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Date : 20070706

Dossier : IMM-2151-06

Référence : 2007 CF 721

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

GISELLE ACOSTA RAMIREZ

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision datée du 30 mars 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

 

[2]               La demanderesse demande que la décision de la Commission soit annulée et l’affaire  renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission afin qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Le contexte

 

[3]               La demanderesse, Giselle Acosta Ramirez, une citoyenne de Cuba âgée de 27 ans, a demandé l’asile au Canada, disant craindre d’être persécutée du fait de ses opinions politiques.

 

[4]               La demanderesse a expliqué dans l’exposé circonstancié faisant partie de son formulaire de renseignements personnels (FRP) les circonstances qui l’ont amenée à demander l’asile. Elle n’appuyait pas le Parti communiste et était opposée à l’idée d’en devenir membre jusqu’à ce qu’elle atteigne sa troisième année d’études en médecine, où il est devenu évident qu’elle allait devoir se joindre au Parti si elle voulait devenir médecin. Des membres influents du corps professoral, ainsi que d’autres médecins, ont fait pression sur elle pour qu’elle joigne les rangs du Parti. Elle a été obligée de donner du sang afin de se purifier du fait qu’elle refusait auparavant de se joindre au Parti. Elle a délibérément perdu sa carte de membre presque aussitôt après l’avoir reçue. Elle a régulièrement pris part à des marches et à des assemblées communistes afin d’éviter d’avoir des démêlés avec les autorités cubaines. Elle n’était pas tenue de produire sa carte pour pouvoir prendre part à ces activités, car le Parti tenait des registres identifiant ses membres. Sa mère est membre du Parti communiste. Bien que ce ne soit pas inscrit dans son FRP, la demanderesse a qualifié son père de dissident politique à l’audience relative au statut de réfugié.

 

[5]               La demanderesse a été constamment harcelée sur le plan sexuel pendant ses études, ainsi qu’en tant que médecin. Elle a été contrainte de se joindre à une mission médicale au Guatemala, du mois de mars 2004 jusqu’au mois de mars 2005, et, durant cette mission, elle a craint pour sa vie. Elle travaillait seule et les conditions étaient dangereuses. Il était prévu qu’elle participe à une mission semblable au Venezuela en septembre 2005. Elle a commencé à penser à fuir Cuba, qu’elle a qualifié de [traduction] « prison d’Alcatraz », en janvier 2005. Elle a élaboré un plan de fuite avec le concours de Franco Bello, un ami canadien qu’elle avait rencontré pendant qu’il était en visite à Cuba. Bello a trouvé une conférence portant sur la santé qui se tenait à Montréal et à laquelle elle pouvait assister. La demanderesse a obtenu du gouvernement de Cuba l’autorisation d’entrer au Canada munie d’un visa de trente jours afin d’assister à la conférence internationale, qui portait sur la sexologie. La demanderesse faisait partie d’un groupe de dix-sept cubains qui ont assisté à la conférence. Son intention était d’assister à la conférence et de s’échapper du groupe pour demander asile au Canada.

 

[6]               La demanderesse est arrivée au Canada le 10 juillet 2005, et elle a demandé l’asile le 26 juillet suivant. Depuis son arrivée, elle a appris que les autorités cubaines ont contacté ses parents et les ont interrogés sur ses allées et venues. Les autorités ont également tenté de convaincre ses parents de la persuader de revenir à Cuba. La demanderesse craint que les autorités cubaines l’accusent de désertion et la jettent en prison. Elle craint aussi de perdre son droit d’exercer en tant que médecin. L’audience relative au statut de réfugié de la demanderesse a eu lieu le 24 mars 2006, et, dans une décision datée du 30 mars 2006, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger, car elle n’avait pas démontré qu’elle craignait avec raison d’être persécutée ou de subir un autre préjudice. C’est cette décision-là qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

Les motifs de la Commission

 

[7]               La Commission a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger. En général, le témoignage de cette dernière n’a pas paru enjolivé. Cependant, la Commission a conclu que la demanderesse avait enjolivé son récit concernant le statut de son père en tant que dissident, un détail qu’elle n’avait pas mentionné dans ses notes au point d’entrée (PDE) ou dans son FRP. La preuve de la demanderesse donnait à penser que cette dernière n’était pas perçue comme une dissidente à Cuba. Elle était instruite, elle était médecin et elle avait été envoyée en mission au Guatemala. Elle était aussi devenue membre du Parti communiste, comme doivent le faire les médecins cubains. La preuve documentaire indiquait qu’à Cuba, pour obtenir de l’avancement professionnel, il faut être membre du Parti communiste.

 

[8]               Il a été demandé à la demanderesse pourquoi elle n’était pas retournée à Cuba lorsqu’elle avait appris qu’elle serait sanctionnée pour être restée au Canada. Elle a répondu que bien qu’opposée au régime cubain, elle n’en faisait pas état en public. La Commission a cité l’arrêt Valentin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 390, (1991) 167 N.R. 1, dans lequel la Cour d’appel fédérale a décrété que la législation relative aux réfugiés n’est pas conçue pour protéger les gens qui, n’ayant pas été victimes de persécution, créent une crainte de persécution en faisant en sorte d’être passibles d’une peine pour avoir transgressé une loi d’application générale. Ce principe s’appliquait également aux cas où la transgression était motivée par une insatisfaction politique. Des décisions jurisprudentielles additionnelles ont établi que l’arrêt Valentin s’applique aux demandes d’asile qui mettent en cause des citoyens cubains, ainsi qu’aux demandes visées à l’article 97.

 

[9]               Selon les notes prises au PDE, le FPR et le témoignage de la demanderesse, cette dernière : serait considérée comme dissidente par le gouvernement cubain, perdrait son droit d’exercer en tant que médecin, serait emprisonnée pour désertion et serait battue. Elle a affirmé aussi que les autorités cubaines avaient contacté ses parents. La Commission a conclu que la question de savoir si les autorités cubaines traiteraient la demanderesse comme une dissidente politique ou comme une jeune personne attirée au loin par des perspectives de carrière n’était pas claire. Il ressortait de la preuve documentaire qu’il n’existe pas de sanction prédéterminée pour un séjour prolongé à l’étranger sans autorisation. Les procédures relatives à une demande d’asile au Canada sont de nature privée, et il n’y avait aucun indication que les autorités cubaines étaient au courant de sa demande. La Commission a conclu que la demanderesse n’a jamais été perçue comme une dissidente politique. Elle a été envoyée au Canada pour assister à la conférence, ce qui donnait à penser que les autorités cubaines avaient confiance en elle. La Commission n’a trouvé aucune preuve que les parents de la demanderesse avaient subi des représailles par suite de sa désertion. Sa mère était communiste et n’avait pas été congédiée de son poste d’enseignante. On lui avait toutefois demandé de convaincre la demanderesse de revenir à Cuba. À l’audience, la demanderesse a donné sur son père des détails qui ne figuraient pas dans les notes prises au PDE ou dans son FRP. Elle a déclaré que ce dernier appartenait à un groupe d’opposition, qu’il apprêtait de la nourriture pour les détenus politiques, qu’il distribuait des médicaments à des codissidents et que le gouvernement le surveillait. Rien ne prouvait qu’il avait été arrêté pour s’être livré à ces activités. Il ressortait de la preuve que les autorités cubaines ne percevaient pas la demanderesse comme une dissidente et qu’elles n’avaient pas arrêté ses parents à cause de sa désertion.

 

[10]           La preuve documentaire établissait que les personnes qui expriment ouvertement leur dissidence sont maltraitées à Cuba, mais la demanderesse ne se trouvait pas dans une situation semblable, en ce sens qu’elle était membre du Parti communiste. La Commission a fait état d’un rapport indiquant que le United States Committee for Refugees (USCR) surveille régulièrement les migrants de retour à Cuba et que cet organisme n’a fait état d’aucun mauvais traitement à l’endroit de ces personnes. Au dire de la Commission, s’il y avait eu une preuve qu’on maltraitait les réfugiés de retour, le conseil l’aurait produite.

 

[11]           En interrogeant la demanderesse, le conseil a déclaré à tort que le FRP de cette dernière indiquait qu’elle craignait d’être violée si elle retournait à Cuba. À l’audience, la demanderesse a répondu par l’affirmative lorsque le conseil lui a demandé si elle craignait d’être violée en détention. Il n’y avait aucune preuve qu’à Cuba les femmes détenues sont violées. La Commission a signalé que le conseil avait posé à la demanderesse des questions tendancieuses qui s’étaient soldées par des réponses intéressées et peu fiables. Elle a conclu que la demanderesse était incapable de prouver qu’elle courait un risque, compte tenu de ses propres circonstances ou de celles de personnes se trouvant dans une situation semblable. La Commission a appliqué les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, mais elle n’a pas conclu que la demanderesse était digne de foi en rapport avec d’importants éléments de sa demande.

 

Les questions en litige

 

[12]           La demanderesse a soumis à notre examen les questions suivantes :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas considérée comme une dissidente à Cuba?
  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse craignait de retourner à Cuba uniquement parce qu’elle s’exposait à des sanctions pour avoir transgressé une loi pénale d’application générale?
  3. La Commission a-t-elle commis une erreur en rangeant la situation de la demanderesse dans la catégorie de « séjour prolongé à l’étranger sans autorisation » et de crainte de la part de celle-ci à l’égard des conséquences de ce séjour?
  4. La Commission a-t-elle commis une erreur en appliquant l’arrêt Valentin à la situation de la demanderesse?
  5. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’existe aucune peine prédéterminée pour un séjour prolongé à l’étranger sans autorisation, mais que les autorités prennent les décisions au cas par cas?
  6. La Commission a-t-elle mal appliqué la loi en interprétant les ententes en matière de migration qui sont signées entre Cuba et les États-Unis, ainsi que leur application aux faits de la demanderesse?
  7. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la preuve documentaire concernant les mauvais traitements n’inclut pas les personnes qui se trouvent dans la situation de la demanderesse?
  8. La Commission a-t-elle commis une erreur en déclarant qu’il est difficile d’indiquer clairement de quelle façon les autorités cubaines traiteraient la demanderesse, y compris le fait de savoir si ces autorités percevraient cette dernière comme une opposante au régime cubain, compte tenu de ses autres conclusions?
  9. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’existe aucune preuve que les parents de la demanderesse ont subi des représailles quelconques parce que cette dernière n’est pas revenue au pays au moment voulu?
  10. La Commission a-t-elle commis une erreur en rapport avec la preuve de la crainte de la demanderesse d’être victime de viol en détention et en rapport avec la preuve documentaire sur le sujet?
  11. La Commission a-t-elle interrompu de façon répétée et inéquitable la demanderesse dans son témoignage, ne lui donnant pas ainsi une occasion pleine et entière de faire valoir ses arguments?

 

[13]           Je simplifierais comme ceci les questions posées :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécutée?
  2. La Commission a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a examiné la preuve?
  3. La Commission a-t-elle enfreint les principes de l’équité procédurale?

 

Les arguments de la demanderesse

 

[14]           La demanderesse a fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle n’était pas perçue comme une dissidente à Cuba. Il a été dit que lorsqu’un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption quelles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter (voir Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, (1979) 31 N.R. 34 (C.A.)). La demanderesse a fait remarquer que la Commission a jugé que, en général, elle était digne de foi. Dans l’exposé circonstancié de son FRP, il est dit qu’elle a dû faire un don de sang pour se purifier parce qu’elle refusait auparavant de se joindre au Parti communiste, et qu’on l’a critiquait pour son peu d’enthousiasme en tant que membre. Il s’agissait là, a-t-elle soutenu, d’une preuve qu’on la percevait comme une dissidente. La Commission a déclaré qu’il était difficile de savoir clairement si les autorités cubaines considéreraient la demanderesse comme une jeune personne attirée par des perspectives de carrière à l’étranger ou bien comme une opposante au régime cubain. Il a été allégué que la Commission laissait entendre par cette affirmation que la conclusion selon laquelle la demanderesse n’était pas perçue comme une dissidente n’était pas définitive.

 

[15]           La demanderesse a fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle craignait uniquement d’être sanctionnée pour avoir transgressé une loi d’application générale. D’après les notes prises au point d’entrée (PDE), elle craignait d’être considérée comme une « contre-révolutionnaire », d’être jetée en prison et de perdre son droit d’exercer en tant que médecin. L’exposé circonstancié figurant dans son FRP indiquait qu’elle craignait d’être persécutée du fait de ses opinions politiques. Elle avait peur également d’être forcée à participer à une mission médicale dangereuse au Venezuela, en septembre 2005.

 

[16]           La demanderesse a fait valoir que la Commission a commis une erreur de fait manifestement déraisonnable en qualifiant sa situation de « séjour indu ». Elle est partie pour le Canada en tant que membre d’une délégation cubaine dans le but d’assister à une conférence. Elle a soutenu que le gouvernement cubain la considérerait comme une opposante parce qu’elle avait abandonné la délégation. Elle a fait état d’une loi cubaine, où il est mentionné que tout employé qui accomplit une mission à l’étranger et qui abandonne cette dernière ou ne revient pas à Cuba au moment prescrit sera privé de sa liberté pendant une période de trois à huit ans. Il a été soutenu qu’au vu de cette loi, la Commission a également commis une erreur en concluant qu’il n’existait pas de peine prédéterminée pour un séjour prolongé à l’étranger sans autorisation.

 

[17]           Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur en appliquant à son cas l’arrêt Valentin (voir ci-dessus) et la décision De Corcho Herrerra c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 70 F.T.R. 253. Elle a ajouté que cette jurisprudence ne traite pas du cas singulier des médecins cubains, qui sont tenus de faire preuve de leur allégeance envers Castro. Elle a signalé que la Commission a omis de prendre en considération des éléments de preuve documentaires qui traitent du triste sort des médecins cubains. La demanderesse a prétendu que la Commission a commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve documentaires corroborants et convaincants et de témoignages pertinents (voir Padilla c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 13 Imm.L.R. (2d) 1, 160 N.R. 156 (C.A.F.)). La Commission a également commis une erreur en omettant de traiter de la preuve documentaire portant sur les mauvais traitements infligés à des personnes se trouvant dans la même situation que la sienne. Il faudrait que la Commission prenne en compte la totalité des éléments de preuve quand elle tire des conclusions de fait, et elle ne devrait pas faire abstraction d’éléments pertinents (voir Tung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 124 N.R. 388 (C.A.F.)).

 

[18]           La Commission a pris note de preuves documentaires indiquant que l’USCR n’avait pas fait état dans son rapport d’incidents au cours desquels on avait maltraité des réfugiés qui étaient retournés à Cuba. Il a été allégué que les conclusions de ce rapport ne concernaient que les réfugiés visés par l’entente de migration entre les États-Unis et Cuba. Ce rapport ne s’appliquait donc pas à la demanderesse. Celle-ci a exprimé l’avis que la Commission avait donc mal appliqué la loi aux faits de sa cause.

 

[19]           La demanderesse a soutenu que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucune preuve que ses parents avaient été victimes de représailles parce qu’elle n’était pas retournée à Cuba. La Commission aurait fait abstraction du témoignage détaillé de la demanderesse à propos de la situation actuelle de ses parents. Elle a ajouté que la Commission n’a pas tenu compte de la réalité, à savoir qu’il n’est pas nécessaire qu’une personne ait été congédiée ou incarcérée pour être persécutée. La Commission n’a pas compris pourquoi elle devait recevoir des courriels écrits en code, car une preuve documentaire indiquait que le gouvernement cubain interceptait les courriels. La demanderesse a soutenu que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucune preuve que des femmes sont victimes de viol dans les prisons cubaines. La Commission aurait également commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas présenté de preuve qu’elle craignait d’être violée. À l’audience, la demanderesse a répondu de manière positive lorsque le conseil lui a demandé si elle craignait d’être victime d’abus sexuels en prison.

 

[20]           La demanderesse a soutenu que la Commission l’a interrompue de manière inéquitable pendant qu’elle témoignait et a omis de lui donner une occasion de faire valoir ses arguments. La Commission aurait restreint la preuve qu’elle était disposée à entendre sous prétexte qu’elle connaissait bien la situation à Cuba.

 

Les arguments du défendeur

 

[21]           Le défendeur a soutenu que la question de savoir si la Commission a appliqué le critère juridique approprié à la situation de la demanderesse est une question mixte de fait et de droit, et que celle-ci est contrôlable selon la norme de la décision raisonnable (voir Holway c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 309). Il a ajouté que la norme de contrôle qui s’applique aux questions de crédibilité et à la pertinence de la preuve est la décision manifestement déraisonnable, car ces questions sont de nature factuelle (voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (CAF)). 

 

[22]           Le défendeur a soutenu que les transfuges – des demandeurs qui créent eux-mêmes un besoin de protection – ne sont généralement pas de véritables réfugiés (voir Valentin). Ce principe a été confirmé dans des affaires mettant en cause des transfuges cubains (voir De Corcho Herrerra). Dans la décision Dykon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 87 F.T.R. 98, 25 Imm.L.R. (2d) 193 (C.F. 1re inst.), la Cour a statué que l’arrêt Valentin ne s’applique que dans les cas où il n’y a pas eu de persécution avant le départ du pays. La Cour a confirmé aussi que les principes énoncés dans l’arrêt Valentin visent les demandes présentées en vertu de l’article 97 de la LIPR (voir Zandi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 35 Imm.L.R. (3d) 273, 2004 CF 411). Dans Cheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CFPI 211, le juge Pinard a déclaré que la Commission n’avait pas commis d’erreur en concluant que les lois relatives au départ de la Chine, qui comportaient une peine de cinq années de prison, n’équivalaient pas à de la persécution.

 

[23]           Selon le défendeur, la demande d’asile de la demanderesse n’est pas authentique. Cette dernière a créé elle-même sa crainte d’être sanctionnée en vertu des lois relatives au départ de Cuba en prenant les dispositions nécessaires pour assister à une conférence au Canada et en quittant son pays. Il a été allégué que les principes énoncés dans l’arrêt Valentin s’appliquent de manière à faire obstacle à sa demande. Le défendeur a prétendu que les craintes de la demanderesse résultent directement du fait qu’elle a transgressé les lois relatives à la sortie du pays (c’est-à-dire : perte du droit d’exercer en tant que médecin, peine pour désertion, incarcération, violence physique). Le défendeur a soutenu que la cause de la demanderesse n’est pas spéciale juste parce qu’elle est médecin. Il a signalé que des milliers de fonctionnaires désertent quotidiennement Cuba.

 

[24]           Au dire du défendeur, la Commission n’a pas commis d’erreur importante en évaluant la façon dont la demanderesse serait traitée à son retour à Cuba. Cette dernière a mentionné une disposition du Code pénal cubain selon laquelle les employés qui abandonnent une mission en pays étranger risquent d’être privés de leur liberté pendant une période de trois à huit ans. Cependant, dans le document où cette disposition est citée, on ajoute ensuite que l’on n’a pas pu trouver d’informations sur l’application de cette dernière, car des milliers d’employés de l’État, dont des médecins, désertent le régime cubain pendant qu’ils se trouvent à l’étranger. Selon le défendeur, il n’est pas sûr que la disposition relative à la désertion s’appliquerait à la demanderesse, car elle assistait à une conférence et n’était pas en mission à l’étranger.

 

[25]           Si la loi s’applique à la demanderesse, les preuves concernant la mesure dans laquelle cette loi est exécutée sont équivoques. Si la demanderesse était jugée en vertu de cette loi, une peine de cinq ans pour avoir transgressé les lois relatives à la sortie ne constitue pas de la persécution, comme l’a déclaré la Cour fédérale. En outre, la Cour d’appel fédérale a dit douter qu’une peine pour transgression de lois relatives à la sortie constitue de la persécution (voir Valentin). Il a été allégué que le fait que la Commission ait omis de mentionner ces lois est une erreur de peu d’importance car la demande d’asile de la demanderesse n’est pas authentique.

 

[26]           Le défendeur a soutenu que la Commission a pris en considération et soupesé la preuve comme il se doit. Selon la Cour fédérale, la Commission n’est pas tenue de faire référence à tous les éléments de preuve qui sont contraires à la conclusion qu’elle tire (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998) 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.)). Il est présumé que la Commission a soupesé la totalité des éléments de preuve, sauf si l’on démontre le contraire (voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL)). La Commission a signalé que l’USCR n’avait pas fait état d’incidents au cours desquels des migrants de retour avaient été maltraités, et, a-t-il été allégué, cette déclaration ne faisait pas  nécessairement référence aux seuls migrants qui retournaient à Cuba à partir des États-Unis. Toujours selon le défendeur, aucune preuve documentaire ne confirme que des migrants de retour, se trouvant dans la même situation que la demanderesse, ont été maltraités. Il a soutenu que la preuve documentaire sur laquelle se fondait la demanderesse concernait des médecins qui avaient déserté des missions médicales et qui dénonçaient le gouvernement cubain, et que cela était sans rapport avec sa situation.

 

[27]           Le défendeur a soutenu que la Commission n’a pas commis d’erreur en évaluant l’effet de la désertion de la demanderesse sur ses parents. Le défendeur a soutenu qu’il n’y a pas nécessairement de rapport entre le fait que Cuba surveille les courriels et le préjudice que les parents de la demanderesse ont pu subir. En tout état de cause, c’est la probabilité de persécution de la demanderesse, et non de ses parents, qui est importante en l’espèce. Il ressort de la preuve documentaire que les autorités cubaines punissent les transfuges en privant leur famille de permis de sortie pendant cinq ans, une peine qui ne déclenche pas l’application des articles 96 ou 97 de la LIPR.

 

 

 

La réponse de la demanderesse

 

[28]           La demanderesse a contesté l’argument du défendeur selon lequel elle n’avait aucune raison de craindre de retourner à Cuba, sinon le fait d’avoir transgressé une loi d’application générale. Il a été signalé que son exposé circonstancié, figurant dans le FRP, comparait Cuba à une [traduction] « prison d’Alcatraz » et qu’elle avait conçu un plan pour fuir le pays. D’après la demanderesse, cela étayait son argument selon lequel sa crainte était liée à d’autres motifs. Même sans avoir transgressé les lois de sortie, elle aurait quand même perdu son droit d’exercer en tant que médecin parce qu’elle n’avait pas accompli la période de travail minimale prescrite en échange des études médicales qu’elle avait suivies. Elle a soutenu que la conclusion tirée dans la décision Dykon étayait sa cause, car la Cour a déclaré que l’arrêt Valentin ne s’appliquait qu’aux situations où il n’y avait pas eu de persécution avant la sortie du pays. On a prétendu que la demanderesse a fourni une preuve évidente de la persécution dont elle a été victime à Cuba.

 

[29]           La demanderesse a ajouté qu’elle n’a pas tenté d’introduire une preuve concernant le statut de dissident de son père pendant l’audience relative au statut de réfugié. La Commission a posé des questions sur son père et elle y a tout simplement répondu.

 

L’analyse et la décision

La norme de contrôle

[30]           La norme de contrôle qui s’applique à la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’a pas fait la preuve qu’elle éprouve une crainte objectivement fondée de persécution est la décision manifestement déraisonnable (voir Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 F.T.R. 280, 2 Imm.L.R. (3d) 191 (C.F. 1re inst.)).

 

[31]           La Commission peut évaluer la valeur probante de la preuve, y compris les éléments documentaires, et la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions tirées est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Akhter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 914).

 

[32]           Je traiterai tout d’abord de la question no 2

 

[33]           La question no 2

            La Commission a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a pris la preuve en considération?

            Dans sa décision, la Commission déclare ce qui suit, à la page 5 :

Il est difficile de savoir avec certitude comment les autorités cubaines traiteraient la demanderesse d’asile et si elles considéreraient qu’il s’agit d’une jeune personne s’étant laissée séduire par la perspective d’une carrière plus lucrative au Canada ou si elles la verraient comme une personne opposée au système cubain.

 

La preuve documentaire permet de croire qu’aucune peine prédéterminée n’est prévue pour des séjours à l’étranger prolongés sans autorisation, mais que les autorités procèdent au cas par cas.

 

 

 

[34]           Un examen de la preuve documentaire fait ressortir la disposition suivante du Code pénal cubain :

 

 

[traduction]

Loi no 62

Code pénal

Assemblée nationale du pouvoir populaire

Livre Deux

Partie spéciale

Infractions

Titre II

INFRACTIONS CONTRE L’ADMINISTRATION ET L’AUTORITÉ

CHAPITRE 1

VIOLATION DES OBLIGATIONS INHÉRENTES AUX FONCTIONS PUBLIQUES

CINQUIÈME SECTION

Abandon de fonctions

Article 135.  1) Tout fonctionnaire ou employé qui accomplit une mission à l’étranger et qui abandonne sa mission, ou néglige de revenir au pays au moment prescrit, expressément ou implicitement, est privé de sa liberté pendant une période de trois à huit ans.

2.  La même sanction s’applique à tout fonctionnaire ou employé qui, après avoir accompli une mission à l’étranger et désobéissant à l’ordre exprès du gouvernement cubain, s’installe dans un autre pays.

 

 

 

[35]           Il ressort de la preuve que la demanderesse assistait à une conférence autorisée par l’État et qu’elle a décidé de rester au Canada et non de rentrer à Cuba. La disposition du Code pénal cubain qui est citée ci-dessus indique clairement que le fait de prolonger indûment son séjour à l’étranger est assorti d’une peine prédéterminée. Cela est contraire à la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse ne risque aucune peine fixe pour ne pas être retournée à Cuba. Comme je n’ai aucun moyen de savoir quelle incidence ce renseignement aurait eu sur la décision de la Commission, je me dois d’annuler cette décision pour ce seul motif. Il incombe à la Commission de prendre cette preuve en considération et de dire si elle aurait une incidence sur sa décision ultime. Je suis d’avis que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle; sa décision est donc annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différent de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

[36]           Je ne suis pas obligé d’analyser les autres points que la demanderesse a soulevés, mais je signale que certains des éléments de preuve documentaires semblent dénoter que, à Cuba, la situation des médecins est différente de celle des autres professionnels.

 

[37]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

[38]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l’affaire soit renvoyée à un tribunal différent de la Commission afin qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.A., trad. a.

 


ANNEXE

 

Les dispositions législatives applicables

 

Les dispositions législatives applicables figurent dans la présente annexe.

 

La Loi sur l’Immigration et la Protection des réfugiés, L.C. 2001, ch.27 :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

 

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2151-06

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            GISELLE ACOSTA RAMIREZ

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 24 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

Gisele Acosta Ramirez

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jennifer Francis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gisele Acosta Ramirez

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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