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Date : 20070704

Dossier : T-1789-06

Référence : 2007 CF 698

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

SIAMAK MIZANI

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi), et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, à l’encontre de la décision d’une juge de la citoyenneté (la juge) de rejeter, en date du 23 août 2006, la demande de citoyenneté présentée par le demandeur en application de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[2]               Siamak Mizani (le demandeur) est un citoyen iranien né en 1955. Il a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 13 février 2001. Il a demandé la citoyenneté canadienne le 4 janvier 2005 et s’est présenté à un examen pour l’obtention de la citoyenneté le 13 décembre 2005. Il a écrit dans sa demande qu’il avait été présent au Canada pendant 1 197 jours et absent pendant 223 jours au cours de la période pertinente.

 

[3]               Le demandeur allègue que, lors de l’examen pour l’obtention de la citoyenneté le 13 décembre 2005, il a présenté à un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent de CIC) son passeport iranien actuel et son passeport iranien expiré; dans ce dernier étaient estampillées les dates d’entrée et de sortie d’Iran qui correspondaient aux dates d’entrée et de sortie du Canada indiquées dans sa demande. Il allègue également qu’il a demandé à l’agent de CIC s’il était nécessaire de conserver le passeport périmé aux fins de la demande et il a alors été informé de la date de la cérémonie de citoyenneté à laquelle il devait se présenter; on ne lui a pas dit de conserver le passeport périmé. Il allègue que ce passeport a ensuite été détruit, comme il l’a expliqué dans une lettre datée du 15 mars 2005.

 

[4]               Le demandeur a comparu devant la juge le 21 juillet 2006. La juge lui a posé des questions au sujet des circonstances entourant la destruction du passeport périmé. Il a répondu que sa femme l’avait détruit par erreur après l’examen pour l’obtention de la citoyenneté parce qu’ils pensaient qu’il n’aurait plus besoin de ce passeport puisque celui‑ci avait été examiné lors de cet examen.

 

[5]               La juge a souligné que le demandeur avait produit seulement son passeport actuel et non le passeport périmé qui était valide pendant la période pertinente. Au lieu du passeport manquant, le demandeur a produit différents documents au soutien de sa demande, notamment des factures et des lettres.

 

[6]               Après avoir examiné le dossier du demandeur, la juge a conclu que la preuve n’établissait pas la présence physique du demandeur au Canada pendant la période pertinente. Elle a donc rejeté sa demande de citoyenneté parce qu’elle n’était pas convaincue qu’il [traduction] « a résidé au Canada pendant 1 095 jours, comme l’exige la Loi sur la citoyenneté ».

 

[7]               Il est bien établi que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux pures questions de droit. Aussi, la Cour doit d’abord déterminer si la juge s’est servie du critère juridique approprié pour tirer la conclusion concernant la résidence qui est contestée en l’espèce.

 

[8]               Le reste de la décision, qui consiste en l’application des faits aux règles de droit relatives à la résidence, est clairement une question mixte de fait et de droit. Je rappelle que, même s’il n’y a pas de clause privative, les juges de la citoyenneté possèdent une certaine expertise dans les affaires de résidence comme celle dont je suis saisie en l’espèce (Farshchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 487, [2007] A.C.F. no 674 (QL), au paragraphe 8). Comme je l’ai mentionné précédemment dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, [2004] A.C.F. no 88 (QL), au paragraphe 7, je suis convaincue qu’une analyse pragmatique et fonctionnelle révèle que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. Pour parvenir à cette conclusion, je me fonde également sur de nombreuses décisions de la Cour (voir, par exemple, Farshchi, précitée; Tulupnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1439, [2006] A.C.F. no 1807 (QL), au paragraphe 11; Tshimanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1579, [2005] A.C.F. no 1940 (QL)).

 

[9]               Le critère juridique qui s’applique en matière de citoyenneté est prévu au paragraphe 5(1) de la Loi (voir la disposition législative pertinente en annexe). La personne qui demande la citoyenneté doit notamment avoir accumulé trois années de résidence au Canada au cours des quatre années antérieures. Le terme « résidence » n’est pas défini dans la Loi, mais il a été interprété de diverses façons par la Cour (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, [2003] A.C.F. no 841 (QL), au paragraphe 6).

 

[10]           La Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.)). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme l’endroit où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l’endroit où l’on a « centralisé son mode d’existence » (Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), au paragraphe 10).

[11]           Je suis d’accord pour l’essentiel avec le juge James O’Reilly lorsqu’il écrit, au paragraphe 11 de la décision Nandre, précitée, que le premier critère exige la présence physique, alors que les deux autres nécessitent un examen plus qualitatif :

Manifestement, la Loi peut être interprétée de deux manières, l’une exigeant une présence physique au Canada pendant trois ans sur un total de quatre, et l’autre exigeant moins que cela, pour autant que le demandeur de citoyenneté puisse justifier d’attaches étroites avec le Canada. Le premier critère est un critère physique et le deuxième un critère qualitatif.

 

[12]           Il a aussi été reconnu que le juge de la citoyenneté est libre d’appliquer l’un ou l’autre de ces trois critères (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (1re inst.) (QL)). Par exemple, dans la décision Hsu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 579, [2001] A.C.F. no 862 (QL), la juge Elizabeth Heneghan conclut, au paragraphe 4, que l’un ou l’autre de ces critères peut être appliqué pour rendre une décision sur la question de la résidence :

La jurisprudence sur les appels en matière de citoyenneté a clairement établi qu’il existe trois critères juridiques permettant de déterminer si un demandeur a démontré qu’il était un résident selon les exigences de la Loi sur la citoyenneté […] le juge de la citoyenneté peut soit calculer de façon stricte le nombre de jours de présence physique, soit examiner la qualité de la résidence, soit analyser la centralisation au Canada du mode de vie du demandeur.

 

[Renvois omis.]

 

[13]           Si le juge de la citoyenneté peut choisir d’appliquer l’un ou l’autre des trois critères, il ne lui est pas permis de les « fusionner » (Tulupnikov, précitée, au paragraphe 17).

 

[14]           Le demandeur soutient que la juge a commis une erreur lorsqu’elle a interprété le critère de résidence qui devait s’appliquer; la juge ne reprend pas le libellé de la Loi dans ses motifs, mais elle emploie les termes [traduction] « présence » et [traduction] « présence physique », au lieu de « résidence », et elle insiste sur la [traduction] « présence continue », laquelle n’est pas exigée. Je ne suis pas d’accord avec lui.

 

[15]           À mon avis, il ne fait aucun doute que la juge a appliqué correctement le critère de la « présence physique ». Tout au long de ses motifs, elle fait référence au critère minimal des « 1 095 jours » et concentre son analyse sur la présence physique du demandeur au Canada telle qu’elle ressort de la preuve. Je ne suis pas convaincue qu’elle a fusionné ce critère avec un autre.

 

[16]           À mon avis, lorsqu’on lit les expressions [traduction] « présence physique continue au Canada » ou [traduction] « présence continue au Canada » dans le contexte de ses motifs, où elle fait expressément référence au critère minimal des 1 095 jours, on constate que la juge a appliqué correctement la méthode du comptage strict des jours, selon laquelle un total cumulatif d’au moins 1 095 jours est nécessaire pour satisfaire au critère de l’alinéa 5(1)c) de la Loi. L’affirmation explicite suivante dissipe toute ambiguïté à ce sujet : [traduction] « La Loi sur la citoyenneté exige que le demandeur soit présent au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours de la période pertinente de quatre ans […] la période de temps pendant laquelle on peut considérer qu’il a résidé au Canada va du 13 février 2001 au 4 janvier 2005, une période de 1 420 jours ».

 

[17]           Il est évident, lorsqu’on considère la décision dans son ensemble, que la juge a assimilé « présence physique » et « résidence » au Canada. La juge commence ses motifs en affirmant ceci : [traduction] « Il faut déterminer si le demandeur a résidé au Canada pendant 1 095 jours, comme l’exige la Loi sur la citoyenneté. » Elle fait ensuite référence aux [traduction] « 1 095 jours pendant lesquels le demandeur a été présent » au Canada.

 

[18]           Le demandeur soutient également que la juge a commis une erreur en ne prenant pas toute la preuve en considération, en n’indiquant pas explicitement combien de temps il avait effectivement passé au Canada et en tirant une conclusion défavorable de son défaut de produire son passeport périmé.

 

[19]           En l’espèce, il incombait au demandeur de produire une preuve suffisante démontrant qu’il satisfaisait aux critères de résidence de la Loi (Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1641, [2005] A.C.F. no 2029 (QL), au paragraphe 21). Par conséquent, il devait, selon le critère de la « présence physique », démontrer qu’il avait été présent au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours de la période pertinente, à défaut de quoi sa demande serait rejetée. En l’espèce, la juge n’a pas été en mesure de confirmer les allégations du demandeur concernant le nombre de jours pendant lesquels il avait été présent au Canada, et ce, à cause de l’insuffisance de sa preuve.

 

[20]           Le demandeur allègue qu’il a expliqué à la juge qu’il pensait qu’il n’était pas nécessaire de conserver son passeport périmé car il avait compris qu’il serait convoqué à une cérémonie de citoyenneté s’il réussissait l’examen pour l’attribution de la citoyenneté. Il soutient que la juge a écarté cet élément de preuve ou ne l’a pas pris en compte comme elle l’aurait dû.

 

[21]           La juge a interrogé le demandeur. Ce dernier lui a dit que sa femme avait détruit le passeport périmé par erreur après l’examen pour l’attribution de la citoyenneté. Interrogée par la juge, la femme du demandeur a déclaré qu’elle avait déchiqueté le passeport parce qu’il n’y avait pas de place dans leur coffre bancaire pour l’y déposer. À mon avis, il n’était pas déraisonnable que la juge considère que les deux récits n’étaient pas convaincants puisqu’ils n’étaient pas corroborés et que les explications ne concordaient pas.

 

[22]           Le demandeur soutient que, comme il a détruit son passeport périmé en se fiant à ce que lui avait dit l’agent de CIC, ses droits à l’équité procédurale ont été violés car l’absence de ce passeport a été déterminante dans la décision de la juge de la citoyenneté. Il n’a pas démontré qu’il avait agi de manière raisonnable en détruisant un document aussi important simplement parce que l’agent de CIC lui avait donné l’[traduction] « impression » que ce document ne serait pas nécessaire aux fins de sa demande.

 

[23]           En outre, la juge pouvait tirer une conclusion défavorable du défaut du demandeur de produire son passeport périmé, lequel aurait été un élément de preuve fondamental au regard de sa demande de résidence car il concernait toute la période pertinente. Je souscris aux commentaires suivants faits par ma collègue la juge Eleanor Dawson dans la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 284, [2000] A.C.F. no 1264 (1re inst.) (QL), au paragraphe 38 :

Lorsqu’une partie omet de présenter au tribunal un élément de preuve qu’elle est en mesure de fournir, il est possible d’inférer que cet élément ne lui aurait pas été favorable.

 

[Renvois omis.]

 

[24]           En l’absence du passeport périmé qui se rapportait à toute la période pertinente au regard de la demande de résidence, la juge a pris en considération les autres documents produits par le demandeur, notamment des lettres de voisins, de membres de sa famille et d’amis. Elle a examiné ces éléments de preuve et a conclu qu’ils étaient pour le moins [traduction] « insuffisants et peu convaincants ». Par conséquent, elle n’était pas convaincue que le demandeur avait été présent au Canada pendant le nombre de jours indiqué dans sa demande. Plus précisément, elle a conclu que cet élément de preuve n’établissait pas la présence du demandeur au Canada de manière satisfaisante. Je ne vois aucune raison qui justifierait l’intervention de la Cour à cet égard.

 

[25]           Après avoir examiné la preuve et les motifs de la décision de la juge, je suis convaincue que celle‑ci a correctement appliqué le droit, qu’elle a examiné et soupesé tous les éléments de preuve, et que sa décision est raisonnable.

 

[26]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE A

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29

5. Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[...]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

      * *

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

...

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             T-1789-06

 

INTITULÉ :                                                           SIAMAK MIZANI

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 3 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                  LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 4 JUILLET 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Wlodyka                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Bell                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lowe & Company                                                    POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-Procureur Général du Canada

 

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