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Date : 20070626

Dossier : IMM‑4512‑06

Référence : 2007 CF 673

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

XUN ZHENG

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               S’agissant d’une conclusion tirée par un tribunal spécialisé à propos de la crédibilité d’une partie, la Cour n’a pas compétence pour substituer sa conclusion à celle du tribunal à moins que la conclusion du tribunal ne soit manifestement déraisonnable.

L’évaluation de la crédibilité d’une partie appartient au juge des faits, le juge de première instance; et, aucune Section d’appel du statut de réfugié n’ayant été instituée pour remplir le rôle d’instance d’appel, bien qu’une telle instance soit prévue par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), ce vide ne saurait être comblé par la Cour car elle ne possède pas les connaissances spécialisées ni la compétence qui, dans tous les cas, ne devient vraiment utile que grâce à de telles connaissances.

            Appelée, dans une demande de contrôle judiciaire, à évaluer une conclusion touchant la crédibilité d’une partie, tout ce que la Cour peut décider, sans plus, selon la LIPR et selon la jurisprudence, c’est le point de savoir si l’évaluation touchant la crédibilité répond à une logique inhérente, en ce sens qu’elle n’est pas manifestement déraisonnable, ni abusive ou arbitraire.

            La mémoire institutionnelle et le renouvellement constant de l’information, attributs propres à un tribunal spécialisé, sont la raison même de l’existence d’un tel tribunal. L’évaluation de la crédibilité d’une partie, qui repose dans chaque cas sur les dossiers d’information et le savoir accumulé concernant un pays donné, découle de centaines de pages réparties dans divers classeurs, de demandes de communication de documents publics, d’une formation professionnelle sans cesse mise à contribution pour accroître la compréhension des événements propres à un pays, de ses groupes ethniques, de sa religion ou de ses religions, de ses coutumes, de ses traditions, de sa géographie, de sa politique, de son économie, de son niveau de vie, de sa structure gouvernementale, de ses associations ou groupements publics, officiels ou non, ainsi que des autres associations, groupements militaires ou paramilitaires, et factions rivales, le cas échéant.

            Cette connaissance d’une foule de références, d’un lexique de mots et expressions et d’une galerie de portraits (outre une évaluation de la fiabilité des rapports venant du pays lui‑même ainsi que d’autres pays, sans compter les organisations gouvernementales ou non gouvernementales) est donc une connaissance acquise par l’expérience, une connaissance au dépositaire de laquelle une compétence est conférée pour cette raison précise.

            La Cour ne prétend pas posséder une telle connaissance. Il s’agit d’une connaissance spécialisée reconnue par le législateur, ou plutôt d’une connaissance spécialisée dont il ne parle pas, par exemple celle qui nous concerne ici, la connaissance du Falun Gong et des procédures hospitalières suivies en Chine. Les tribunaux spécialisés sont établis pour des raisons pratiques évidentes, pour faire en sorte que ses membres constituent un bassin de spécialistes. Cette spécialisation n’est pas différente de celle des techniciens en sécurité, dans une industrie pour laquelle il existe des tribunaux spécialisés (plus souvent compris dans un contexte industriel que dans le présent contexte, mais néanmoins de même nature). La spécialisation dans ces domaines ne se rapporte pas à des connaissances générales, mais plutôt à une mémoire institutionnelle, à une information et à une formation, fonctions dans le contexte desquelles de tels tribunaux spécialisés sont établis et investis d’une compétence. Les juges ne sont pas formés, ni équipés pour l’exercice de fonctions aussi spécialisées, et c’est la raison pour laquelle ils s’en rapportent, de par la loi, à des tribunaux spécialisés.

            Par conséquent, tout ce que la Cour peut faire, c’est examiner la demande de contrôle judiciaire et, lorsque la chose est appropriée, analyser la situation et certifier une question, mais, si l’affaire requiert d’être réévaluée, elle ne peut être renvoyée qu’au tribunal spécialisé qui a jugé l’affaire au départ; une procédure de contrôle judiciaire ne saurait donc être convertie en un appel et la Cour ne saurait rendre jugement comme s’il s’agissait d’un appel.

 

[2]               « Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. » (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. n° 732 (QL), paragraphe 4.)

 

[3]               Il est bien établi que, sauf preuve contraire, la Commission est présumée avoir pris en compte toute la preuve produite, quand bien même ne préciserait‑elle pas dans ses motifs que c’est bien ce qu’elle a fait. Par ailleurs, comme l’écrivait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. n° 946 (QL) (C.A.F.), le fait que certaines des preuves documentaires ne sont pas mentionnées dans les motifs de la Commission n’a pas pour effet de vicier sa décision ni ne permet d’affirmer que des preuves ont été laissées de côté ou mal interprétées. C’est surtout le cas lorsque la preuve non mentionnée a peu de valeur probante. Partant, il est loisible à la Commission d’évaluer la preuve et de lui accorder peu de valeur probante, voire aucune. Ainsi que l’écrivait le juge en chef Bora Laskin, de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Woolaston c. Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102 :

Je ne puis conclure que la Commission a méconnu ce témoignage et a ainsi commis une erreur de droit que cette Cour doit corriger. Le fait qu’il n’est pas mentionné dans les motifs de la Commission n’entache pas sa décision de nullité. Il figurait au dossier; sa crédibilité et sa force probante pouvaient être appréciées avec les autres témoignages en l’espèce et la Commission avait la faculté de ne pas en tenir compte ou de ne pas y ajouter foi.

 

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[4]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 19 juin 2006, par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, expressions définies respectivement à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

LE CONTEXTE

[5]               Le demandeur, M. Xun Zheng, est un Chinois âgé de 24 ans. Il dit craindre la persécution en Chine parce qu’il est un adepte du mouvement Falun Gong.

 

[6]               Le demandeur dit qu’il est devenu un adepte du mouvement Falun Gong en décembre 2003 pour des raisons de santé. Sa voisine, Auntie Zhang, l’avait présenté à son groupe de pratique clandestin, qui prenait des précautions pour ne pas être découvert par le Bureau de la sécurité publique (BSP).

 

[7]               Le 26 janvier 2005, le groupe de pratique clandestin auquel appartenait le demandeur fut découvert par le BSP. À la suite d’une alerte donnée par un guetteur, le demandeur a pu quitter les lieux avant l’arrivée des agents du BSP et se rendre chez un oncle. Alors qu’il se cachait chez son oncle, le demandeur a appris que deux adeptes du mouvement avaient été arrêtés.

 

[8]               Le 28 janvier 2005, le BSP s’est rendu chez le demandeur et a dit à sa famille de ne pas chercher à dissimuler ses allées et venues, parce qu’il avait enfreint l’interdit prononcé par le gouvernement contre le mouvement Falun Gong.

 

[9]               Le demandeur dit que, cinq jours plus tard, les agents du BSP se sont rendus chez lui à nouveau et ont exhibé un mandat d’arrêt en ajoutant qu’il serait accusé. Après cet incident, l’oncle de M. Zheng a conseillé au demandeur de quitter la Chine. Avec l’aide d’un « passeur », le demandeur a quitté la Chine. Arrivé au Canada le 11 avril 2005, il a demandé l’asile le 19 avril 2005.

 

[10]           Le demandeur soutient que, depuis son arrivée au Canada, le BSP a arrêté et détenu des adeptes du Falun Gong et qu’il s’est rendu au domicile de sa famille à plusieurs reprises pour savoir où il se trouvait.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[11]           La Commission a estimé que le témoignage de M. Zheng n’était pas crédible sous plusieurs aspects essentiels intéressant sa demande d’asile et que le demandeur n’avait pas été communicatif ni n’avait pu donner aucun détail au‑delà de ceux qui figuraient dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). La Commission a estimé aussi que le témoignage du demandeur renfermait des incohérences, des omissions et des invraisemblances qui contredisaient la preuve documentaire objective. Sur ce point, la Commission a jugé que le demandeur n’avait pu confirmer par des documents plusieurs aspects essentiels de sa demande d’asile et que les explications qu’il avait données pour justifier cette incapacité étaient déraisonnables. Elle a conclu également que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong (décision de la Commission, pages 5 à 12.)

 

LE POINT EN LITIGE

[12]           La Commission a‑t‑elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable?

 


LE CADRE LÉGISLATIF

[13]           L’article 96 de la LIPR est ainsi formulé :

96.      A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96.      A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[14]           Le paragraphe 97(1) de la LIPR prévoit quant à lui ce qui suit :

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[15]           S’agissant des questions de crédibilité, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Commission est un tribunal spécialisé qui est pleinement compétent pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile à la lumière des invraisemblances, contradictions et incohérences contenues dans son témoignage. Lorsque les déductions et conclusions de la Commission ne sont pas déraisonnables au point de justifier l’intervention de la Cour, ses conclusions ne donnent pas lieu à un contrôle judiciaire, quand bien même la Cour ne souscrirait‑elle pas aux déductions ou conclusions tirées par la Commission (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100; Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425 (QL), paragraphe 14; Aguebor, précité, paragraphe 4).

 

ANALYSE

            La Commission a‑t‑elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable?

[16]           Lorsque la Commission conclut à l’absence de crédibilité d’un demandeur d’asile en raison des failles du témoignage de celui‑ci, elle exerce le pouvoir discrétionnaire propre à un arbitre des faits et, lorsque la Commission tire une telle conclusion, la Cour doit s’abstenir d’intervenir (He c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 1107 (QL), paragraphe 2).

 

[17]           Les conclusions touchant la crédibilité d’une partie peuvent être tirées de plusieurs façons. Lorsqu’elle évalue la solidité du témoignage d’un demandeur d’asile, la Commission peut tenir compte par exemple de l’imprécision du témoignage, des hésitations du demandeur d’asile, de ses incohérences, de ses contradictions et de son comportement. S’agissant des conclusions de cette nature portant sur la crédibilité, la Cour s’en rapporte à la Commission, car c’est elle qui est la mieux placée pour évaluer la qualité du témoignage de vive voix du demandeur d’asile. La Commission est fondée à dire que le demandeur d’asile n’est pas crédible si l’exposé circonstancié du demandeur d’asile présente des invraisemblances, et elle peut, en se fondant sur le bon sens et la raison, tirer des conclusions logiques liées au contexte et aux circonstances entourant les événements (arrêt Aguebor, précité).

 

[18]           Par ailleurs, la Cour a jugé, dans la décision Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, au paragraphe 5, que le témoignage produit sous serment par un demandeur d’asile est présumé véridique à moins qu’il n’existe une raison valide de mettre en doute sa véracité.

 

[19]           La décision de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable. Il était loisible à la Commission de rendre cette décision au vu de la preuve dont elle était saisie. Le témoignage de M. Zheng était rempli d’incohérences et il était généralement invraisemblable. La structure logique de son témoignage était viciée.

 

[20]           Les conclusions suivantes tirées par la Commission sont claires et détaillées, et elles rendent compte des diverses omissions, incohérences et invraisemblances entachant le témoignage de M. Zheng :

i)          En réponse à une question ouverte invitant M. Zheng à décrire ce qui était arrivé le soir du 28 janvier 2005 lorsque le BSP s’était prétendument rendu chez lui pour l’arrêter, le demandeur a oublié de dire que le BSP avait vivement conseillé à sa famille de ne pas dissimuler ses allées et venues. (Décision de la Commission, page 3; transcription de l’audience, pages 33‑35; exposé circonstancié du FRP, page 3.)

 

ii)         Le demandeur a dit qu’il avait au départ hésité à devenir un adepte du mouvement Falun Gong, en raison de l’interdit prononcé par le gouvernement en juillet 1999. C’est la raison pour laquelle il ne s’était pas joint au mouvement lorsque Auntie Zang l’avait approché la première fois. Prié de dire pourquoi il s’était joint au mouvement, le demandeur a répondu que c’était parce que sa santé se détériorait et qu’il avait aussi pris connaissance des précautions prises par le groupe pour éviter d’être découvert. D’après son témoignage, il y avait dans le groupe neuf adeptes. Cela ne s’accorde pas avec l’exposé circonstancié de son FRP, où il écrit qu’il y avait au moins neuf adeptes et qu’il y avait deux lieux de pratique, l’un qui appartenait à l’un des adeptes et l’autre à un instructeur. (Décision de la Commission, page 4; transcriptions de l’audience, page 22; exposé circonstancié du FRP, pages 2‑3.)

 

iii)         La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas, lors de son entrevue au point d’entrée, mentionné l’incident qui avait précipité les choses, à savoir la descente de police parmi son groupe et l’arrestation de deux adeptes, ce dont fait état l’exposé circonstancié de son FRP. (Décision de la Commission, pages 6‑7; transcription d’audience, page 34; exposé circonstancié du FRP, page 3.)

 

[21]           La Commission n’a donc pas commis d’erreur, vu la preuve dont elle était saisie, en mettant à l’avant‑scène les incohérences, les contradictions et les invraisemblances, et en disant que par conséquent le demandeur n’était pas crédible. Sur ce point, le juge James Hugessen, de la Cour d’appel fédérale, écrivait ce qui suit, dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Dan‑Ash, [1988] A.C.F. n° 571 (QL) (C.A.F.) :

... à moins que l’on ne soit prêt à considérer comme possible (et à accepter) que la Commission a fait preuve d’une crédulité sans bornes, il doit exister une limite au‑delà de laquelle les contradictions d’un témoin amèneront le juge des faits le plus généreux à rejeter son témoignage.

 

 

[22]           Puisque la Commission a conclu que M. Zheng n’était pas généralement crédible, il lui était loisible de tirer la conclusion globale selon laquelle le témoignage du demandeur n’était pas crédible. Ainsi que l’écrivait le juge Mark MacGuigan dans l’arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238, [1990] A.C.F. n° 604 (QL) (C.A.F.) :

... même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d’audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d’audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d’autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage...

 

(Il est également fait référence aux jugements suivants : Chavez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 962, [2005] A.C.F. n° 1211 (QL), paragraphe 7; Touré c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 964, [2005] A.C.F. n° 1213 (QL), paragraphe 10.)

 

[23]           Le demandeur fait valoir que la Commission a erré parce qu’elle n’a pas évalué l’ensemble des preuves dont elle était saisie.

 

[24]           Il est bien établi que, sauf preuve contraire, la Commission est présumée avoir pris en compte l’ensemble des preuves, quand bien même ne dirait‑elle pas dans ses motifs que c’est ce qu’elle a fait. Par ailleurs, comme l’écrivait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hassan, précité, le fait que certaines des preuves documentaires ne sont pas mentionnées dans les motifs de la Commission n’a pas pour effet de vicier sa décision ni ne permet d’affirmer que des preuves ont été laissées de côté ou mal interprétées. C’est surtout le cas lorsque la preuve non mentionnée a peu de valeur probante. Partant, il est loisible à la Commission d’évaluer la preuve et de lui accorder peu de valeur probante, voire aucune. Comme l’écrivait le juge en chef Laskin, de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Woolaston, précité :

Je ne puis conclure que la Commission a méconnu ce témoignage et a ainsi commis une erreur de droit que cette Cour doit corriger. Le fait qu’il n’est pas mentionné dans les motifs de la Commission n’entache pas sa décision de nullité. Il figurait au dossier; sa crédibilité et sa force probante pouvaient être appréciées avec les autres témoignages en l’espèce et la Commission avait la faculté de ne pas en tenir compte ou de ne pas y ajouter foi.

 

 

[25]           Il était loisible à la Commission d’évaluer le témoignage du demandeur à la lumière de la preuve documentaire qui lui eût permis de dire si sa demande d’asile présentait un fondement objectif, par exemple l’absence d’un mandat, et ce que vivent les membres des familles d’adeptes du Falun Gong lorsque ces adeptes sont recherchés par le BSP.

 

[26]           Par ailleurs, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas apporté une preuve corroborante, par exemple des rapports médicaux de l’hôpital et de la clinique où il avait reçu des soins, d’autant que la Commission l’a jugé non crédible, et compte tenu du fait que le demandeur affirmait être devenu adepte du mouvement Falun Gong en raison d’ennuis de santé.

 

[27]           Dans la décision Chkliar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 96, la Cour fédérale écrivait ce qui suit :

[7]        ... Bien que les requérants prétendent que la Commission a alors tenté de faire corroborer des témoignages non contradictoires, elle n’a tout simplement pas accordé une grande force probante aux convictions des requérants sur la situation générale au Kazakhstan parce que ces convictions n’étaient pas compatibles avec les preuves documentaires. Elle avait le pouvoir d’agir ainsi...

 

 

[28]           Comme la Commission a le devoir non seulement de considérer la preuve produite, mais également d’en apprécier l’importance, elle pouvait donc parfaitement conclure, au vu de la preuve dont elle était saisie, que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas une crainte fondée de persécution. M. Zheng ne s’est pas acquitté de son obligation d’établir les éléments de sa demande d’asile. (Ortiz Juarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, [2006] A.C.F. n° 365 (QL), paragraphe 7; Ipala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 472, [2005] A.C.F. n° 583 (QL), paragraphe 31; Kazadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 292, [2005] A.C.F. n° 349 (QL), paragraphes 18‑20.)

 

[29]           Au vu de la décision de la Commission, il apparaît qu’elle comprenait les circonstances de la demande d’asile de M. Zheng et que, selon elle, son témoignage ne suffisait pas à justifier une décision favorable. Par conséquent, la conclusion de la Commission était raisonnable et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

DISPOSITIF

[30]           Pour tous les motifs ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Michel MJ Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4512‑06

 

INTITULÉ :                                       XUN ZHENG c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart Kaminker

 

POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HART A. KAMINKER

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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