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Date : 20070706

Dossiers : IMM‑6266‑06

IMM‑6267‑06

 

Référence : 2007 CF 725

Toronto (Ontario), le 6 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

ERIC HERNANDEZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Eric Hernandez, est un citoyen philippin de sexe masculin et d'âge adulte. Il est arrivé au Canada à l'âge de 12 ans et y a obtenu le droit d'établissement le 14 juin 1989. Il a le statut de résident permanent. Le 3 septembre 2003, il a été déclaré coupable d'une infraction punissable par mise en accusation, soit le trafic de stupéfiants, et a été condamné à une peine d'emprisonnement de 30 mois.

 

[2]               Le 10 août 2004, le demandeur a été expulsé vers les Philippines, à la suite de décisions rendues respectivement sous le régime des paragraphes 44(1) et 44(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27. M. Hernandez a alors demandé le contrôle judiciaire de la décision relevant du paragraphe 44(1). À l'issue de cette demande, la Cour a annulé, dans la décision Hernandez c. Canada (MCI), 2005 CF 429, le rapport établi sous le régime du paragraphe 44(1). Le demandeur est revenu au Canada le 1er novembre 2005, et l'Agence des services frontaliers du Canada lui a fait passer une entrevue relative à la résidence permanente le 6 décembre 2005. L'avocat du demandeur a présenté des observations supplémentaires le 28 décembre 2005. Le demandeur a en outre déposé peu après de nouvelles observations.

 

[3]               Le 7 février 2006, un agent d'exécution de l'Agence des services frontaliers du Canada a établi ce que le défendeur décrit comme étant un rapport relevant du paragraphe 44(1) de la LIPR, rapport selon lequel le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu de l'alinéa 36(1)a) de la même loi. Ce « rapport » était libellé comme suit :

[TRADUCTION]

 

En vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, je signale que la personne suivante :

Eric Hagpantay Hernandez, née le 6 janvier 1973 aux Philippines,

qui a qualité :

            de résident permanent,

est, à mon avis, interdite de territoire en vertu du :

            paragraphe 36(1)a), parce qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle tombe sous le coup de l'interdiction de territoire pour grande criminalité dont font l'objet les résidents permanents ou les étrangers déclarés coupables au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans.

           

Le présent rapport a été établi sur la foi des renseignements suivants, selon lesquels :

Eric Magpantay Hernandez :

 

-                     est résident permanent, ayant obtenu le droit d'établissement le 14 juin 1985 à l'aéroport international de Winnipeg;

-                     a été déclaré coupable par mise en accusation, le 8 septembre 2003, à Winnipeg (Manitoba), de possession de stupéfiants en vue d'en faire le trafic sous le régime du paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, délit punissable d'une peine d'emprisonnement à perpétuité et sanctionné dans son cas d'une peine d'emprisonnement de 30 mois.

 

[4]               Le « rapport », daté du 7 février 2006 et établi sous le régime du paragraphe 44(1), n'a pas été communiqué au demandeur ou à son avocat avant le 23 octobre 2006, date à laquelle on leur a envoyé un [TRADUCTION] « ensemble de documents à divulguer » qui comprenait ce rapport. La raison pour laquelle on a communiqué cet ensemble de documents au demandeur était que le délégué du ministre avait décidé le 19 juin 2007, conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR, qu'il y avait lieu de tenir une enquête pour établir si le demandeur tombait sous le coup de l'alinéa 36(1)a) de la même loi. Cette décision relevant du paragraphe 44(2), imprimée sur une formule d'une seule page, faisait aussi partie de l'ensemble de documents envoyé au demandeur le 23 octobre 2006. Par conséquent, environ un mois et demi avant l'enquête, le demandeur et son avocat avaient reçu un ensemble de documents contenant à la fois le « rapport » établi sous le régime du paragraphe 44(1) et la décision rendue en vertu du paragraphe 44(2).

[5]               Le 24 novembre 2006, l'avocat du demandeur a écrit à « l'agent responsable » aux bureaux du défendeur une lettre contenant le passage suivant :

 

[TRADUCTION] Veuillez me communiquer l'exposé des motifs de la décision d'établir un rapport sur M. Eric Hernandez sous le régime du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et de déférer l’affaire à la Section de l'immigration pour enquête.

 

 

[6]               L'agent d'exécution lui a répondu le 5 décembre 2006 dans les termes suivants :

[TRADUCTION] En réponse à votre lettre du 24 novembre 2006, je vous informe que nous ne prouverons [sic] pas les motifs de cette décision pour l'instant.

 

[7]               Une enquête a été tenue le 8 décembre 2006, à la suite de quoi une mesure de renvoi, prévoyant une déportation, a été prise contre le demandeur. Celui‑ci a déposé une demande d'autorisation de demander un contrôle judiciaire de cette mesure, demande qui était encore en instance au moment de la présente audience.

 

[8]               La Cour est saisie en l’espèce de deux demandes de contrôle judiciaire relativement aux événements que nous venons de relater. Par la première (dossier IMM‑6266‑06), le demandeur sollicite le contrôle de la décision de l'agent d'exécution, en date du 7 février 2006, d'établir un rapport conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR. La deuxième demande (dossier IMM‑6267‑06) vise la décision du délégué du ministre, en date du 19 juillet 2006, de déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR.

 

[9]               Ce dont le défendeur n'avait pas informé le demandeur ou son avocat avant qu'ils n'eussent formé les présentes demandes de contrôle judiciaire est que, en plus du « rapport » du 7 février 2006, l'agent d'exécution avait communiqué au délégué du ministre un document intitulé [TRADUCTION] « Recommandation ». Ce document de cinq pages dactylographiées commençait ainsi :

[TRADUCTION]

Recommandation

 

J'ai établi un rapport 44 sur le susnommé. Comme celui‑ci a depuis longtemps statut de résident permanent du Canada, je recommande en outre que l’affaire soit déférée pour enquête et décision finale à la Direction générale du règlement des cas (AC). J'ai pris en considération les annexes A à X, ainsi que les facteurs suivants […]

 

[10]           Suivait un examen détaillé des points suivants concernant la situation du demandeur :

·        Gravité de l'infraction

·        Possibilité de réinsertion sociale

·        Temps passé au Canada et degré d'établissement

·        Présence de la famille de l'intéressé au Canada et bouleversements que son expulsion causerait à celle‑ci

·        Soutien dont l'intéressé bénéficie de la part de sa famille et de sa communauté

·        Difficultés auxquelles l'intéressé aurait à faire face s'il retournait dans son pays de nationalité

·        Intérêt supérieur de l'enfant

 

[11]           Par souci de concision, je n'ai pas reproduit l'intégralité de ce document. Qu'il me suffise de dire que l'agent y rend compte d'un examen détaillé de chacun de ces points, renvoyant à l'occasion le lecteur à l'une ou l'autre des annexes A à X.

 

[12]           À la question, posée à l'audience, de savoir pourquoi on n'avait pas joint la [TRADUCTION] « Recommandation » à l'ensemble de documents communiqué au demandeur et à son avocat le 23 octobre 2006 ou pourquoi on ne l'avait pas envoyée aux avocats du demandeur lorsqu'ils avaient expressément demandé communication des documents de cette nature dans leur lettre en date du 24 novembre 2006, l'avocat du défendeur a répondu que la « Recommandation » n'était pas le rapport prévu au paragraphe 44(1) et que le défendeur n'était pas légalement tenu de communiquer ce document, que ce soit avant l'enquête ou au moment de celle‑ci.

 

[13]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande IMM‑6266‑06 doit être accueillie et que le rapport établi sous le régime du paragraphe 44(1) doit être annulé.

 

[14]           Le paragraphe 44(1) de la LIPR dispose que, s'il estime qu'est interdit de territoire un résident permanent tel que le demandeur, l'agent peut établir un rapport circonstancié, qu'il transmet au ministre. L'un des motifs d'interdiction de territoire est celui que prévoit l'alinéa 36(1)a), à savoir le fait pour un résident permanent d'avoir perpétré au Canada une infraction pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé. Le paragraphe 44(2) de la LIPR prévoit, entre autres, que si le ministre estime le rapport bien fondé, une enquête peut être tenue. Voici le texte de ces dispositions :

 

36.  (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants : 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

.  .  .

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

.  .  .

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

 

[15]           Si, après enquête, il est établi que l'intéressé tombe sous le coup de l'alinéa 36(1)a) de la LIPR, l’alinéa 45d) de cette même loi, rédigé comme suit, oblige la Section de l'immigration à prendre une mesure de renvoi.

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telles des décisions suivantes:

 

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

 

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

 

[16]           Ces dispositions, considérées ensemble et selon leur sens manifeste, prévoient donc ce qui suit à l’égard des résidents permanents comme le demandeur :

44 (1)   L'agent « peut » établir un rapport circonstancié, qu'il « transmet » au ministre.

 

44(2)    S'il estime le rapport bien fondé, le ministre « peut » déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête.

 

45d)     Si l'intéressé est interdit de territoire pour avoir été déclaré coupable d'un acte criminel punissable d'un emprisonnement d'au moins six mois, il « doit » faire l'objet d'une mesure de renvoi.

 

 

[17]           Ma collègue la juge Snider a examiné l'effet de ces dispositions dans le cadre de la première demande de contrôle judiciaire formée par le demandeur dans la décision Hernandez c. Canada (MCI), précitée. Je reproduis ci‑dessous les paragraphes 27, 38, 39, 41 et 42 de ses motifs afin de montrer que l'emploi du terme « peut » aux paragraphes 44(1) et (2) confère une certaine latitude à l'agent et au ministre et que des considérations humanitaires peuvent, dans une certaine mesure, entrer en ligne de compte dans leurs décisions :

[27]       Le paragraphe 44(1) de la LIPR met en place un processus en deux étapes. Premièrement, l'agent se forme une opinion sur l'interdiction de territoire et, deuxièmement, il décide s'il doit ou non établir un rapport.

 

[…]

 

[38]       Lorsqu'un agent décide de ne pas préparer de rapport, cela ne change pas le fait que l'intéressé est interdit de territoire au sens de la LIPR; cela ne signifie pas qu'elle devient « admissible ». L'effet pratique d'une telle décision est de mettre l'accent, en dépit de l'interdiction de territoire prévue par la LIPR, sur l'existence de motifs sérieux d'autoriser l'intéressé à demeurer au Canada.

 

[39]       Ce raisonnement s'applique aussi à l'égard de la décision que doit prendre le représentant du ministre relativement au bien-fondé du rapport, sous le régime du paragraphe 44(2) de la LIPR.

 

[…]

 

[41]       On fait valoir d'un côté que toutes les circonstances d'une affaire doivent être prises en considération pour décider du renvoi, mais la conséquence découlant par ailleurs de l'interprétation de CIC est que des personnes déclarées coupables de crimes graves peuvent être autorisées à demeurer au Canada sur une seule inscription dans le dossier de CIC.

 

[42]       En dépit de cette préoccupation réelle, je conclus que l'agent d'immigration, sous le régime du paragraphe 44(1), et le représentant du ministre, sous celui du paragraphe 44(2), jouissent d'un pouvoir discrétionnaire suffisant pour leur permettre d'examiner les facteurs énumérés dans les sections applicables du Guide de CIC en matière de procédure. Dans la mesure où ces facteurs peuvent faire intervenir des questions d'ordre humanitaire, je ne vois pas de problème.

 

[18]           La juge Snider se demande ensuite quelle est l'étendue de l'obligation d'équité procédurale envers un demandeur. Elle écrit ce qui suit, au paragraphe 43 :

[43]       Ayant conclu que le pouvoir discrétionnaire de l'agent d'immigration ou du représentant du ministre englobe l'examen de facteurs autres que la seule déclaration de culpabilité, je dois passer à la question suivante, celle de l'étendue de l'obligation d'équité procédurale assumée par les fonctionnaires dans l'accomplissement des fonctions prévues aux paragraphes 44(1)et (2) de la LIPR.

 

[19]           De l'examen de cette question, pour lequel elle s'inspire largement de l'arrêt Baker c. Canada (MCI), [1999] 2 R.C.S. 817, elle conclut à l'existence d'une « obligation d'équité moins stricte ». Cette obligation comporte néanmoins le droit pour le demandeur d'obtenir copie du rapport, non aux fins de présenter de nouvelles observations, mais plutôt de décider s'il demandera le contrôle judiciaire. La juge a écrit, aux paragraphes 70 et 72 :

[70]       Après examen de tous ces facteurs, j'estime qu'ils indiquent une obligation d'équité moins stricte, analogue à celle qui a été décrite dans l'arrêt Baker. À mon avis, l'obligation d'équité implicitement assumée par CIC en ce qui concerne le rapport prévu au paragraphe 44(1) est adéquate. Bien qu'elles soient de nature administrative (et non quasi judiciaire) et que les intéressés disposent de recours pour demeurer au Canada, il s'agit de décisions graves ayant des incidences sur leurs droits. CIC, dont le choix en matière de procédure doit être respecté, a décidé de donner aux intéressés le droit de présenter des observations, oralement ou par écrit, et d'obtenir copie du rapport. L'obtention du rapport permet à l'intéressé de décider s'il demandera le contrôle judiciaire du rapport de l'agent d'immigration. Je conclus que, relativement au rapport de l'agent d'immigration, il s'agit là de l'obligation d'équité que CIC assume envers le demandeur et les autres personnes se trouvant dans sa situation.

 

[…]

 

[72]       Compte tenu de ma conclusion selon laquelle l'obligation d'équité est « moins stricte », certaines procédures ne sont pas essentielles. Comme la Cour suprême l'a conclu dans l'arrêt Baker, il n'est pas toujours nécessaire de procéder à une entrevue, du moment que l'intéressé a la possibilité de présenter des observations et de connaître les allégations faites contre lui. Je ne crois pas non plus qu'il faille communiquer le rapport de l'agent d'immigration pour lui donner une autre possibilité de répondre avant le renvoi pour enquête prévu au paragraphe 44(2). L'obligation d'équité, en l'espèce, n'est pas aussi exigeante que dans l'affaire Bhagwandass  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 CF 3 (C.A.).

 

[20]           La juge Snider a conclu, au paragraphe 76, que trois erreurs avaient été commises :

[76]     La preuve ne me convainc pas que l'agent d'immigration a observé à l'égard du demandeur les règles d'équité procédurale applicables. Trois erreurs ont été commises :

 

1.      Le demandeur n'a pas été informé de l'objet de l'entrevue;

2.      Il n'a pas eu la possibilité de présenter des observations;

3.      Il n'a pas obtenu copie du rapport de l'agent.

 

[21]           Seule la troisième de ces erreurs, soit le fait de ne pas avoir communiqué copie du rapport, est en question dans la présente espèce.

 

[22]           La conclusion de la juge Snider selon laquelle la communication du rapport est obligatoire a été examinée dans au moins deux décisions ultérieures de la Cour. Le juge Shore a conclu, dans Lee c. Canada (MCI), 2006 CF 158, au paragraphe 32, qu'il n'est pas nécessaire de communiquer au demandeur le rapport visé au paragraphe 44(1) avant le renvoi pour enquête prévu au paragraphe 44(2).

 

[32]          La juge Snider a également statué que l'obligation d'équité ne rendait pas nécessaire de communiquer au demandeur le rapport visé au paragraphe 44(1) avant le renvoi pour enquête prévu au paragraphe 44(2), non plus que de lui faire passer une entrevue par un agent d'immigration (Hernandez, précitée, au paragraphe 72).

 

[23]           Le juge Blais formule la même conclusion dans Spencer c. Canada (MCI), 2006 CF 990, au paragraphe 20 :

[20]         La demanderesse prétend qu'il y a eu violation de l'obligation d'équité parce qu'elle n'a pas reçu une copie du rapport avant l'enquête. Je ne suis pas d'accord. La juge Snider a décidé que l'obligation d'équité n'exige pas que le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) soit remis à un demandeur avant que l'affaire ne soit déférée en vertu du paragraphe 44(2) (Hernandez, précitée, au paragraphe 72). La demanderesse a reçu le rapport le 29 septembre 2005 lors de la première séance de l'enquête la concernant. Elle avait toujours le droit de demander le contrôle judiciaire du rapport. En outre, pour ce qui concerne l'enquête, le commissaire l'a ajournée afin de permettre à la demanderesse d'être représentée par un avocat. Lors de la deuxième séance, le commissaire a de nouveau reporté l'enquête afin de satisfaire à la demande de l'avocat de se préparer. Il n'y a eu aucune violation du droit de la demanderesse de recevoir une copie du rapport.

 

[24]           L'avocat du demandeur dans la présente instance a essayé d'établir une distinction d'avec les conclusions formulées par la juge Snider au paragraphe 72 de la décision Hernandez en limitant celles‑ci à la communication du rapport pour « donner une autre possibilité de répondre ». Il a fait valoir que le rapport doit néanmoins être communiqué avant que ne soit rendue la décision prévue au paragraphe 44(2), à la seule réserve qu'il n'est pas donné d'autre possibilité de réponse. Je rejette cette interprétation. La communication du rapport n'aurait pas de sens, sinon pour ouvrir plus tôt la possibilité de demander un contrôle judiciaire. Cette possibilité reste ouverte après la décision prévue au paragraphe 44(2), dans le cas où elle est défavorable au demandeur. On ne manque pas à l'équité procédurale en n'offrant pas encore plus tôt la possibilité de demander un contrôle judiciaire. Je souscris à cet égard à l'interprétation des juges Shore et Blais.

 

[25]           La question suivante à examiner est celle de savoir quand exactement le rapport doit être communiqué. Selon la preuve dont nous disposons, c'est‑à‑dire les affidavits de Hernandez et Horoshok, le « rapport », établi le 7 février 2006, a été envoyé au demandeur Hernandez avec un ensemble de documents le 23 octobre 2006, soit environ six semaines avant l'enquête et après qu'eut été rendue la décision prévue au paragraphe 44(2). M. Hernandez déclare au paragraphe 8 de son affidavit que cela s'est fait [TRADUCTION] « exactement de la même manière que lorsqu’on [lui] avait communiqué des documents de même nature pour [son] enquête antérieure ».

 

[26]           Je conclus que le moment de la communication des documents en question, soit après la décision prévue au paragraphe 44(2) et plusieurs semaines avant l'enquête, ne justifie l'annulation ni de la décision rendue sous le régime du paragraphe 44(1) ni de celle qui relève du paragraphe 44(2). Le moment de cette communication est conforme aux conclusions précitées des juges Shore et Blais. Il convient aussi de rappeler à ce sujet l’arrêt unanime Cha c. Canada (MCI), 2006 CAF 126, de la Cour d'appel fédérale. Je me rends parfaitement compte du fait que, dans cet appel, seul l'avocat du ministre avait déposé des observations écrites et s'était présenté à l'audience pour plaider, et que l'intimé n'était pas un résident permanent. Il ne séjournait au Canada qu'en vertu d'un visa d'étudiant. Les motifs de cet arrêt n'en restent pas moins instructifs : on y a pris en considération la décision Hernandez rendue par la juge Snider, et la situation examinée, qui comportait aussi une déclaration de culpabilité au criminel, était semblable à celle qui nous occupe ici. La Cour d'appel souligne, aux paragraphes 23 à 25, que l'immigration est un privilège et non un droit, que la criminalité des non-citoyens est un important sujet de préoccupation et que l'une des conditions auxquelles le législateur subordonne le droit du non-citoyen de rester au Canada est de ne pas être déclaré coupable de certaines infractions criminelles. Aux paragraphes 61 à 66, la Cour d'appel exprime son accord avec le juge de première instance, selon qui le fait de ne pas avoir informé l'intimé de l'objet de l'entrevue constituait un manquement à l'obligation d'agir équitablement. Cependant, elle fait remarquer, au paragraphe 67, que le débat n'en est pas pour autant clos, c'est‑à‑dire que les manquements à l'obligation d'agir équitablement n'entraînent pas automatiquement l'annulation de la décision en cause :

[67]           Cela ne clôt toutefois pas la question. Les manquements à l'obligation d'agir équitablement n'entraînent pas automatiquement l'annulation de la décision administrative en cause (voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228; Correia, au paragraphe 36). M. Cha était représenté par un avocat devant la Cour fédérale. Dans l'affidavit qu'il a déposé à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, il a reconnu avoir été déclaré coupable parce que [TRADUCTION] « son alcoolémie était supérieure au taux autorisé par la loi » (dossier d'appel, page 13). Ni M. Cha ni son avocat n'ont donné à entendre que l'intimé avait été réhabilité, que l'infraction était visée par la Loi sur les jeunes contrevenants, ou que l'intimé était âgé de moins de 18 ans ou ne pouvait comprendre la nature de la procédure. Comme une nouvelle audience devant un autre agent d'immigration ne pourrait qu'aboutir, encore une fois, à la prise d'une mesure d'expulsion, il serait totalement inutile d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience.

 

[27]           La pertinence de l'arrêt Cha pour la situation qui nous occupe consiste en ceci que, dans la présente espèce, l'agent chargé de rendre la décision prévue au paragraphe 44(1) a établi et communiqué au ministre non seulement le « rapport » de quelques paragraphes reproduit au début des présents motifs, mais aussi un document intitulé [TRADUCTION] « Recommandation », qui comprenait cinq pages dactylographiées et des annexes cotées A à X. Or, ni le demandeur ni son avocat n'ont reçu communication de ce document étoffé d'annexes avant l'enquête ou pendant celle‑ci, bien que l’avocat eût demandé des « motifs » au défendeur.

 

[28]           Deux questions se posent. Premièrement, en quoi consiste exactement le « rapport » prévu au paragraphe 44(1)? Deuxièmement, l’omission de communiquer le document « Recommandation » et ses annexes constitue‑t‑elle un manquement à l'obligation d'agir équitablement susceptible de justifier l'annulation des décisions rendues en vertu des paragraphes 44(1) ou 44(2)?

 

[29]           Ni la LIPR ni son règlement d'application ne précisent en quoi doit consister le rapport prévu au paragraphe 44(1). Cette question n'est examinée non plus dans aucune décision judiciaire dont notre Cour ait connaissance. On peut lire ce qui suit au paragraphe 12.1 de la version du 12 avril 2007 des lignes directrices à l'intention des fonctionnaires chargés d'administrer la LIPR et son règlement d'application, dont les agents qui doivent rendre des décisions du type que prévoit le paragraphe 44(1) :

12.1. Exigences de rapport

 

L'autorité du délégué du ministre lui permettant d'appeler une enquête ou de prendre une mesure de renvoi ne peut s'exercer que si le formulaire et le contenu du rapport en vertu du L44(1) de la Loi sont conformes à la loi régissant de telles procédures.

 

Quand un agent est d'avis qu'un résident permanent ou un étranger au Canada est interdit de territoire, alors cet agent peut préparer un rapport en vertu des clauses du L44(1).

 

Le rapport doit ensuite être transmis au délégué du ministre, accompagné de la décision de recommandation de l'agent et d'une justification. Cette procédure est facilitée par la préparation d'un formulaire L44(1) des faits marquants du cas. Tous les rapports en vertu du L44(1) doivent :

 

• être écrits et doivent indiquer le lieu et la date de l'émission;

• être adressés au ministre de SP ou de CIC et être signés par l'agent qui a procédé au contrôle ou de toute façon a rédigé le rapport;

• contenir le nom complet (correctement épelé) de la personne qui fait l'objet du rapport;

• contenir l'article et les particularités exacts de la Loi en vertu de laquelle l'agent s'est forgé l'opinion que la personne, qui est l'objet du rapport, est interdite de territoire;

• dans tous les cas, et particulièrement dans les cas où les articles de la Loi ne sont pas spécifiques en eux-mêmes, indiquer les raisons précises pour appliquer le ou les articles qui motivent l'interdiction de territoire. Ces raisons doivent être expliquées dans la partie narrative du rapport, sous l'énoncé « CE RAPPORT EST BASÉ SUR L'INFORMATION SUIVANTE ».

 

Tous les rapports en vertu du L44(1) doivent comprendre un exposé des faits justifiant l'avis d'interdiction de territoire et indiquant les faits sur lesquels cet avis se fonde.

 

Par exemple, en appliquant le L36(2)b), il ne suffit pas de déclarer que la personne a été accusée d'une infraction. Le rapport doit donner entièrement les raisons de l'interdiction de territoire de la façon suivante :

 

CE RAPPORT EST BASÉ SUR L'INFORMATION SUIVANTE :

 

Madame, Monsieur [nom de la personne] :

 

• a été accusé d'une infraction; nommément [possession de cocaïne] le ou aux environs du [22 novembre 1982] à ou près de [Pontiac, Michigan, USA]. Cette infraction, commise au Canada, constituerait un délit punissable par des accusations portées en vertu de [l'alinéa 4(3)a) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances] et pour laquelle une peine maximale d'emprisonnement [ne dépassant pas sept ans] peut être imposée;

 

• n'a pas obtenu l'autorisation du ministre d'entrer au Canada.

 

Consultez aussi les chapitres ENF 1, Interdiction de territoire, et ENF 2, Évaluation de l'interdiction de territoire.

 

[30]           Le paragraphe 44(1) de la LIPR exige que le rapport soit « circonstancié », adjectif que Le Petit Robert définit ainsi : « qui comporte de nombreux détails ». Quant au texte anglais de ce paragraphe, il porte que ce rapport doit énoncer les relevant facts (les faits pertinents). Selon le paragraphe 12.1 des lignes directrices précitées, tous les rapports « doivent comprendre un exposé des faits justifiant l'avis d'interdiction et indiquant les faits sur lesquels cet avis se fonde ». Après l'énoncé de cette règle, les lignes directrices proposent un exemple de ce que doit contenir le « rapport ». Je constate que le « rapport » cité au début du présent exposé est conforme à cet exemple.

 

[31]           L'arrêt Casavant c. Professional Ethics Committee of the Saskatchewan Teachers Federation, 2005 SKCA 52, rendu à l'unanimité par la Cour d'appel de la Saskatchewan, contient des indications utiles aux fins qui nous intéressent. La Cour y examine une disposition de la Teachers’ Federation Act, R.S.S. 1978, ch. T‑7, concernant les audiences disciplinaires et l'obligation de communication d'un « rapport ». L'alinéa 37c) de cette loi prescrit au comité chargé d'instruire l'affaire disciplinaire de :

[TRADUCTION] c) communiquer au bureau [de la Fédération des enseignants de la Saskatchewan] ses constatations et les recommandations qu'il juge opportunes dans un rapport écrit, signé par ses membres ayant siégé à l'audience qui souscrivent au contenu de ce rapport, ainsi que le procès-verbal de l'audience, un état de la preuve produite et les originaux ou des copies des pièces déposées, ledit rapport, à condition qu'il soit signé par la majorité des membres du comité ayant siégé à l'audience, étant réputé être le rapport du comité.

 

 

[32]           Le comité en question a établi un « rapport », reproduit au paragraphe 18 des motifs de la Cour d’appel, mais que je ne reproduirai pas ici, lequel était plus substantiel que le « rapport » de la présente espèce.

[33]           Au paragraphe 23 de ses motifs, la Cour d’appel a examiné le « sens ordinaire et grammatical » du terme « rapport ».

[TRADUCTION]

Sens ordinaire et grammatical

[23]   Selon le Concise Oxford Dictionary, le mot « report » (rapport) s'entend entre autres d'un « compte rendu établi ou d'une opinion exprimée en bonne et due forme à la suite d'une enquête ou d'un examen ». Le Webster's Third New International Dictionary propose, parmi les divers sens du terme, une définition semblable : « compte rendu des résultats d'une enquête établi en bonne et due forme par une personne ou un groupe autorisé à mener cette enquête ou mandaté pour ce faire ». Ces définitions indiquent, au minimum, que le sens ordinaire du mot « rapport » est assez large pour autoriser une interprétation selon laquelle le Comité est tenu d'expliquer sa décision. En outre, le fait que l'alinéa 37c) prescrive au Comité de rendre compte de ses constatations donne à penser que le sens du terme « rapport » comporte plus que le simple exposé d'une conclusion.

 

 

[34]           La Cour d’appel a ensuite analysé le terme « rapport » dans le cadre du contexte législatif et du dispositif de la loi en question. Elle a tiré la conclusion suivante, au paragraphe 29 :

[TRADUCTION] [29]     Par conséquent, l'examen du dispositif de la Loi et de son contexte législatif donne à penser que le « rapport » prévu à l'alinéa 37c) doit comporter une explication valable du fondement et des motifs de la décision du Comité.

 

 

[35]           La Cour d’appel a ensuite examiné l'objet de la loi en question et l'intention du législateur pour conclure ce qui suit, au paragraphe 37 :

[TRADUCTION] [37]     Ainsi, étant donné le fonctionnement de l'alinéa 37c) de la Loi et l'approche exposée dans Rizzo Shoes, précité, il appert que le rapport établi sous le régime de cet alinéa doit faire plus que d'énumérer les éléments de preuve et formuler une conclusion. Comme nous l'expliquerons plus en détail ci‑dessous, ce rapport doit comporter une explication valable de la décision du Comité et des faits sur lesquels il la fonde.

 

 

[36]           La Cour d’appel a enfin examiné une partie de la jurisprudence applicable, notamment l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office des transports) (2000), 193 DLR (4th) 357.

 

[37]           La Cour saskatchewanaise a exposé, aux paragraphes 46 à 48, sa conclusion générale :

[TRADUCTION]

 

[46]     Compte tenu de tout ce qui précède, il s'ensuit que le rapport établi par le Comité sous le régime de l'alinéa 37c) doit remplir certaines conditions minimales. La plus importante de ces conditions est qu'il doit être suffisamment clair et détaillé pour que les parties, le bureau de la Fédération des enseignants de la Saskatchewan ou le tribunal judiciaire saisi d'une demande en révision puissent comprendre le fondement et les motifs de la décision du Comité. Le rapport, par essence, doit être explicatif.

 

[47]     Il s'ensuit, d'un point de vue général, que le rapport doit récapituler les éléments de preuve qui se rapportent aux questions en litige. Il n'est pas nécessaire d'exposer dans le plus grand détail la preuve présentée au Comité, mais il faut rendre compte de ses caractéristiques principales. En outre, le rapport doit énoncer les conclusions de fait nécessaires au règlement de la plainte. Si on lui a présenté des éléments de preuve contradictoires, le Comité doit expliquer pourquoi il a retenu telle version des événements de préférence à telle autre. Si la crédibilité entre en ligne de compte, le rapport doit montrer pourquoi on a retenu ou rejeté, selon le cas, la preuve d'un témoin donné. Le Comité n'a pas à étayer tout cela par une longue et minutieuse analyse; cependant, il doit présenter son raisonnement de manière à ce que les parties et la Cour puissent comprendre son appréciation de la preuve et les faits qui fondent ses conclusions.

 

[48] Pour ce qui concerne la décision proprement dite, le rapport doit rendre compte du raisonnement du Comité de manière suffisamment claire et détaillée pour permettre au lecteur de comprendre comment ou pourquoi il est arrivé à la conclusion que le comportement en question était (ou n'était pas) une faute professionnelle ou une conduite indigne d'un enseignant. À cette fin, il est préférable que le rapport examine les principaux arguments ou les principales prétentions des parties. Il est peu probable qu'il se présente jamais un cas où il suffirait au Comité de récapituler la preuve et de formuler sa conclusion.

 

 

[38]           Si on lui applique les critères exposés par la Cour d'appel de la Saskatchewan, le « rapport » établi sous le régime du paragraphe 44(1) et communiqué au demandeur en l’espèce, que nous avons reproduit au début dans les présents motifs, se révèle insuffisant. Cependant, l'ensemble constitué par ce « rapport », la « Recommandation » et les annexes remplirait ces critères.

 

[39]           Le régime du paragraphe 44(1) de la LIPR et le contexte de cette loi considérée dans son ensemble sont-ils tels qu'il faille poser l'obligation d'établir un « rapport » détaillé du type envisagé par la Cour d'appel de la Saskatchewan? Le juge Shore, dans la décision Lee, précitée, qui portait sur le paragraphe 44(2), a écrit que les décisions relevant de ce paragraphe mettent en jeu une obligation d'équité procédurale de « caractère peu contraignant », étant donné leur caractère administratif. Il a estimé suffisantes, aux fins de l'affaire dont il était saisi, les notes d'un agent d'immigration où étaient consignés « son compte rendu ainsi qu'une recommandation » présentée au ministre. Il a écrit, aux paragraphes 39 à 43 :

[39]            Il n'est pas requis de fournir des motifs écrits étant donné le caractère peu contraignant de l'obligation d'équité procédurale applicable aux décisions prises en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR et étant donné la nature administrative de ces décisions. Quoi qu'il en soit, le compte rendu établi par l'agent d'immigration et la recommandation qu'il a faite au ministre de déférer l'affaire de M. Lee pour enquête suffisent pour satisfaire aux exigences en matière de motifs.

 

[40]            Lorsque la présente demande a été introduite, le décideur a précisé [TRADUCTION] qu'« aucun motif » n'avait été donné pour la décision, en réponse à la demande formulée par la Cour en vertu de l'article 9 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, DORS/2002‑232. La lettre de réponse en lien avec l'article 9 est exacte en un sens – le représentant du ministre n'a pas donné de motifs écrits pour sa décision.

 

[41]            En octobre 2005, en réponse à la requête de M. Lee pour suspension de l'enquête, le ministre a produit les notes d'un agent d'immigration où étaient consignés son compte rendu ainsi qu'une recommandation finalement présentée au ministre. Ce dernier a déclaré qu'il considérait ces notes comme des motifs de la décision. Il importe ici de mentionner le caractère exhaustif de ces notes, qui constituent en fait un rapport, et les longues explications sur la situation de M. Lee figurant dans la recommandation de l'agent d'immigration doivent quant à elles être examinées avec soin en raison de leur caractère détaillé.

 

[42]            La Cour suprême du Canada a clairement déclaré que le ministre peut considérer ce type de document de recommandation comme des motifs de décision. La Cour, par ailleurs, tient couramment pour des motifs, dans divers contextes, ce type de document de recommandation (Baker, précité; Hernandez, précitée; Leong11.

 

[43]            On a informé M. Lee en octobre 2005 que le ministre considérait les notes comme les motifs de la décision. Il n'y a aucune raison pour que la Cour traite ces notes différemment de la façon dont les notes et les documents de recommandation sont traités dans de nombreuses autres affaires.

 

 

[40]           Dans la présente espèce, l'agent a établi et communiqué au ministre non seulement le « rapport », mais aussi une « Recommandation » détaillée accompagnée de nombreuses annexes. Ces derniers documents avaient sans aucun doute pour objet d'étoffer le contenu du rapport et d'en justifier les conclusions pour le ministre. Étant donné qu'ils ont été préparés, qu'ils ont été communiqués au ministre, qu'ils sont pertinents pour le « rapport » et qu'ils en étayent le contenu, ces documents doivent être considérés comme faisant partie de ce « rapport ». La question n'est pas de savoir s'il y avait obligation d'établir la « Recommandation » et ses annexes, mais plutôt de savoir si, une fois qu'on les a préparées et communiquées au ministre et étant donné leur pertinence pour le « rapport », on aurait dû les transmettre au demandeur. Si l'on considère de surcroît que l'avocat du demandeur avait expressément demandé communication de documents de cette nature avant l'enquête, on ne voit aucune raison légitime au refus de les communiquer.

 

[41]           Je conviens qu'il peut n'y avoir eu aucune nécessité de préparer ces documents et qu’il n’y aurait pas eu « manquement à l'obligation d'agir équitablement » s’ils n’avaient pas existé. Cependant, une fois qu’ils sont préparés et communiqués au ministre, ils devaient être transmis au demandeur avant l'enquête – d'autant plus qu'on en avait fait la demande expresse.

 

[42]           Je me rends parfaitement compte que le demandeur était au courant des arguments qui seraient invoqués contre lui. Il avait en effet été déclaré coupable d’infractions graves. L'avocat du demandeur conteste certaines conclusions de l'agent formulées dans sa « Recommandation », mais je ne vois aucune raison d'annuler la décision sur cette base. L'avocat du demandeur a reconnu que les conclusions ne peuvent être annulées que si elles sont déraisonnables. Or, je constate qu'aucune des conclusions contestées n'est manifestement déraisonnable. Ce n'est pas là la question cruciale.

 

[43]           La question en l'occurrence n'est pas de savoir si le demandeur est un « criminel » et « devrait être expulsé de toute façon », mais concerne plutôt la manière dont les fonctionnaires fédéraux chargés de l'application de la LIPR s'acquittent de leur tâche. Il ne s'agit pas ici d'une simple mesure administrative sur laquelle, même si l'on concluait à son injustice, on pourrait fermer les yeux. Nous nous trouvons devant le cas où un document pertinent a été préparé et soumis au ministre, mais n'a pas été communiqué au demandeur. Ce fait suffit à justifier que la Cour annule la décision rendue sous le régime du paragraphe 44(1) et ordonne qu'on recommence la procédure, en suivant les règles cette fois.

 

[44]           L'avocat du demandeur a demandé à la Cour de certifier au moins une question. Je certifierai la question suivante :

[traduction« En quoi doit consister le rapport prévu au paragraphe 44(1) de la LIPR et dans quels cas, s'il en est, doit-il être communiqué au demandeur? »

 

 

[45]           Il n'existe pas en l’espèce de circonstances spéciales qui justifieraient une condamnation aux dépens.

 

[46]           Les parties ont convenu que si la demande IMM‑6266‑06 est accueillie, il n'est pas nécessaire d'instruire la demande IMM‑6267‑06.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.         La demande IMM‑6266‑06 est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen par un agent différent sous le régime du paragraphe 44(1) de la LIPR.

 

2.         Il n'est pas nécessaire d'instruire la demande IMM‑6267‑06.

 

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

4.         La question suivante est certifiée : [traduction« En quoi doit consister le rapport prévu au paragraphe 44(1) de la LIPR et dans quels cas, s'il en est, doit-il être communiqué au demandeur? »

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                                          IMM‑6266‑06 et IMM‑6267‑06

 

INTITULÉ :                                                           ERIC HERNANDEZ

                                                                                c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                                                ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 4 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                  LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 6 JUILLET 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Aliyah Rahaman

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

225, rue Vaughan, bureau 602

Winnipeg (Manitoba)  R3C 1T7

 

POUR LE DEMANDEUR

Aliyah Rahaman

Région des Prairies

Ministère de la Justice Canada

310, rue Broadway, bureau 301

Winnipeg (Manitoba)  R3C 0S6

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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