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Date : 20070706

Dossier : IMM-338-06

Référence : 2007 CF 720

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

 

ENTRE :

MARAT MOUMAEV

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O'KEEFE

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d'une décision qu'un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) a rendue le 17 janvier 2006, par laquelle il rejetait la demande d'ERAR du demandeur.

 

[2]               Le demandeur demande que la décision de l'agent soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu'il rende une nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[3]               Le demandeur, Marat Moumaev, et son fils, Rouslan Moumaev, sont citoyens de la Russie et soutiennent qu'ils sont d'origine tchétchène. Dans son affidavit, le demandeur a décrit son origine ethnique et a expliqué le fondement de sa crainte de retourner en Russie. La famille du demandeur a été expulsée de la Tchétchénie en 1944 et, par conséquent, le demandeur est né au Kazakhstan. Sa famille est retournée en Tchétchénie en 1957 et le demandeur y a habité jusqu'à ce qu'il déménage à Moscou en 1974. Pendant la guerre de Tchétchénie de 1994 à 1995, les citoyens russes d'origine tchétchène se faisaient arrêter et étaient persécutés. Le demandeur a commencé à recevoir des appels de menaces et il a appris que beaucoup de ses amis tchétchènes à Moscou avaient été battus, torturés et arrêtés par les policiers.

 

[4]               En juin 1995, le demandeur a été arrêté par des policiers qui effectuaient une vérification de routine des papiers d'identités. Il leur a présenté son passeport, qui faisait mention de son origine tchétchène, et il a immédiatement été mis en état d'arrestation. On lui a demandé de signer des documents dans lequel on accusait d'autres tchétchènes incarcérés d'avoir été en possession d'armes à feu illégales. Il a refusé de signer les documents et les policiers l'ont battu. On l'a averti de ne pas porter plainte au sujet de cet incident. Le demandeur et sa famille ont ensuite obtenu des visas temporaires et ont déménagé à Chypre où ils ont habité pendant quatre ans. Le demandeur est retourné en Russie quelques fois pendant cette période. Il y est retourné en 1998 pour renouveler son passeport international, et à nouveau en 1999 pour présenter une demande de visa canadien.

 

[5]               Après avoir obtenu le visa, il s'est enfui avec son fils. Ils sont venus au Canada à titre de visiteurs le 13 octobre 1999. Leur demande d'asile a été rejetée le 7 août 2003, parce qu'ils n'avaient pas prouvé leur origine tchétchène. Le demandeur avait présenté son passeport interne et son livret militaire comme preuve de son origine ethnique; cependant, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a perdu les documents originaux lorsqu'elle les a envoyés pour analyse judiciaire. La demande d'autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la Commission a été rejetée le 17 décembre 2003. Le demandeur a présenté une première demande d'ERAR en mars 2004. La demande d'ERAR a été rejetée le 3 novembre 2004 en raison de l'absence de preuve établissant l'origine ethnique du demandeur. La demande d'autorisation de contrôle judiciaire de la première décision d'ERAR a été rejetée le 13 avril 2005.

 

[6]               Le demandeur a présenté une deuxième demande d'ERAR en décembre 2005. Dans cette demande, il a présenté un certificat de naissance qui venait de lui être redélivré et que sa sœur avait obtenu pour lui. Le demandeur a soutenu que son certificat de naissance original avait été détruit lors du bombardement de la maison familiale pendant la guerre en Tchétchénie. La deuxième demande d'ERAR a été rejetée le 17 janvier 2006 au motif que le demandeur n'avait pas présenté suffisamment de nouveaux éléments de preuves au sujet de son origine ethnique. Il s'agit en l'espèce du contrôle judiciaire de la deuxième décision d'ERAR.

 

Les motifs de l'agent

 

[7]               La demande d'ERAR du demandeur a été rejetée parce que l'agent a conclu qu'il ne serait pas exposé au risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitement ou peine cruels et inusités s'il retournait en Russie. L'agent a souligné que la première demande d'ERAR du demandeur avait été rejetée parce qu'il n'avait pas établi son origine ethnique tchétchène. L'agent a noté la crainte du demandeur d'être persécuté en Russie du fait de son origine tchétchène et la crainte de son fils portant sur le service militaire qu’il devait effectuer en tant que Tchétchène. L'agent a conclu que les affidavits présentés avec la demande n'établissaient pas l'origine ethnique tchétchène du demandeur. Dans son affidavit, Lema Atagayev explique qu'il a rencontré le demandeur lorsque ce dernier est arrivé au Canada, mais révèle qu'il n'avait pas de renseignements indépendants au sujet du demandeur. De plus, les notes annexées à l'affidavit étaient en tchétchène et n'étaient pas traduites. L'affidavit de Tokaz Edilov a été présenté en vue d'établir la maîtrise de la langue tchétchène et l'origine ethnique du demandeur; cependant, il ne connaissait pas personnellement le demandeur. L'affidavit de Baoudin Atiev attestait qu'il connaissait le demandeur depuis plus de vingt ans. L'avocat du demandeur a expliqué que cet affidavit n'avait pas été présenté lors de la demande d'asile parce qu'il n'avait pas anticipé qu'il serait nécessaire de le présenté, puisque le demandeur avait présenté son passeport interne qui faisait mention de son origine tchétchène. L'agent a conclu que cette explication n'était pas raisonnable et a déclaré que l'affidavit n'était pas un nouvel élément de preuve.

 

[8]               L'agent a conclu que les documents suivants n'étaient pas des « nouveaux éléments de preuve » aux termes de l’alinéa 113a) de la LIPR, parce qu'ils avaient été présentés soit lors de l'audition de la demande d'asile, soit lors de la première demande d'ERAR, ou que le demandeur aurait pu les présenter dans le cadre de ses demandes précédentes :

-         des copies de lettres qui avaient été présentées au cours de la première demande d'ERAR.

-         un carnet de travail qui ne faisait pas état de l'origine ethnique du demandeur. L'agent n'a pas accepté l'observation de l'avocat selon laquelle il n'était pas raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur ait présenté le carnet de travail lors de l'audition de sa demande d'asile puisqu'il était représenté par un avocat.

-         des photocopies du certificat de naissance du demandeur et du certificat de naissance qui lui avait été redélivré. L’avocat du demandeur avait soutenu que son client n'aurait pas raisonnablement pu obtenir le certificat de naissance redélivré à l'audition de sa demande d'asile ou lors du premier ERAR. Le demandeur a repris contact avec sa sœur et a découvert que son certificat de naissance original avait été détruit lors du bombardement de la maison familiale pendant la guerre. L'agent a noté que le demandeur n'avait pas présenté de preuve attestant la destruction de la maison. Aucun renseignement n'avait été présenté quant à savoir à quel moment il avait communiqué avec sa sœur; l'agent a donc rejeté la conclusion selon laquelle le contact avait eu lieu après le rejet du premier ERAR.

-         une photocopie de son cahier militaire et de son passeport interne.

-         une photocopie du certificat de naissance de son fils (sans explication pourquoi l'original n'a pas été présenté). L'agent n'a pas accepté l'observation de l'avocat selon laquelle le demandeur n'avait pas été avisé que la Commission voulait son certificat de naissance ou celui de son fils.

-         des photocopies des passeports internationaux du demandeur et de son fils, qui ne faisaient pas état de leur origine ethnique.

 

[9]               L'agent a examiné la preuve et a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve objectifs pour lui permettre de confirmer que le demandeur était Tchétchène.

 

[10]           L'agent a examiné les documents sur la situation du pays présentés par le demandeur et a conclu qu'ils étaient de nature générale et qu'ils ne se rapportaient pas aux demandeurs en l'espèce. L'agent n'était pas convaincu que la situation en Russie avait changé depuis la première décision d'ERAR au point tel que le demandeur serait exposé à un risque. Le demandeur a soulevé un risque auquel son fils serait exposé, soit le fait qu'il devrait accomplir son service militaire s'il retournait en Russie. L'agent a noté que le demandeur était en possession de cette information lorsqu'il a déposé sa première demande d'ERAR et qu'il ne s'agissait pas d'un nouveau risque qui s'était déclaré depuis le rejet de la première demande. Par conséquent, la demande a été rejetée.

 

La question en litige

 

[11]           Le demandeur a soulevé la question suivante :

L'agent a-t-il commis une erreur dans son interprétation du critère des nouveaux éléments de preuve établi à l’alinéa 113a) de la LIPR?

 

Les observations du demandeur

 

[12]           Le demandeur soutient qu'il pouvait maintenant présenter une preuve solide à l'appui de son identité. Il soutient qu'en rejetant la preuve au motif qu'il ne s'agissait pas de nouveaux éléments, l'agent a mal interprété l’alinéa 113a) de la LIPR. Le demandeur soutient que cette erreur constitue un déni de justice naturelle. Le demandeur a noté qu'en ce qui a trait au rejet de nouveaux éléments de preuve portant sur l'identité, la Cour a reconnu que le demandeur ne pouvait pas s'attendre à ce que son identité soit une question de première importance lors de l'audience.

 

[13]           Le demandeur a présenté un certificat de naissance redélivré au cours de sa deuxième demande d'ERAR parce que les documents originaux avaient été détruits lors du bombardement de la maison familiale. Le demandeur a tenté d'obtenir le document après l'audition de sa demande d'asile, mais le certificat n'a été redélivré qu'après le rejet de sa première demande d'ERAR. Il s'agit donc d'un nouvel élément de preuve. Le demandeur a noté que la Tchétchénie était une zone de guerre et que le fait d'exiger une preuve de la destruction de la maison était déraisonnable et sans pertinence quant à l'examen du document permettant de déterminer s'il s'agissait d'un nouvel élément de preuve.

 

[14]           Le demandeur a soutenu qu'il ne pouvait pas s'attendre à ce que son certificat de naissance devienne un document essentiel pour l'audition de sa demande d'asile parce qu'il avait présenté à la Commission son passeport interne original, qui faisait état de sa nationalité tchétchène. Comme la Commission a perdu le passeport avant qu'il soit envoyé pour analyse judiciaire, il était déraisonnable de s'attendre à ce que le demandeur prévoie qu'il devrait présenter son certificat de naissance. Il soutient qu'il n'aurait pas pu prévoir que la Commission perdrait son passeport, ce qui a empêché l'analyse qui lui aurait permis de réfuter la présomption que le document n'était pas authentique. Le demandeur a fait valoir qu'il avait redressé le problème de l'identité au cours du deuxième ERAR, mais que l'agent a ignoré la preuve qu'il avait présentée.

 

[15]           Le demandeur soutient que l'agent a commis une erreur en rejetant l'affidavit de M. Edilov. Il a fait valoir que l'agent a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que l'auteur de l'affidavit est un interprète agréé et qu'il s'est servi de ses connaissances spécialisées pour évaluer de façon objective la maîtrise de la langue du demandeur. Le demandeur allègue que l'agent a commis une erreur en attribuant peu de valeur probante à l'affidavit de M. Atagayev. Il fait valoir qu'il a eu une longue entrevue avec M. Atagayev et que ce dernier avait conclu que le demandeur était Tchétchène. Le demandeur soutient que l'agent avait l'obligation d'expliquer pourquoi il rejetait cet élément de preuve.

 

[16]           Le demandeur fait valoir que le libellé de l'alinéa 113a) de la LIPR demande aux agents d'examiner les circonstances particulières de l'affaire dont ils sont saisis lorsqu'ils déterminent s'ils acceptent de nouveaux éléments de preuve. Il soutient que : 1) ses explications raisonnables au sujet des documents qu'il a présentés, 2) les circonstances uniques de l'affaire, notamment le fait que la Commission a perdu son passeport interne et son carnet militaire, 3) la mauvaise interprétation de la Commission au sujet de son passeport interne, qui a entraîné une augmentation de l'importance des certificats de naissance et 4) la nature extrêmement probante et crédible des nouveaux éléments de preuve, démontrent tous que l'agent a commis une erreur en refusant d'accepter les documents comme nouveaux éléments de preuve présentés en vertu du troisième critère énoncé à l'alinéa 113a) de la LIPR.

 

[17]           Le demandeur soutient que la portée de l'alinéa 113a) de la LIPR ne devrait pas être indûment limitée, compte tenu de l'importance de l'ERAR pour les personnes qui seraient exposées à un risque si elles étaient renvoyées du Canada (voir Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2005), 42 Imm. L.R. (3d) 130, 2005 CF 111).

 

[18]           Bien que l'alinéa 113a) limite l'acceptation de nouveaux éléments de preuve à ceux qui sont survenus depuis le rejet, le demandeur soutient que l'accent que l'agent a mis sur les dates, au dépens d'autres facteurs, ne devrait pas indûment limiter le pouvoir discrétionnaire plus large que le troisième critère de la disposition accorde à l'agent. Le demandeur fait valoir que l'agent n'a pas tenu compte de sa situation, y compris les actions et les erreurs de la Commission, ce qui a été grandement préjudiciable à sa capacité de répondre à l'allégation selon laquelle il n'était pas Tchétchène. Finalement, le demandeur soutient que l'agent a commis une erreur en concluant que le risque auquel Rouslan serait exposé au sujet du service militaire n'était pas nouveau, puisque la preuve documentaire au sujet de l'existence de ce risque était postérieure au rejet de la première demande d'ERAR. Le demandeur fait donc valoir que l'agent aurait dû tenir compte de ce risque.

 

Les observations du défendeur

 

[19]           Le défendeur note que le paragraphe 161(2) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) précise qu'il revient au demandeur de démontrer que les documents qu'il a présentés constituaient de nouveaux éléments de preuve au sens de l'alinéa 113a) de la LIPR. Le défendeur soutient que le deuxième ERAR n'était pas une autre audition de la demande d'asile, mais qu'il servait plutôt à déterminer si de nouveaux risques s'étaient déclarés depuis le rejet de la demande d'asile du demandeur. Il soutient que le demandeur n'a pas démontré qu'il y avait eu des changements dans sa situation personnelle ou dans la situation du pays qui l'exposaient maintenant à un risque (voir Kaybaki c. Canada (Soliciteur général du Canada), 2004 CF 32).

 

[20]           Le défendeur fait valoir que le demandeur tentait de corriger les lacunes dans la preuve qu'il avait présentée à la Commission et à l'agent d'ERAR, ce qui n'est pas le but d'un deuxième ERAR (voir la décision Kaybaki, précitée). Le défendeur soutient que la Commission avait précisé au demandeur que la question de son origine tchétchène était en litige. On lui avait aussi demandé son certificat de naissance original. Il fait valoir que le demandeur n'a pas donné d'explication satisfaisante au sujet de la raison pour laquelle il n'avait pas présenté ces renseignements plus tôt. Le défendeur soutient que les documents que le demandeur a présentés ne constituaient donc pas de nouveaux éléments de preuve : 1) qui sont survenus depuis le rejet, 2) qui n'étaient pas normalement accessibles, ou 3) qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet.

 

[21]           Le défendeur soutient qu'il faut faire preuve de retenue envers la décision de l'agent d'ERAR parce qu'elle contient des conclusions de fait (voir Kaybaki, précitée). Il allègue que le demandeur n'a pas démontré que la décision de l'agent était déraisonnable ou que l'agent a commis une erreur de droit.

 

La réponse du demandeur

 

[22]           Le demandeur soutient que le défendeur a mal interprété la décision dans l'affaire Kaybaki. Dans cette affaire, le demandeur avait présenté une lettre confirmant son arrestation en Turquie et la Cour a conclu que le demandeur aurait pu se procurer le document et le présenter dans le cadre de l'audition de sa demande d'asile et que, par conséquent, l'agent n'aurait pas dû en tenir compte. Le demandeur reconnaît que le processus d'ERAR ne peut pas être utilisé pour présenter sa cause pièce par pièce; cependant, la Commission l'avait réprimandé précisément au sujet du fait qu'il n'avait pas présenté son certificat de naissance, il l'a donc obtenu par la suite et a fourni une explication raisonnable au sujet de la raison pour laquelle il n'avait pas pu l'avoir plus tôt. De plus, dans la décision Mendez, précitée, la Cour a conclu que dans le cadre d'un ERAR, le demandeur peut tenter de faire rectifier une conclusion de la Commission en présentant de nouveaux éléments de preuve. Par conséquent, il était justifié que le demandeur tente de combler cette lacune.

 

[23]           Le demandeur conteste la déclaration du défendeur selon laquelle on lui avait demandé de présenter son certificat de naissance original. Il soutient que le défendeur soulevait des doutes sans fondement au sujet de sa crédibilité. Le demandeur fait valoir que son affidavit faisait clairement ressortir qu'il était déraisonnable que la Commission s'attende à ce qu'il soit au courant de cette exigence.

 

[24]           Le demandeur soutient que sa demande de contrôle judiciaire porte sur une question de droit, soit l'interprétation et l'application appropriées des nouveaux éléments de preuve définis à l'alinéa 113a) de la LIPR, qui devrait être examinée selon la norme de la décision correcte (voir Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2005), 272 F.T.R. 62, 2005 CF 437).

 

Analyse et décision

 

La norme de contrôle

 

[25]           Dans la décision Kim, précitée, le juge Mosley a recouru à l'approche pragmatique et fonctionnelle dans l'examen de la norme de contrôle appropriée applicable à une décision d'un agent d'ERAR. Le juge Mosley a déclaré au paragraphe 19 de la décision Kim :

Ayant rassemblé et soupesé tous ces facteurs, je conclus que, dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions relatives à l’ERAR, la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter; et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte. Les positions prises par mes collègues concernant d’autres décisions relatives à l’ERAR confirment mes conclusions.

 

 

 

[26]           La question en litige

            L'agent a-t-il commis une erreur dans son interprétation du critère des nouveaux éléments de preuve établi à l’alinéa 113a) de la LIPR?

            En l'espèce, la question centrale porte sur l'origine ethnique du demandeur. Sa demande d'asile et sa première demande d'ERAR ont clairement été rejetées au motif qu'il n'avait pas établi son origine tchétchène. Le demandeur savait donc qu'il était crucial, pour sa deuxième demande d'ERAR, qu'il établisse son origine tchétchène.

 

[27]           En vertu de l'alinéa 113a) de la LIPR, un demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve 1) survenus depuis le rejet, 2) qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou 3) qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet. En vertu de l'article 161 du Règlement, un demandeur peut présenter des observations écrites à l'appui de sa demande. Ces observations doivent démontrer que la preuve présentée répond aux critères prévus à l'alinéa 113a) de la LIPR.

 

[28]           J'ai examiné la preuve que le demandeur a présenté à l'appui de sa deuxième demande d'ERAR, ainsi que ses explications au sujet de leur admissibilité en vertu de l'alinéa 113a) de la LIPR. J'ai aussi examiné les motifs de l'agent au sujet du rejet de la preuve du demandeur. À mon avis, certaines parties de la preuve satisfaisaient aux exigences des nouveaux éléments de preuve.

 

[29]           Le demandeur a présenté à l’agent d’ERAR un certificat de naissance qui a été redélivré le 26 novembre 2004 et sur lequel il était inscrit qu’il est de nationalité tchétchène. Au sujet du certificat, l'agent a conclu comme suit :

[traduction]

Le demandeur a présenté une copie de son certificat de naissance et une photocopie d'un certificat de naissance « redélivré » que j'ai examiné. Je conclus que ces documents ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve et ne satisfont pas aux exigences prévues à l'alinéa 113a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, parce qu'une photocopie du certificat de naissance avait été présentée dans la première demande d'ERAR et que le certificat de naissance « redélivré », qui est une photocopie et qui contient les mêmes renseignements, ne constitue pas un nouvel élément de preuve.

 

[30]           Je note d'abord que depuis son arrivée au Canada, le demandeur n'a jamais été en possession de son certificat de naissance original, ni d'une photocopie. Je crois donc que l'agent a commis une erreur à ce sujet. Par conséquent, la photocopie du certificat de naissance redélivré devait contenir de nouveaux renseignements pertinents quant à l'établissement de l'identité du demandeur. L'agent a noté que le demandeur avait obtenu son certificat de naissance redélivré auprès de sa sœur et, comme il n'y avait pas d'information au sujet de la date à laquelle il avait communiqué avec elle, l'agent a conclu que le contact avait eu lieu après que la première demande d'ERAR eut été rejetée. Cependant, le demandeur a présenté un affidavit à l'agent d'ERAR dans lequel il déclarait :

[traduction]

Lorsque j'ai appris à l'audience qu'ils voulaient mon certificat de naissance, j'ai commencé à prendre des mesures pour l'obtenir. À l'époque, je n'avais aucun contact avec mon frère et ma sœur, je ne pouvais donc pas leur demander de l'obtenir pour moi. Lorsque j'ai repris contact, j'ai découvert que mon certificat de naissance original avait été détruit lors du bombardement de ma maison familiale pendant la guerre en Tchétchénie. Pour reprendre contact avec eux, j'ai téléphoné à la fille de la sœur de ma mère (ma cousine germaine), Tamara Kantaeva, qui habitait à Moscou. Elle a communiqué avec ma sœur, qui s'est rendue aux archives pour que le document soit redélivré. Mon certificat a été redélivré le 26 novembre 2004. Ma sœur me l'a ensuite envoyé ici, au Canada.

 

 

[31]           La demande d'asile du demandeur a été rejetée en août 2003 et sa première demande d'ERAR a été rejetée le 3 novembre 2004. Comme je l'ai noté, le demandeur a mentionné qu'il a tenté de reprendre contact avec sa sœur après l'audition de sa demande d'asile, afin d'obtenir son certificat de naissance. Comme son certificat de naissance original a été détruit, il a dû obtenir une copie redélivrée. L'agent a conclu que le demandeur n'avait pas présenté une preuve objective suffisante au sujet de la destruction de la maison familiale. À mon avis, il était déraisonnable de pénaliser le demandeur parce qu'il n'a pas obtenu de preuve objective portant sur la destruction d'une maison précise au cours d'un bombardement.

 

[32]           Il est important de tenir compte des circonstances en l'espèce pour pouvoir déterminer si un certificat de naissance redélivré peut constituer un nouvel élément de preuve. La Commission a perdu le passeport interne et le carnet militaire originaux du demandeur. Le passeport faisait état de l'origine tchétchène du demandeur. Le demandeur a déclaré que son certificat de naissance original avait été détruit lors du bombardement de sa maison pendant la guerre. Lorsque la Commission a refusé d'accepter qu'il était d'origine tchétchène, il a tenté de reprendre contact avec sa sœur. Dans son affidavit, il déclarait qu'il avait entrepris ses démarches après le rejet de sa demande d'asile, mais que le certificat de naissance n'avait été redélivré que le 26 novembre 2004, auquel moment sa sœur lui a envoyé par courrier au Canada. La première demande d'ERAR du demandeur a été rejetée le 3 novembre 2004. Le certificat de naissance redélivré n'a été disponible qu'après que la première demande d'ERAR eut été rejetée.

 

[33]           En raison de ces faits, je suis d'avis que le certificat de naissance redélivré constitue un nouvel élément de preuve au sens de l'alinéa 113a) de la LIPR et que l'agent aurait dû en tenir compte. La conclusion de l'agent selon laquelle le certificat de naissance redélivré ne constitue pas un nouvel élément de preuve est manifestement déraisonnable et doit être annulée.

 

[34]           La décision de l'agent sera donc annulée et l'affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

[35]           Le demandeur a proposé les questions graves d'importance générale suivantes pour la certification :

[traduction]

Compte tenu de l'importance qu'une décision d'ERAR pourrait avoir et des graves répercussions qui pourraient découler d'une décision défavorable, de quelle façon les agents d'ERAR devraient-ils interpréter l'alinéa 113a) en ce qui a trait à la détermination de ce qui constitue de « nouveaux éléments de preuve », présentés par le demandeur, « qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet »?

 

Quelle est la signification du troisième critère de la définition des « nouveaux éléments de preuve » prévue à l'alinéa 113a) de la LIPR, soit « qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce [que le demandeur] les ait présentés au moment du rejet »?

 

[36]           J'ai examiné les observations des avocats et je retiens la position que le défendeur a prise. Par conséquent, je ne suis pas disposé à certifier ni l'une ni l'autre question.

 

JUGEMENT

 

[37]           LA COUR ORDONNE que la décision de l'agent d'ERAR soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

 

 

 

« John A. O'Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


ANNEXE

 

Dispositions légales pertinentes

 

Les dispositions légales pertinentes sont reproduites ci-dessous.

 

La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

 

 

112.(1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

 

a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;

 

b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);

 

 

 

c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré;

 

d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile.

 

 

 

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants:

 

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

 

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit:

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part:

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

112.(1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

(2) Despite subsection (1), a person may not apply for protection if

 

(a) they are the subject of an authority to proceed issued under section 15 of the Extradition Act;

 

(b) they have made a claim to refugee protection that has been determined under paragraph 101(1)(e) to be ineligible;

 

(c) in the case of a person who has not left Canada since the application for protection was rejected, the prescribed period has not expired; or

 

(d) in the case of a person who has left Canada since the removal order came into force, less than six months have passed since they left Canada after their claim to refugee protection was determined to be ineligible, abandoned, withdrawn or rejected, or their application for protection was rejected.

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

 

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

 

Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 :

 

 

161.(1) Le demandeur peut présenter des observations écrites pour étayer sa demande de protection et peut, à cette fin, être assisté, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

 

 

(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

 

161.(1) A person applying for protection may make written submissions in support of their application and for that purpose may be assisted, at their own expense, by a barrister or solicitor or other counsel.

 

(2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-338-06

 

INTITULÉ :                                       MARAT MOUMAEV

                                                                                                 

c.

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carole Simone Dahan                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Janet Chisholm                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Carole Simone Dahan

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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