité des éléments de preuve pertinents au procès, en cas d’objection fondée sur le guet‑apens.

 

  • [251] Les demanderesses n’ont pas non plus allégué que la Couronne ne pouvait pas soulever d’objections fondées sur le guet‑apens. Elles fondent la présente requête sur un argument général erroné, selon lequel la Cour utiliserait les résumés de témoignage anticipé comme motif légal pour exclure des éléments de preuve pertinents. Mais elles ne tiennent pas compte des décisions précises de la Cour qui laissent penser le contraire.

 

[traduction]

  23.  On a laissé le présent procès se transformer au point de devenir un procès qui ne se déroule pas normalement, et cette transformation en un procès anormal s’est amorcée dès le tout début des procédures, quand nous avons entendu les positions avancées par la Couronne qui avaient trait aux résumés de témoignage anticipé concernant Darrel Crowchild et Regena Crowchild.

 

  • [252] Si le présent procès était effectivement devenu un procès anormal, le moment où cela se serait produit serait l’audience Peshee, et cela se serait produit sur les conseils de l’avocat des demanderesses.

 

  • [253] Mais le présent procès n’est pas anormal. Il n’y a rien d’anormal dans le fait que la Cour doive traiter des objections fondées sur le guet‑apens au procès et examiner les parties pertinentes du dossier auxquelles font renvoi les avocats, afin de statuer sur leur bien‑fondé.

 

[traduction]

  24.  Nous croyons comprendre que la Cour a déjà décidé qu’elle exclura des éléments de preuve, malgré la divulgation.

 

  • [254] Il y a une nette distinction entre ce que les demanderesses peuvent comprendre et ce que la Cour a vraiment décidé. La responsabilité de la « compréhension » éventuelle des demanderesses incombe à leur avocat. Elle n’incombe pas à la Cour. La Cour a rendu des décisions traitant du guet‑apens.

 

[traduction]

  25.  Ce point acquis, nous convenons que dans le cadre de la gestion de l’instance, des directives ont été émises, selon lesquelles les parties, les deux demanderesses et la Couronne, ainsi que les intervenants devaient fournir des résumés de témoignage anticipé.

 

  • [255] Le dossier dit le contraire. L’ordonnance préparatoire du juge Hugessen en date du 26 mars 2004 n’était pas une directive. Il s’agissait d’une ordonnance de la Cour, que les demanderesses ont violée.

 

  • [256] De plus, mes examens de cette question, en qualité de juge de première instance, sont incorporés dans les ordonnances de la Cour auxquelles les demanderesses se sont conformées, selon l’assurance qu’elles ont donnée à la Cour et aux autres participants.

 

[traduction]

  26.  Je vous réfèrerai tout d’abord à une transcription des procédures de gestion de l’instance qui se sont déroulées par voie de conférence téléphonique, le 7 janvier 2005.

 

  • [257] Cela est inexact. Le dossier officiel de la Cour indique qu’il s’agissait d’une conférence de gestion de l’instance.

 

  27.   Indication à la Couronne

 

  [traduction]

  [350]

La Cour :  Je cherche [...] un message clair. Il s’agira de notre position au procès. Et préparez‑vous.

[...]

 

M. Molstad :  La défense d’une cause et la préparation à un procès sont selon moi des choses au sujet desquelles tous les avocats peuvent en dire long, et lorsqu’ils se voient fournir des résumés de témoignage anticipé dans une action au civil concernant les témoins qui peuvent être cités, il est [...] il est fort, fort improbable qu’ils se contentent de s’asseoir, de lire les résumés de témoignage anticipé, puis d’entrer dans une salle d’audience, notamment s’il y a déjà eu une divulgation importante à cet égard, y compris un procès antérieur.

 

 

  • [258] La question de la Cour n’a jamais vraiment reçu de réponse. Il ressort du dossier que rien n’indiquait clairement que les demanderesses allaient adopter la position portant que leurs résumés de témoignage anticipé ne pouvaient pas être liés aux allégations de guet‑apens soulevées au procès, ni à l’admissibilité de la preuve.

 

  • [259] La réponse de M. Molstad ne tient pas compte non plus de la nature particulière des problèmes antérieurs au procès dans le cadre des présentes procédures, des raisons pour lesquelles les résumés de témoignage anticipé se sont avérés nécessaires, de la forme particulière que ces résumés de témoignage anticipé devaient prendre (c’est‑à‑dire, les normes « fondamentales »), ni des observations maintes fois formulées par les demanderesses indiquant que leurs résumés de témoignage anticipé respectaient les normes et devaient donc consister en un compte rendu, présenté sous forme synoptique, de ce chaque témoin allait dire.

 

[traduction]

  1. Les demanderesses se trouvent dans une position où elles sont incapables de produire des éléments de preuve, en dépit de la divulgation .

 

  • [260] Le dossier dit le contraire. Les demanderesses peuvent tenter de produire les éléments de preuve de leur choix, mais elles doivent être prêtes à faire face aux objections fondées sur le guet‑apens. Si de pareilles objections sont soulevées, les demanderesses peuvent alors démontrer à la Cour, pour chaque objection, ce qui a été divulgué et pourquoi elle devrait rejeter l’allégation de guet‑apens dans ce cas particulier.

 

  • [261] Les demanderesses ont aussi signifié clairement à la Cour et aux autres participants que la preuve qu’elles souhaitaient produire par l’intermédiaire de leurs témoins était énoncée dans les résumés de témoignage anticipé respectifs, conformément aux normes établies par la Cour. Il n’y a rien, dans quelque décision que ce soit, qui empêche les demanderesses de faire précisément cela.

 

[traduction]

  29.  Les demanderesses ne peuvent pas demander à un témoin d’aborder une question non indiquée dans le résumé de témoignage anticipé, même si elles prévoient que la Couronne contre‑interrogera sur cette question précise.

 

  • [262] Le dossier dit le contraire. Les demanderesses peuvent prier un témoin d’aborder une question, même si elle n’est pas mentionnée dans un résumé de témoignage anticipé. Elles l’ont déjà fait.

 

  • [263] Les demanderesses n’ont pas à prévoir ce que peut faire la Couronne. Il leur suffit, comme dans tout procès, de produire les éléments de preuve de leur choix par l’intermédiaire d’un témoin et de traiter les objections à mesure qu’elles sont soulevées.

 

  • [264] Ce que la Cour a appris dans le cadre de la présente requête laisse penser que la situation actuelle difficile des demanderesses et les problèmes qu’elles éprouvent peuvent trouver leur origine dans leurs résumés de témoignage anticipé. S’ils sont conformes, comme les demanderesses l’affirment avec insistance, il ne peut y avoir de problème de guet‑apens à résoudre. On a dit aux demanderesses quoi indiquer dans leurs résumés de témoignage anticipé. Elles se sont vu accorder le temps dont elles disaient avoir besoin pour respecter les normes. En réalité, on leur a ordonné de les respecter. Elles ont assuré la Cour et les autres participants qu’elles avaient respecté les normes.

 

  • [265] Les demanderesses veulent maintenant que la Cour admette, en réalité, qu’elles ne devraient pas être tenues responsables s’il s’avère qu’elles ont violé une ordonnance de la Cour et que leurs observations et leurs assurances se révèlent inexactes.

 

  • [266] Mais il est évident que la responsabilité incombe carrément aux demanderesses et ne peut être déchargée sur la Couronne ou sur la Cour en alléguant que tout le système est inéquitable, d’autant plus que les demanderesses ont déjà utilisé le système à leur avantage et ne l’ont pas trouvé injuste à ce moment‑là.

 

La période suivant l’audience Peshee

 

  • [267] Les demanderesses portent maintenant à mon attention de nouveaux documents, notamment de la correspondance entre avocats et des rapports mensuels, qu’elles affirment être à l’appui de leur position dans la présente requête. Mais la Cour ne voit pas en quoi ces documents aident les demanderesses de quelque façon que ce soit.

 

  • [268] Selon la position des demanderesses dans la présente requête, la Cour a utilisé les résumés de témoignage anticipé comme motif légal pour exclure des éléments de preuve pertinents que les demanderesses souhaitaient produire. Comme je l’ai déjà souligné, ce n’est pas ce que la Cour a fait. La Cour a évalué les objections à la preuve fondées sur le guet‑apens et, dans le cadre de cette évaluation, a estimé l’importance des résumés de témoignage anticipé. Les demanderesses n’ont pas soutenu – à tout le moins pas directement – que les objections à la preuve fondées sur le guet‑apens ne pouvaient pas être soulevées. Et si elles peuvent être soulevées, il est difficile de voir pourquoi la Couronne, ou toute partie ayant formulé une objection, ne devrait pas être autorisée à faire renvoi au résumé de témoignage anticipé pertinent, ou encore à une autre partie du dossier ou à d’autres documents, pour démontrer qu’il y a eu un guet‑apens. Dans les nouveaux documents présentés à la Cour pour la période postérieure à l’audience Peshee, rien ne modifie cette situation de base.

 

  • [269] Les demanderesses veulent que la Cour admette leur position actuelle, selon laquelle l’acceptation d’une norme applicable aux résumés de témoignage anticipé dans la divulgation préalable et leur effort pour s’y conformer sont sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès. Nous ne voyons pas clairement ce que supposerait l’acceptation de cette proposition.

 

  • [270] Par exemple, cela voudrait‑il dire que tous les participants seraient dans l’impossibilité de s’opposer à la présentation d’éléments de preuve au procès ou aux motifs du guet‑apens? Ayant à l’esprit que les demanderesses n’ont pas soutenu une pareille position et ont elles‑mêmes demandé et obtenu un redressement au procès sur le fondement du guet‑apens, cela semblerait improbable.

 

  • [271] Ou bien cela voudrait‑il dire que si des objections sont soulevées sur le fondement du guet‑apens, il n’est pas possible de faire renvoi aux résumés de témoignage anticipé pour démontrer le guet‑apens? Encore une fois, il est difficile de comprendre comment ou pourquoi une partie du dossier, ou des documents quelconques, ne devraient pas être pertinents à la question du guet‑apens, ni pourquoi l’une ou l’autre partie ne devrait pas faire renvoi aux résumés de témoignage anticipé, surtout, encore une fois, si les demanderesses l’ont fait elles‑mêmes.

 

  • [272] Il semble à la Cour que l’opinion des demanderesses selon laquelle l’acceptation d’une norme applicable aux résumés de témoignage anticipé et leur effort pour s’y conformer sont sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès ne pourrait avoir de sens que si la Cour devait admettre la thèse erronée des demanderesses, soit que la Cour a utilisé les résumés de témoignage anticipé comme motif légal pour exclure des éléments de preuve admissibles pertinents au procès, et le problème que pose cette position, c’est que la Cour n’a rien fait de tel.

 

  • [273] Par conséquent, il est difficile de voir quelle pertinence ou incidence pourraient avoir les documents postérieurs à l’audience Peshee pour le régime de divulgation et les facteurs qui sont entrés en jeu lorsque la Cour s’est penchée sur les objections fondées sur le guet‑apens au procès.

 

  • [274] La Cour elle‑même a demandé aux demanderesses à quel moment du procès elles avaient signalé pour la première fois à la Couronne qu’elles estimaient ne pas être confinées aux limites des résumés de témoignage anticipé. Comme l’a souligné la Couronne, cette question ne soulève pas exactement les points en litige, mais c’est le moyen que la Cour a utilisé pour tenter de découvrir si les demanderesses avaient avisé la Couronne, ou si la Couronne avait reconnu ou admis la position des demanderesses, à savoir que l’acceptation d’une norme applicable aux résumés de témoignage anticipé avant le procès serait sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès, ou bien que le régime des résumés de témoignage anticipé exposé dans les ordonnances de la Cour, les observations et assurances des demanderesses, les directives de la Cour, ainsi que la valeur de précédent de l’audience Peshee, seraient dissouts, et la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé était une question ouverte qui pouvait être débattue à nouveau au procès.

 

  • [275] La position de base des demanderesses semble être qu’en raison du fait qu’elles ont indiqué dans leur rapport en date de septembre 2006 qu’elles n’avaient pas l’intention d’introduire une requête, et du fait qu’elles ont affirmé qu’elles ne s’attendaient à ce que la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé soit nécessairement abordée au procès, cette question devenait entièrement ouverte et la Couronne se trouvait avisée de la position qu’elles‑mêmes adopteraient.

 

  • [276] Comme je l’ai déjà souligné, aucun élément de la décision unilatérale exprimée dans le rapport en date de septembre 2006 n’a pour effet d’ouvrir entièrement la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé, qu’il demeurerait alors nécessaire d’établir au procès. À la suite de l’audience Peshee, il était évident qu’il fallait continuer à débattre certaines questions. Elles ont été cernées à l’audience Peshee. Mais l’opinion actuelle des demanderesses, selon laquelle l’acceptation de normes aux fins de la divulgation préalable est sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès, n’a été ni soulevée ni cernée à l’audience Peshee, et cela, parce que le lien entre les normes et l’admissibilité de la preuve au procès découle nécessairement des ordonnances de la Cour traitant des résumés de témoignage anticipé, de l’acceptation des normes établies par la Cour de la part des demanderesses et de l’assurance (même dans le cadre de la présente requête) que ces dernières ont respecté ces normes.

 

  • [277] Il est donc difficile pour la Cour de comprendre comment les facteurs qui régissent le lien entre les normes applicables aux résumés de témoignage anticipé et l’admissibilité au procès pourraient changer après l’audience Peshee, simplement parce que les demanderesses ont décidé de façon unilatérale de ne pas introduire de requête concernant les résumés de témoignage anticipé, mais de soulever et de faire valoir la question de leur rôle et de leur utilisation au procès. Bien entendu, les demanderesses ont fait valoir le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, mais cela ne veut pas dire que le lien en question (qui permet de surmonter le guet‑apens) constitue une question tout à fait ouverte. Ce lien, au moment du procès, avait déjà été bien établi, comme je l’ai indiqué. La seule pertinence d’un fait survenu après l’audience Peshee serait de démontrer que ce lien pourrait avoir été brisé, par suite de quoi la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès serait alors tout à fait ouverte. Et même s’il s’agissait d’une question tout à fait ouverte, pour autant cela n’invaliderait pas ni ne rendrait inéquitables les décisions prises à ce jour au procès. Les demanderesses doivent donc montrer que leur position selon laquelle il n’y a aucun lien entre les normes adoptées avant le procès et la preuve admissible a été acceptée par la Couronne, ou que la Couronne avait convenu que cette question demeurait irrésolue et pouvait être débattue au procès. Et il n’y a absolument aucune preuve de cela.

 

  • [278] L’absence d’une pareille preuve s’explique de toute évidence. Cela voudrait dire que la Couronne aurait convenu de ne pas soulever de questions fondées sur le guet‑apens au procès, ou, dans le cas contraire, de ne pas faire renvoi aux résumés de témoignage anticipé pour démontrer le guet‑apens. Compte tenu de tout ce qui est arrivé dans la présente poursuite, ainsi que des problèmes liés à la divulgation préalable par suite desquels les résumés de témoignage ont été nécessaires, il serait tout à fait insensé pour la Couronne d’admettre qu’il ne devrait y avoir aucun lien entre les normes applicables aux résumés de témoignage anticipé et l’admissibilité de la preuve au procès, ou que les demanderesses pouvaient débattre de nouveau cette question au procès, sans égard aux implications nécessaires des ordonnances de la Cour et à la valeur de précédent de l’audience Peshee.

 

  • [279] La partie qui a soutenu à l’audience Peshee que les normes applicables aux résumés de témoignage anticipé étaient [traduction] « fondamentales » lorsqu’il était question du guet‑apens et de l’avis suffisant, allègue maintenant non seulement que les normes sont sans rapport avec le guet‑apens et l’avis, mais aussi que la Couronne avait convenu, ou à tout le moins compris, que ces éléments seraient sans rapport, ou encore que la Couronne avait convenu qu’il était loisible aux demanderesses de débattre à nouveau la question. Il s’agit d’un argument qui n’est pas plausible en soi et qui exigerait une preuve claire que la Couronne avait adopté cette position. Il n’y a aucune preuve à cet effet.

 

  • [280] Voici le point de vue exprimé par les demanderesses au sujet de ce qu’il ressort des nouveaux documents :

 

[traduction]

 

Ce que révèlent ces documents, c’est qu’il y a deux ans – ou environ deux ans –, il y aura deux ans dans une semaine, les demanderesses ont communiqué à la Couronne et aux intervenants que selon leur position, les plaidoiries, et non les résumés de témoignage anticipé, devaient régir la pertinence et l’admissibilité de la preuve au procès.

 

  • [281] À maints égards il s’agit d’une curieuse conclusion. Premièrement, la pertinence n’est pas en cause dans la présente requête et personne n’a soutenu que la pertinence était tributaire des résumés de témoignage anticipé. La pertinence est régie par les plaidoiries.

 

  • [282] Deuxièmement, personne n’a soutenu que les plaidoiries étaient sans rapport avec l’admissibilité. Si seuls les éléments de preuve pertinents sont admissibles, les plaidoiries influent manifestement sur les questions d’admissibilité. Mais ce n’est pas parce qu’un élément de preuve est pertinent qu’il est automatiquement admissible. Il y a des raisons qui expliquent qu’un élément de preuve pertinent puisse être exclu, et dans le présent procès, le guet‑apens est l’une de ces raisons. Tant les demanderesses que la Couronne ont utilisé le guet‑apens comme motif pour exclure des éléments de preuve pertinents. Et tant les demanderesses que la Couronne ont utilisé les résumés de témoignage anticipé pour justifier les objections fondées sur le guet‑apens.

 

  • [283] Troisièmement, en réalité la position est une « proposition », et une proposition ne peut rien changer au statu quo, à moins d’être acceptée d’une manière ou d’une autre. Il n’y a aucune preuve de l’acceptation.

 

  • [284] Quatrièmement, même le résumé de ce qui a été communiqué à la Couronne par les demanderesses ne relève pas du contexte global du dossier.

 

  • [285] Si la position des demanderesses est que [traduction] « l’acceptation d’une norme de présentation de résumés de témoignage anticipé lors de la divulgation préalable et les efforts qu’elles ont déployés afin de s’y conformer sont [...] sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès », en ce cas une pareille proposition n’a jamais été présentée par les demanderesses, ni, à plus forte raison, été acceptée par la Couronne.

 

  • [286] Il ressort de la preuve que M. Shibley a utilisé ses bons offices pour tenter d’obtenir le consensus des participants au sujet du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès et éviter ainsi de devoir introduire une requête officielle. J’ai souscrit à ce processus dans certaines directives, mais je ne me suis pas penché précisément sur ce qui se passait et ce qui était proposé. J’ai simplement ordonné que [traduction] « les avocats continuent de s’efforcer de parvenir à un accord au sujet de l’incidence des résumés de témoignage anticipé sur la preuve qui doit être produite au procès ». Je présumais à l’époque que les avocats assuraient le suivi des suggestions que j’avais faites à l’audience Peshee, et qu’ils débattaient les questions qui y avaient été soulevées parce qu’elles exigeaient une plus ample discussion et l’éventuelle bénédiction de la Cour avant le début du procès.

 

  • [287] La seule proposition que je puisse trouver dans les documents auxquels les demanderesses me réfèrent maintenant est celle qui a été présentée par M. Healey et Mme Hiptner le 19 mai 2005, et qui est rédigée en ces termes :

 

[traduction]

 

Ce qui suit est la proposition des demanderesses concernant le rôle, l’utilisation et l’effet des résumés de témoignage anticipé au procès. Les plaidoiries, et non les résumés de témoignage anticipé, doivent régir la pertinence et l’admissibilité de la preuve au procès. Ces documents seront utilisés pour aviser et éviter l’effet de surprise, à condition de faire suffisamment renvoi aux aspects et à l’essentiel du témoignage que le témoin livrera, de façon à aviser et à éviter l’effet de surprise au procès.

 

  • [288] Cette proposition traite de deux documents importants : les plaidoiries et les résumés de témoignage anticipé de chacun des témoins.

 

  • [289] En ce qui concerne les plaidoiries, la proposition indique qu’elles doivent régir la pertinence et l’admissibilité de la preuve au procès. La pertinence ne fait l’objet d’aucune argumentation et, bien entendu, les plaidoiries régissent l’admissibilité générale parce qu’elles sont liées à la pertinence.

 

  • [290] Mais il est aussi affirmé dans la proposition que, lorsqu’il s’agit de la surprise au procès, les plaidoiries entreront en jeu, mais le résumé de témoignage anticipé jouera aussi un rôle. Si les plaidoiries devaient servir de mesure exclusive de la surprise au procès, la phrase concernant les résumés de témoignage anticipé n’aurait aucune raison d’être. Ou bien il en est ainsi, ou bien la proposition est très ambiguë.

 

  • [291] À vrai dire, un autre avocat a relevé cette ambiguïté et a demandé des éclaircissements. Les demanderesses se sont vu demander en quoi cette proposition différait de ce qui s’était passé à l’audience Peshee. Mais aucun éclaircissement n’a été apporté.

 

  • [292] La Couronne a clairement signifié qu’à ses yeux, rien de ce que les demanderesses avaient présenté ne constituait [traduction] « une proposition raisonnable ou une proposition de fond quant à la façon dont nous devrions procéder au procès ». Au vu de la lettre de M. Healey en date du 19 mai 2005, je peux voir pourquoi. Elle est ambiguë.

 

  • [293] Pour ambiguë qu’elle soit, cependant, cette lettre éclaircit plusieurs questions. L’une d’elles est que lorsqu’il s’agit d’examiner la surprise au procès, selon le point de vue des demanderesses, le rôle du résumé de témoignage anticipé consistait à aviser et à éviter la surprise au procès. Deuxièmement, la surprise au procès est créée en fonction du résumé de témoignage anticipé de chaque témoin. Il n’est pas fait mention du reste du dossier de divulgation préalable. Les principaux documents qui permettent d’éviter la surprise sont les plaidoiries et les résumés de témoignage anticipé.

 

  • [294] Nous pouvons aussi éclaircir un peu plus cette proposition parce que nous savons que M. Healey voulait dire [traduction] « l’essentiel du témoignage », et cela, parce qu’il avait utilisé et précisé cette étape à l’audience Peshee :

 

[traduction]

 

Il s’agit d’aviser. Et quand je dis l’essentiel du témoignage [Je souligne.] c’est, cela me ramène simplement à l’utilisation que le juge Rothstein a faite de ce mot en parlant des résumés de témoignage anticipé, mais c’est – c’est ce que je tente de faire.

 

Je – je – votre ordonnance indique – c’est au paragraphe 28 ou 38 de vos motifs en date du 18 octobre, elle expose en détail ce que vous demandez et c’est à cela que nous nous efforcerons de nous conformer.

[Je souligne.]

 

(Page 97, lignes 15-23)

 

Donc ce que M. Healey entend par « l’essentiel du témoignage » correspond aux normes que j’ai établies, et les normes régissent la surprise au procès.

 

  • [295] Même si la proposition de M. Healey est ambiguë à certains égards, selon au moins l’une de ses lectures possibles, ce que la Cour a fait lorsqu’elle a traité la question de la surprise et du guet‑apens au procès y est exposé précisément. M. Healey s’est vu demander des éclaircissements, mais n’en a pas fourni. Les demanderesses ne peuvent pas affirmer maintenant qu’il est proposé dans cette lettre que la divulgation préalable figurant dans un résumé de témoignage anticipé devrait être sans rapport avec l’admissibilité des éléments de preuve pertinents au procès, parce que ce genre de proposition rendrait superflue la phrase concernant les résumés de témoignage anticipé. En réalité, si c’est bien ce qui est proposé dans la lettre, la phrase concernant les résumés de témoignage anticipé serait redondante.

 

  • [296] Et il ne s’agit que d’une proposition. Les propositions ne changent rien.

 

  • [297] Sur le fondement de cet échange, les demanderesses semblent demander à la Cour d’admettre non seulement que l’ensemble du système de divulgation préalable a été modifié, afin de supprimer le lien entre les résumés de témoignage anticipé, les normes qui s’y appliquent et l’admissibilité de la preuve au procès, mais aussi que la Couronne a accepté ce changement d’une certaine manière, ou qu’elle a à tout le moins accepté que la question soit débattue et tranchée au procès, sans faire renvoi aux précédents et aux sources faisant autorité qui ont été établis au cours des présentes procédures pour traiter la question des normes et du guet‑apens au procès.

 

  • [298] Je dois en outre garder à l’esprit que les demanderesses étaient la partie qui avait dit à la Cour que les normes applicables aux résumés de témoignage anticipé étaient [traduction] « fondamentales » lorsqu’il s’agissait de décider si l’autre partie avait été avisée suffisamment.

 

  • [299] Il va sans dire que la Cour ne peut pas admettre la présente position des demanderesses à l’égard de ces questions. La correspondance et les échanges que j’ai été prié d’examiner ne font que confirmer les positions que j’ai déjà adoptées à ces égards. Mais ils soulèvent aussi une nouvelle question d’importance.

 

  • [300] Il ressort de la lettre figurant dans le rapport en date de septembre 2006 que les demanderesses avaient pris une décision stratégique concernant les résumés de témoignage anticipé. Elles avaient décidé qu’au lieu de se conformer à la directive de la Cour de travailler aux questions de témoignage anticipé en concertation, ou de présenter une requête préalable au procès afin que la Cour les tranche, elles mettraient simplement ces questions de côté afin qu’elles soient traitées au procès. À la lumière de ce que l’avocat des demanderesses m’a maintenant confirmé au sujet des lacunes que présentent certains de leurs résumés de témoignage anticipé, et de l’impossibilité pour les demanderesses de plaider leur cause adéquatement au procès, je peux certainement comprendre cette décision stratégique, mais elle a coûté cher en temps et en ressources au procès pour la Cour et les autres participants, afin de régler des questions que la Cour avait dit vouloir traiter avant le procès.

 

  • [301] Dans le contexte de l’enchaînement des événements qui remonte à l’audience Peshee, il est clair que selon mes directives en date du 24 août 2006, les demanderesses devaient introduire leurs requêtes concernant le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès dans le délai imparti. Les demanderesses ont refusé d’introduire ces requêtes dans le délai imparti et, en ce qui concerne la Cour, il s’agissait du choix des demanderesses que d’aller en justice au vu de ce que la Cour avait déjà établi concernant le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé dans ses ordonnances, ainsi qu’à l’audience Peshee et autrement.

 

  • [302] Les demanderesses doivent maintenant supporter les conséquences.

 

  • [303] En raison de ce choix, les demanderesses ne se sont pas réservé le droit de soulever à nouveau et de faire modifier ce qui avait déjà été établi concernant le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, sans recourir à une requête. Elles ont simplement choisi d’aller en justice sur le fondement de ce qui avait déjà été établi. Mes directives ne leur ont pas laissé le choix.

 

  • [304] Les décisions que j’ai rendues jusqu’ici dans le cadre des présentes procédures ont déjà exposé clairement ce qui avait été établi à l’audience Peshee, ainsi que l’élaboration plus détaillée des principes de base nécessaires pour traiter les objections soulevées plus particulièrement à l’égard des témoins des demanderesses.

 

  • [305] Par conséquent, dans la mesure où la Cour est priée dans la présente requête de se pencher à nouveau sur le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès (et c’est précisément ce que fait la Cour), il s’agit, à mon avis, d’un abus de procédure. Le procès ne peut pas se dérouler comme il le devrait si l’une des parties ne cesse de ramener la Cour à des questions qui ont déjà été tranchées, en ajoutant des arguments et des points de vue qui n’avaient pas été portés à mon attention la première fois.

 

  • [306] Et dans la mesure où la présente « requête » en est une qui traite du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, elle est forclose selon mes directives en date du 24 août 2006, ce qui entraîne aussi un abus de procédure à cet égard.

 

  • [307] Je ne crois pas que les présentes conclusions soient dures ou injustifiées et j’expliquerai pourquoi j’y suis parvenu.

 

  • [308] À l’audience Peshee, j’ai signifié clairement que je voulais que les questions en suspens concernant les résumés de témoignage anticipé soient traitées rapidement et avant le procès :

 

[traduction]

 

LA COUR :  Et je crois que ce que je souhaiterais, c’est qu’en sortant d’ici aujourd’hui après avoir dressé la liste des questions qui ont été soulevées et qui découlent des procédures tenues aujourd’hui, certaines personnes qui ne sont pas ici devant bien entendu être consultées, que vous entrepreniez le processus de consultation, que vous vous consultiez et me fassiez éventuellement savoir ce qui devrait faire l’objet d’une discussion et à quel moment nous pourrions utilement avoir une discussion de gestion et parler d’un mode de résolution possible. Peut‑être pourrais‑je vous entendre répliquer à cela. M. Healey, cela vous pose‑t‑il un problème?

 

M. HEALEY :  Non, votre Seigneurie, bien sûr que non. Je – je vais faire tout ce que la Cour – je – je pense qu’il s’agit d’une suggestion constructive.

 

LA COUR :  Très bien. M. Faulds?

 

M. FAULDS :  Oui, je suis tout à fait d’accord.

 

LA COUR :  Très bien. Mme Koch?

 

MME KOCH : Je suis d’accord.

 

LA COUR :  Très bien. Bon, je pense que le cas échéant nous devrions laisser cela de côté pour aujourd’hui, puisque je présume que vous me ferez signe assez prochainement, en gardant à l’esprit notre calendrier général et ce que nous devons prévoir au cours de la brève période dont nous disposons. [Je souligne.]

 

 

  • [309] La Cour dit ici à tous les participants que si, par suite de ce qu’ils ont vu à l’audience Peshee, ils souhaitent modifier quelque chose au sujet du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, ils feraient bien alors d’en discuter et de s’attaquer à la question. La date du procès a été reportée pour diverses raisons, de sorte que l’urgence de la situation s’est un peu atténuée. Mais l’urgence a refait surface à la fin de l’été et au début de l’automne 2006, alors que la date du procès approchait de nouveau et que les demanderesses, qui indiquaient depuis des mois qu’elles envisageaient de présenter une requête concernant les résumés de témoignage anticipé, se sont faire dire par la Cour que si elles présentaient une requête elles devaient le faire dans le délai imparti.

 

  • [310] Ce qu’il ressort de la correspondance que j’ai vue, c’est que M. Shibley s’est efforcé d’obtenir un accord afin d’éliminer la nécessité d’une requête, mais aucun accord n’a été possible.

 

  • [311] Dans leur rapport mensuel de septembre 2006, les demanderesses ont indiqué qu’elles n’introduiraient pas de requête et qu’elles s’attendaient à ce que la question du rôle et de l’utilisation des résumés de témoignage anticipé soit traitée au procès. Alors toute la question a été repoussée au procès au gré des demanderesses.

 

  • [312] Le dossier laisse penser que M. Shibley savait que si aucun accord n’était possible, il serait nécessaire de présenter une requête officielle afin de faire modifier tout ce qui avait déjà été établi concernant le régime des résumés de témoignage anticipé, ainsi que leur rôle et leur utilisation au procès.

 

  • [313] Ce qui avait été établi était incorporé aux ordonnances de la Cour et à l’audience Peshee. La décision prise par les demanderesses en septembre 2006, soit de renoncer à une requête et de repousser toute la question au procès, n’a rien changé à ce qui s’était déjà passé. Cela a simplement eu pour conséquence d’engorger le procès par des questions que la Cour avait souhaité voir réglées avant le procès et (ce qui est important) des questions à l’égard desquelles la Cour avait accordé aux demanderesses un délai supplémentaire important, afin de les revoir avec leur nouvel avocat.

 

  • [314] Mais la Cour a dû traiter la question au procès et, ce faisant, a statué sur la cohérence et l’applicabilité de ce qui avait déjà été établi dans les ordonnances de la Cour et à l’audience Peshee, à mesure que des objections individuelles avaient été soulevées. Le régime des résumés de témoignage anticipé et son applicabilité au procès sont maintenant prévus dans les ordonnances essentielles de la Cour par lesquelles le régime a été créé et en vertu duquel les demanderesses devaient se conformer aux normes, dans les décisions et les principes généraux sous‑jacents aux décisions rendues à l’audience Peshee, ainsi que dans les décisions prises à l’égard des témoins des demanderesses, qui donnent beaucoup de précisions sur ce qui est déjà établi et sur le fonctionnement du système lorsque des objections fondées sur le guet‑apens sont soulevées au procès.

 

  • [315] Et maintenant, les demanderesses introduisent une requête en annulation du procès qui porte en réalité sur le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, même si on leur avait dit d’introduire leurs requêtes éventuelles à cet égard à l’automne 2006. Compte tenu du délai supplémentaire que les demanderesses se sont vu accorder et des délais impartis, la Cour ne peut aider en rien, mais regrette tout le temps consacré au procès qui a été utilisé pour débattre à nouveau des questions qui avaient déjà été réglées en vertu d’une ordonnance de la Cour, des décisions rendues à l’audience Peshee et des décisions plus récentes concernant les témoins des demanderesses.

 

  • [316] C’est pourquoi j’estime que la présente requête constitue un abus de procédure. Lorsque la Cour tient compte de ce qui a véritablement été soutenu et du défaut des demanderesses de justifier les nouveaux éléments, la présente requête ne l’emporte pas sur les questions déjà tranchées, pas plus qu’elle ne contraint la Cour à régler des questions qui auraient pu et auraient dû l’être à l’automne 2006.

 

  Les questions d’inégalité

  Généralités

 

  • [317] Afin de présenter leur argument général au sujet du déséquilibre et de l’iniquité, les demanderesses énumèrent les diverses formes de divulgation dont la Couronne a bénéficié en plus des résumés de témoignage anticipé, à savoir : les interrogatoires préalables, les réponses aux promesses, les interrogatoires écrits, la transcription du premier procès, les éléments de preuve obtenus par le truchement des témoignages directs et du contre-interrogatoire, les pièces, le résumé de l’histoire orale, la production de documents, les rapports d’experts, les autres témoins et tous les renseignements dont la Couronne peut disposer.

 

  • [318] Bien entendu, la Cour a examiné les arguments des demanderesses concernant la divulgation provenant d’autres sources que les résumés de témoignage anticipé lorsqu’elle s’est penchée sur des objections particulières, mais la Cour a conclu, pour diverses raisons, que les arguments des demanderesses n’étaient pas convaincants et a statué en conséquence.

 

  • [319] Même si la liste des demanderesses semble impressionnante, celles‑ci passent sous silence beaucoup d’autres questions importantes qui entreront vraisemblablement en jeu s’il y a allégation de guet‑apens au procès, notamment dans les cas suivants :

 

  • a) Si la divulgation préalable est aussi complète et utile que le prétendent les demanderesses, pourquoi le juge Hugessen a‑t‑il décidé qu’il était nécessaire de divulguer des renseignements supplémentaires et ordonné la production de résumés de témoignage anticipé?

 

  • b) Qu’en est‑il des problèmes liés à l’obtention d’une divulgation suffisante que la Couronne a présentés à la Cour?

 

  • c) Il ne s’agit là que d’une liste générale de sources possibles. En quoi cela concerne‑t‑il le sujet même d’une objection particulière? Les demanderesses sont tout à fait libres de référer la Cour à l’une ou l’autre de ces sources pour chaque objection soulevée, et de convaincre la Cour que la Couronne dispose des renseignements dont elle a besoin pour contre‑interroger adéquatement. La Cour statuera et a statué sur les objections au cas par cas. Les renvois à une liste générale ne sont ni utiles ni convaincants en l’absence de précisions. Ce n’est qu’une autre façon de dire que les résumés de témoignage anticipé n’ajoutent rien à la divulgation préalable dont la Couronne a déjà bénéficié. Et cela est illogique, parce que si cela avait été le cas, il n’aurait pas été nécessaire d’ordonner la présentation de résumés de témoignage anticipé en tout premier lieu.

 

  • d) Et qu’en est‑il des déclarations et des assurances itératives des demanderesses selon lesquelles leurs résumés de témoignage anticipé sont conformes aux normes établies par la Cour, et doivent donc contenir un compte rendu synoptique de ce que dira un témoin en particulier?

 

Ce ne sont là que quelques‑unes des questions que les demanderesses n’ont pas entièrement abordées dans le cadre de la présente requête, ainsi que dans le cadre de leurs allégations d’iniquité et de déséquilibre de façon générale.

 

  • [320] La liste de divulgation peut donc sembler impressionnante dans l’abstrait. Mais c’est sa façon d’entrer en jeu pour chacune des objections en particulier qui importe, et si l’avocat des demanderesses affirme que l’avocat de la Couronne devrait être en mesure d’établir un lien entre un aspect précis d’un témoignage et une partie précise du dossier, exception faite du résumé de témoignage anticipé, l’avocat des demanderesses sera sans doute en mesure de m’indiquer l’aspect concerné du dossier et de démontrer, raisonnablement et logiquement, pourquoi le guet‑apens ne devrait pas être toléré.

 

Arguments précis

  • [321] Les demanderesses affirment que le présent procès a entraîné une iniquité qui justifie l’annulation du procès. Pour étayer cette position, elles avancent les deux principaux arguments exposés ci‑dessous.

 

(1)  Les décisions de la Cour à ce jour

 

  • [322] Les demanderesses font valoir, mais sans explication ni éléments de preuve suffisants, que les décisions de la Cour concernant les témoignages de leurs huit témoins profanes cités à ce jour, et plus particulièrement celui de l’Aîné Starlight, ont entraîné un déséquilibre dans le déroulement des procédures qui oblige la Cour à annuler le procès.

 

  • [323] Comme il s’agit d’une allégation importante, je citerai la position des demanderesses de manière assez détaillée :

 

[traduction]

 

Compte tenu de vos décisions, votre Seigneurie, les demanderesses se trouvent dans une position où, à moins que la preuve qu’elles souhaitent produire ne soit précisée en détail dans le résumé de témoignage anticipé ou à la pièce E – une lettre demandée par la Cour qui doit être brève –, elles ne peuvent pas produire de preuve, sauf, et c’est la seule exception, si le témoin était déposant à l’interrogatoire préalable et si la Couronne a décidé d’interroger exhaustivement le témoin sur son témoignage lors de l’interrogatoire préalable.

 

Cela signifie, monsieur le juge, que les demanderesses ne peuvent pas présenter des éléments de preuve au procès compte tenu de vos décisions, en dépit de la divulgation aux fins des plaidoiries, des interrogatoires préalables englobant les réactions aux engagements de la Couronne avant le premier procès et des autres interrogatoires préalables englobant des réactions aux engagements et des interrogatoires écrits menés par la Couronne après le premier procès et avant le présent procès, à moins que les témoins des demanderesses n’aient été entendus en tant que déposants à l’interrogatoire préalable, et en dépit de la divulgation présentée sous les formes suivantes : la transcription des témoignages livrés au premier procès et de l’ensemble de la preuve produite, y compris celle produite par les demanderesses dans le cadre des témoignages directs et du contre-interrogatoire; les pièces versées comme preuve au premier procès; le résumé détaillé de l’histoire orale, inscrit comme pièce F aux fins d’identification; l’ensemble de la production des documents des demanderesses et de la Couronne; les rapports d’experts qui ont été délivrés par les demanderesses et la Couronne; les résumés de témoignage anticipé des autres témoins que les demanderesses ont cités ou citeront; les témoignages des autres témoins qui ont déjà témoigné; les pièces présentées en preuve au présent procès; d’autres renseignements dont la Couronne peut disposer.

 

 

 

  • [324] À mon avis, ces affirmations ne sont pas étayées par le dossier.

 

  • [325] Tout d’abord, les demanderesses peuvent tenter de produire les éléments de preuve de leur choix, sans se soucier s’il y est fait renvoi ou non dans un résumé de témoignage anticipé ou dans la lettre d’explication désignée comme pièce E. Comme la Cour a pris grand soin de le souligner, les résumés de témoignage anticipé ne constituent pas un motif légal d’exclusion. Cela veut dire qu’il est loisible aux demanderesses de s’efforcer de produire les éléments de preuve de leur choix par l’intermédiaire de leurs témoins. Si aucune objection n’est soulevée, l’élément de preuve est indiqué au dossier, indépendamment du fait qu’il figure ou non dans un résumé de témoignage anticipé ou à la pièce E.

 

  • [326] Le résumé de témoignage anticipé et, bien sûr, le reste du dossier de divulgation préalable n’entrent en jeu que si une objection fondée sur le guet‑apens est soulevée au procès. Les demanderesses n’affirment pas qu’il n’est pas possible de soulever des objections fondées sur le guet‑apens au procès.

 

  • [327] Ce qui est arrivé aux huit témoins profanes des demanderesses cités à ce jour n’est pas nouveau au présent procès. Les demanderesses subissent simplement les conséquences sur leurs propres témoins du sort qu’elles ont préconisé dans le passé à l’égard des témoins des autres participants et que subiront, en toute probabilité, les témoins des autres participants qui seront cités à l’avenir.

 

  • [328] Les demanderesses ne disent donc pas la vérité lorsqu’elles prétendent que la seule exception se produit dans le cas d’un témoin qui a été déposant et a été interrogé lors de l’interrogatoire préalable, si la Couronne a décidé de l’interroger exhaustivement.

 

  • [329] Comme elles l’ont fait à l’égard de leurs six conclusions que j’ai déjà exposées, les demanderesses tentent d’établir que la Cour a utilisé les résumés de témoignage anticipé comme règle de droit pour exclure des éléments de preuve pertinents, mais elles déforment ce qui s’est passé jusqu’à maintenant afin d’appuyer cette position. Elles tentent d’élever au statut d’une règle d’exclusion générale inflexible une décision liée aux données particulières d’une objection, et cela, en contradiction avec les propres décisions de la Cour qui feront l’objet d’un examen distinct pour chaque objection, qui sera tranchée quant au fond.

 

  • [330] La description précise des faits survenus à ce jour a déjà été exposée dans les présents motifs.

 

  • [331] Dans leur exposé de ce qui s’est passé à l’interrogatoire préalable, les demanderesses se contentent d’énumérer des facteurs que la Cour a examinés chaque fois qu’une objection fondée sur le guet‑apens était soulevée ou que les demanderesses peuvent porter à l’attention de la Cour aux fins de futures objections. Les demanderesses affirment, en effet, que compte tenu des facteurs qu’elles ont présentés à la Cour, elles ne sont pas d’accord avec les décisions que la Cour a rendues. Elles remettent en litige mes décisions et affirment être en désaccord avec elles parce qu’elles rendent tout le procès inéquitable.

 

  • [332] Les demanderesses peuvent être en désaccord avec des décisions que la Cour a rendues, mais la Cour a exposé ses motifs dans chaque cas. Par conséquent, tout ce que les demanderesses peuvent dire en l’espèce au sujet de ces décisions peut constituer un motif à interjeter appel éventuellement, et non un motif justifiant l’annulation du procès.

 

  • [333] Cela ne devient un motif justifiant l’annulation du procès qu’en théorie, parce que les demanderesses affirment que toute la situation est inéquitable à un point tel qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. Et sur ce point, les demanderesses n’ont pas tenté de démontrer pourquoi cela est attribuable aux décisions de la Cour, plutôt qu’à l’état de leurs propres résumés de témoignage anticipé ou aux témoignages escomptés de leurs témoins. Le fondement de la requête en annulation du procès des demanderesses (c’est‑à‑dire, qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement en raison des décisions de la Cour) n’est guère plus qu’une affirmation non étayée. De surcroît, la Cour ne peut accorder que peu d’importance à une pareille affirmation, parce que quand il s’agit de la question cruciale de la conformité des résumés de témoignage anticipé, la position des demanderesses devant la Cour est ambivalente et contradictoire, comme je l’ai déjà expliqué.

 

  • [334] Par conséquent, compte tenu de ce que les demanderesses ont été disposées à divulguer et à déposer devant la Cour dans le cadre de la présente requête, la Cour n’a aucun moyen de savoir quelle incidence peuvent avoir les décisions qu’elle a rendues à ce jour sur les dépositions des futurs témoins ou sur la possibilité pour les demanderesses de défendre leur cause. Il ne s’agit pas d’un fondement solide pour annuler le procès, étant donné les graves répercussions qu’entraînerait une pareille déclaration.

 

 

  L’avantage de la Couronne

 

  • [335] Le deuxième motif qu’avancent les demanderesses pour justifier l’annulation du procès, c’est qu’un déséquilibre s’est produit et que la Couronne a désormais [traduction] « un énorme avantage par rapport aux demanderesses ».

 

  • [336] Encore une fois, comme cela est important je citerai intégralement l’argument des demanderesses :

 

[traduction]

 

Comme nous l’avons vu, monsieur, par suite du contre‑interrogatoire de l’Aîné Starlight, la Couronne n’est soumise à aucune restriction en ce qui concerne les questions qu’elle souhaite aborder avec le témoin. Et c’est généralement ce qui se passe lors d’un procès pour ce qui est du contre-interrogatoire.

 

Nous disposons du contre-interrogatoire de la Couronne, y compris les éléments de preuve dont les demanderesses soutiennent l’inadmissibilité. Pendant le contre-interrogatoire, à trois reprises au moins la Couronne a attiré l’attention de l’Aîné Starlight sur des éléments de preuve qui devaient être exclus selon l’argumentation des demanderesses, l’a prié de les lire et s’y est référée lorsqu’elle a contre-interrogé ce témoin.

 

À cet égard, je ne vous donnerai pas de détails [ces détails ont été fournis ultérieurement], mais je vous réfère à la transcription du 3 avril, à la page 51, où il est fait renvoi à la transcription du 28 février; à la même transcription du 3 avril, aux pages 48 et 59, où il est fait renvoi à la transcription du 27 février, ainsi qu’à la transcription du 3 avril, à la page 71, où il est fait renvoi à la transcription du 27 février.

 

Donc malgré le fait que les déposants des demanderesses à l’interrogatoire préalable ont été entendus à titre de représentants des Premières Nations en question et, je crois, dans  – dans au moins l’un des cas que nous connaissons, à titre personnel également, malgré le fait qu’ils sont, bien entendu, des représentants des Premières Nations, la divulgation à l’interrogatoire préalable n’autorise pas les demanderesses à présenter dans le cadre du présent procès des éléments de preuve qui concordent avec la divulgation, à moins que le témoin n’ait été un déposant, et à la condition que l’avocat de la Couronne ait présenté la preuve de manière exhaustive.

 

Et, bien entendu, la Couronne peut contre‑interroger n’importe quel témoin au sujet de cette divulgation, ce que nous avons vu se produire dans le cas de l’Aîné Starlight.

 

Si les demanderesses prévoient des aspects à l’égard desquels la Couronne peut contre‑interroger un témoin, elles ne peuvent pas produire le témoignage de ce témoin comme elles le feraient dans le cadre d’un procès, à moins qu’il ne soit indiqué dans un résumé de témoignage anticipé ou dans la lettre inscrite comme pièce E aux fins d’identification. Et comme je l’ai déjà déclaré, la Couronne n’est soumise à aucune restriction en ce qui concerne le contre‑interrogatoire.

 

Ce point acquis, la Cour a déjà déclaré auparavant que les résumés de témoignage anticipé ne constituent pas, en soi, un motif juridique pour exclure des éléments de preuve. Avec tout le respect qui vous est dû, monsieur, puisque nous comprenons vos décisions – et nous avons besoin de recevoir des commentaires à cet égard, puisque nous avons déclaré à la Cour que nous les comprenions –,  ce que la Cour a créé, en réalité, c’est une situation où les résumés de témoignage anticipé constituent effectivement et ont été prévus comme motif juridique pour exclure des éléments de preuve admissibles pertinents.

 

La Couronne a instamment demandé et la Cour a décidé de placer les demanderesses dans une situation où non seulement le fardeau de la preuve leur incombe en l’espèce, comme pour tout demandeur, mais où leur incombe aussi maintenant le fardeau supplémentaire d’établir que la preuve qu’elles ont l’intention de produire a été exposée dans le résumé de témoignage anticipé, dans la lettre – la pièce E aux fins d’identification – ou, s’il s’agissait d’un déposant à l’interrogatoire préalable – que c’est – que la question a été posée au témoin et qu’il a répondu de manière exhaustive. Et dans le cas contraire, selon notre compréhension de vos décisions, le témoignage sera exclu.

 

Nous estimons qu’il est évident d’après ce qui s’est passé pendant le contre‑interrogatoire et le témoignage de l’Aîné Starlight que dans le cadre du présent procès, on a créé une situation où la Couronne jouit d’un énorme avantage par rapport aux demanderesses. Nous sommes d’avis que le terrain de jeu est devenu inégalitaire, que l’avantage est du côté de la Couronne.

 

Nous estimons, avec tout le respect qui vous est dû, que cela est inéquitable et que, à notre avis, cela entraînera un procès inéquitable. Et je tiens à reprendre ce que j’ai déjà déclaré dans les présentes procédures, à savoir les mots du juge en chef Fauteux dans Duke et La Reine, [1972] RCS 917, où le juge se réfère à l’al. 2e) de la Déclaration canadienne des droits pour déclarer ce qui suit (cité comme déjà lu) :

 

« [...] aucune loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer de manière à le priver d’une «audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale». Sans entreprendre de formuler une définition finale de ces mots, je les interprète comme signifiant, dans l’ensemble, que le tribunal appelé à se prononcer sur ses droits doit agir équitablement, de bonne foi, sans préjugé et avec sérénité, et qu’il doit donner à l’accusé l’occasion d’exposer adéquatement sa cause. »

 

Et nous faisons observer, avec tout le respect qui vous est dû, que la Cour a empêché les demanderesses de défendre adéquatement leur cause et que, à notre avis, cela entraînera un procès inéquitable.

 

  • [337] Je pense aussi qu’il vaut la peine de souligner que les demanderesses semblent être d’avis que le système de divulgation préalable (y compris les résumés de témoignage anticipé) qu’a ordonné le juge Hugessen, et que j’ai dû peaufiner et gérer au procès, est une chose qui leur a été imposée à elles seulement, contre leur gré, et dont la responsabilité ne leur appartient pas. Par conséquent, si le système dérapait, selon leur approche ce serait la faute d’autrui et, même si elles ont utilisé le système dans le passé et en ont bénéficié, s’il ne donne pas les résultats qu’elles escomptent il faut l’abandonner entièrement, quel que soit le coût en temps et en ressources.

 

  • [338] Les demanderesses ne reconnaissent pas qu’elles sont responsables, à tout le moins en partie, du fait que le juge Hugessen a ordonné la production de résumés de témoignage anticipé, ainsi que des ordonnances que j’ai dû rendre concernant les résumés de témoignage anticipé en qualité de juge de première instance. Elles ne reconnaissent pas le coût exorbitant de la traduction de l’action en justice dans des circonstances très difficiles. Et elles ne reconnaissent pas non plus le fait que, si la Cour devait annuler le procès, les répercussions sur de nombreuses personnes – y compris elles‑mêmes – atteindraient des proportions astronomiques, avec pour résultat final que les présentes actions pourraient aisément en revenir à l’impasse improductive dont le juge Hugessen les a libérées après des années d’une gestion difficile de l’instance.

 

  • [339] Le résultat de l’annulation du procès ne se limiterait pas à la tenue d’un nouveau procès. Il donnerait vraisemblablement lieu, si le passé est garant de l’avenir, à d’autres années de non‑coopération amère et coûteuse entre les parties.

 

  • [340] Mais selon la position actuelle des demanderesses, même si elles ont utilisé le système de divulgation préalable à leur avantage au procès, il est forcément défectueux et doit être mis de côté s’il restreint la présentation de leur preuve.

 

  • [341] Il est important à mes yeux que les demanderesses, après avoir souligné ce qu’elles perçoivent comme une iniquité du système, ne proposent pas de moyens de l’ajuster afin de s’assurer qu’il fonctionne comme elles croient qu’il le devrait, de façon à éviter l’énorme gaspillage et les coûts supplémentaires liés à l’annulation du procès.

 

  • [342] Les demanderesses semblent avoir l’intention d’abandonner entièrement le système, au lieu de l’ajuster et d’assurer son fonctionnement. Et il s’agit d’un système dont la création leur est imputable, dont elles ont endossé les normes et qu’elles ont utilisé à leur avantage. En ce qui concerne un témoin ou une objection en particulier, il est loisible aux demanderesses de souligner l’iniquité ou le déséquilibre et, dans la mesure où elles l’ont déjà fait, j’ai déjà statué sur cette question. Selon ma compréhension de la jurisprudence en matière d’annulation de procès, il s’agit d’un recours tout à fait extraordinaire et, avant de l’utiliser, je dois envisager des solutions de rechange qui permettraient d’atténuer l’iniquité qui est démontrée. Mais les demanderesses n’offrent aucune aide à la Cour à cet égard. Le seul résultat qui les intéresse est l’annulation du procès. Et je pense qu’il s’agit d’une autre raison pour laquelle la Cour doit s’efforcer de découvrir la cause profonde de l’affirmation des demanderesses selon laquelle elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. À moins que la Cour n’ait une perspective d’ensemble, elle ne peut pas déterminer comment ses propres décisions ont pu rendre les procédures inéquitables, ni voir s’il faut annuler le procès, ou si une autre approche pourrait permettre d’aplanir les difficultés et d’éviter l’énorme gaspillage et les coûts liés au recours draconien que constitue l’annulation du procès.

 

  • [343] L’approche intransigeante des demanderesses appuie incontestablement leur affirmation selon laquelle elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. Cela équivaut à dire que, à moins que les résumés de témoignage anticipé ne soient déconnectés de la notion de guet‑apens au procès et que les demanderesses ne soient autorisées à produire n’importe quel élément de preuve pertinent par l’intermédiaire de n’importe quel témoin, celles‑ci ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement.

 

  • [344] Je souligne cela à la présente étape parce que pour examiner les allégations de déséquilibre soulevées par les demanderesses, je pense devoir tenir compte du fait qu’elles ont conclu qu’elles ne pouvaient pas plaider leur cause adéquatement, et qu’elles se concentrent sur l’abandon d’un système qui, à leur avis, ne peut plus leur servir de la même façon qu’à l’audience Peshee. De surcroît, elles ne proposent rien pour expliquer en quoi l’abandon d’un système qu’elles ont aidé à créer mènerait au règlement des présentes actions. Elles souhaitent simplement ramener les procédures à l’étape préalable au procès de la gestion de l’instance, où les vieux problèmes referont surface et devront être réglés à nouveau. Qui sait? Le juge responsable de la gestion de l’instance pourrait avoir recours aux résumés de témoignage anticipé. Mais les demanderesses ne proposent absolument rien pour expliquer comment, en cas d’annulation du procès, un système autre que celui dont nous disposons maintenant fonctionnerait, ni pourquoi l’évaluation des besoins effectuée par le juge Hugessen devrait maintenant être remise en question et abandonnée.

 

  • [345] Parce que la Cour a l’obligation d’assurer le règlement le plus juste, le plus efficace et le moins onéreux des présentes procédures, conformément aux Règles de la Cour fédérale, ces questions constituent forcément de graves préoccupations. Cependant, les demanderesses n’en traitent pas dans leur requête.

 

Le témoignage de l’Aîné Starlight

 

  • [346] Les arguments des demanderesses alléguant l’iniquité de façon générale et un [traduction] « énorme déséquilibre » en faveur de la Couronne sont axés sur le témoignage de l’Aîné Starlight.

 

  • [347] Ce fait, en soi, joue lourdement en défaveur de la cause des demanderesses, parce que sur l’ensemble des témoins qu’elles ont cités jusqu’ici l’Aîné Starlight était exceptionnel pour diverses raisons, et que les demanderesses n’ont pas tenté de rattacher ce qui s’est passé dans son cas à ce qui pourrait arriver dans le cas des futurs témoins.

 

  • [348] L’Aîné Starlight était un témoin exceptionnel parce qu’il avait aussi été déposant à l’interrogatoire préalable et que son résumé de témoignage anticipé était très complet et se démarquait de manière exponentielle de ceux des autres témoins cités à ce jour.

 

  • [349] Ce qui est également important, c’est que l’interrogatoire principal de l’Aîné Starlight a pour effet de réfuter la thèse des demanderesses suivant laquelle la Cour a utilisé les résumés de témoignage anticipé comme règle de droit pour exclure des témoignages pertinents. Lorsque des objections fondées sur le guet‑apens ont été soulevées dans le cas de l’Aîné Starlight, son interrogatoire préalable est également devenu un facteur important pour la Cour au moment d’aborder la question de la véritable surprise et du guet‑apens. Mes décisions ont permis à l’Aîné Starlight de témoigner en interrogatoire principal au sujet de questions sur lesquelles il avait été interrogé en interrogatoire préalable, que ces questions aient été signalées ou non dans son résumé de témoignage anticipé. Cela, en soi, a distingué le contre‑interrogatoire de l’Aîné Starlight de celui des autres témoins.

 

  • [350] Après avoir examiné les décisions que j’ai rendues à ce jour concernant l’Aîné Starlight (et il m’en reste encore à prendre), il est évident que lorsque j’ai conclu que la Couronne avait, raisonnablement et logiquement, réussi à prouver le guet‑apens, la preuve en question n’avait pas été divulguée du tout ou bien l’avait été suffisamment en conformité avec les normes (que les demanderesses ont estimées être [traduction] « fondamentales » lorsqu’il s’agit de rendre ce genre de décision), que ce soit dans un résumé de témoignage anticipé ou à l’interrogatoire préalable.

 

  • [351] Les demanderesses ont fait grand cas du fait que parce que l’Aîné Starlight avait été déposant à l’interrogatoire préalable, la Couronne avait eu la possibilité de l’interroger sur tous les aspects de son choix et que, si elle n’avait pas saisi cette possibilité, elle n’aurait pas dû être autorisée à invoquer le guet‑apens au procès.

 

  • [352] Le problème que pose cet argument, c’est qu’il n’aborde pas et ne présente pas à la Cour les moyens qui ont permis de surmonter les problèmes associés à l’interrogatoire préalable, qui ont été démontrés à la Cour par la Couronne, dans les cas particuliers dont se plaignent les demanderesses dans la présente requête.

 

  • [353] Cet argument ne tient pas compte non plus de la valeur de déclaration d’un résumé de témoignage anticipé, ni des assurances que les demanderesses ont données de manière itérative, selon lesquelles tous leurs résumés de témoignage anticipé – y compris celui de l’Aîné Starlight – respectaient ces normes et divulguaient effectivement ce que chaque témoin allait dire sous forme synoptique.

 

  • [354] À ce stade‑ci du procès, les demanderesses sous‑entendent à tout le moins qu’elles ne considèrent l’exigence de produire des résumés de témoignage anticipé que comme une sorte d’obligation de faire [traduction] « tout leur possible ». J’ai rejeté cette interprétation pour les motifs que j’ai exposés. Et quoi que les demanderesses puissent dire maintenant à ce sujet, toute partie raisonnable qui prend connaissance des ordonnances de la Cour traitant des résumés de témoignage anticipé et des normes, des assurances que les demanderesses ont données, ainsi que de ce que les demanderesses ont soutenu et de ce que la Cour a statué à l’audience Peshee, devrait présumer que le résumé de témoignage anticipé de l’Aîné Starlight ou de tout autre témoin divulgue tout l’éventail des sujets que le témoin abordera au procès, et se préparer à contre‑interroger ce témoin en conséquence.

 

  • [355] Comme les demanderesses n’ont pas indiqué quels éléments de preuve leur permettant de défendre leur cause ont été exclus ou le seront vraisemblablement, il est vraiment impossible pour la Cour d’admettre, comme il a été démontré, que ce qui est arrivé lors du contre‑interrogatoire de l’Aîné Starlight conduira à un déséquilibre ou empêchera les demanderesses de plaider leur cause adéquatement.

 

  • [356] Tout ce que la Cour sait, c’est que les demanderesses éprouvent quelques réserves à l’égard des éléments exclus du témoignage de l’Aîné Starlight, dans les cas où la Couronne a allégué le guet‑apens et dans ceux où le guet‑apens avait été démontré et où le dossier porté à l’attention de la Cour ne divulguait rien qui aurait permis de nier l’allégation raisonnable de guet‑apens.

 

  • [357] Autrement dit, en ce qui concernait les objections en litige, le résumé de témoignage anticipé et le dossier d’interrogatoire préalable de l’Aîné Starlight ne divulguaient rien qui aurait permis de nier une allégation raisonnable de guet‑apens, et les demanderesses n’ont pas pu démontrer à la Cour comment la Couronne aurait pu être avisée autrement des questions en litige, raisonnablement et logiquement.

 

  • [358] Lorsque les demanderesses évoquent une autre divulgation permettant d’éliminer le guet‑apens, elles s’expriment en termes généraux et tentent simplement de soulever à nouveau toute la situation dans la présente requête.

 

  • [359] Les demanderesses font abstraction des requêtes que la Couronne a dû introduire pour tenter d’obtenir une meilleure divulgation de leur part et ne rattachent pas les difficultés antérieures aux problèmes auxquels se heurte la Couronne au procès en cas de guet‑apens.

 

  • [360] Malgré les considérations particulières ou autres qui s’appliquent à l’Aîné Starlight, les demanderesses ont prié la Cour de tirer des conclusions générales de ce qui s’est passé dans son cas. Je reprends ces conclusions par souci de clarté :

 

  [traduction]

  • a)) ha)La Couronne n’est soumise à aucune restriction en ce qui concerne les questions qu’elle souhaite aborder avec le témoin.

  • a)) Db)Pendant le contre-interrogatoire, à trois reprises au moins la Couronne a attiré l’attention de l’Aîné Starlight sur des éléments de preuve qui devaient être exclus selon l’argumentation des demanderesses, l’a prié de les lire et s’y est référée lorsqu’elle a contre-interrogé ce témoin.

  • a)) Ic)Si les demanderesses prévoient des aspects à l’égard desquels la Couronne peut contre‑interroger un témoin, elles ne peuvent pas produire le témoignage de ce témoin comme elles le feraient dans le cadre d’un procès, à moins qu’il ne soit indiqué dans un résumé de témoignage anticipé ou dans la lettre d’explication.

  • a)) Id)Il est évident d’après ce qui s’est passé pendant le contre‑interrogatoire et le témoignage de l’Aîné Starlight que dans le cadre du présent procès, on a créé une situation où la Couronne jouit d’un énorme avantage par rapport aux demanderesses.

 

  • [361] J’ai déjà abordé certains de ces points ailleurs dans les présents motifs. Mais par souci de clarté, non seulement ces points ne démontrent pas comment l’iniquité s’est produite et un [traduction] « énorme déséquilibre » a été créé en faveur de la Couronne pour ce qui est des témoignages pertinents des témoins antérieurs ou futurs, mais ils ne concordent pas avec ce qui ressort du dossier concernant les procédures établies en l’espèce.

 

  • [362] Avant d’aborder chacun des points, je pense qu’il serait utile que j’expose le déroulement concret du processus.

 

  I.  L’interrogatoire principal

 

  • [363] Comme dans tout procès habituel, il est loisible aux demanderesses de s’efforcer de produire les éléments de preuve de leur choix par l’intermédiaire de leurs témoins. Elles ne sont pas limitées à ce qu’elles ont divulgué dans leurs résumés de témoignage anticipé, quoiqu’elles doivent garder à l’esprit que si elles ne respectent pas le système mis en place pour résoudre les problèmes liés à la divulgation préalable, elles peuvent s’attendre à des objections fondées sur le guet‑apens de la part de la Couronne.

 

  • [364] Si aucune objection n’est soulevée, l’élément de preuve est produit même s’il n’était pas indiqué dans un résumé de témoignage anticipé, conformément aux normes.

 

  • [365] Toutes les objections fondées sur le guet‑apens auraient pu facilement être évitées. Il suffisait aux demanderesses de divulguer ce que dirait chacun des témoins, conformément aux normes. Elles pouvaient donc parcourir tout le dossier ou simplement approfondir avec chaque témoin ce qu’il allait dire et, si c’était pertinent, l’énoncer dans un résumé de témoignage anticipé, conformément aux normes. Ce processus n’est soumis à aucune restriction, exception faite de la pertinence. En réalité, les demanderesses se sont vu ordonner de faire cela, et elles ont assuré la Cour qu’elles l’avaient fait.

 

  • [366] Le résumé de témoignage anticipé ne serait qu’une restriction éventuelle si le témoin souhaitait livrer un témoignage autre que celui divulgué dans le résumé de témoignage anticipé. Mais les demanderesses ont affirmé dans le cadre de la présente requête que leurs résumés de témoignage anticipé divulguaient ce que chaque témoin dirait. Si tel est le cas, aucun élément de preuve pertinent ne peut être exclu par suite d’une objection fondée sur le guet‑apens.

 

  • [367] Si une objection fondée sur le guet‑apens est soulevée, la partie qui fait opposition peut référer la Cour à n’importe quelle partie du dossier – y compris les résumés de témoignage anticipé – afin de démontrer le guet‑apens. La partie qui produit la preuve peut référer la Cour à n’importe quelle partie du dossier afin de démontrer qu’il n’y a pas eu guet‑apens. Après avoir entendu les arguments, la Cour prend une décision sur le fond dans chaque cas et décide si, raisonnablement et logiquement, le guet‑apens est établi et l’élément de preuve doit être exclu.

 

  2. Le contre-interrogatoire

 

  • [368] Tous les témoins peuvent être contre‑interrogés de la manière habituelle, sans la moindre restriction fondée sur le résumé de témoignage anticipé, et toutes les parties du dossier peuvent être utilisées pendant le contre‑interrogatoire.

 

  • [369] Si le contre-interrogatoire amène le témoin à aborder un point qui ne l’a pas été à l’interrogatoire principal, l’autre partie peut alors l’aborder pendant le réinterrogatoire, conformément aux règles habituelles.

 

  • [370] Si le contre-interrogatoire amène le témoin à aborder un aspect ou un sujet qui a été exclu à l’interrogatoire principal par suite d’une objection fondée sur le guet‑apens qui a été maintenue, la partie qui contre‑interroge peut fort bien, en fonction des facteurs particuliers qui entrent en jeu dans chaque cas et des critères habituels de raisonnabilité et de sens commun, annuler l’objection dans son intégralité, afin que tout cet aspect puisse être ouvert à l’autre partie. Cela ne s’est pas produit à ce jour.

 

  • [371] Comme on peut le constater, rien n’est fondamentalement inéquitable dans ce processus. Il s’agit simplement du processus judiciaire habituel, qui est adapté à une situation où les allégations de guet‑apens peuvent être plus fréquentes que d’ordinaire, en raison des problèmes liés à l’interrogatoire préalable qui sont propres aux présentes procédures. Les deux parties ont déjà allégué un guet‑apens et demandé un redressement à la Cour. Les deux parties ont utilisé les résumés de témoignage anticipé pour démonter qu’il y avait eu un guet‑apens. Les objections des deux parties ont été maintenues.

 

  • [372] Donc si je me penche maintenant sur les points concrets de l’iniquité et du déséquilibre que les demanderesses allèguent dans la présente requête à l’égard de l’Aîné Starlight, le dossier démontre ce qui suit :

  • a) Le système ne comporte aucune restriction en ce qui concerne les questions que les demanderesses peuvent amener les témoins à aborder. Il se limite à un facteur de guet‑apens dont tous les participants doivent tenir compte, ainsi qu’à un simple mécanisme permettant d’éviter que des éléments de preuve pertinents ne soient exclus sur le fondement du guet‑apens, mécanisme dont les demanderesses affirment avoir tiré avantage.

  • b) Les demanderesses n’ont pas à prévoir ce que la Couronne pourrait faire en contre‑interrogatoire. Elles n’ont qu’à s’efforcer de produire les éléments de preuve de leur choix, comme je l’ai déjà précisé.

  • c) Aucun déséquilibre, aucune iniquité n’a été démontré dans le cas de l’Aîné Starlight, à plus forte raison un déséquilibre ou une iniquité ayant pour effet de rendre inéquitable le système dans son ensemble, ou auquel il ne serait pas possible de remédier simplement, au moyen du système en place, afin qu’il soit inutile d’accorder un redressement fondé sur l’annulation du procès.

 

  • [373] Quant aux trois occasions qui auraient entraîné l’iniquité et le déséquilibre apparus pendant le contre-interrogatoire de l’Aîné Starlight, selon les demanderesses, la Cour les a examinées à tour de rôle.

 

  • [374] La plainte des demanderesses semble fondée sur le fait que la Couronne a contre‑interrogé l’Aîné Starlight sur des aspects à l’égard desquels, pendant l’interrogatoire principal, la Couronne s’était opposée à ce que les demanderesses présentent une preuve.

 

  • [375] Les trois sujets de préoccupation semblent se rattacher aux objections qui ont été soulevées à l’égard des protocoles de l’histoire orale, de la transmission ou des informateurs, notamment au sujet de l’utilisation de la pipe, des destinataires désignés de cette histoire orale ou de la répétition.

 

  • [376] Mais les demanderesses n’ont ni mentionné ni expliqué à la Cour quels éléments de preuve précis elles avaient voulu aborder par l’intermédiaire de l’Aîné Starlight et qui avaient été exclus par suite de l’objection soulevée, ni pourquoi le contre-interrogatoire avait permis d’obtenir une preuve qui avait rendu l’exclusion inéquitable, avait empêché de remédier au problème pendant le réinterrogatoire ou avait rendu déraisonnable l’allégation de guet‑apens de la Couronne.

 

  • [377] Les demanderesses n’ont pas non plus démontré à la Cour en quoi les trois cas auxquels elles ont fait allusion concernaient leurs autres témoins antérieurs ou futurs, ou encore d’autres aspects de la preuve, de façon à donner à la Couronne un [traduction] « énorme avantage » exigeant qu’il y soit remédié par l’annulation du procès.

 

  • [378] La Cour ne dispose que de l’affirmation générale suivante : [traduction] « il est évident d’après ce qui s’est passé pendant le contre‑interrogatoire et le témoignage de l’Aîné Starlight que dans le cadre du présent procès, on a créé une situation où la Couronne jouit d’un énorme avantage par rapport aux demanderesses ». Cependant, les demanderesses ne démontrent ni comment, ni pourquoi cela est évident à un point tel que cela justifierait l’annulation du procès.

 

  • [379] La Couronne concède ce qui suit : [traduction] « dans l’un de ces cas nous avons posé une question qui concernait les informateurs de l’histoire orale ». La question était la suivante :

[traduction]

 

Et vous nous avez dit que votre grand‑mère vous avait raconté cette histoire. Quelle grand‑mère vous a raconté cette histoire?

 

 

  • [380] En fonction de ce que les demanderesses ont avancé dans la présente requête concernant le contre‑interrogatoire de l’Aîné Starlight, il n’est pas possible pour la Cour de déterminer quelle iniquité aurait pu se produire, le cas échéant, ni comment elle pourrait s’appliquer aux procédures de façon générale et à la possibilité pour les demanderesses de plaider leur cause adéquatement. Et mon propre examen m’amène à conclure qu’il n’y a pas eu d’iniquité et que la Couronne ne jouit d’aucun avantage, que ce soit en contre-interrogatoire ou autrement, par suite de quoi les procédures seraient inéquitables.

 

CONCLUSIONS

 

  • [381] D’après ce qui m’a été présenté et ce que j’ai appris, dans le cadre de la présente requête, il semblerait qu’à moins d’être autorisées à violer maintenant l’exigence et les normes ordonnées par la Cour à l’égard des résumés de témoignage anticipé, et cela, après avoir assuré à maintes reprises qu’elles les avaient respectées, les demanderesses ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement.

 

  • [382] Il en est ainsi parce que, selon les demanderesses, afin de leur permettre de plaider leur cause adéquatement la Cour aurait dû, dans ses décisions concernant l’admissibilité fondée sur le guet‑apens, rompre le lien entre les normes applicables aux résumés de témoignage anticipé (à l’égard desquelles elles‑mêmes ont soutenu au procès qu’elles étaient [traduction] « fondamentales » pour traiter les questions d’avis et de guet‑apens) et les considérations sur l’admissibilité des éléments de preuve pertinents au procès. Les demanderesses veulent faire annuler le procès parce que la Cour n’a pas rompu ce lien.

 

  • [383] Et les demanderesses adoptent cette position même si :

  1. on leur a dit clairement en quoi consistaient les normes applicables aux résumés de témoignage anticipé;
  2. elles ont été excusées d’avoir violé l’ordonnance préparatoire du juge Hugessen et se sont vu accorder le temps dont elles disaient avoir besoin pour produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes;
  3. elles ont accepté les normes et ont affirmé que tous les participants étaient liés par celles‑ci;
  4. elles ont assuré la Cour et les autres participants qu’elles avaient produit des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes;
  5. elles ont dit que les normes étaient fondamentales lorsqu’il s’agissait d’examiner les questions d’avis et les objections fondées sur le guet‑apens au procès;
  6. elles ont obtenu un redressement de la Cour par suite d’un guet‑apens au procès, en utilisant un résumé de témoignage anticipé pour démontrer la surprise.

 

  • [384] Il semble à la Cour que si les demanderesses sont venues devant le tribunal avec des résumés de témoignage anticipé qui ne leur permettent pas de plaider leur cause adéquatement, en ce cas beaucoup de gens, y compris la Cour, ont vraisemblablement été induits en erreur.

 

  • [385] Les demanderesses ont maintenant épuisé des jours d’audience et des ressources de la Cour et des autres participants afin de traiter une requête qui 

  • a) porte sur le rôle et l’utilisation des résumés de témoignage anticipé au procès, requête qu’on leur avait ordonné de présenter dans les délais prescrits selon les directives de la Cour en date du 24 août 2006;

  • b) vise à remettre en litige des points et des décisions sur lesquels la Cour a déjà statué auparavant;

  • c) fait simplement abstraction ou ne tient pas compte des choses fondamentales que la Cour a dites et faites à l’égard des points soulevés;

  • d) se fonde sur une interprétation erronée de ce que la Cour a effectivement statué;

  • e) n’explique pas une contradiction fondamentale concernant les raisons pour lesquelles les demanderesses ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement si leurs résumés de témoignage anticipé répondent aux normes établies dans les ordonnances que la Cour avait ordonné aux demanderesses de respecter;

  • f) contredit les observations et les assurances données préalablement sur lesquelles la Cour s’est fondée.

 

  • [386] Il semblerait que les demanderesses en soient arrivées à la conclusion qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement si le procès se poursuit dans la même lancée. Elles ont tenté à plusieurs reprises de se décharger du problème sur la Couronne et la Cour. En effet, elles affirment que le procès aurait dû être dirigé comme si les problèmes éprouvés à l’interrogatoire préalable qui avaient exigé la production de résumés de témoignage anticipé n’avaient jamais eu lieu, et comme s’il n’y avait jamais eu d’ordonnances de la Cour les obligeant à produire des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes établies par la Cour.

 

  • [387] Mais il n’est pas possible de modifier toute la structure des procédures parce que les demanderesses ne se sont pas assurées, dans le passé, que les résumés de témoignage anticipé qu’elles devaient produire leur donnaient une portée suffisante pour plaider leur cause adéquatement. Il leur incombait de s’en assurer. Cela n’était pas du ressort de la Couronne, ni de celui de la Cour.

 

  • [388] Modifier le système au procès afin de rompre le lien entre la divulgation fournie dans les résumés de témoignage anticipé et les questions liées à l’admissibilité de la preuve aurait pour conséquence, après les assurances que les demanderesses ont données concernant leurs résumés de témoignage anticipé, de tolérer, d’encourager et de multiplier les possibilités de cela même que les résumés de témoignage anticipé visaient à prévenir : le guet‑apens au procès.

 

 

LA JURISPRUDENCE TRAITANT DE L’ANNULATION DE PROCÈS

Généralités

 

  • [389] Un bon nombre des principes généraux concernant l’annulation de procès doivent être tirés de la jurisprudence en matière pénale. Les affaires pénales touchent habituellement des cas où il y a eu réception involontaire d’éléments de preuve inadmissibles. D’ordinaire, le juge de première instance admet que l’élément de preuve n’aurait pas dû être reçu et doit décider si le préjudice est suffisamment important pour annuler le procès. C’est pourquoi la jurisprudence en matière d’annulation de procès est peu abondante à la Cour fédérale. Les questions soulevées dans la présente requête sont plus habituellement soulevées en appel.

 

  • [390] Dans le contexte pénal, quelques affaires fournissent un certain nombre de directives quant aux principes de base qui régissent l’annulation de procès. À titre d’exemple, la Cour suprême du Canada a récemment déclaré ce qui suit dans R. c. Burke, 2002 CSC 55, aux paragraphes 74 et 75 :

[...] Les juges disposent, en vertu de la common law, de vastes pouvoirs les autorisant à prononcer la nullité d’un procès.  Cette réparation a été soit ordonnée soit envisagée comme solution potentielle dans un large éventail de situations : libération d’un juré (R. c. Taillefer (1995), 40 C.R. (4th) 287 (C.A. Qué.), autorisation de pourvoi refusée, [1996] 1 R.C.S. x; R. c. Lessard, [1992] R.J.Q. 1205 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [1992] 3 R.C.S. vii); présentation, au cours du procès, d’éléments de preuve inadmissibles et susceptibles d’avoir influencé le jury (R. c. Woods (1989), 49 C.C.C. (3d) 20 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi refusée, [1990] 2 R.C.S. xii); communication inadmissible préjudiciable entre un témoin et un juré (R. c. Martineau (1986), 33 C.C.C. (3d) 573 (C.A. Qué.)); communication d’éléments de preuve immédiatement avant ou pendant le procès (R. c. Antinello (1995), 97 C.C.C. (3d) 126 (C.A. Alb.); R. c. T. (L.A.) (1993), 84 C.C.C. (3d) 90 (C.A. Ont.)); verdict annoncé par le jury, mais sans décision sur la question du trouble mental, situation mettant le juge dans l’impossibilité d’inscrire le verdict de culpabilité arrêté sans qu’il y ait apparence d’« influence » (R. c. Rondeau, [1998] O.J. No. 5759 (QL) (Div. gén.)).  Le dénominateur commun de toute cette jurisprudence est le critère exigeant que l’on détermine s’il y a « danger réel » de préjudice pour l’accusé ou risque d’erreur judiciaire : Lessard, précité, p. 1212.

 

Avant de prononcer la nullité du procès, le juge qui le préside doit par conséquent se demander si cette décision est nécessaire pour prévenir une erreur judiciaire.  Cette décision implique nécessairement l’examen des circonstances de l’affaire [...] (Je souligne.)

 

 

  • [391] Le juge Major poursuit en énumérant diverses considérations. En raison du fait qu’elles s’appliquent plus particulièrement à un accusé dans le contexte pénal, elles ne sont pas directement applicables aux questions soulevées dans la présente requête. Cependant, le principe général portant que l’annulation d’un procès est un exercice du pouvoir discrétionnaire du juge, qui suppose de déterminer s’il y a un risque d’erreur judiciaire, semblerait s’appliquer à la fois aux procédures civiles et aux procédures pénales.

 

  • [392] Dans R. c. Taillefer et Duguay, (1995), 40 C.R. (4th) 287 (C.A. Qué.), le juge Proulx de la Cour d’appel du Québec a présenté une analyse comparable :

Mon étude de la jurisprudence canadienne et britannique me fait dire, d’emblée, que la tendance actuelle ne favorise pas la thèse de la nullité automatique du procès.  J’en dégage plutôt le principe que, dans l’exercice de sa discrétion, le juge, considérant la nature de l’incident en cause eu égard à la preuve faite au procès, la conduite des parties et l’ensemble de toutes les circonstances propres à ce procès, doit s’interroger sur le préjudice que peut causer cet incident aux parties et sur le remède approprié pour réparer ce préjudice.  À l’égard d’un accusé, il s’agit finalement de se demander si l’incident peut avoir porté atteinte à son droit à un procès juste et équitable.

 

 

  • [393] Le juge Proulx énumère ensuite les facteurs qui doivent être pris en considération. En premier lieu, un juge doit se demander si l’incident en litige laisse entrevoir une possibilité raisonnable de préjudice ou d’atteinte au droit à un procès juste et équitable. Bien entendu, le juge Proulx précise qu’il faut se poser cette question lorsque le sort d’un accusé est en jeu. En second lieu, les considérations doivent comprendre l’application du principe fondamentalement important voulant qu’il soit essentiel que non seulement justice soit rendue, mais également que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue.

 

  • [394] Dans R. v. Bertucci (1984), 11 C.C.C. (3d) 83 (C.A. Sask.), la Cour d’appel de la Saskatchewan a ajouté que l’annulation du procès pouvait être prononcée si une partie objective estimait que les procédures étaient à ce point viciées qu’un nouveau procès s’imposait.

 

  • [395] Les cours supérieures et les cours d’appelont conféré un vaste pouvoir discrétionnaire aux juges de première instance lorsqu’il s’agit de décider s’ils doivent annuler le procès ou s’il est préférable de prendre d’autres mesures correctives pour remédier à un préjudice éventuellement survenu. Selon la Cour suprême du Canada dans Emkeit c. La Reine (1972), 6 C.C.C. (2d) 1, aux pages 139 et 140 (CSC) et dans R. c. Woods (1989), 49 C.C.C. (3d) 20 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi refusée, [1990] 2 R.C.S. xii, les cours d’appelreconnaissent l’avantage qu’il y a pour unjuge de première instance à soupeser l’effet d’un manquement à la déontologie sur l’équité du procès. Selon la Cour suprême du Canada dans R. c. Khan, 2001 CSC 86, au paragraphe 79, la décision d’annuler le procès ou non relève du pouvoir discrétionnaire du juge, qui doit vérifier s’il existe un risque réel que l’équité du procès ait été compromise.

 

  Annulation de procès et admissibilité de la preuve

 

  • [396] Même s’il existe des cas où une partie a demandé l’annulation du procès en première instance, ceux‑ci ont généralement trait à la présence ou à la réception involontaire d’éléments de preuve inadmissibles.

 

  • [397] Il ressort clairement de la jurisprudence qu’un juge a le pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler le procès, même dans les cas où des éléments de preuve inadmissibles ont été admis. Dans le cadre de la présente requête, comme j’ai exclu des éléments de preuve je ne crois pas devoir examiner la question d’un préjudice éventuel parce que j’aurais su quelque chose que je ne devais pas savoir.

 

  • [398] Dans R. v. Barnard, [1999] 4 C.N.L.R. 133 (C. prov. N.-É.), aux paragraphes 18 et 19, le juge Ryan a déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

 

Il ressort clairement des décisions telles que R. v. Bucholtz (1976), 32 C.C.C. (2d) et R. v. Bertucci (1984), 11 C.C.C. (3d) 83 qu’un juge doit avoir un motif « valable et suffisant » pour annuler le procès (Bucholtz, à la page 333.) L’admission erronée d’éléments de preuve de la part d’un juge siégeant seul ne constitue pas un motif suffisant, en soi, pour annuler un procès. Cette admission erronée doit s’accompagner de l’impossibilité, pour le vérificateur, de se détromper au sujet de ces éléments de preuve avant qu’il soit possible d’annuler le procès. Une pareille décision devrait être prise lorsqu’il semble qu’il y ait une crainte « raisonnable » ou « réelle » de partialité. R. v. McClevis, [1971] 1 O.R. 42; R. v. Collins (1986), 17 W.C.B. 279.

 

Selon ma compréhension de la jurisprudence qui traite de la question de l’annulation de procès, ce recours peut être accordé pour les motifs suivants :

 

– il y a eu admission erronée d’éléments de preuve et impossibilité pour le juge de se détromper au sujet de la preuve inadmissible;

 

– un préjudice apparent ou potentiel pour l’accusé;

 

– une crainte raisonnable de partialité envers l’accusé;

 

– dissimulation et présentation tardive d’éléments de preuve qui auraient dû être produits lors d’un voir‑dire et auraient pu influencer l’issue du voir‑dire (motif non pertinent en l’espèce).

 

  • [399] Tout d’abord, il est évident que certains de ces principes, tout au moins, ne s’appliquent pas dans le contexte civil, où les droits de l’accusé ne sont pas en cause. En outre, il est plus probable dans la présente requête que les questions soulevées doivent en réalité faire l’objet d’un appel, parce que les demanderesses cherchent à contester mes décisions sur l’admissibilité, qui, selon leurs allégations, auraient rendu le procès inéquitable et les auraient empêchées de défendre adéquatement leur cause. Lorsque des requêtes en annulation du procès sont introduites au procès à l’égard de l’admissibilité de la preuve, elles semblent cibler principalement la réception involontaire d’éléments de preuve inadmissibles pendant le procès. En pareil cas, le juge de première instance convient que la preuve était inadmissible. Cependant, une certaine jurisprudence laisse à penser quela Cour peut examiner une requête en annulation du procès dans un contexte civil, bien qu’il soit difficile de voir comment les principes pourraient s’appliquer aux faits dont je suis saisi dans la présente requête.

 

  La compétence fédérale

 

  • [400] Il y a eu deux affaires relevant de la compétence fédérale dans lesquelles une partie a demandé l’annulation du procès. Aucune des deux ne comportait des faits semblables à ceux de l’affaire qui nous occupe. La première, Schick v. Canada (Attorney General) (1986), 5 F.T.R. 82 (T.D.), est survenue dans le contexte d’un appel interjeté devant la cour martiale. Dans cette affaire, devant la cour martiale disciplinaire, l’avocat de la défense a présenté dans le cadre d’une audience une requête en annulation du procès qui se fondait en partie sur la présentation, en contre‑interrogatoire, de certains éléments de preuve préjudiciables à l’accusé. Le juge‑avocat général a accordé l’annulation du procès en vertu de l’article 24 de la Charte des droits et libertés, parce qu’il n’existait aucune procédure à cette fin parmi les procédures de la cour martiale. La seule question en litige dont la Cour était saisie était celle de savoir si le juge‑avocat général avait compétence pour accorder ce redressement.

 

  • [401] La seule affaire traitant de l’annulation d’un procès en Cour fédérale que j’ai pu trouver est Canada (M.C.I.) c. Seifert, 2006 CF 223. Dans cette affaire, un problème électronique avait entraîné une lacune dans la transcription. Après avoir établi que le paragraphe 89(4) des Règles de la Cour fédéraleprévoyant que les sténographes doivent enregistrer intégralement les dépositions avait un caractère impératif, le juge O’Reilly a conclu que les omissions dans l’enregistrement n’entraînaient pas toutes l’annulation du procès ou la nécessité d’entendre de nouveau la preuve.

 

  Autres affaires

 

  • [402] Les demanderesses m’ont référé à la décision rendue par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba dans Spiring v. Young [2005] M.J. no 86.

 

  • [403] Dans Spiring, on a découvert après le procès un document qui portait directement sur l’une des questions fondamentales dans les procédures. Ce document était si important qu’il transformait complètement le caractère de ce qui avait été entendu au procès. Cette situation ne concorde guère avec celle à laquelle fait face la Cour dans la présente requête, et je ne peux pas vraiment en extraire des directives générales, sauf pour souligner que dans la requête dont je suis saisi, il ne m’a pas été démontré que l’exclusion de certains éléments de preuve avait porté atteinte à l’équité du procès. J’ai assurément exclu des éléments de preuve par suite des décisions prises en réponse à des objections, mais de pareilles décisions sont prises dans tous les procès, et je ne suis pas convaincu que mes décisions rendent le procès inéquitable. Les demanderesses sont simplement en désaccord avec mes décisions, pour les motifs que j’ai exposés, et ce désaccord doit faire l’objet d’un appel, et non donner lieu à l’annulation du procès à la présente étape. La plainte générale des demanderesses invoquant le déséquilibre et l’[traduction] « énorme avantage » dont jouit la Couronne si elle peut alléguer le guet‑apens et faire renvoi aux résumés de témoignage anticipé pour le démontrer, n’est pas corroborée par le contexte global des présentes procédures. Et jusqu’à présent, je ne peux voir aucune préoccupation concernant le contre‑interrogatoire ou le réinterrogatoire, ni pourquoi, si des préoccupations étaient soulevées à l’avenir elles ne pourraient pas être dissipées dans le cadre du processus qui est maintenant en cours.

 

  • [404] Par ailleurs, les demanderesses n’ont pas tenté de démontrer en quoi les éléments de preuve qui ont été exclus, ou pourraient être exclus par suite du maintien d’une allégation de guet‑apens, permettent d’établir qu’elles ne pouvaient pas, en faisant preuve de diligence raisonnable et conformément aux ordonnances de la Cour, y faire allusion dans leurs résumés de témoignage anticipé, conformément aux normes. En réalité, j’ai reçu l’assurance que cela avait été fait. Et assurément, les demanderesses ne m’ont pas montré que l’exclusion de certains éléments de preuve pouvait influer sur l’issue du procès au point de justifier son annulation.

 

  • [405] Les participants m’ont aussi conjointement référé à plusieurs affaires dont j’ai pu extraire certains principes généraux. J’ai lu tous les documents auxquels on m’a renvoyé, mais je me contenterai d’énumérer les affaires et les citations indiquées ci‑après, que j’ai trouvées particulièrement utiles.

    1. Spartan Developments Ltd. v. Capital City Savings and Credit Union Ltd., [2003] A.J. no 1626, paragraphe 10;

[traduction]

 

La décision d’annuler le procès dans une affaire civile est discrétionnaire. Encore là, la norme de contrôle est élevée; l’appelant doit démontrer que le défaut était au mieux déraisonnable. Le juge de première instance a raisonnablement  conclu que l’intérêt de la justice militait en faveur du rejet de la requête en annulation du procès, et nous n’avons relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans sa décision à cet effet.

 

 

  1. Carey v. Ontario (C.A. Ont.), [1991] O.J. no 1819, p. 6

[traduction]

 

Nous sommes tous d’avis que le juge de première instance a eu raison de refuser de conclure à un procès nul et que l’ordonnance qu’il a rendue était juste et équitable dans les circonstances. Il n’y a eu ni tort important ni erreur judiciaire.

 

Carey montre qu’un juge de première instance peut faire preuve d’une grande ingéniosité en ajustant le procès et la procédure de façon à remédier à une éventuelle iniquité sans recourir à la mesure draconienne et onéreuse de l’annulation de procès.

 

 

  1. Tupper v. Van Rody (c.o.b. Past Reflections Antiques), [2006] O.J. no 1419, paragraphes 7 et 15.

[traduction]

 

Il était évident que la juge de première instance cherchait un moyen de sauver le procès. Elle n’en a pas trouvé et, avec beaucoup de réticence, a annulé le procès.

 

Carey confirme que si une question pouvant entraîner l’annulation du procès est soulevée lors d’un procès devant un juge seul, il faut examiner diverses possibilités, afin de voir si le procès peut être sauvé, en autant que le maintien du procès et des mesures imposées soient justes et équitables dans les circonstances. S’il n’est pas possible de remplir ce critère, comme dans l’affaire précitée, le juge de première instance peut n’avoir d’autre choix à sa discrétion que de prononcer la nullité du procès.

 

  1. Degroote v. Canadian Imperial Bank of Commerce, [1998] O.J. no 696 (Justice pénale Ont.)

[traduction]

[...]

  1. Les demandeurs font simplement valoir que justice ne peut être rendue en l’espèce que s’ils sont autorisés à faire maintenant ce que leur ancien avocat aurait dû faire en novembre 1996, selon eux. Exception faite de Castlerigg et de Mele, dont, à mon avis, les faits se distinguent nettement, les demandeurs invoquent diverses décisions qui ne s’appliquent guère à une requête en réouverture de jugement : Halton Community Credit Union Ltd. v. ICL Computers Ltd. (1985), 1 C.P.C. (2d) 24 (C.A. Ont.); Sandulo v. Robinson (1975), 10 O.R. (2d) 778 (H.C.J.); Lico v. Griffiths (1996), 28 O.R. (3d) 688 (Div. gén. Ont.). Ces affaires concernent toutes des irrégularités de procédure, n’ayant pas été jugées au fond. De plus, dans chaque cas, le juge a conclu qu’il n’y avait pas eu de préjudice irrévocable pour la partie adverse innocente dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’autoriser qu’il soit remédié à l’irrégularité. Il ne s’agit pas d’une affaire d’irrégularité de procédure, ni d’un cas comme celui de Ferguson v. Panelart Products Inc., [1995] O.J. no 2026 (Div. gén.), où la demande avait été présentée par le demandeur deux jours après le procès, dans des circonstances où le défendeur n’avait produit aucune preuve et l’affaire avait été prise en délibéré. Le tribunal a fait droit à la demande. Bien que le juge de première instance semble avoir adopté le critère énoncé dans Castlerigg, il a néanmoins émis la réserve suivante au paragraphe 18 :

 

[traduction]

 

Même si un procès au civil est une recherche de la vérité, il doit être tenu dans le contexte du système contradictoire. Il faut se rappeler que la défense peut adopter une position particulière au procès et ne pas poursuivre l’interrogation des témoins à un certain moment, non pas en raison d’une intention de cacher ou de supprimer des éléments de preuve pertinents, mais parce qu’il se peut que l’avocat de la défense n’ait pas le sentiment que la question est valable en droit. Bref, le juge de première instance doit se rappeler que l’avocat peut avoir adopté une certaine position tactique au procès, en fonction des plaidoiries et de l’interrogatoire préalable. Le juge de première instance doit s’assurer que l’autorisation de rouvrir les procédures ne porte pas atteinte à la position du défendeur.

 

Il convient également de souligner que dans Ferguson, supra, il fallait trancher une grave question de fraude. En ce sens, les faits ressemblent à ceux de Castlerigg et de Mele, mais ne sont pas ceux de la présente espèce.

 

  1. Incontestablement, un préjudice a été causé aux défendeurs en l’espèce. Le présent litige existe de longue date. Les défendeurs ont correctement introduit une requête devant le tribunal en vertu de l’article 20 des Règles de procédure civile. Les demandeurs se sont opposés à l’audience de la requête et n’ont pas obtenu gain de cause. Ils n’ont pas non plus obtenu gain de cause sur le fond de la requête. Il n’est pas fortuit que les demandeurs aient demandé la réouverture du jugement seulement après la publication des motifs du jugement. Comme l’a déclaré avec à‑propos le juge Wilkins dans Strategic, supra, à la p. 421 :

 

[traduction]

 

Une fois le procès terminé et le jugement rendu, il est toujours simple, avec le recul, de reconstituer une meilleure méthode pour présenter l’affaire lorsqu’on se trouve dans la triste situation du perdant.

 

Et, selon le juge en chef Gale et les juges Evans et Estey dans Becker Milk, supra, à la p. 556 :

 

[traduction]

 

Bref, la demande de production de cet élément de preuve supplémentaire a été rejetée, parce qu’un plaideur perdant, sauf dans des circonstances très particulières, ne devrait pas être autorisé à présenter de nouveaux éléments de preuve disponibles avant le jugement lorsqu’il s’est dit tout à fait d’accord pour que le juge de première instance rende son jugement sur le fondement du dossier produit lors d’un procès auquel ce plaideur a participé activement.

 

15  À mon avis, il importe peu que la preuve n’ait pas été présentée initialement pour le motif que les demandeurs invoquent maintenant. Que ce soit le même avocat ou un nouvel avocat qui demande de faire admettre une preuve supplémentaire ne peut changer le critère applicable à l’admission de la preuve. Ce critère est la diligence et non la négligence. La conduite de l’avocat est une question qui doit être tranchée dans une action pour négligence de l’avocat lors du procès, où il est possible d’apprécier les témoignages de vive voix et la crédibilité. Si le jugement est une erreur, cette question doit faire l’objet d’un appel. Telles sont les règles qui régissent le fonctionnement de notre système. Si le tribunal devait également se pencher sur la réouverture du jugement dans la présente action, il donnerait effectivement sa bénédiction à un processus par étapes que ne prévoient pas nos règles, ce qui engendrerait de l’incertitude et de l’imprévisibilité dans les litiges, et, à mon avis, serait fort préjudiciable pour les plaideurs, le processus judiciaire et le système juridique. Je m’y refuse donc.

 

  1. Degroote v. Canadian Imperial Bank of Commerce, [1999] O.J. no 2313 (C.A. Ont.)

[traduction]

  1. La décision de rouvrir ou non la requête était discrétionnaire. Bien que le critère applicable ait été exprimé de diverses façons, il se résume essentiellement à ce qui suit. Le tribunal doit se demander si la preuve aurait probablement changé le résultat, et si elle aurait pu être découverte en faisant preuve de diligence raisonnable. Toutefois, l’exigence de diligence raisonnable est assouplie dans des circonstances exceptionnelles lorsqu’il faut éviter une erreur judiciaire.

 

  1. La juge des requêtes a conclu dans une évaluation préliminaire des documents supplémentaires qu’elle était disposée à admettre qu’ils auraient probablement changé le résultat. La juge a aussi conclu, et cela est incontestable, que la preuve aurait pu être présentée à l’égard de la requête en faisant preuve de diligence raisonnable. La question était ensuite celle de savoir sides circonstances exceptionnelles justifiaient la suppression de l’exigence de diligence raisonnable. La juge Lax a pleinement examiné cette question. Elle était disposée à présumer que l’avocat avait été négligent, mais que même en pareil cas, les circonstances n’étaient pas suffisamment exceptionnelles pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire en faveur des appelants. En fonction des documents dont la juge Lax était régulièrement saisie, il n’y avait pas lieu de modifier sa décision, ni de conclure qu’elle n’avait pas eu de motifs valables de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

  1. R. v. Marroquin – Pineda, [2002] O.J. no 2249 (Cour de justice de l’Ont.)

[traduction]

  1. Tout d’abord, les procès nuls sont des procès avortés. Un procès peut être déclaré nul si le tribunal est convaincu qu’il existe une crainte raisonnable que l’une ou l’autre des parties ne bénéficie pas d’un procès équitable si le procès en cours se poursuit, mais qu’un procès équitable serait possible s’il commençait à nouveau devant un autre juge de première instance. En l’espèce, la réception involontaire de ce document préjudiciable soulève une crainte raisonnable.

 

  1. Dans R. v. Jannetta, [1998] O.J. no 3292 (Cour de l’Ont. (Div. prov.)), le juge Hackett a déclaré ce qui suit au paragraphe 31, lorsqu’il a rejeté une requête en annulation du procès présentée par la défense :

 

[traduction]

 

étant donné que le procès ne devrait être annulé que si aucun autre redressement ne permet de préserver son équité [...]

 

 

  1. R. v. Cipriano, [1999] O.J. no 3006 (Cour municipale de Montréal)

 

  1. Les cours supérieures et les cours d’appel [Voir la note 19, ci‑dessous.] ont conféré un vaste pouvoir discrétionnaire aux juges de première instance pour décider s’il convient de prononcer la nullité d’un procès ou s’il est préférable de prendre des mesures correctives pour remédier à un préjudice.

 

  1. Dans R. v. Taillefer [Voir la note 20, ci‑dessous.], après avoir analysé la jurisprudence canadienne, britannique et australienne, la Cour a établi des principes de base dont un juge doit tenir compte au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler le procès :

 

[traduction]

« [...] si l’incident en question laisse entrevoir une possibilité raisonnable de préjudice ou la violation du droit à un procès équitable

 

[...]

 

[...] [appliquer le principe] d’une importance fondamentale portant qu’il est essentiel que non seulement justice soit rendue, mais également que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue. »

 

  1. Le deuxième principe a aussi été établi dans R. v. Bertucci [Voir la note 21, ci‑dessous.], en ces termes :

 

[traduction]

« [...] les circonstances sont telles qu’une partie objective estimerait que les procédures sont à ce point viciées qu’un nouveau procès s’impose. »

 

  1. On peut voir par conséquent que l’annulation d’un procès est une mesure extrême et qu’on ne devrait l’utiliser que si aucun autre recours n’est possible à part la suspension des procédures.

 

 

  1. de Aranjo v. Read, [2004] B.C.J. no 963 (C.A. C.‑B.)

 

 

[traduction]

 

  1. Il est incontestable qu’un juge de première instance peut annuler le procès proprio motu dans des circonstances appropriées. Cependant, il est exceptionnel qu’une cour d’appel touche à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un juge de première instance de libérer le jury ou de poursuivre le procès. Comme l’a déclaré le juge Major dans Hamstra v. B.C. Rugby Union, supra, au paragraphe 26 :

 

[traduction]

 

Il est établi depuis longtemps qu’en l’absence d’une erreur de droit une cour d’appel ne devrait pas toucher à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance au cours d’un procès. Cela s’applique tout autant à une décision de garder ou de libérer le jury. On ne saurait trop souligner que le juge de première instance est le mieux placé pour décider comment exercer ce pouvoir discrétionnaire.

 

 

  1. Les difficultés et les coûts, à la fois pour le secteur public et pour le secteur privé, qu’un nouveau procès occasionne inévitablement constituent une autre raison de principe justifiant cette déférence. Les commentaires du juge Meredith dans Caswell v. Toronto R.W. Co. (1911), 24 O.L.R. 339, aux pages 350‑351 (C.A.), qui sont cités au paragraphe 55 des motifs de mon collègue et sur lesquels j’insiste, font valoir ce point :

 

 

[traduction]

 

Un nouveau procès entraîne des difficultés en toute circonstance; lorsqu’il est accordé pour des motifs insuffisants il constitue une injustice très grave; retirer à une personne ce qu’elle a gagné honnêtement, puis la soumettre aux délais, aux frais, à la pression psychique et physique d’un autre procès et à l’incertitude de son issue, est quelque chose qu’on peut estimer intolérable à juste titre. Bien entendu, les nouveaux procès s’avèrent nécessaires à l’occasion, afin que justice soit rendue entre les parties, mais ils sont contraires à l’intérêt public, et on pourrait légitimement les considérer comme un mal nécessaire, au besoin [...]

Une affaire doit donc être solidement défendue pour qu’un nouveau procès soit ordonné à juste titre [...]

 

  1. Kralz v. Murray, [1954] 1 D.L.R. 781 (C.A. Ont.), page 153

[traduction]

 

Je suis d’avis que même si dans certaines circonstances il faut ordonner un nouveau procès, quoi qu’il en soit, les principes énoncés au nom de notre Cour par le juge Meredith dans Caswell v. Toronto R.W. Co. (1911), 24 O.L.R. 339, aux pages p. 351-1, s’appliquent en l’espèce, notamment ce qui suit :

 

[traduction]

 

  Un nouveau procès entraîne des difficultés en toute circonstance; lorsqu’il est accordé pour des motifs insuffisants il constitue une injustice très grave; retirer à une personne ce qu’elle a gagné honnêtement, puis la soumettre aux délais, aux frais, à la pression psychique et physique d’un autre procès et à l’incertitude de son issue, est quelque chose qu’on peut estimer intolérable à juste titre. Bien entendu, les nouveaux procès s’avèrent nécessaires à l’occasion, afin que justice soit rendue entre les parties, mais ils sont contraires à l’intérêt public, et on pourrait légitimement les considérer comme un mal nécessaire, au besoin [...]

 

Une affaire doit donc être solidement défendue pour qu’un nouveau procès soit ordonné à juste titre, à tel point même, que dans certains cas où une injustice a été commise envers l’une des parties au procès, un nouveau procès n’est pas ordonné à moins que l’erreur n’ait soulevé une objection à ce moment‑là; dans l’ensemble de la pratique consistant à demander un nouveau procès, la même réticence à ordonner un nouveau procès est omniprésente.

 

Cependant, une partie a parfois droit à un nouveau procès, et parfois, la Cour exerce d’elle‑même son pouvoir discrétionnaire, ordonne un nouveau procès, mais rarement, et seulement si l’intérêt de la justice l’exige clairement.

 

  1. Burgess v. Taylor 44 S.W. 3d 806, p. 169-170

[traduction]

 

Les Burgess soutiennent ensuite que le tribunal de première instance a commis une erreur en rejetant leur requête en annulation du procès. Les Burgess prétendent qu’aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que les chevaux avaient effectivement été abattus, et que le témoignage du témoin expert de Taylor, Victoria Coomber, concernant l’entreprise d’abattage, a été préjudiciable. L’annulation d’un procès ne doit être ordonnée par un tribunal de première instance que s’il existe un besoin évident, urgent ou réel de prendre cette mesure. Skaggs v. Commonwealth, Ky., 694 S.W. 2d 672 (1985) cert. refusé, 476 U.S. 1130, 106 S. Ct. 1998, 90 L. Ed. 2d 678 (1986). La Cour suprême du Kentucky a déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

 

Il est universellement reconnu que l’annulation d’un procès est un redressement extrême [**19], et qu’on ne devrait y avoir recours que si les procédures comportent un vice fondamental qui entraînera une injustice manifeste. Le cas faisant l’objet d’une plainte doit être d’une telle nature et d’une telle ampleur qu’un plaideur se verra refuser un procès juste et impartial et qu’on ne peut atténuer l’effet préjudiciable par aucun autre moyen.

 

[*815] Gould v. Charlton Co., Inc., Ky., 929 S.W. 2d 734, 738 (1996). En ce qui concerne la norme dans les affaires civiles, la Cour a ajouté ceci : [traduction] « Dans les affaires civiles, l’annulation d’un procès est généralement considérée comme une réparation draconienne qui devrait être réservée aux erreurs les plus graves, lorsque le préjudice ne peut pas être supprimé autrement. [Citation omise.] » ld., citant Reed v. Wimmer, 195 W. Va. 199, 465 S.E. 2d 199, 207 (1995).

 

  1. Skaggs v. Commonwealth 694 S.W. 2d 672

[traduction]

 

La question est celle de savoir si l’appelant a droit à un nouveau procès lorsqu’il découvre qu’un témoin expert qu’il a choisi, qui prétendait être un psychologue clinicien autorisé et qui a témoigné en sa faveur en vue d’établir une défense d’aliénation mentale, était un imposteur qui ne possédait pas les titres, diplômes ou permis qu’il prétendait détenir.

 

[...]

 

Afin que des éléments de preuve nouvellement découverts puissent appuyer une requête demandant un nouveau procès, ils doivent être suffisamment décisifs pour pouvoir, avec une certitude raisonnable, modifier le verdict [*4] ou changer probablement le résultat si un nouveau procès est ordonné. Hollowell v. Commonwealth, Ky., 492 S.W. 2d 884 (1973); Wheeler v. Commonwealth, Ky., 395 S.W. 2d 569 (1965).

 

[...]

 

Lorsqu’il tranche une requête en annulation du procès, le juge de première instance se retrouve devant une pléthore d’intérêts divergents. Le public a intérêt à ce que les procédures judiciaires soient efficaces et conçues pour donner des résultats justes et équitables. Les plaideurs ont intérêt à ce que leurs questions juridiques soient résolues de façon juste, [*738] rapide et économique. Annuler un procès retarde le système de justice et augmente considérablement les dépens, à la fois pour le public et pour les parties. L’annulation d’un procès incommode les plaideurs, les jurés et les témoins. En raison de l’indisponibilité éventuelle de certains témoins [**12] le jour du futur procès, ordonner l’annulation d’un procès risque de changer l’issue d’une affaire.

 

Une requête en annulation de procès présente non seulement des intérêts divergents, mais aussi un nombre illimité de cas particuliers. C’est pourquoi les normes strictes d’une méthode en soi ont été rejetées. Pour qu’un juge de première instance annule le procès, il doit ressortir du dossier [traduction] « une nécessité évidente de prendre une pareille mesure ou une nécessité urgente ou réelle ». Skaggs v. Commonwealth, Ky., 694 S.W. 2d 672, 678 (1985) (citations omises). Ce critère permet de soupeser les intérêts divergents chaque fois qu’une requête en annulation de procès est présentée. En outre, ce critère tient compte du fait que chaque cas doit être analysé en fonction des faits particuliers de l’espèce. Même si Skaggs était une affaire pénale, sa norme souple convient dans les affaires civiles et nous en concluons.

 

Il est universellement reconnu que l’annulation d’un procès est un redressement extrême, et qu’on ne devrait y avoir recours que si les procédures comportent un vice fondamental qui entraînera une injustice manifeste. Le cas faisant l’objet d’une plainte doit être d’une telle nature et d’une telle ampleur qu’un plaideur se verra refuser un procès juste et impartial et qu’on ne peut atténuer l’effet préjudiciable par aucun [**13] autre moyen.

 

Dans les affaires civiles, l’annulation d’un procès est généralement considérée comme une réparation draconienne qui devrait être réservée aux erreurs les plus graves, lorsque le préjudice ne peut pas être supprimé autrement. [Citation omise.]

 

 

  1. Sharon Lay ect. (C.A. Commonwealth of Kentucky)

Il est bien établi que l’annulation d’un procès ne doit être ordonnée que [traduction] « s’il existe un besoin évident, urgent ou réel de prendre cette mesure ».

 

[traduction]

 

« Il est universellement reconnu que l’annulation d’un procès est un redressement extrême, et qu’on ne devrait y avoir recours que si les procédures comportent un vice fondamental qui entraînera une injustice manifeste. Le cas faisant l’objet d’une plainte doit être d’une telle nature et d’une telle ampleur qu’un plaideur se verra refuser un procès juste et impartial et qu’on ne peut atténuer l’effet préjudiciable par aucun autre moyen. »

 

  • [406] La question qui me préoccupe à ce stade‑ci est celle de savoir si j’ai compétence pour annuler le procès en qualité de juge de la Cour fédérale. La source de cette compétence n’a pas été établie devant moi dans le cadre de la présente requête. La Cour fédérale est un tribunal créé par la loi, sans compétence inhérente, et je crois comprendre que faute d’attribution par une loi, la compétence ne peut pas être conférée à la Cour fédérale sur consentement des parties. Cela peut poser ou non un problème, mais, par suite de mon examen et de mes conclusions, il est inutile de débattre cette question à ce stade‑ci. Mais ce que j’ai à dire doit reposer sur l’hypothèse que j’ai compétence pour accorder la réparation demandée dans la présente requête et que les demanderesses ne sont pas limitées à leurs droits et recours en appel.

 

  • [407] En présumant que j’ai compétence, il me semble, d’après les affaires citées, que les principes qui devraient me guider en matière d’annulation de procès sont les suivants :

    1. La décision d’annuler le procès en l’espèce est discrétionnaire.

    2. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire je dois examiner, au vu des circonstances de l’affaire, la question de savoir si l’annulation du procès est nécessaire afin de prévenir une erreur judiciaire et si les faits et les arguments dont je suis saisi font apparaître un risque réel de préjudice ou d’erreur judiciaire, ou s’il existe, à tout le moins, une possibilité raisonnable de préjudice pour les demanderesses.

    3. Je dois garder à l’esprit que l’annulation du procès est un redressement extraordinaire et que, même si j’estime qu’un préjudice a été subi avant d’accorder ce redressement, je dois permettre l’examen d’autres options afin de voir s’il est possible de sauver le procès de manière juste et équitable dans les circonstances.

 

  • [408] Sur le fondement de ces principes, je suis d’avis qu’au vu des circonstances de l’affaire qui sont exposées dans mes motifs, en ce qui a trait à mes décisions, à leurs répercussions futures, à la procédure suivie en l’espèce ou à chacun des témoins en particulier (y compris à l’égard des questions qui concernent précisément l’Aîné Starlight), les demanderesses n’ont pas démontré qu’elles auraient subi un préjudice ou une injustice, ni que le processus aurait comporté un déséquilibre qui serait inéquitable envers elles, ni, raisonnablement, qu’il aurait été porté atteinte à leur droit de défendre leur cause devant notre Cour. Les demanderesses ont eu maintes fois l’occasion de produire les éléments de preuve pertinents de leur choix devant la Cour.

 

  • [409] Cela étant, je n’ai pas l’impression en ce moment qu’il faille examiner des solutions de rechange à l’annulation du procès.

 

  • [410] Toutes les allégations d’iniquité soulevées par les demanderesses dans la présente requête sont fondées sur l’affirmation selon laquelle « la Cour a créé une situation où les résumés de témoignage anticipé visent à servir et servent effectivement de motif légal pour exclure des éléments de preuve admissibles pertinents ».

 

  • [411] Mais les demanderesses ne peuvent pas jouer sur les deux tableaux. Elles ne peuvent pas déclarer à la Cour que leurs résumés de témoignage anticipé sont entièrement conformes aux normes et, parallèlement, alléguer qu’elles sont entravées par une règle de droit qui exclut les éléments de preuve pertinents non divulgués dans un résumé de témoignage anticipé.

 

  • [412] Et si les résumés de témoignage anticipé des demanderesses ne sont pas conformes aux normes, bien que cela puisse vouloir dire que les demanderesses éprouvent d’autres problèmes, il n’y a toujours pas d’iniquité dans le système si les demanderesses tentent de produire des éléments de preuve non divulgués dans le résumé de témoignage anticipé. Il se peut qu’aucune objection ne soit soulevée à l’égard de l’élément de preuve et, même en pareil cas, les demanderesses devront simplement composer avec les préoccupations liées au guet‑apens qu’elles ont déjà soulevées, et soulèveront sans aucun doute à l’avenir, contre les témoins des autres participants.

 

  • [413] Il n’y a aucune iniquité à cet égard parce que toutes les parties se sont vu accorder le temps dont elles avaient besoin pour rédiger leurs résumés de témoignage anticipé, afin qu’ils renferment tous les éléments de leur choix, et qu’elles ont donc été en mesure d’éviter les allégations de guet‑apens au procès à l’égard des sujets et aspects qui leur importaient.

 

  • [414] Je ne suis saisi d’aucune preuve indiquant que les demanderesses ont été empêchées ou incapables de mener à bien la tâche qui consistait à rédiger des résumés de témoignage anticipé conformes aux normes. Si les demanderesses s’étaient heurtées à un problème, il leur était loisible de demander l’aide de la Cour, soit de leur accorder plus de temps pour achever la tâche. Elles ont obtenu le délai qu’elles avaient demandé et ont assuré la Cour à maintes reprises que leurs résumés de témoignage anticipé étaient rédigés selon les normes.

 

  • [415] Au fond, toute la procédure suivie au procès n’est tout simplement pas aussi compliquée que les demanderesses ne le font valoir aux fins de la présente requête. La véritable question qui se pose à l’égard des objections est celle du guet‑apens au procès sur des points que les deux parties ont assimilés à des facteurs importants. Par ailleurs, les deux parties ont demandé et obtenu un redressement par suite d’un guet‑apens, et les deux parties ont rattaché le guet‑apens au système de divulgation préalable qui exigeait la production de résumés de témoignage anticipé pour les témoins.

 

  • [416] Le guet‑apens au procès constitue une question importante pour les deux parties et pour la Cour. Le guet‑apens empêche de contre‑interroger efficacement. Or il est absolument nécessaire de contre‑interroger efficacement pour obtenir la vérité, c’est‑à‑dire, la vérité, et non celle qui est professée par l’une des parties au litige.

 

  • [417] C’est la raison pour laquelle le système de divulgation utilisé dans les présentes procédures a été conçu et a évolué de cette façon.

 

  • [418] La véritable question qui se pose est d’obtenir la vérité, dans un contexte où la divulgation préalable ne pouvait en rester aux méthodes conventionnelles, et où le juge responsable de la gestion de l’instance a conclu qu’il était nécessaire que la Cour élabore des solutions sur mesure (qui englobaient les résumés de témoignage anticipé) pour traduire l’action en justice et assurer un procès équitable.

 

  • [419] Dans son examen des allégations d’iniquité à l’égard de l’Aîné Starlight, la Cour ne peut rien trouver pour étayer une allégation selon laquelle le processus actuel ne permettrait pas d’obtenir un résultat, les demanderesses seraient désavantagées lorsqu’elles produisent leur preuve devant la Cour ou la Couronne jouirait maintenant d’un avantage.

 

CONSÉQUENCES

 

  • [420] Le fait est que je me suis déjà penché sur les questions de base de la présente requête, et que j’ai tiré des conclusions dont il ressort clairement, si les demanderesses en avaient dûment tenu compte, que les positions qu’elles adoptent dans la présente requête ne sont pas étayées par le dossier. Je ne comprends franchement pas pourquoi, par exemple, les demanderesses ne se réfèreraient pas à ce que j’ai dit dans la décision que j’ai rendue le 7 novembre 2005, aux paragraphes 194 et 195, afin de prendre des mesures :

194. Toutes les parties, y compris les demanderesses, comprennent bien et acceptent au stade actuel les normes et le degré de divulgation prescrits. J’ai énoncé ces normes de manière détaillée dans mes motifs du 18 octobre 2004. Pour des raisons de commodité, je vais reproduire ici les lignes directrices fournies à cet égard en octobre 2004 :

 

[38] Les listes de témoins et les résumés de témoignage anticipé que les demanderesses ont produits jusqu’à maintenant ne respectent pas l’ordonnance préparatoire du juge Hugessen et ne sont pas suffisamment détaillés pour permettre la préparation en vue de l’instruction et le déroulement efficace de celle-ci pour plusieurs raisons, dont les suivantes :

 

a.  les documents ne sont pas personnalisés. Les listes de témoins doivent indiquer le nom des personnes que les demanderesses comptent faire témoigner, les raisons pour lesquelles ces personnes sont en mesure de témoigner et le contenu du témoignage que chacune d’elles présentera. La désignation d’un vaste groupe de témoins possibles et d’une liste de sujets qui seront abordés au cours de l’instruction par différents groupes ne permet pas une préparation satisfaisante et n’assure pas un déroulement efficace de l’instruction;

 

b.  la langue que chaque témoin utilisera n’est pas indiquée. Dans son ordonnance préparatoire, le juge Hugessen précise, au paragraphe 9, que la liste de témoins et les résumés de témoignage anticipé doivent indiquer [traduction] « la langue qui sera utilisée, s’il ne s’agit pas de l’anglais, et le nom de l’interprète, s’il est connu » . Ces renseignements doivent évidemment être fournis pour chaque témoin;

 

c.  les documents comportent une nomenclature des sujets que les demanderesses ont l’intention d’aborder plutôt qu’un résumé de ce que chaque témoin dira. Ce résumé ne doit pas reproduire mot pour mot les propos de chaque témoin, mais il doit être suffisamment précis pour permettre de contester la déposition en question pour des raisons liées, notamment, à la pertinence et pour assurer une préparation efficace en vue du contre-interrogatoire. Ainsi, il ne suffit pas de dire qu’un témoignage sera présenté au sujet des lois, coutumes et pratiques ainsi que du mode de vie des demanderesses. Le résumé doit indiquer ce qu’un témoin donné dira sur ces questions;

 

d.  ces résumés de témoignage anticipé qui concernent les récits oraux devraient indiquer les pratiques, coutumes et traditions antérieures de la collectivité en question ainsi que les interactions pertinentes avec d’autres groupes.

 

195.  Les éléments qui suivent sont présents dans mon esprit lorsque je dis qu’après s’être d’abord montrées réticentes, les demanderesses acceptent désormais les normes fixées dans l’ordonnance du 18 octobre 2004 :

 

a)  Les demanderesses ont assuré à la Cour, à l’audience du 18 novembre 2004, que les résumés de témoignage anticipé qu’elles étaient en train d’établir « respectent toutes les exigences que vous [M. le juge] avez fixées. En réalité, ils vont au-delà et sont extrêmement détaillés ».

 

b)  Les demanderesses ont donné les assurances suivantes à la Cour à la conférence du 7 janvier 2005 : [traduction] « Nous agissons dans le cadre des règles fixées par la Cour. Les demanderesses ont ainsi présenté leur cause en procédant à la signification des résumés de témoignage ainsi que de leurs observations du 21 décembre 2004 selon le mode autorisé par la Cour, et nous désirons procéder ainsi et que nos vis-à-vis s’y conforment également. »

 

c)  Les demanderesses ont présenté une requête tardive par laquelle elles demandaient à la Cour d’évaluer les résumés de témoignage anticipé de la Couronne et des intervenants en fonction des normes établies par la Cour dans l’ordonnance du 18 octobre 2004.

 

d)  Lors de l’audience provisoire tenue à Calgary le 13 décembre 2004 pour que puisse être entendu le témoignage de Mme Florence Peshee, témoin de la NSIAA, les demanderesses se sont opposées à ce que Mme Peshee témoigne sur des questions non divulguées dans son résumé de témoignage anticipé, au motif que cela constituerait un guet-apens à l’étape de l’instruction. En d’autres mots, les demanderesses ont ainsi clairement démontré qu’elles comprenaient et acceptaient le fait que les résumés de témoignage anticipé et les normes de divulgation prescrites par la Cour ont pour objet d’empêcher les guet-apens à l’étape de l’instruction. Les demanderesses ont alors adopté comme position que ce qu’un témoin devrait être autorisé à dire au procès est circonscrit par le libellé de son résumé de témoignage anticipé. Qui plus est, la Cour a donné son aval à la position préconisée par les demanderesses en décidant de ne pas autoriser Mme Peshee à témoigner à l’égard de questions non valablement divulguées dans son résumé de témoignage anticipé. Cela veut dire que, même avant que ne débute le procès comme tel, des témoignages ont été exclus à la demande des demanderesses au motif que les résumés de témoignage anticipé afférents n’étaient pas conformes. La Cour doit donc faire preuve de cohérence en la matière. [Je souligne.]

 

 

  • [421] Les demanderesses font tout simplement abstraction des conclusions antérieures de la Cour et présentent une requête qui réitère les mêmes questions et arguments.

 

  • [422] Les assurances des demanderesses concernant les résumés de témoignage anticipé ont également été renforcées à l’audience Peshee, où M. Healey a assuré la Cour de ce qui suit :

[traduction]

 

Il s’agit d’aviser [...] votre ordonnance indique – c’est au paragraphe 28 ou 38 de vos motifs en date du 18 octobre, elle expose en détail ce que vous demandez et c’est à cela que nous nous efforcerons de nous conformer.

 

La question fondamentale – quelle est la question qui se pose à la Cour? La question qui se pose à elle est la suivante : L’autre partie est‑elle avisée de ce en quoi consiste la question que vous allez aborder? C’est la question décisive, selon mon observation. Et la – la réponse à cette question est de s’appuyer sur la norme (sic) applicable au résumé de témoignage anticipé.

 

Et il est important que les deux parties soient avisées, qu’elles aient reçu le même genre d’avis.

 

 

  • [423] Si j’ai déjà dit tout cela, et si j’ai reçu des demanderesses les assurances dont j’ai déjà fait mention, il est tout à fait inapproprié de leur part de soutenir maintenant devant moi, en réalité, que l’acceptation des normes de divulgation préalable est sans rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès, qu’elles [traduction] « ne comprennent pas » ce rapport et qu’elles n’ont renoncé à aucune des anciennes positions qu’elles avaient éventuellement adoptées à cet égard. Ces affirmations ne sont que des contradictions non corroborées de ce qui ressort manifestement du dossier.

 

  • [424] Les propos qui suivent sont aussi très préoccupants pour moi :

M. Healey : [Les résumés de témoignage anticipé]

[...] respectent toutes les exigences que vous avez fixées. En réalité, ils vont au-delà et sont extrêmement détaillés.

La Cour : Donc certains d’entre eux sont certainement incomplets à l’égard de ce que les témoins vont dire?

 

M. Molstad : Certains le sont, oui.

 

 

  • [425] S’il existe une explication de ces deux évaluations différentes des résumés de témoignage anticipé des demanderesses qu’a présentées leur avocat à la Cour, elle ne m’a pas été communiquée.

 

  • [426] En fonction des témoignages que leurs témoins ont livrés ou doivent livrer, les demanderesses ont maintenant signifié clairement qu’elles ne pouvaient pas plaider leur cause adéquatement.

 

  • [427] Il s’agit d’une question qui soulève de graves inquiétudes pour la Cour, parce que je suis tenu d’assurer le règlement équitable le plus expéditif et le moins onéreux des présentes procédures conformément aux Règles de la Cour fédérale.

 

  • [428] De surcroît, les demanderesses ont engagé la Cour et les autres participants dans un procès sur le fondement de déclarations et d’assurances portant que leurs résumés de témoignage anticipé répondaient aux normes établies par la Cour et contenaient donc un synopsis de ce que chaque témoin dirait. Leur avocat a maintenant confirmé à la Cour que [traduction] « certains » résumés de témoignage anticipé sont certainement incomplets et ne disent pas ce qu’un témoin va dire. Les demanderesses semblent être conscientes de ce problème depuis un certain temps. Dans leur rapport d’étape en date du 25 décembre 2005, elles tiennent les propos suivants : [traduction] « [identifier] les témoins radiés, le cas échéant, qui pourraient être en mesure de collaborer de manière constructive au dossier d’instruction conformément aux ordonnances préparatoires. [Je souligne.] Cela supposera de vérifier s’il y a des aspects de notre preuve qui doivent être étayés, puis de déterminer si certaines personnes parmi celles qui figurent sur la liste des témoins radiés peuvent livrer ce témoignage. »

 

  • [429] Si certains résumés de témoignage anticipé ne sont pas incomplets (et si les résumés de témoignage anticipé de témoins déjà cités n’étaient pas incomplets) et sont conformes aux normes établies par la Cour, il ne peut y avoir aucun risque que la Couronne allègue un guet‑apens à l’égard de ce que diront ces témoins, parce qu’il ne peut y avoir un guet‑apens à l’égard d’un élément contenu dans un résumé de témoignage anticipé conforme, même si la Cour a utilisé les résumés de témoignage anticipé comme motif légal pour exclure des éléments de preuve (ce qui n’est pas le cas, comme je l’ai expliqué).

 

  • [430] Donc cela donne à penser qu’il y a suffisamment de résumés de témoignage anticipé non conformes pour empêcher les demanderesses de plaider leur cause adéquatement. Si les résumés de témoignage anticipé sont incomplets et ne sont pas conformes aux normes, sous réserve d’une autre explication et en fonction de ce qui a été dit à la Cour jusqu’à maintenant, cela laisse entendre clairement qu’ils dérogent à l’ordonnance rendue par la Cour le 25 novembre 2004, qui visait à remédier à la violation de l’ordonnance préparatoire du juge Hugessen en date du 26 mars 2004, qu’avaient commise les demanderesses.

 

  • [431] Si les résumés de témoignage anticipé ne peuvent pas être dissociés de l’admissibilité de la preuve au procès (et j’ai conclu qu’ils ne le peuvent pas), cela ne nous laisse que la propre conclusion des demanderesses et leur avis à la Cour indiquant qu’elles ne peuvent pas plaider leur cause adéquatement. De toute évidence, les demanderesses connaissent leurs propres témoins.

 

  • [432] Il s’agit là de questions sérieuses qui doivent être réglées pour que le procès puisse continuer. Je devrai obtenir des directives claires.

 

Tous les avocats doivent examiner avec soin les présents motifs et leurs implications pour le reste du procès. Je m’attends à ce que les avocats doivent aussi consulter leurs clients respectifs. Nous passons maintenant à la pause estivale dans le calendrier des procès. Je ne veux pas que le procès reprenne en septembre alors que ces questions seraient toujours en suspens. Par conséquent, les avocats doivent se concerter et indiquer à la Cour dès que possible comment et quand ces questions pourront être bientôt réglées.

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE que :

  1. la requête soit rejetée pour les motifs énoncés;

  2. tous les participants puissent s’adresser à la Cour au sujet des dépens.

 

  « James Russell » 

Juge


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-66-86-A

 

INTITULÉ :  BANDE DE SAWRIDGE c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AL. 

 

  T-66-86-B

LA PREMIÈRE NATION TSUU T’INA (autrefois la bande indienne de Sarcee) c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 10 mai  2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :  Le 19 juin 2007 

 

 

COMPARUTIONS :

 

  Edward H. Molstad   POUR LES DEMANDERESSES

Marco S. Poretti

David Sharko

Nathan Whitling

Catherine Twinn

 

  E. James Kindrake  POUR LA DÉFENDERESSE

Kathleen Kohlman

Wayne M. Schafer

Dale Slaferek

Janell Koch

  POUR LES INTERVENANTS

Janet Hutchiso    LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES

 

 

Jon Faulds    LE CONSEIL AUTOCHTONE DU CANADA (ALBERTA)

Derek Cranna

Jeremy L. Taylor

 

 

Mary Eberts  L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

Kasari Govender

 

Laura C. Snowball  L’ASSOCIATION DES INDIENS NON INSCRITS DE L’ALBERTA

Michael Donaldson

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

  Parlee McLaws, LLP  POUR LES DEMANDERESSES

Edmonton (Alberta)

 

Twinn Law Office  POUR LES DEMANDERESSES

Slave Lake (Alberta) 

 

  John H. Sims (Québec)    POUR LES DÉFENDEURS Sous-procureur général du Canada 

 

  Chamberlain Hutchison    POUR L’INTERVENANTE,

  Edmonton (Alberta)  L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

  Field LLP    POUR L’INTERVENANT,

  Edmonton (Alberta)  LE CONSEIL AUTOCHTONE DU CANADA (ALBERTA)

 

  Law Office of Mary Eberts    POUR L’INTERVENANTE,

  Toronto (Ontario)   L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

  Burnet Duckworth & Palmer LLP    POUR L’INTERVENANTE,

  Calgary (Alberta)  L’ASSOCIATION DES INDIENS NON INSCRITS DE L’ALBERTA

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.