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Date : 20070710

Dossier : IMM-2817-06

Référence : 2007 CF 733

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2007

En présence de Monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

LEONILDO ALBERTO PACHECO SILVA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

1.         Introduction

[1]               M. Alberto Pacheco Silva (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas (l’agente), datée du 24 avril 2006, portant qu’il ne réunissait pas les conditions prévues pour immigrer comme résident permanent au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

[2]               Le demandeur, entré au Canada à titre de visiteur vers décembre 2000, était muni, à la date de la présentation de sa demande, d’un permis de travail valide jusqu’au 26 octobre 2005. Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente le 10 décembre 2004. Il soutenait avoir acquis de l’expérience professionnelle comme boulanger et comme surveillant dans le commerce au détail. Le demandeur a reconnu dans ses observations que, même si on lui attribuait 55 points, soit le nombre qu’il estimait mériter, il aurait toujours moins des 67 points requis pour la délivrance d’un visa de résident permanent. L’agente, d’ailleurs, a attribué 57 points au demandeur. Le demandeur a par conséquent sollicité, dans sa lettre de demande, qu’on procède à une « substitution de l’appréciation » à son égard en application du paragraphe 76(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

2.         La décision

[3]               Dans sa lettre de décision, l’agente a déclaré ne pas être convaincue, d’après les renseignements figurant au dossier, que le demandeur satisfaisait aux exigences suivantes prévues au paragraphe 75(2) du Règlement :

 

a)         il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein […] [37,5 heures par semaine], ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions - exception faite des professions d’accès limité;

 

b)         pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

 

c)         pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

[4]               L’agente a en outre conclu que, même si le demandeur avait acquis l’expérience de travail requise suivant le paragraphe 75(2), il n’aurait par ailleurs pas satisfait aux critères de sélection. L’agente a ensuite étudié la demande de substitution de l’appréciation présentée en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement, et elle a décidé qu’il n’était pas indiqué de recommander une telle substitution. L’agente a conclu que les points d’appréciation attribués au demandeur constituent un reflet fidèle de son aptitude à réussir son établissement au Canada.

 

3.         Les questions en litige

[5]               Le nombre de points attribués au demandeur par l’agente n’est pas contesté. Ce que le demandeur conteste, c’est la conclusion de l’agente selon laquelle les points qui lui ont été attribués reflètent fidèlement son aptitude à réussir son établissement au Canada. Selon le demandeur, l’agente a, pour en arriver à cette conclusion, exercé son pouvoir discrétionnaire de façon arbitraire, sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Il ajoute que l’agente a également porté atteinte aux règles de l’équité procédurale en exerçant ce pouvoir discrétionnaire.

 

4.         La norme de contrôle

[6]               Mon confrère le juge Richard Mosley s’est penché sur la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent des visas dans Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1283, [2006] A.C.F. n° 1597 (QL). Je souscris à l’examen qu’il a fait de la jurisprudence pertinente, notamment quant aux vues exprimées par le juge Yves de Montigny dans Svetlana Vladimirovna Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 268. Au paragraphe 15 des motifs de sa décision, le juge de Montigny a traité comme suit de la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent des visas a l’égard d’une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

[…] La Cour a constamment jugé que l’expertise particulière des agents des visas exige la retenue dans le contrôle de leurs décisions. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’appréciation d’une personne qui demande la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue. Dans la mesure où cette appréciation a été faite de bonne foi, en respectant les principes de justice naturelle applicables et sans l’intervention de facteurs extrinsèques ou étrangers à la question, la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent des visas devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable : Postolati c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 251; Singh c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 312; Nehme c. Canada (M.C.I.), 2004 CF 64; Bellido c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 452, [2005] A.C.F. no 572 (QL).

 

 

[7]               Lorsqu’il s’agit d’établir quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable, il importe d’étudier la nature de la question faisant l’objet de l’examen. En l’espèce, la première question dont la Cour est saisie concerne l’exercice par l’agente de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle s’est demandé si une « substitution de l’appréciation » en application du paragraphe 76(3) du Règlement était indiquée. Je souscris à cet égard au principe selon lequel l’expertise particulière des agents des visas exige la retenue dans le contrôle de leurs décisions. L’appréciation d’une personne qui demande la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et une « substitution de l’appréciation » en vertu du paragraphe 76(3) constituent des décisions discrétionnaires mettant en cause des conclusions de fait qui appellent de la part de la Cour une très grande retenue. La norme de contrôle applicable à de telles décisions devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[8]               La seconde question dont la Cour est saisie a trait à l’équité procédurale. Il est bien établi qu’il n’y a pas lieu de déterminer la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale. Nulle retenue judiciaire n’est requise pour le contrôle des décisions mettant en cause une atteinte à l’équité procédurale.

 

5.         L’analyse

[9]               Le demandeur concède que le nombre de points d’appréciation réclamés (55) et le nombre de points attribués (57) sont en deçà du nombre requis (67) pour la délivrance d’un visa de résident permanent. Il soutient toutefois que le nombre de points accordés ne reflète pas fidèlement son aptitude à réussir son établissement au Canada. Le demandeur prétend que l’agente a évalué erronément son expérience de travail et sa capacité d’adaptation, et qu’elle a enfreint les règles de l’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de dissiper les sujets d’inquiétude soulevés. Selon le demandeur, la décision de l’agente allait à l’encontre de la preuve dont elle était saisie et, au vu du dossier, constituait une décision manifestement déraisonnable. Le demandeur ajoute que la décision devrait par conséquent être annulée. Je vais maintenant examiner, l’une après l’autre, les deux questions soulevées par le demandeur.

 

A.        L’agente a-t-elle exercé erronément son pouvoir discrétionnaire?

[10]           L’examen des notes du STIDI de l’agente révèle que celle-ci n’a attribué aucun point au demandeur pour le facteur des études, six points pour celui de la compétence en anglais – en se fondant sur l’International English Language Test System (IELTS) – et aucun point pour la compétence en français. Pour l’ensemble de ces catégories, l’agente a attribué au demandeur deux points de plus que le nombre de points suggérés par l’avocat du demandeur. Le demandeur s’oppose au traitement par l’agente de la preuve relative à son expérience de travail, à l’emploi réservé et à la capacité d’adaptation eu égard aux études de son épouse.

 

[11]           En ce qui concerne l’expérience de travail, le demandeur a fait état de plusieurs professions, notamment celles de « boulanger-pâtissier », de « cuisinier-pâtissier » et de « superviseur », exercées auprès de divers employeurs à Ponta Delgada, au Portugal, de septembre 1988 à décembre 2000. Il a toutefois mentionné avoir été sans emploi au Canada de décembre 2000 à octobre 2001, puis avoir travaillé comme boulanger à la Silva’s Portuguese Bakery à Cambridge, en Ontario, d’octobre 2001 jusqu’à « maintenant », soit la date de sa demande, le 25 mai 2004.

 

[12]           Selon le demandeur, l’agente a commis une erreur en estimant insuffisantes deux lettres d’employeurs, l’une provenant d’un employeur au Portugal, l’autre d’un employeur au Canada. Le demandeur soutient que l’agente n’a pas expliqué pourquoi les lettres ne suffisaient pas alors qu’à leur face même, selon lui, on peut y constater qu’il a acquis plus de quatre années d’expérience.

 

[13]           Le défendeur soutient que les lettres en cause fournissaient très peu de renseignements sur l’expérience de travail du demandeur. La lettre en provenance du Portugal ne renfermait aucune description de travail, ni même aucune appellation d’emploi, contrairement aux instructions que le demandeur avait reçues en même temps que la formule de demande de résidence permanente. La lettre de l’employeur canadien, datée du 29 mars 2004, fournissait les renseignements suivants :

[traduction]

M. Leanildo Silva, du 36 Northview Heights à Cambridge, en Ontario (NAS : 915 579 856), est un employé de la Silva’s Portuguese Bakery depuis octobre 2001. Il occupe le poste de chef pâtissier adjoint. Le pétrissage ainsi que la confection de nos pâtisseries portugaises relèvent de sa responsabilité; il supervise ce processus et aide à la cuisson des pâtisseries. M. Silva prête également assistance aux boulangers et il veille au fonctionnement des fours pour la cuisson du pain. Le salaire brut actuel de M. Silva est de 3 212 $ par mois. Pour plus amples renseignements, veuillez téléphoner au numéro ci-haut indiqué.

 

[14]           L’agente a relevé que le demandeur n’avait présenté aucune autre preuve relativement à son expérience de travail, et que l’employeur canadien portait le même nom de famille que le demandeur et pouvait ainsi être un de ses parents. Ces points préoccupaient l’agente et soulevaient une interrogation quant à savoir si le demandeur disait vrai quant à ses années d’expérience. L’agente a par conséquent conclu que M. Silva n’avait pas produit une preuve crédible quant à son emploi au Canada et ne lui a attribué aucun point pour le facteur de l’expérience.

 

[15]           En ce qui concerne l’emploi réservé, il est simplement indiqué dans les notes du STIDI de l’agente qu’aucun point d’appréciation n’a été attribué au demandeur.

 

[16]           L’agente a conclu que, même si le demandeur avait pu lui fournir des renseignements pouvant la convaincre qu’il avait bien acquis quatre années d’expérience et qu’on devrait lui accorder des points pour les facteurs de l’emploi réservé, de la compétence en français et de la capacité d’adaptation, le demandeur obtiendrait malgré tout beaucoup moins de points que le minimum requis pour satisfaire aux critères de sélection. L’agente a par conséquent conclu qu’il ne servirait à rien que le demandeur s’exprime quant aux préoccupations qu’elle avait soulevées.

 

[17]           Le pouvoir discrétionnaire conféré aux agents des visas en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement est « de nature résiduelle et […] ne peut être exercé pour emporter une décision que lorsque les faits d’une affaire sont très particuliers ou lorsque le demandeur a presque atteint les 70 points d’appréciation » (se reporter à Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 166 F.T.R. 78, à la page 83). Or, les faits de la présente affaire n’ont rien de particulier et il ne s’agit pas d’un cas où le demandeur avait presque obtenu le nombre de points requis. Même si je devais conclure que l’évaluation par l’agente du nombre d’années d’expérience du demandeur était déraisonnable, attribuer à ce dernier le nombre maximal de points pour les facteurs de l’expérience de travail, de l’emploi réservé et de la capacité d’adaptation ne le ferait toujours pas s’approcher du nombre de points requis. Ainsi, toute pareille erreur d’appréciation de l’agente, s’il en était, serait sans conséquence sur le résultat de la demande (se reporter à Patel c. Canada (M.C.I.), 2002 CAF 55).

 

[18]           Ayant pris en compte la totalité de la preuve, je conclus qu’on ne peut qualifier d’arbitraire ou d’abusif l’exercice par l’agente de son pouvoir discrétionnaire quant au recours à la « substitution de l’appréciation ». La décision de l’agente n’était pas déraisonnable dans les circonstances.

 

B.         L’agente d’immigration a-t-elle enfreint les principes d’équité procédurale?

[19]           Le demandeur soutient que l’agente a enfreint les principes d’équité procédurale lorsqu’elle a omis de fournir des motifs à l’égard du rejet de la preuve quant à son expérience de travail, lorsqu’elle a rejeté la preuve relative à la capacité d’adaptation vu l’absence d’attestation d’un traducteur à l’égard de la relation et lorsqu’elle a omis d’offrir au demandeur la possibilité de répondre à un avis favorable relativement au marché du travail, en plus d’omettre soit de demander au demandeur des renseignements par écrit, soit de lui faire passer une entrevue, pour établir quel était son degré d’établissement au moment où elle a pris sa décision.

 

[20]           Je suis d’avis qu’il n’y a pas eu atteinte en l’espèce aux principes d’équité procédurale. Il incombe au demandeur de fournir tous les documents d’appui pertinents et de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles au soutien de sa demande. Dans sa lettre de décision, l’agente a déclaré bien clairement que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau. Il incombe au demandeur de présenter la meilleure preuve possible (se reporter à Lam c. Canada (M.C.I.) (1998), 152 F.T.R. 316 (1re inst.)). Il n’y a pas eu déplacement vers l’agente du fardeau de preuve, et le demandeur n’a pas droit à une entrevue personnelle si la demande est ambigüe ou s’il n’a pas fourni de documents à l’appui de sa demande. En l’espèce, l’agente n’avait nulle obligation de réunir ou chercher d’autres éléments de preuve ni de demander d’autres renseignements.

 

6.         Conclusion

[21]           Il s’agit ici d’un cas où le demandeur a obtenu beaucoup moins de points que le nombre requis pour être admis comme résident permanent au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. L’agente a examiné la demande présentée par le demandeur en vue de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 76(3). En l’espèce, la décision de l’agente de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire n’était pas déraisonnable. L’agente n’a pas enfreint les principes de l’équité procédurale en rendant sa décision.

 

[22]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[23]           Les parties ont eu l’occasion de soulever une question grave de portée générale, selon ce que prévoit l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, mais elles n’en ont soulevé aucune. Je suis d’avis qu’il ne résulte du présent dossier aucune question grave de portée générale, et je n’ai pas l’intention de certifier une question.

 

 


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas datée du 24 avril 2006 est rejetée.

 

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2817-06

 

INTITULÉ :                                       LEONILDO ALBERTO PACHECO SILVA c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                   LE 10 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yehuda Levinson

 

POUR LE DEMANDEUR

Stephen Gold

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yehuda Levinson

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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