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Date : 20070710

Dossier : IMM-4800-06

Référence : 2007 CF 731

Ottawa, Ontario, le 10 juillet 2007

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

DOMINIQUE MUTOMBO

Demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

MOTIFS  DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

1.         Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision, rendue le 8 août 2006, par un agent d’évaluation des risques avant renvoie (l’agent ERAR), lequel a rejeté la demande de dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada (demande CH) présenté par le demandeur.

 

 

2.         Contexte factuel

[2]               Le demandeur, M. Dominique Mutombo, est un ressortissant de la République Démocratique du Congo (RDC). Il est entré au Canada le 23 octobre 2002 et il a présenté une demande d’asile au motif qu’il craint d’être persécuté dans son pays d’origine en raison de ses opinions politiques réelles ou imputées.

 

[3]               En novembre 2003, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a rejeté cette demande. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a elle aussi été rejetée par cette Cour.

 

[4]               Le 26 mai 2005, le demandeur a déposé une demande CH, laquelle se fonde essentiellement sur son intégration au Canada et sur les risques qu’il encourrait advenant son renvoi en RDC.

 

[5]               Dans cette optique, le demandeur a souligné qu’il a reçu un certificat, après quatre ans d’étude à l’Université de Kinshasa (1995-1999), et un certificat, après trois ans d’étude à l’Institut supérieur de commerce Kinshasa (1999-2002). Il a également indiqué être bien établi au Canada, où il a beaucoup d’amis et occupe un emploi régulier depuis 2003.

 

[6]               Le demandeur a aussi affirmé être membre de l’Union pour la démocratie et le progrès social (l’UDPS) depuis avril 2003 et avoir été membre du Parti national du progrès original (PNP) de mai 1995 à avril 2003. Le demandeur a de plus soutenu qu’il a été arrêté en 1997, à la suite d’une manifestation organisée par l’UDPS et par le Parti lumumbiste unifié (le PALU); qu’il a été torturé alors qu’il était en détention; et qu’il a été accusé d’être un Mobutuiste et d’être impliqué dans la planification d’un coup d’état. Le demandeur a ajouté être un ami d’un neveu de l’ancien président Mobutu. Il allègue également avoir été arrêté en 2002 par des militaires, au moment où il tentait d’aller au Congo Populaire, le nouveau Zaïre, avec une importante somme d’argent destinée aux rebelles. À la suite de cette arrestation, il dit avoir été interrogé, torturé et accusé de trahison avant de s’évader de prison.

 

[7]               Il convient de mentionner qu’une suspension temporaire des renvois en RDC est actuellement en vigueur. Par conséquent, le demandeur n’est pas obligé de quitter le Canada malgré l’existence d’une mesure de renvoi contre lui.

 

3.         Décision contestée

[8]               L’agent ERAR a décidé que le demandeur n’avait pas récupéré sa crédibilité depuis le jugement de la CISR. Plus précisément, l’agent s’est dit être en accord avec la CISR sur la question des documents d’identité. Il a noté que, depuis l’audience devant la CISR, le demandeur avait fourni des documents scolaires de la RDC, lesquels indiquent que le demandeur est né le 30 mai 1974 à Kinshasa. Toutefois, l’agent a déterminé que ces documents n’avaient pas de valeur probante, car il n’était pas suffisamment clair que des documents « fiables et d’une valeur probante ont été présentés aux autorités scolaires pour prouver la date et lieu de naissance du demandeur ».

 

[9]               L’agent a rappelé que plusieurs des documents soumis par le demandeur dans sa demande CH ont été jugés non crédibles par la CISR. Ces documents sont les suivants : le récit du demandeur, annexé à son Formulaire de renseignements personnels (FRP); une lettre de son père, dont la date a été retirée; une copie des statuts du Parti national pour le progrès original (PNPO) au Canada datant de 1992; une lettre du PNPO au Canada datée du 16 septembre 2003; et une lettre du l’UDPS datée du 14 octobre 2003.

 

[10]           Malgré la preuve documentaire faisant état d’actes de répression et de violence politique en RDC, l’agent a déterminé que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait exposé à un risque personnalisé de mauvais traitement sérieux ou de persécution advenant son renvoi en RDC. L’agent a également noté que, quoique les conditions en RDC se soient améliorées, le demandeur n’y sera pas renvoyé en raison de la suspension temporaire des renvois.

 

[11]           L’agent a finalement conclu que le demandeur n’avait pas démontré que son départ du Canada engendrerait une difficulté disproportionnée, excessive ou injustifié « s’il continuerait de profiter de la suspension temporaire de renvois vers la RDC sans avoir une dispense au règlement pour lui permettre de déposer une demande de résidence permanent au Canada. »

 

4.         Questions en litige

[12]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.                 L’agent a-t-il convenablement apprécié la preuve documentaire?

B.                 L’agent a-t-il appliqué convenablement les directives permettant d’évaluer les demandes CH?

C.                 L’agent a-t-il tenu compte du danger pour le demandeur dans l’éventualité où il serait déporté dans son pays d’origine?

 

5.         Norme de contrôle

[13]           Dans la décision Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 S.C.R. 817, la juge Claire l’Heureux-Dubé a rappelé qu’une demande de dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada est une mesure d’exception de nature purement discrétionnaire. Dans cette optique, la juge l’Heureux-Dubé a déterminé que la norme de contrôle applicable aux demandes de dispense est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[14]            En ce qui a trait aux questions qui portent sur l’appréciation des faits et les déterminations de crédibilité, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), A.C.F. 732 (QL)).

 

6.         Analyse

A.        L’agent a-t-il convenablement apprécié la preuve documentaire?

[15]           Le demandeur prétend que l’agent a erré en rejetant la carte d’identité de l’école comme preuve d’identité. L’agent ERAR sur cette question a écrit qu’il « n’est pas suffisamment clair si des documents fiables et d’une valeur probante ont été présentés aux autorités scolaires pour prouver la date et lieu de naissance du demandeur ». Plus spécifiquement, l’agent ERAR a sur cette question conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve suffisante pour récupérer sa crédibilité sur les incidents clés et les allégations de persécution fondant sa demande d’asile; qu’il n’avait pas fourni des documents probants pour établir sa nationalité ou sa citoyenneté; et il n’avait pas fait d’efforts pour obtenir un passeport.

 

[16]           À l’appui de ses prétentions, le demandeur cite la décision, Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] F.C.J. No. 10 (QL), un arrêt qui défend le principe que des pièces d’identité délivrées par un gouvernement étranger sont présumées valides à moins d’une preuve contraire. En l’espèce, le demandeur soutient que l’agent n’a fait appel à aucune expertise ni à aucune preuve extérieure pour rejeter la carte d’identité émise par l’établissement d’enseignement, et qu’il n’avait pas lui-même d’expertise particulière à cet égard.

 

[17]           Le défendeur soutient pour sa part qu’il était raisonnable pour l’agent d’immigration de conclure que de simples documents scolaires, fournis par le demandeur depuis son audience devant la CISR, n’étaient pas suffisants pour écarter les conclusions de la CISR concernant son identité. Sur cette question, la CISR avait déterminé que le témoignage du demandeur sur sa situation en RDC était non plausible, incohérent, et comportait des omissions importantes. La CISR avait donc rejeté le témoignage du demandeur quant aux risques personnels allégués, soit la persécution et le mauvais traitement sérieux pour ses opinions politiques imputées. La CISR avait également rejeté les preuves d’identité fournies par le demandeur, soit une attestation de naissance émise en 1999, et une carte d’identité émise en 1998.

 

[18]           J’ai examiné avec attention la décision Ramalingam, à laquelle réfère le demandeur, sans toutefois conclure à l’applicabilité la présomption de validité. En effet, je doute que cette présomption soit applicable en l’espèce, puisque la preuve ne démontre pas que la carte d’identité de l’école est un document d’identité délivré par un gouvernement étranger.

 

[19]           Je suis toutefois d’avis que  la détermination de l’agent ERAR d’écarter la preuve d’identité, émise par un établissement d’enseignement et présentée par le demandeur postérieurement à son audience devant la CISR, est manifestement déraisonnable. En effet, j’estime que cette conclusion est fondée sur un raisonnement purement spéculatif, en ce sens où il n’est aucunement supporté par la preuve au dossier.

 

[20]           En l’espèce, l’agent ERAR a écarté la nouvelle preuve présentée par le demandeur, sans avoir en aucune façon questionné l’authenticité du document, pour le seul motif qu’il doutait de la fiabilité des sources d’information sur lesquels les autorités scolaires s’étaient fondées pour émettre le document en question. Or, il n’y a aucune preuve au dossier démontrant que les autorités scolaires s’étaient basées sur des documents non fiables pour émettre ledit document. Par conséquent, je ne peux que conclure que le rejet du document scolaire par l’agent ERAR est une détermination qui a été faite de façon abusive et arbitraire.

 

[21]           L’agent a accordé beaucoup d’importance à la décision de la CISR et à la question de l’identité du demandeur. Il a d’ailleurs souligné dans ses motifs que la CISR a constaté le défaut du demandeur d’avoir fourni un document scolaire qui aurait pu confirmer que le demandeur suivait des cours universitaires. La carte d’identité de l’établissement d’enseignement établit de façon  prima facie que le demandeur fréquentait une institution scolaire en RDC, de même que sa date et son lieu de naissance. Il est difficile pour cette Cour, agissant dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’évaluer jusqu'à quel point cette preuve, si elle avait été accepté, aurait permis au demandeur de « récupérer » sa crédibilité aux yeux de l’agent ERAR. Or, dans la mesure où cette preuve touchait à la question fondamentale de l’identité du demandeur, une question qui a eu une portée importante sur les déterminations de crédibilité de la CISR et de l’agent ERAR, je suis d’avis que l’absence de raison justifiant de n’accorder aucune valeur probante à la carte d’identité constitue une erreur révisable.

 

[22]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accordée, la décision de l’agent ERAR est annulée, et l’affaire sera retournée pour être reconsidérée par un différent agent ERAR en conformité avec les présents motifs.

 

B.         L’agent a-t-il appliqué convenablement les directives permettant d’évaluer les demandes CH?

 

[23]           Compte tenu des motifs qui précèdent, il n’y a pas lieu d’examiner les deux autres questions soulevées par le demandeur. Je me permets tout de même de faire les commentaires suivants sur la deuxième question.

 

[24]           Le demandeur prétend que l’agent a confondu ses fonctions, en procédant à une étude du danger et non pas à une étude des motifs d’ordre humanitaire. Plus précisément, le demandeur soutient que l’agent a procédé à une analyse de sa crédibilité et qu’il a examiné la valeur probante des documents d’identité, mais qu’il s’est très peu préoccupé de son implication dans la société canadienne. Le demandeur soutient aussi que l’agent a souligné l’existence de plusieurs lettres d’appui, son implication dans la collectivité, le bon état de ses finances et son autonomie, pour conclure qu’il n’avait pas « suffisamment montré que son départ du Canada causera une difficulté disproportionnée, excessive ou injustifiée pour lui ou qui que ce soit au Canada ou à la RDC ». Le demandeur prétend que l’agent devait expliquer pourquoi toute l’expérience professionnelle du demandeur et le soutien public dont il disposait n’étaient pas des preuves suffisantes d’implication dans la société canadienne. Par ailleurs, il prétend que les critères d’étude des demandes prévus dans le document IP5 créent une attente légitime chez les justiciables que leur demande sera étudiée sur cette base.

 

[25]           Le défendeur ne conteste pas l’applicabilité des critères du document IP5. Il soutient plutôt que l’agent ERAR a suivi les critères en question. Il soutient également que le demandeur s’est concentré dans ses représentations écrites sur le danger. Par exemple, son avocat, dans la lettre accompagnant ses représentions, s’est exprimé comme suit :

M. Mutombo est très bien établit (sic) au Canada. Il a beaucoup d’amis et un emploi stable. S’il retourne en RDC, il sera de nouveau arrêté et torturé et il risque d’être exécuté de façon extrajudiciaire. Nous soutenons que le retour de M. Mutombo dans son pays d’origine mettrait sa vie en péril. C’est pour sa sécurité que nous vous demandons de bien vouloir lui accorder, la résidence permanente pour des considérations humanitaires.

 

[26]           La décision concernant une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire doit reposer sur une analyse des faits et sur la pondération de nombreux facteurs. En l’espèce, l’agent ERAR dit avoir considéré les lettres d’appui présentées par le demandeur, son implication dans la collectivité, sa présence au Canada depuis plus de trois ans, les attestations d’emploi, le bon état de ses finances et le fait qu’il soit en mesure de subvenir à ses besoins. L’agent ERAR a simplement énuméré ces éléments avant de déterminer que le demandeur n’avait pas démontré que son départ causerait une difficulté disproportionnée, excessive ou injustifiée, sans toutefois expliquer en quoi le demandeur n’avait pas démontré par cette preuve son établissement et son intégration au Canada.

 

7.         Question certifiée

[27]           Le demandeur a soumis la question suivante pour fins de certification :

 

-       Est-ce que le fait qu’il existe un moratoire en vigueur sur les renvois envers le R.D.C. depuis 10 ans et les pratiques d’abus des droits de l’homme qui y ont cours massivement et systématiquement constituent des difficultés indues, excessives et injustifiées, au sens du document IP5, dans le cadre d’une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, faite par un congolais touché par le moratoire?

 

[28]           La Cour d’appel fédérale a précisé, dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89 au paragraphe 11, qu’une question sera certifiée si elle est de portée générale et permettrait de faire droit à l’appel.

 

[29]           Je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de certifier la question, puisqu’elle ne serait pas déterminante quant à l’appel.

 

[30]            Je constate, par ailleurs, qu’une question similaire a récemment été proposée dans Nkitabungi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 331, et que le juge Luc Martineau, aux paragraphes 16 et 17 de cette décision, a refusé de la certifier pour les motifs suivants :

 

 

 

À la conclusion de l’audition, le procureur du demandeur a soumis la question suivante pour fins de certification :

 

Ne peut-il être considéré que l’obligation faite à un demandeur de visa de résidence pour motifs humanitaires, ressortissant d’un pays pour lequel une suspension des expulsions a été prononcée par les autorités canadiennes, et ayant demeuré plus de cinq ans au Canada sans avoir connu de problème avec la justice, de présenter sa demande dans son pays d’origine constitue une ‘difficulté excessive’ et qu’en conséquence, il appartient à tout agent de justifier le rejet de cette présomption favorable?

 

La détermination de l’agente concernant l’insuffisance de la preuve au niveau d’un degré appréciable d’établissement au Canada est avant tout une conclusion d’ordre factuel. En l’espèce, cette conclusion a un caractère déterminant dans le présent dossier, et ce, nonobstant la question proposée plus haut. Au passage, je note que la décision d’imposer une suspension temporaire des renvois vers un pays relève du ministre de la Sécurité publique, tandis que la décision rendue par l’agente relativement à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire relève du pouvoir du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Il s’agit de décisions qui relèvent de deux ministres distincts. D’autre part, tel que je l’ai souligné ci-haut, la jurisprudence indique qu’une suspension temporaire des renvois n’empêche pas en soi qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit rejetée (Mathewa, ci-dessus, au paragraphe 9).

 

 


ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accordée.

 

2.         La décision de l’agent ERAR est cassé et l’affaire sera retournée pour être reconsidérée par un différent agent ERAR en conformité avec ces motifs.

 

3.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4800-06

 

INTITULÉ :                                       Dominique Mutombo c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 2 mai 2007

 

MOTIFS  :                                         le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS :                      le 10 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Gretchen Timmins

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Istvanffy,Vallières & Associés

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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