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Date : 20070626

Dossier : T‑853‑06

Référence : 2007 CF 672

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

WALTER MRAK

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES, dénommé

MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Le Contexte

[1]               Par cette procédure de contrôle judiciaire, le demandeur voudrait faire annuler la décision rendue le 13 avril 2006 par l’honorable R. V. Deyell, un membre de la Commission d’appel des pensions (le décideur). En application de l’article 83 du Régime de pensions du Canada (le RPC, ou le Régime), le décideur a accordé au ministre défendeur l’autorisation de faire appel devant la Commission d’appel des pensions (la Commission) de la décision du 7 décembre 2005 du tribunal de révision (le tribunal) qui faisait droit à l’appel interjeté par le demandeur d’une décision du ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences (le ministre) selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à des prestations d’invalidité puisqu’il n’avait pas prouvé qu’il était invalide le 31 décembre 1997, ou avant cette date, date que les parties reconnaissent comme celle à laquelle il a versé la dernière fois les cotisations requises par le Régime.

 

[2]               Le juge Deyell a accordé au ministre l’autorisation d’interjeter appel après que le ministre eut déposé une demande écrite ex parte en date du 16 mars 2006 pour obtenir cette autorisation. L’article 7 des Règles de procédure de la Commission d’appel des pensions (prestations) prévoit qu’un appel formé devant la Commission contre la décision du tribunal doit débuter par la signification, au président ou au vice‑président de la Commission, d’une demande écrite d’autorisation d’en appeler, demande sur laquelle il est statué « ex parte, à moins que le président ou le vice‑président n’en décide autrement ». Ils n’en ont pas décidé autrement ici.

 

[3]               La demande du ministre est un long document renfermant ses prétentions, des copies de la demande de prestations d’invalidité présentée par M. Mrak, des copies de nombreux rapports radiologiques, neurologiques, psychologiques et autres rapports médicaux, ainsi que les déclarations de revenus de M. Mrak pour les années 1997 à 2003. Au total, la demande d’autorisation présentée par le ministre contenait 164 pages de documents.

 

[4]               La disposition du RPC qui régit le droit du demandeur à des prestations d’invalidité est le paragraphe 42(2), ainsi formulé :

Personne déclarée invalide

 

(2) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

 

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

 

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

 

 

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été établie.

When person deemed disabled

 

(2) For the purposes of this Act,

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

 

 

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

 

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

 

 

 

 

(b) a person shall be deemed to have become or to have ceased to be disabled at such time as is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

 

[5]               Comme je l’ai dit, les parties reconnaissent que, le demandeur, M. Mrak, avait l’obligation d’établir devant le tribunal qu’il était invalide le 31 décembre 1997 ou avant cette date et que son invalidité s’est poursuivie par la suite avec une telle gravité qu’il est devenu « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ».

 

[6]               S’agissant de la demande d’autorisation déposée par le ministre, les parties reconnaissent aussi ce qui suit :

 

1.    le critère d’après pour accorder l’autorisation de faire appel d’une décision du tribunal devant la Commission est la question de savoir si celui qui demande l’autorisation, en l’occurrence le ministre, a soulevé un argument défendable. L’avocate de M. Mrak reconnaît que ce critère établit un seuil de faible niveau qui, à l’étape de l’autorisation d’interjeter appel, ne requiert pas de savoir si, sur le fond, le ministre a des chances d’obtenir gain de cause devant la Commission;

 

2.    si l’autorisation est accordée, la procédure introduite devant la Commission est une procédure de novo, chacune des parties étant libre de produire devant elle des preuves nouvelles ou différentes qui n’étaient pas devant le tribunal;

 

3.    la demande d’autorisation présentée par le ministre ne faisait pas état de preuves nouvelles qui n’avaient pas été produites devant le tribunal;

 

4.    la norme de contrôle devant être appliquée dans cette demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si le demandeur, M. Mrak, a établi que la décision du juge Deyell d’autoriser le ministre à interjeter appel était déraisonnable, c’est‑à‑dire non étayée par des motifs qui puissent résister à un examen assez poussé; plus exactement, la décision sera déraisonnable si aucune analyse, dans les motifs exposés, ne pouvait raisonnablement conduire le tribunal, d’après la preuve dont il était saisi, à la conclusion à laquelle il est arrivé;

 

5.    le juge Deyell n’a pas motivé sa décision d’autoriser le ministre à interjeter appel. Les parties reconnaissent qu’il n’était pas tenu de la motiver. Selon le paragraphe 83(2) du Régime, la décision ne doit être appuyée de motifs écrits que lorsque l’autorisation est refusée. En revanche, le paragraphe 83(4) du Régime prévoit simplement que, « dans les cas où l’autorisation d’interjeter appel est accordée, la demande d’autorisation d’interjeter appel est assimilée à un avis d’appel… »

 

Les faits

[7]               Le 24 juillet 2003, M. Mrak a demandé une pension d’invalidité. Il indiquait que, depuis 1976, il travaillait comme agent immobilier, et qu’il a effectivement cessé de travailler le 10 septembre 2002.

 

[8]               Le 7 mai 2004, sa demande de prestations a été refusée. La partie essentielle de la lettre de refus était ainsi rédigée :

[traduction]

« Eu égard à l’historique de vos cotisations au RPC, vous deviez avoir en décembre 1997 une invalidité qui :

 

1.    vous empêchait de faire régulièrement toute espèce de travail (à temps plein, à temps partiel ou saisonnier), et pas seulement le travail que vous faisiez habituellement;

 

2.    était une invalidité à long terme et d’une durée inconnue, ou une invalidité susceptible d’entraîner la mort; et

 

3.    vous a empêché de travailler depuis décembre 1997 et continuera de vous empêcher de travailler.

 

Vous ne répondiez pas à la première condition susmentionnée. »

 

 

[9]               Dans la lettre de refus du 7 mai 2004, le décideur écrivait qu’il avait passé en revue les renseignements et documents versés au dossier, y compris tous les rapports que M. Mrak lui avait envoyés, à savoir sa demande de prestations et le questionnaire, le rapport de son médecin de famille en date du 14 novembre 2003, son rapport de médecine interne daté du 16 novembre 2002 et les rapports de son neurologue datés du 27 novembre 1997 et du 6 avril 1998. Le décideur concluait ainsi :

[traduction]

Je reconnais que vous avez indiqué les limites résultant de votre lésion cérébrale traumatique. Cependant, je suis arrivé à la conclusion que votre état ne vous a pas empêché de travailler depuis décembre 1997. J’ai tenu compte des facteurs suivants pour arriver à la décision :

 

     • d’après vous, vous travailliez après la dernière date possible de votre admissibilité à des prestations d’invalidité;

 

• d’après vous et votre médecin de famille, votre lésion cérébrale s’est produite en 2002, cinq ans après la dernière date possible de votre admissibilité à des prestations.

 

Je sais que vous souffrez de limites. Cependant, je suis arrivé à la conclusion que les renseignements ne montrent pas qu’elles vous empêchaient en décembre 1997 de faire un travail d’un genre ou d’un autre.

 

 

 

[10]           Le 18 mai 2004, M. Mrak a prié le ministère de réexaminer sa décision de lui refuser des prestations d’invalidité. Le 24 juin 2004, le ministre a refusé de modifier sa décision. Le décideur a réitéré le refus reproduit au paragraphe 8 des présents motifs.

 

[11]           Dans les motifs de sa décision en réponse à la demande de réexamen datée du 18 mai 2004, le décideur écrivait qu’il avait passé en revue tous les renseignements et documents versés au dossier, y compris tous les rapports que M. Mrak avait envoyés avec sa demande.

 

[12]           Le décideur écrivait que M. Mrak avait indiqué les limites résultant de ses lésions cervicale et cérébrale. Il écrivait : [traduction] « Cependant, nous sommes arrivés à la conclusion que votre état ne vous a pas empêché de travailler depuis décembre 1997. » Il ajoutait que le ministre était arrivé à cette conclusion parce que:

[traduction]

• selon le rapport de votre médecin de famille, c’est votre lésion la plus récente qui est à l’origine de vos difficultés fonctionnelles actuelles; cependant, elle ne s’est produite qu’en 2002, cinq ans après la dernière date à laquelle vous étiez admissible à des prestations d’invalidité;

 

• selon vos déclarations de revenus, vous avez travaillé durant des années après la date à laquelle nous devions vous déclarer invalide, c’est‑à‑dire décembre 1997.

 

Le décideur écrivait aussi que le ministre avait pris en compte le fait que, selon le rapport du neurologue, M. Mrak n’était pas fonctionnellement limité par son état en avril 1998, juste après la dernière date à laquelle il était devenu admissible à des prestations d’invalidité. Le décideur concluait ainsi : [traduction]  « Par conséquent, nous sommes arrivés à la conclusion que vous étiez capable en décembre 1997 d’exécuter un travail d’un genre ou d’un autre. »

 

La décision du tribunal

[13]           Le 29 juin 2004, ou vers cette date, M. Mrak a fait appel du refus du ministre de lui verser des prestations d’invalidité. L’affaire a été instruite devant le tribunal, à Winnipeg, le 19 octobre 2005. Le 7 décembre 2005, le tribunal a fait droit à son appel.

 

[14]           Les conclusions principales du tribunal peuvent être résumées ainsi :

1.    Le tribunal a reconnu que la question à laquelle il devait répondre était « de savoir si l’appelant était, en décembre 1997 ou avant, atteint d’une invalidité grave et prolongée et s’il demeure invalide ».

 

2.    Aux fins du RPC, une invalidité est jugée grave « si l’appelant est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. L’intéressé doit non seulement être incapable de faire son travail habituel, mais être incapable de faire tout travail que l’on pourrait raisonnablement lui demander de faire. L’invalidité est prolongée si elle est déclarée devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie, ou devoir entraîner vraisemblablement le décès ».

 

 

3.    Le tribunal a résumé le témoignage de M. Mrak ainsi que le contenu du dossier à instruire. Il a relaté ses longs antécédents médicaux, notamment les événements suivants :

 

• en 1971, il s’est fracturé la nuque et il a été tétraplégique durant un certain temps. Il a recouvré l’usage de ses membres;

 

• en 1973, il s’est à nouveau blessé dans un accident de la route, et il a dû être hospitalisé durant environ deux mois;

 

• en 1990, il est tombé dans un escalier et s’est frappé la tête sur le béton;

• en 1997, tombant d’une échelle, il a frappé un mur et traversé la cloison sèche. Il s’est frappé la tête et s’est blessé le coccyx. Sur les conseils de son médecin, il a nettement restreint ses activités. Il a dit qu’à partir de ce moment‑là, il s’est mis à travailler depuis son sofa chez lui. Il a commencé de travailler uniquement à partir de chez lui. Ses prises de médicaments ont augmenté après octobre 1997. Il a commencé d’utiliser un appareil orthopédique à la jambe cette même année;

 

• à l’automne de 2002, il a fait un faux pas dans un stationnement et il est tombé.

 

[15]           Le tribunal a alors analysé les déclarations de revenus de M. Mrak pour les années 1996, 1997 et 1998. Ces déclarations de revenus montraient un revenu brut important en 1996 et 1997, mais en forte baisse après cela, entraînant pour lui une perte nette à cause du niveau élevé de ses dépenses d’entreprise.

 

[16]           Le tribunal, passant en revue les conclusions des parties, a constaté que l’argument principal du ministre était que M. Mrak n’était pas admissible à des prestations parce qu’il n’avait pas été invalide d’une manière continue depuis décembre 1997. Selon le ministre, M. Mrak lui‑même avait dit qu’il n’avait cessé de travailler qu’en 2002, il avait déclaré un revenu brut appréciable en 1997, 1998 et 1999. Il prend note aussi du rapport médical du Dr Slusky selon lequel, même s’il souffrait de plusieurs blessures à la tête, sa capacité fonctionnelle ne s’était réduite qu’en 2002.

 

[17]           Selon le tribunal, même si l’avocate de M. Mrak avait fait valoir que, de 1997 à 2002, son client espérait pouvoir reprendre une occupation véritablement rémunératrice, cela n’était pas le critère prévu par la Loi. Le critère n’était pas de savoir si M. Mrak travaillait, mais plutôt de savoir si ses déclarations de revenus montraient qu’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Ses déclarations de revenus, de dire l’avocate, prouvaient qu’il n’en était pas capable. S’agissant de la preuve d’ordre médical, l’avocate a fait valoir que cette preuve montrait qu’il était invalide en décembre 1997. Ses ennuis de santé, dont l’apparition était bien antérieure à cette date, entravaient sa capacité de fonctionner.

 

[18]           Dans son analyse, le tribunal a reconnu qu’il était parfaitement clair que, après sa chute en 2002, M. Mrak était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Il reconnaissait aussi que [traduction] « le point le plus difficile que doit décider le tribunal est celui qui consiste à savoir si M. Mrak était capable d’occuper un emploi en décembre 1997 », précisant que, à l’époque, même s’il consultait régulièrement des médecins pour des douleurs au cou, à la tête, au dos et au coccyx, « il n’y a aucune preuve détaillée d’ordre médical concernant les effets de son psychosyndrome organique ». Le tribunal ajoutait : « La preuve montre cependant que M. Mrak ressent les effets du psychosyndrome depuis les années 70, et il s’est efforcé de composer avec ce handicap. »

 

[19]           Le tribunal disait ensuite qu’il souscrivait à l’argument de l’avocate de M. Mrak selon lequel la preuve d’ordre médical, juste avant décembre 1997, et après, [traduction] « montre bien que M. Mrak souffrait d’un syndrome douloureux chronique ainsi que de migraines chaque semaine ». Le tribunal s’exprimait ainsi, à la page 31, à propos du témoignage du Dr Slusky :

[traduction] « Le rapport du Dr Slusky semble montrer que les difficultés plus sérieuses de M. Mrak causées par le psychosyndrome n’ont débuté qu’en 2002. Le Dr Slusky n’a cependant vu M. Mrak qu’en mai 2004. Il précise aussi que l’état de M. Mrak pourrait être le résultat de nombreuses lésions antérieures. Malheureusement, le Dr Slusky n’était pas en mesure d’évaluer M. Mrak en 1997, et par conséquent le rapport est difficile à évaluer ». [Non souligné dans l’original]

 

 

 

[20]           Le tribunal concluait de la manière suivante :

 

[traduction] « Le tribunal juge que, compte tenu des réalités, l’appelant était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice en décembre 1997 et par la suite. Il est devenu invalide après sa chute en octobre 1997. »

 

 

Analyse

 

[21]           La présente affaire est inusitée en ce sens que toute la jurisprudence citée par les deux parties portait sur des cas où la décision contestée par demande de contrôle judiciaire et dont l’annulation était demandée en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales était une décision pour laquelle l’autorisation d’interjeter appel avait été refusée, et non, comme dans le cas présent, une décision pour laquelle l’autorisation a été accordée et qu’il n’était pas légalement nécessaire de motiver.

[22]           Néanmoins, les deux parties reconnaissent que la jurisprudence développée dans le contexte du contrôle judiciaire d’une décision refusant l’autorisation d’interjeter appel devrait être applicable à une décision qui accorde l’autorisation d’interjeter appel et que l’on veut faire annuler.

 

[23]           Plus précisément, les avocates des deux parties adoptent le critère formulé par le juge MacKay dans le jugement Callihoo c. Canada (Procureur général) [2000] A.C.F. n° 612, où il écrivait qu’une décision portant sur une demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Commission donnait lieu à deux questions :

1.    la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c’est‑à‑dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d’être accueillie, sans que le fond de la demande soit autrement examiné;

 

2.    la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits au moment de déterminer s’il s’agit d’une demande ayant des chances sérieuses d’être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d’accorder l’autorisation. [Non souligné dans l’original]

 

 

[24]           Je me réfère aussi à un jugement de la juge Reed, Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) [1999] A.C.F. n° 1252, qui concernait encore une fois une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’un refus de l’autorisation d’interjeter appel devant la Commission d’une décision du tribunal de révision. La juge Reed écrivait ce qui suit, au premier paragraphe de son analyse de la décision contestée :

La demande d’autorisation d’interjeter appel est une étape préliminaire à une audition du fond de l’affaire. C’est un premier obstacle que le demandeur doit franchir, mais celui‑ci est inférieur à celui auquel il devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande d’autorisation, le demandeur n’a pas à prouver sa thèse.

 

 

 

[25]           Puis la juge Reed citait une jurisprudence de la Cour d’appel fédérale selon laquelle, pour qu’une requête en autorisation d’interjeter appel soit recevable, l’auteur de la requête doit convaincre la Cour qu’il existe un argument défendable permettant de croire que l’appel projeté sera couronné de succès.

 

[26]           Dans l’arrêt Martin c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. n° 1972 (C.A.F.), le juge Malone, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a cité, en l’approuvant, le jugement Kerth rendu par la juge Reed. Il est arrivé à la conclusion que le vice‑président de la Commission avait appliqué un mauvais critère et placé sur les épaules de l’appelant un fardeau trop lourd au moment d’évaluer la demande d’autorisation d’interjeter appel. Le juge Malone a estimé qu’il y avait à tous le moins un argument défendable quant à la bonne interprétation de la disposition du Régime selon laquelle, pour qu’une invalidité soit grave, le demandeur des prestations doit être « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». C’est de cette même disposition qu’il s’agit ici.

 

[27]           Je suis disposé à admettre l’argument des parties selon lequel le critère énoncé dans le jugement Callihoo, précité, est celui qu’il convient d’appliquer dans une demande de contrôle judiciaire contestant la décision d’autoriser une partie à interjeter appel, mais j’irais plus loin, en ajoutant une autre exigence, l’obligation pour le demandeur d’invoquer des circonstances spéciales propres à justifier un tel contrôle judiciaire, parce que l’autorisation d’interjeter appel est une procédure interlocutoire qui ne préjuge en rien l’issue de l’appel, lequel, s’agissant de la Commission, requiert de reprendre l’affaire depuis le début.

 

[28]           La politique législative est que, sauf circonstances spéciales, il ne devrait pas y avoir appel, ou contrôle judiciaire immédiat, à l’encontre d’un jugement interlocutoire. Voir l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.) [1993] A.C.F. n° 934.

 

[29]           Le juge Deyell n’a pas motivé par écrit sa décision d’autoriser le ministre à interjeter appel, mais, selon moi, aux fins de cette demande de contrôle judiciaire, les arguments défendables exposés par le ministre dans sa demande écrite ex parte d’autorisation constituent les motifs qu’avait le juge Deyell d’accorder l’autorisation. À mon avis, une telle conclusion est justifiée par les termes mêmes de l’article 83 de la Loi, qui, comme je l’ai dit, prévoit que lorsque l’autorisation d’interjeter appel est accordée la demande d’autorisation d’interjeter appel devient l’avis d’appel.

 

[30]           L’argument principal avancé par l’avocate de M. Mrak est que la demande d’autorisation déposée par le ministre ne fait nulle part état d’un argument défendable. L’avocate fait valoir que, considérée globalement, la demande d’autorisation exprime simplement le déplaisir du ministre devant la décision du tribunal et nulle part ne fait état d’une erreur de droit ou de fait, sans compter que le juge qui a accordé l’autorisation n’avait devant lui aucune preuve nouvelle. Dans sa décision, le tribunal de révision a simplement appliqué la définition légale de l’invalidité à ses conclusions de fait.

 

[31]           L’avocate du ministre répond en disant que la demande d’autorisation faisait état de deux arguments défendables. Le premier, dit‑elle, concerne le point de savoir si les gains de M. Mrak postérieurs à décembre 1997 attestent sa capacité de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Elle invoque un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Villani c. Canada (Procureur général) [2001] A.C.F. n° 1217, au paragraphe 38, un précédent qui selon elle permet d’affirmer que, pour être invalide, M. Mrak devait être incapable de détenir, d’une manière permanente, une occupation véritablement rémunératrice. Le deuxième argument défendable, d’ajouter l’avocate du ministre, concerne le point de savoir si, d’après la preuve d’ordre médical, M. Mark était invalide en décembre 1997.

 

[32]           Je partage l’avis de l’avocate du ministre pour qui, eu égard au contenu de la demande d’autorisation, on ne saurait sérieusement affirmer que la décision du juge Deyell d’accorder l’autorisation était déraisonnable.

 

[33]           S’agissant de la preuve d’ordre médical, l’examen de la décision du tribunal de révision montre que le tribunal a laissé de côté les deux rapports du Dr Ilse. Le premier, daté de novembre 1997, concluait que M. Mrak présentait, après examen, une bonne constitution et que son examen neurologique ne différait pas de ce qui avait été indiqué auparavant.

 

[34]           Dans son deuxième rapport, daté du 6 avril 1998, le Dr Ilse écrivait que M. Mrak avait bien réagi aux médicaments et que ses maux de tête étaient devenus moins fréquents, moins persistants et moins pénibles. Le tribunal s’est exprimé sur le rapport du Dr Slusky, mais ne l’a pas vraiment approfondi, estimant qu’il était « difficile à évaluer ». La manière dont le tribunal a considéré la preuve d’ordre médical soulève un argument défendable.

 

[35]           S’agissant de ses revenus, M. Mrak a déclaré en 1997, 1998 et 1999 un revenu brut tiré de ses activités. Le tribunal a estimé que ces gains n’étaient pas la preuve d’une occupation véritablement rémunératrice en raison du niveau excessivement élevé de ses dépenses d’entreprise. Or, là encore, le tribunal n’a pas vraiment expliqué pourquoi selon lui le niveau des dépenses d’entreprise empêchait l’existence d’une occupation rémunératrice.

 

[36]           Finalement, la décision contestée étant une décision interlocutoire, le demandeur ne m’a pas persuadé que la présente affaire présente des circonstances spéciales justifiant un contrôle judiciaire immédiat de ladite décision.

 

[37]           L’avocate de M. Mrak a soulevé un troisième point qu’il ne m’est pas nécessaire d’examiner : elle a évoqué un manquement à l’obligation d’équité parce que la décision d’autoriser le ministre à interjeter appel n’était pas appuyée de motifs écrits. Dans sa plaidoirie, l’avocate de M. Mrak a admis qu’il n’y avait pas eu tel manquement, mais que M. Mrak avait subi une injustice en raison de l’absence de motifs. Pour les motifs susmentionnés, cet argument est dépourvu de bien‑fondé.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑853‑06

 

INTITULÉ :                                       WALTER MRAK c. LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES, dénommé MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 JUIN 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Cathy Sherman

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

Nicole Butcher

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Family Law Office

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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