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Date : 20070719

Dossier : T-961-06

Référence : 2007 CF 758 

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HANSEN

 

 

ENTRE :

 

ROBERT GEORGE LEE et

MARIA JOSE LEE POUR LE COMPTE DE NICOLE ANNE LEE

demandeurs

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]        Les demandeurs allèguent que leur fille, Nicole Anne Lee, s’est vu à tort refuser les prestations d'enfant de cotisant invalide (les PECI) pour la période allant de sa naissance en juin 1998 au mois de mars 2003 en raison d'un avis erroné qui aurait été donné ou d'une erreur administrative qui aurait été commise par le ministre du Développement des ressources humaines (le ministre) en août 1998.

 

[2]        Les demandeurs sollicitent une ordonnance enjoignant au ministre de verser à leur fille les PECI pour la période allant de sa naissance en juin 1998 au mois de mars 2003. De plus, ils réclament des intérêts sur les prestations refusées et les dépens liés à la présente instance.

 

Le contexte

[3]        En mars 1994, le ministre a approuvé une demande de prestation d’invalidité présentée par Mme Lee lui donnant ainsi le droit à une pension d'invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC ou le Régime) à partir du mois d’avril 1991. La fille de Mme Lee, Nicole, est née le 23 juin 1998.

 

[4]        Dans son affidavit, Mme Lee affirme qu’elle a communiqué par téléphone, au début d’août 1998, avec le bureau de Développement des ressources humaines Canada (DRHC) à Oshawa, en Ontario, pour demander si elle avait droit à des prestations additionnelles pour l’aider à subvenir aux besoins de sa fille nouveau-née. Elle déclare qu’on lui a répondu [traduction] « qu’elle ne pouvait pas réclamer davantage étant donné qu’elle recevait toutes les prestations auxquelles elle avait droit ».

 

[5]        En mars 2004, Mme Lee a reçu par la poste un bulletin intitulé « Maintenir le lien », publié par le ministre à l’intention des personnes qui reçoivent des prestations d’invalidité du RPC. Mme Lee affirme que c’est le premier bulletin qu’elle a reçu malgré le fait que deux autres numéros avaient déjà été publiés. À la page 4 du bulletin en question, on explique que les enfants des personnes qui reçoivent des prestations d’invalidité peuvent aussi avoir droit au versement d’une prestation, que la prestation n’est pas accordée automatiquement, et que le bénéficiaire ou l’enfant doit en faire la demande.

 

[6]        Mme Lee indique qu’elle a téléphoné aux responsables des Programmes de la sécurité du revenu immédiatement après avoir reçu le bulletin en question pour vérifier si les renseignements qu’il contenait étaient [traduction] « vrais ».  Étant donné qu’elle a reçu une réponse affirmative, elle a demandé si le programme était en vigueur en 1998 et on lui a aussi répondu affirmativement. Le responsable à qui elle a parlé lui a demandé pourquoi elle n’avait pas fait une demande plus tôt, question à laquelle Mme Lee a répondu qu’on lui avait dit qu’elle n’avait droit à aucune autre prestation. Mme Lee précise que son interlocuteur lui a dit de tout mettre par écrit, de faire pour le compte de sa fille une demande de prestations rétroactives à l’année 1998 et qu’il a mentionné qu’il y avait de bonnes chances que la demande soit approuvée.  

 

[7]        Le 19 mars 2004, Mme Lee a fait une Demande de prestations pour les enfants âgés de moins de 18 ans d'un cotisant invalide et a réclamé des prestations rétroactives à la date de naissance de sa fille Nicole.

 

[8]        Le 30 mars 2004, le ministre a approuvé le versement de PECI rétroactives au mois d’avril 2003 à Nicole. Le ministre a informé Mme Lee que le paragraphe 74(2) du RPC interdit le paiement rétroactif d’une prestation au-delà d’une période de onze mois précédant la date de réception de la demande. Étant donné que la demande a été reçue en mars 2004, Nicole ne pouvait pas recevoir de prestations se rapportant à la période antérieure au mois d’avril 2003.

 

[9]        En réponse à la demande de Mme Lee visant à faire réviser la décision limitant les paiements rétroactifs à une période de onze mois par le ministre, celui-ci a confirmé la décision antérieure. 

 

[10]      Dans une lettre datée du 3 mai 2004, les demandeurs ont interjeté appel auprès du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision de la décision du ministre sur le fondement que ce dernier avait omis de les aviser de l’admissibilité de leur fille à recevoir une prestation.

 

[11]      Le tribunal de révision a entendu l’appel des demandeurs le 26 août 2004.  Dans sa décision rendue le 22 septembre 2004 par laquelle il a rejeté l’appel, le tribunal de révision a conclu que les demandeurs avaient reçu le paiement maximal auquel ils étaient admissibles en vertu de la loi et qu’il n’avait pas compétence pour décider si les demandeurs s’étaient vu refuser à tort le versement d’une prestation en raison d’un avis erroné ou d’une erreur administrative.

 

[12]      Dans son affidavit, Mme Lee indique que, lors de l’audience du tribunal de révision, la représentante du ministre (la représentante) s’est excusée auprès des demandeurs au nom du bureau du ministre en leur disant que les avis qui leur avaient été fournis en 1998 et plus récemment étaient erronés, et qu’elle a informé le président qu’elle s’adresserait aux demandeurs après l’audience. Mme Lee précise qu’elle a discuté avec la représentante à la suite de l’audience, laquelle a alors une fois de plus présenté ses excuses. 

 

[13]      Dans son affidavit daté de mars 2005, la représentante affirme qu’elle a rencontré les demandeurs après l’audience du tribunal de révision à la demande du président pour discuter avec eux de la question de l’avis erroné et de l’erreur administrative. Cependant, dans ce même affidavit, elle nie avoir dit que les demandeurs avaient reçu un avis erroné ou qu’une erreur administrative était survenue.  Elle affirme les avoir informés de la procédure à suivre pour faire réviser une allégation d’avis erroné ou d’erreur administrative en application du paragraphe 66(4) du RPC.

 

[14]      Monsieur et Madame Lee ont écrit une lettre au ministre en septembre 2004, lui demandant de réexaminer leur demande de paiement de prestations rétroactives au mois de juin 1998.  Le ministre leur a répondu au début du mois de novembre 2004 en réaffirmant qu’il lui était impossible de reculer la date à laquelle pouvait commencer le versement des prestations. En outre, étant donné qu’un examen interne de leur dossier n’avait pas permis d’établir l’existence d’un avis erroné ou d’une erreur administrative, aucune mesure corrective ne pouvait être apportée. 

 

[15]      Les demandeurs ont demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission d’appel des pensions. Leur demande d’autorisation a été rejetée pour défaut de compétence à la mi-janvier 2005.  Ils ont déposé un avis de demande de contrôle judiciaire dont l’audition était prévue pour le 15 novembre 2005. 

 

[16]      Dans une lettre datée du 10 novembre 2005, la mandataire du ministre (la mandataire) a accepté d’examiner de nouveau les allégations des demandeurs selon lesquelles ils avaient reçu un avis erroné et leur a demandé de fournir des éléments de preuve supplémentaires. Du consentement des parties, le contrôle judiciaire a été reporté à une date indéterminée.

 

[17]      La mandataire a examiné le dossier et s’est penchée sur les questions suivantes :

-           Les mesures prises par le ministre pour renseigner les bénéficiaires de prestations d’invalidité et le grand public au sujet des prestations du RPC, notamment la PECI;

 

-           La lettre du 16 mars 2004 jointe à la demande de PECI;

 

-           L’historique de l’allégation d’avis erroné ou d’erreur administrative avancée par les demandeurs;

 

-           Le contexte entourant l’allégation selon laquelle, lors de l’audience du tribunal de révision, la représentante du ministre a informé les demandeurs qu’ils avaient reçu un avis erroné en 1998 et en 2004, et l’affidavit de la représentante du ministre dans lequel elle nie cette allégation.

 

[18]      Dans sa décision du 5 avril 2006, la mandataire a indiqué qu’elle était convaincue que tous les efforts avaient été faits pour renseigner la population canadienne en général et les demandeurs en particulier au sujet des prestations offertes en vertu du RPC. Elle a conclu qu’elle n’était pas convaincue, suivant la prépondérance des probabilités, qu’un avis erroné avait été reçu ou qu’une erreur était survenue dans le traitement de la demande de PECI de Nicole. Dans sa conclusion, la mandataire a fait observer ce qui suit :

-           En mars 2004, à l’époque où la demande de prestations pour le compte de sa fille a été présentée, Mme Lee a indiqué ne pas avoir été préalablement informée de l’existence des PECI;

 

-      La question de l’avis erroné ou de l’erreur administrative n’a pas été soulevée avant l’audience du tribunal de révision;

 

-           La question de l’avis erroné ou de l’erreur administrative figure dans les notes du 26 août 2004 présentées par Mme Lee après audience;

 

-           La première indication d’un avis erroné ou d’une erreur administrative se retrouve dans une lettre adressée au RPC le 27 septembre 2004 après que la question a été soulevée à l’audience du tribunal de révision;

 

-           La représentante du ministre a nié l’allégation voulant qu’elle ait informé les demandeurs qu’ils avaient reçu un avis erroné.

 

Cette décision est contestée dans la présente instance.

 

La norme de contrôle

[19]      Les demandeurs, qui agissent pour leur propre compte, n’ont présenté aucune observation  relativement à la norme de contrôle. J’accepte la prétention du défendeur selon laquelle la norme de contrôle applicable à la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu avis erroné ou erreur administrative est celle de la décision manifestement déraisonnable (Leskiw c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 177, au paragr. 9 et Kissoon c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CF 24, aux paragr. 4 et 5, confirmée par 2004 CAF 384).

 

Analyse

[20]      Tant dans ses observations écrites qu’orales, le défendeur a souligné les nombreuses mesures prises pour sensibiliser le public aux diverses prestations du RPC, ainsi que l’absence dans la loi d’une obligation qui forcerait le ministre de s’enquérir de l’existence de nouveaux bénéficiaires susceptibles de recevoir des prestations en tant que personnes à la charge d’un cotisant invalide. Bien que la mandataire ait examiné de façon approfondie ces mesures dans sa décision, la question dont elle était saisie n’était pas de savoir si Mme Lee avait été avisée du fait que sa fille avait droit aux prestations, mais plutôt de savoir si un avis erroné avait été donné ou si une erreur administrative avait été commise dans le dossier.

 

[21]      À cet égard, la décision de la mandataire est fondée sur l’inférence défavorable qu’elle a tirée du fait que la question de l’avis erroné ou de l’erreur administrative n’avait pas été soulevée dans le cadre de la demande initiale de prestations présentée en 2004, et du fait que les demandeurs n’avaient soulevé la question de l’appel téléphonique effectué en 1998 auprès de DRHC qu’après avoir été informés de la possibilité de se prévaloir des mesures correctives en vertu du paragraphe 66(4) du Régime à l’audience du tribunal de révision.

 

[22]      À mon avis, la décision de la mandataire est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte de la preuve. Selon la mandataire, c’est après avoir été informés de la possibilité de se prévaloir des mesures correctives lors de l’audience du tribunal de révision que les demandeurs ont présenté pour la première fois l’allégation d’un avis erroné ou d’une erreur administrative, ce qui n’est que partiellement vrai. Selon l’affidavit de la représentante du ministre présente à l’audience du tribunal de révision, en réponse à une question du président quant à savoir s’ils avaient effectivement essayé de communiquer avec le défendeur pour s’informer s’ils pouvaient recevoir des prestations avant de faire la première demande, les demandeurs ont répondu qu’ils avaient communiqué avec le défendeur qui leur avait dit qu’ils n’avaient droit à aucune prestation. Le président a ensuite abordé la question de l’avis erroné ou de l’erreur administrative et demandé à la représentante du ministre de discuter avec les demandeurs après l’audience. D’après cet élément de preuve, il est clair que les demandeurs ont spontanément invoqué l’appel téléphonique effectué en 1998 avant d’être informés de la possibilité de se prévaloir des mesures correctives en vertu du paragraphe 66(4).  Ce compte rendu de ce qui a eu lieu à l’audience affaiblit l’inférence défavorable tirée par la mandataire.

 

[23]      En outre, le fait que les demandeurs aient fondé la demande initiale écrite qu’ils ont présentée en vue de l’obtention de prestations rétroactives sur l’omission de l’administration de les informer est entièrement compatible avec le fait qu’on leur ait dit au début qu’ils ne pouvaient réclamer aucune prestation additionnelle et le fait qu’ils n’aient pas été informés du contraire par la suite. 

 

[24]      Il est clair que les demandeurs n’ont appris l’existence du recours aux mesures correctives prévu au paragraphe 66(4) qu’à l’audience du tribunal de révision et qu’ils ont commencé à utiliser l’expression « avis erroné ou erreur administrative » seulement après l’audience du tribunal de révision. Cependant, ces conclusions ne changent rien au fait que les demandeurs ont soulevé la question de l’appel téléphonique de 1998 en mars 2004, lorsqu’on leur a demandé pourquoi ils n’avaient pas présenté une demande plus tôt, et plus tard à l’audience du tribunal de révision.

 

[25]      Pour ces motifs, je suis d’avis que la conclusion de fait erronée rend la décision manifestement déraisonnable. La décision sera donc annulée, et l’affaire renvoyée à un autre mandataire pour nouvel examen.  Lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, la portée de la réparation qu’un tribunal saisit d’une telle demande peut accorder a été expliquée aux demandeurs. En particulier, je leur ai expliqué que la Cour n’avait pas le pouvoir d’accorder les mesures de réparation décrites dans l’introduction des présents motifs.

 

[26]      Les demandeurs ont également demandé des dépens en vue d’être indemnisés des débours encourus dans le cadre du présent contrôle judiciaire. La Cour condamne le défendeur à payer aux demandeurs la somme de 750 $ à titre de débours.

 

[27]      Enfin, une ordonnance judiciaire sera rendue dans le dossier de la Cour T-245-05 rejetant la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision rendue le 5 avril 2006 soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre mandataire du ministre pour nouvel examen;

 

2.                  Le défendeur soit tenu de payer aux demandeurs la somme de 750 $.

 

 

« Dolores M. Hansen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                T-961-06

 

INTITULÉ :                                                               ROBERT GEORGE LEE et

                                                            MARIA JOSE LEE POUR LE COMPTE DE NICOLE ANNE LEE                

                                                                                    c.        

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DUCANADA, DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 27 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE HANSEN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 19 JUILLET 2007

 

COMPARUTIONS :

 

ROBERT LEE

MARIA LEE

 

POUR LES DEMANDEURS

PATRICIA HAREWOOD

JAMES GRAY

   POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROBERT LEE

MARIA LEE

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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