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Date : 20070703

Dossier : T-656-06

Référence : 2007 CF 691

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAX M. TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

AHMAD HAMAM

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Représenté par l’Agence des douanes et du revenu du Canada

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une représentante du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (la représentante du ministre) confirmant la confiscation de la somme de 22 000 $ CAN et de 7 400 $ US sous le régime de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch 17 (la Loi).

 

 

 

CONTEXTE

[2]               Le 14 juillet 2003, Ahmad Hamam, le demandeur, a réservé une place dans un avion partant de l’aéroport international Pearson à Toronto pour Londres en Angleterre, avec pour destination finale Beyrouth au Liban. Le demandeur n’a pas déclaré 22 000 $ CAN et 7 400 $ US (les espèces saisies) et un agent des douanes (l’agent) a saisi les espèces conformément au paragraphe 18(1) de la Loi, lequel dispose que s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une personne n’a pas déclaré des espèces d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire, l’agent peut alors saisir à titre de confiscation les espèces. Conformément au paragraphe 18(2) de la Loi, à la réception du paiement de la pénalité réglementaire, l’agent doit restituer au saisi ou au propriétaire légitime les espèces sauf s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il s’agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou de fonds destinés au financement d’activités terroristes. Dans la présente affaire, l’agent croyait qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner qu’il s’agissait de produits de la criminalité et, par conséquent, les espèces saisies n’ont pas été restituées au demandeur.

 

[3]               Les paragraphes 18(1) et 18(2) de la Loi disposent :

 

18 (1) S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), l’agent peut saisir à titre de confiscation les espèces ou effets.

 

  (2) Sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, l'agent restitue au saisi ou au propriétaire légitime les espèces ou effets saisis sauf s'il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu'il s'agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou de fonds destinés au financement des activités terroristes.

 

18(1) If an officer believes on reasonable grounds that subsection 12(1) has been contravened, the officer may seize as forfeit the currency or monetary instruments.

 

  (2) The officer shall, on payment of a penalty in the prescribed amount, return the seized currency or monetary instruments to the individual from who they were seized or to the lawful owner unless the officer has reasonable grounds to suspect that the currency or monetary instruments are proceeds of crime within the meaning of subsection 462.3(1) of the Criminal Code or funds for use in the financing of terrorist activities.

 

 

[4]               Le demandeur a demandé une révision de la saisie conformément à l’article 25 de la Loi, lequel dispose :

 

La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l'article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s'il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l'agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

A person from whom currency or monetary instruments were seized under section 18, or the lawful owner of the currency or monetary instruments, may within 90 days after the date of the seizure request a decision of the Minister as to whether subsection 12(1) was contravened, by giving notice in writing to the officer who seized the currency or monetary instruments or to an officer at the customs office closest to the place where the seizure took place.

 

 

 

[5]               Le paragraphe 12(1) de la Loi énonce ce qui suit :

 

Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l'agent, conformément aux règlements, l'importation ou l'exportation des espèces ou effets d'une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

Every person or entity referred to in subsection (3) shall report to an officer, in accordance with the regulations, the importation or exportation of currency or monetary instruments of a value equal to or greater than the prescribed amount.

 

 

[6]               Le paragraphe 2(1) du Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002-412, dispose que le montant réglementaire est de 10 000 $.

 

[7]               Une fois qu’une décision du ministre a été demandée en vertu de l’article 25 de la Loi, celle‑ci exige ensuite que la personne qui a présenté la demande reçoive un avis exposant les circonstances de la saisie. La Loi prévoit également que la personne sollicitant la révision peut produire des éléments de preuve. Le demandeur a présenté une preuve pour démontrer que les espèces saisies étaient de l’argent que lui avaient donné les membres de sa famille au Canada afin qu’il le remette aux membres de sa famille au Liban. Il a fourni des éléments de preuve établissant que l’argent appartenait aux personnes suivantes et était ainsi reparti :

Le demandeur :                                                             600 $ US

Nizar Hamam, le cousin du demandeur :                        3400 $ US

Yehia Ghamloush, l’ami du cousin du demandeur :         3000 $ US

Marwan Hamam, le cousin du demandeur :                   400 $ CAN

Ali Zayour, l’oncle du demandeur :                                20 000 $ CAN

Ahmad Charif Hamam, le cousin du demandeur :           2000 $ CAN

 

[8]               Le demandeur a produit des lettres de toutes les personnes ci-dessus confirmant les montants qu’ils avaient envoyés par le demandeur et le nom des personnes auxquelles ils envoyaient l’argent au Liban. En plus de sa lettre, le demandeur a fourni cinq bordereaux de transaction par carte de crédit qui démontraient qu’il a encaissé des sommes d’une valeur de 22 000 $ entre le 27 juin et le 3 juillet 2003. Ahmad Charif Hamam a présenté un document bancaire établissant un retrait de 2 000 $ effectué le 15 juillet 2003 avec une note rédigée à la main indiquant que la transaction initiale a eu lieu le 12 juillet 2003. Yehia Ghamloush a produit une copie d’un chèque de 3 500 $ fait à son ordre le 5 juin 2003.

 

[9]               La représentante du ministre a tenu compte de ces éléments de preuve lorsqu’elle a rendu sa décision en vertu de l’article 29. L’article 29 de la Loi est ainsi rédigé :

 

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre peut, aux conditions qu’il fixe :

a) soit restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux-ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

b) soit restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

c) soit confirmer la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34.

 

Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en est informé, prend les mesures nécessaires à l’application des alinéas a) ou b).

29.(1) If the Minister decides that subsection 12(1) was contravened, the Minister may, subject to the terms and conditions that the Minister may determine,

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the Minister of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

(b) decide that any penalty or portion of any penalty that was paid under subsection 18(2) be remitted; or

(c) subject to any order made under section 33 or 34, confirm that the currency or monetary instruments are forfeited to Her Majesty in right of Canada.

The Minister of Public Works and Government Services shall give effect to a decision of the Minister under paragraph (a) or (b) on being informed of it.

 

 

[10]           Pour rendre sa décision fondée sur l’article 29, le représentant du ministre a bénéficié de la recommandation d’une arbitre de la Division de l’arbitrage, Direction des recours, Direction générale de l’admissibilité, Agence des services frontaliers du Canada (l’arbitre). Le 17 mars 2004, l’arbitre a produit un rapport intitulé « Synopsis du dossier et motifs de décision » qui recommendait à la représentante du ministre de décider qu’il y avait eu contravention de la Loi parce que le demandeur n’a pas déclaré les espèces saisies et que les espèces saisies demeurent confisquées aux termes de l’article 29 de la Loi, car il existait des motifs raisonnables de soupçonner qu’il s’agissait de produits de la criminalité. L’arbitre a déclaré qu’elle avait pris en compte les effets cumulatifs des facteurs suivants pour conclure que les fonds étaient criminellement viciés :

-         M. Hamam est sans emploi

 

-         Avoir en sa possession d’importantes sommes d’argent n’est pas une pratique normale

 

-         N’avait pas connaissance du montant exact en sa possession

 

-         Les déclarations faites au moment où les mesures d’exécution ont été prises diffèrent des allégations formulées à l’appel

 

-         Au moment où les mesures d’exécution ont été prises, M. Hamam n’était pas en mesure d’identifier les individus qui, selon ses dires, lui auraient confié l’argent

 

-         L’argent avait été mis en liasse d’une manière suspecte

 

-         La preuve produite relativement à la provenance et au transport de l’argent comptant n’etait pas acceptable

 

[11]           En ce qui concerne la preuve produite par le demandeur, l’arbitre a conclu que la date du relevé de transactions soumis par M. Ahmad Cherif Hamam est postérieure à la confiscation. Elle souligne également que M. Zayour, l’oncle du demandeur, fait valoir que les avances de fonds provenaient d’une seule carte de crédit, mais que les documents versés au dossier font mention d’au moins quatre différents numéros de carte de crédit VISA et MasterCard et que l’écriture et le stylo utilisé semblent être les mêmes sur les deux documents de la Banque de Montréal, lesquels, portent pourtant des dates différentes – un écart de trois jours. Elle a conclu que ces facteurs, associés au choix porté sur les avances de fonds de carte de crédit aux taux d’intérêt élevés plutôt que sur des prêts, les multiples avances obtenues de quatre banques différentes toutes situées sur la même rue et s’étalant apparemment sur une période de cinq jours, jetaient des doutes sérieux tant sur l’authenticité des documents que sur les allégations faites.

[12]           Dans une décision datée du 25 mars 2004, la représentante du ministre a accepté la recommandation de l’arbitre et a confirmé la confiscation en vertu de l’article 29 de la Loi.

 

QUESTION EN LITIGE

[13]           L’unique question en litige en l’espèce est de savoir si le ministre a commis une erreur lorsqu’il a conclu que les espèces saisies étaient confisquées parce qu’il y avait des motifs raisonnables de soupçonner qu’il s’agissait de produits de la criminalité.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[14]           La norme de contrôle applicable doit être déterminée suivant une analyse pragmatique et fonctionnelle. Un certain nombre de décisions récentes de la Cour ont abordé la question de la norme de contrôle applicable à une décision prise par le représentant du ministre en vertu de l’article 29 de la Loi. Dans plusieurs affaires, la Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir Dag c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 CF 427, et Sellathurai c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 CF 208 (dans cette affaire, la juge Simpson a souligné que la question relative à la charge de la preuve à laquelle doit faire face le demandeur qui souhaite dissiper des « motifs raisonnables de soupçonner » doit être examinée en fonction d’une norme de contrôle différente)).

 

[15]           Dans d’autres affaires, la Cour a appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable (Thérancé c. Ministre de la Sécurité publique, 2007 CF 136, Yusufov c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 CF 453, et Ondre c. Procureur général et Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 CF 454).

 

[16]           Dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, la Cour d’appel fédérale a souligné qu’il fallait reprendre l’analyse pragmatique et fonctionnelle dans chaque cas d’espèce. La méthode pragmatique et fonctionnelle signifie qu’il faut prendre en compte quatre facteurs : la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel; l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l’objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question (Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19).

 

[17]           L’article 24 de la Loi est une forte clause privative et, par conséquent, ce facteur indique qu’il faut accorder un haut degré de déférence à la décision. Il est ainsi rédigé :

 

24. La saisie-confiscation d’espèces ou d’effets effectuée en vertu de la présente partie est définitive et n’est susceptible de révision, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues aux articles 24.1 et 25.

24. The forfeiture of currency or monetary instruments seized under this Part is final and is not subject to review or to be set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by sections 24.1 and 25.

 

[18]           En l’espèce, la représentante du ministre est la gestionnaire de la Direction des appels des douanes, Division Est. Sa décision reposait sur la recommandation d’une arbitre de la Division de l’arbitrage, Direction des recours, Direction générale de l’admissibilité, Agence des services frontaliers du Canada. L’arbitre a déclaré dans son affidavit, qu’entre janvier 2003 et décembre 2005, il y a eu 363 demandes de révision ministérielle dans des affaires où l’agent saisissant avait imposé une sanction de confiscation et que 307 décisions ont été rendues en vertu de l’article 29. On peut déduire de ces chiffres que les représentants du ministre possèdent une expertise importante dans les décisions visées à l’article 29 et que les arbitres possèdent une expertise en matière d’analyse des demandes de décision ministerielle et de recommandations aux personnes chargées de rendre des décisions en vertu de l’article 29.

 

[19]           Dans la décision Sellathurai, la juge Simpson a reconnu que le représentant du ministre possédait une expertise importante pour rendre des décisions en vertu de l’article 29, mais elle a dit que ce facteur n’indiquait pas un degré élevé de retenue dans cette affaire puisque le représentant du ministre n’était pas tenu d’avoir recours à une expertise particulière pour en arriver à sa décision. Dans la décision Ondre, la juge Snider a affirmé que ce facteur militait en faveur de la retenue parce que le représentant du ministre possédait l’expertise relative étant donné qu’il était tenu d’apprécier la force ou la crédibilité de la preuve à l’appui des deux points de vue.

 

[20]           En l’espèce, j’estime que la représentante du ministre et l’arbitre ont dû recourir à leur expertise. Par exemple, l’arbitre a dû apprécier l’authenticité des documents bancaires produits par le demandeur. En outre, il ressort de ses motifs qu’elle a eu recours à son expertise en ce qui concerne les pratiques courantes en matière d’exportation d’importantes sommes d’argent. Je conclus par conséquent que ce facteur indique qu’une retenue s’impose à l’égard de la décision de la représentante du ministre.

 

[21]           Le troisième facteur est l’objet de la Loi. L’alinéa 3a) énonce les objets de la Loi dont l’un est de mettre en œuvre des mesures visant à détecter et à décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Le régime de déclaration est justement l’une de ces mesures. Le défendeur fait remarquer que dans l’exercice de ses fonctions en vertu de l’article 29, le ministre n’établit pas simplement des droits entre les parties, mais qu’il est appelé à soupeser les intérêts de la personne entre les mains de qui ont été saisies les espèces et ceux du public canadien au nom duquel le ministre veille à ce que le régime de déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces fonctionne de manière à protéger la société contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Dans la décision Seelathurai, la juge Simpson a déclaré, au paragraphe 58, que l’article 29 n’était pas une disposition polycentrique étant donné qu’il n’oblige pas le représentant du ministre à soupeser des intérêts opposés, mais simplement à confirmer une confiscation. Je suis d’accord avec la juge Simpson et je conclus par conséquent que ce facteur indique qu’une retenue moins élevée s’impose à l’égard de la décision.

 

[22]           Le dernier facteur a trait à la nature de la question. Dans les décisions Seelathurai, Ondre et Yusufov, la Cour a statué qu’une fois que le ministre applique la charge de preuve appropriée, l’analyse repose entièrement sur les faits, et donc qu’une grande retenue s’impose.

 

[23]           Ces facteurs pondérés, je conclus que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

La décision de la représentante du ministre

[24]           La question dont est saisie la Cour est celle de savoir si la décision de la représentante du ministre selon laquelle il existait des motifs raisonnables de soupçonner que l’argent était le produit de la criminalité est manifestement déraisonnable. Il importe de rappeler que la question que doit trancher la Cour n’est pas celle de savoir s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que la personne qui omet de déclarer les espèces a commis un crime, mais plutôt de déterminer s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces en soi sont le produit de la criminalité (Tourki c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2006 CF 50, conf. par 2007 CAF 186).

 

[25]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, a examiné l’article 78 de la Loi sur les Douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), et a statué que les « motifs raisonnables de soupçonner » constitue une norme moins exigeante que celle fondée sur l’existence de « motifs raisonnables et probables de croire », mais qu’elle est incluse dans celle‑ci. La juge Simpson s’est penchée sur cette norme moins exigeante dans la décision Seelathurai, aux paragraphes 70 et 71 :

 

À mon avis, même des motifs raisonnables de soupçonner exigent davantage qu’un « simple » soupçon ou un soupçon subjectif ou encore une intuition. Le soupçon doit reposer sur une preuve objective et digne de foi.

 

[…]

 

S’il faut une preuve objective et digne de foi pour appuyer un soupçon, la question devient celle de savoir à quel moment la norme moins exigeante s’applique. À ce jour, les motifs raisonnables de penser et les motifs raisonnables de soupçonner ont tous deux été traités de manière identique. À mon avis, la différence doit tenir dans la qualification de la preuve. Dans l’arrêt Mugesera, précité, la Cour a déclaré que les motifs de penser devaient reposer sur une preuve « concluante ». À mon avis, c’est là que la distinction repose. La preuve qui appuie un soupçon ne doit pas nécessairement être concluante, elle doit simplement être objective et digne de foi.

 

[26]           Il ressort du rapport circonstancié de l’agent qui a saisi les espèces qu’il disposait des preuves suivantes :

-         le demandeur était sans emploi à ce moment et n’avait pas produit de déclaration de revenus depuis deux ans. Sa dernière déclaration de revenus, jointe à celle de son épouse, s’élevait à environ 70 000 $

 

-         le demandeur avait en sa possession trois traites de banques non visées émises à l’ordre d’un inconnu, que lui avait remises une personne qui lui était inconnue.

 

-         l’argent avait été mis en liasse d’une manière suspecte

 

-         au moment où la mesure a été appliquée, le demandeur ne voulait pas dire à qui appartenait l’argent, si ce n’est de dire qu’il était destiné à six ou sept personnes.

 

[27]           Lorsqu’elle a fait sa recommandation, l’arbitre a également tenu compte du fait que transporter d’importantes sommes d’argent n’est pas une pratique normale et du fait que le demandeur n’avait pas connaissance du montant exact en sa possession.

 

[28]           Je suis convaincu que la preuve est objective et digne de foi et peut appuyer des motifs raisonnables de soupçonner. Pour dissiper le soupçon que cette preuve éveille, le demandeur doit produire une preuve qui établit hors de tout doute raisonnable qu’il n’existe aucun motif raisonnable de soupçonner (Sellathurai, aux par. 72 et 73). La preuve produite par le demandeur consistait en des lettres de cinq parents qui prétendaient que les espèces saisies leur appartenaient, ainsi qu’en certains documents bancaires indiquant que ces personnes ont retiré de leurs propres comptes l’argent qu’ils prétendaient avoir remis au demandeur. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi les espèces saisies avaient été mises en liasse d’une manière suspecte, pourquoi il avait refusé de dire à l’agent à qui était destiné l’argent qu’il avait, pourquoi il transportait les traites bancaires d’une autre personne et comment il possédait de l’argent alors qu’il était sans emploi.

 

[29]           Dans sa recommandation, l’arbitre a examiné la preuve produite par le demandeur et a estimé qu’aucune preuve acceptable expliquant la provenance et le transport de l’argent comptant n’avait été présentée. Elle a estimé qu’il existait des facteurs – liés à la preuve que le demandeur a produit – qui jetaient des doutes sérieux sur l’authenticité des documents qu’il a présentés. Elle a plus précisément souligné que la date du relevé de transactions produit par M. Ahmad Cherif Hamam est postérieure à la confiscation et que les relevés d’avances de fonds produits par M. Zayour provenaient d’au moins quatre différentes cartes de crédit bien qu’il ait prétendu qu’elles provenaient d’une seule carte de crédit. L’arbitre a également souligné qu’il est improbable, vu le taux d’intérêt élevé appliqué aux avances de fonds de carte de crédit comparativement aux prêts, qu’une personne prenne autant d’argent sous cette forme.

 

[30]           La juge Simpson a affirmé au paragraphe 44 de la décision Sellathurai que c’est à juste titre que l’arbitre avait insisté sur la preuve concernant la provenance véritable des espèces confisquées et a déclaré qu’« [i]l ne suffisait pas de montrer à l’aide de relevés bancaires et de simples déclarations dans des affidavits que le demandeur et ses partenaires commerciaux avaient des moyens suffisants qui leur auraient permis de fournir les espèces confisquées ».

 

[31]           Dans la présente affaire, les personnes que le demandeur allègue être propriétaires de l’argent n’ont pas fourni d’affidavits à l’égard de la provenance des fonds, mais elles ont produit de simples déclarations écrites. De plus, seules trois des six personnes ont soumis des documents bancaires pour établir l’origine de l’argent et l’arbitre a conclu que les documents d’Ali Zayour et d’Ahmad Charif Hamam étaient suspects. Les motifs de l’arbitre traitaient essentiellement de la provenance véritable des espèces confisquées et je ne crois pas que sa conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas présenté des éléments de preuve suffisants est manifestement déraisonnable.

 


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Aude Megouo


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-656-06

 

INTITULÉ :                                       AHMAD HAMAM

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               25 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      3 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Watt

 

POUR LE DEMANDEUR

Maria Crowley

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HOHOTS & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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