Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

 

 

Date : 2007 07 20

Dossier : T-1082-06

Référence : 2007 CF 765

Québec (Québec), le 20 juillet 2007

En présence de Monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

MARC AWASHISH

DENIS WEIZINEAU

NOËLLA CHACHAI

NATHALIE AWASHISH

CLÉMENT CLARY

demandeurs

et

 

CONSEIL DE BANDE DES ATIKAMEKW D’OPITCIWAN

JEAN-PIERRE MATTAWA

FERNAND DENIS-DAMÉE

RÉGINA CHACHAI

MARTINE AWASHISH

BONIFACE AWASHISH

CHARLES JEAN-PIERRE

ANNIE CHACHAI

défendeurs

 

et

 

SIMON AWASHISH

intervenant

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, par laquelle les demandeurs demandent à la Cour d’annuler les élections tenues à Opitciwan les 30, 31 mai et 1er juin 2006; d’émettre un bref de quo warranto dépossédant de leurs fonctions les membres de la Bande d’Opitciwan ayant été illégalement élus au Conseil de Bande des Atikamekw d’Opitciwan (le Conseil); et d’ordonner la tenue de nouvelles élections respectant les règles du Code électoral du Conseil des Atikamekw d’Opitciwan (le Code électoral), adopté par le Conseil en mai 2005.

 

 

FAITS PERTINENTS

 

[2]               Le 24 septembre 2002, le Conseil a adopté la résolution #2002-09-24-075, voulant qu’un groupe de travail soit constitué pour procéder à la révision des règlements électoraux et créer un véritable code électoral. À cette époque, les membres de la communauté d’Opitciwan élisaient leur chef et leurs conseillers selon les règles coutumières dont certaines étaient écrites. Cette résolution prévoyait aussi la soumission d’un avant-projet de code électoral au Conseil, son affichage et sa publication auprès de la communauté, la consultation de la communauté sur les points majeurs de l’avant-projet, et l’adoption du code électoral par voie référendaire.

 

[3]               Le 19 mai 2005, une assemblée publique générale spéciale a été convoquée au cours de laquelle une proposition a été soumise par M. Paul-Yves Weizineau au Conseil pour amender la résolution #2002-09-24-075, en abrogeant la procédure référendaire prévue pour l’adoption du nouveau code électoral. La majorité des membres présents étant d’accord, la proposition a été adoptée. Les membres présents à l’assemblée ont ensuite recommandé que le Conseil adopte le Code électoral et que celui-ci entre en vigueur dès son approbation. Cette proposition a été adoptée à l’unanimité.

 

[4]               Les défendeurs allèguent qu’une autre assemblée publique aurait eu lieu le 30 mai 2005, au cours de laquelle des résolutions d’amendements au Code électoral auraient été adoptées, mais le procès-verbal de cette réunion demeure introuvable et ces amendements ne sont pas reflétés dans la version adoptée par le Conseil.

 

[5]               Le 31 mai 2005, le Conseil a adopté la résolution #2005-05-31-016, laquelle prévoit l’adoption du Code électoral tel que présenté lors de l’assemblée en date du 10 mai 2005, et son application lors des prochaines élections générales.

 

[6]               Les 18 et 19 juillet 2005, des élections ont eu lieu à Opitciwan, et Jean-Pierre Mattawa, Martin Awashish, Maria Chachai, Régina Chachai, Paul Awashish, Fernand Denis-Damée et Boniface Awashish ont été déclarés élus.

 

[7]               À la suite de cette élection, cinq plaintes ont été déposées devant le comité d’appel, formé en vertu de l’article 19 du Code électoral. Dans sa décision du 15 septembre 2005, le comité d’appel a conclu que l’élection en question devait être annulée, que de nouvelles élections devaient être tenues et que, dans l’intérim, la gouvernance de la Bande devait être assumée par l’ancien Conseil. À la suite de cette décision, une assemblée générale a été convoquée par le comité d’élection le 21 septembre 2005, au cours de laquelle les membres présents ont rejeté la décision du comité d’appel et déclaré les élections du 18 et 19 juillet valides.

 

[8]               Le 21 octobre 2005, Simon Awashish, ancien chef de la bande des Atikamekw d’Opitciwan défait aux élections de 2005, a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale (T-1846-05) à l’encontre de la décision du 21 septembre 2005, accompagnée d’une requête pour l’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire, visant entre autres l’obtention d’un bref de quo warranto dépossédant de leurs fonctions les membres du Conseil élus en 2005 et attribuant, jusqu’à la tenue de nouvelles élections, les fonctions de membres du Conseil aux individus membres du Conseil avant les élections de 2005.

 

[9]               Dans une décision rendue le 16 décembre 2005, la juge Danièle Tremblay-Lamer a accordé la requête, ordonnant entre autres que le statu quo existant avant la décision du 21 septembre 2005 soit rétabli, et donc que les membres du Conseil élus les 18 et 19 juillet 2005 soient dépossédés de leurs fonctions et que le demandeur, ainsi que les anciens conseillers, soient réintégrés dans leurs fonctions jusqu’à ce que la Cour se prononce sur la demande de contrôle judiciaire.

 

[10]           Le 22 décembre 2005, une réunion du Grand Conseil des Sages d’Opitciwan a eu lieu, au cours de laquelle la décision de la Cour fédérale ainsi que la validité du Code électoral ont été discutées. Il est clair à la lecture du procès-verbal de cette réunion qu’une certaine confusion régnait chez les aînés qui mentionnaient entre autres la difficulté de participer aux assemblées, qui se déroulent en français, alors que plusieurs d’entres eux ne parlent pas cette langue. Selon les défendeurs, et tel que précisé dans la pétition discutée au paragraphe suivant, les aînés auraient décidé lors de cette réunion que le Code électoral devait être suspendu. Par contre, selon les demandeurs, les aînés ne se sont jamais prononcés en ce sens.

 

[11]           Le seul extrait du procès-verbal dans lequel la question du Code électoral est soulevée se lit comme suit :

Élizabeth Aw. Mentionne que si on prend le jugement et le code, car elle a lu plusieurs fois le code électoral, et elle est pour le jugement car le code est authentique, puis elle demande pourquoi ils ne veulent pas avoir le code, il y a quelque chose qui les bloquent [sic] face à ce code électoral et c’est  vrai qu’il y a quelque chose qui les bloquent [sic].

 

Gabriel, moi aussi j’ai lu le code en atikamekw, et j’ai cru que ce document est valable, je pense même que Antoine ne sait pas de ce quoi contient le code, j’irai voir Antoine pour faire la lecture de ce code. Et ils se demandent pourquoi ils ne veulent pas de ce code.

 

PYW. On doit former un conseil des sages, si vous dites que c’est difficile de prendre une décision, on doit avoir un conseil des sages pour avant l’élection et ce sera dans 2 mois.

 

JCH, je crois que nous ne pouvons pas prendre de décision aujourd’hui, il demande à William de laisser comme tel pour le moment.

 

PYW mentionne que le jugement est valable car il n’y a pas de décision. Il explique que le jugement et le code seront en suspends le 16 janvier prochain à l’assemblé[sic] général[sic]. Et demande toujours de former un conseil des sages, Annie 32 réplique comment veux-tu que les gens d’aujourd’hui vont nous écouter cas ils ne veulent même plus écouter les aînés.

 

Pyw propose que si jamais ça va  très mal dans notre communauté, nous organiserons une autre réunion et sa proposition est acceptée. Et de laisser tel[sic] quel[sic][ la situation actuelle, et de demander à Simon, Jean Pierre et Paul de procéder des communiquer[sic] par la radio pour calmer les tensions avant l’élection. Si PY entend des mauvaises langues, il interviendra avec les aînés.

 

Pyw demande aux aînés de réfléchir pour la formation du conseil des sages.

 

JCh demande de ce qu’ils deviendront le comité d’élection, PYW répond qu’il n’y aura pas de nouveau comité et il relit l’ordre du jour encore une fois en expliquant les procédures pour la prochaine assemblées[sic] générale.

 

J’ai demandé à PYW, qui seront les dirigeants, et il répondu selon le jugement de la cours.

 

                        (Je souligne.)

 

[12]           À la suite de cette réunion, une pétition a circulé et a été signée par plus de 400 membres de la communauté. Cette pétition supportait la proposition suivante :

Suite aux décisions prise [sic] par les aînés lors de leur réunion tenue le 22 décembre 2005.

 

Il avait été décider [sic] que le présent code électorale [sic] ne soit pas mise [sic] en application pour la prochaine élection et que les procédures d’élection se déroule [sic] selon la coutume.

 

Nous, les membres de la communauté Atikamekw d’Opitciwan, appuyons leurs décisions.

 

 

[13]           Une série d’assemblées publiques ont eu lieu entre janvier et mai 2006, au cours desquelles la décision de la Cour fédérale, la décision des aînés, la formation d’un nouveau comité électoral et le Code électoral ont été discutés. À la même époque, Me Nicole Bérubé, maintenant procureure des défendeurs dans ce dossier, a été mandatée par certains membres de la communauté afin d’entreprendre des négociations avec Me Martin Dallaire, le procureur des demandeurs dans le dossier T-1846-05, dans le but de régler la crise politique à Opitciwan.

 

[14]           Le 6 février 2006, le Conseil a adopté la résolution #2006-02-06-001, reconnaissant le nouveau comité d’élection nommé lors de l’assemblée générale du 18 janvier 2006.

 

[15]           Lors d’une assemblée spéciale tenue le 16 février 2006, les membres du Conseil réintégré par le jugement de la juge Tremblay-Lamer ont annoncé leur retrait du Conseil, par souci de sécurité publique et personnelle. Ceci étant dit, sept des huit membres du Conseil présents lors de l’assemblée ont précisé par la suite qu’ils comptaient demeurer en poste jusqu’à ce qu’un nouveau conseil soit élu lors d’une élection générale.

 

[16]           Le 1er mars 2006, le Conseil a adopté la résolution #2006-03-01-008, mandatant le comité d’élection de convoquer une assemblée générale des membres de la communauté afin d’enclencher le processus électoral conformément au Code électoral.

 

[17]           Le 17 mars 2006, plusieurs membres de la communauté ont adressé une lettre au chef par intérim, pour lui demander de suspendre l’application du Code électoral pour la prochaine élection.

 

[18]           Le 21 mars 2006, une assemblée publique a eu lieu au cours de laquelle la suspension du Code électoral pour les élections de 2006 a été proposée. Le résultat du vote sur cette proposition était le suivant : 76 en faveur, 3 contre et 2 votes rejetés.

 

[19]           Le 10 avril 2006, le Conseil a adopté la résolution #2006-04-10-020, reconnaissant les difficultés d’application du Code électoral et la nécessité de tenir d’autres élections le plus tôt possible. Le Conseil a ainsi accepté de suspendre le Code électoral et de soumettre à l’assemblée l’application de certaines normes pour l’élection, soit la composition du comité d’élection, la définition de l’éligibilité aux élections selon l’article 7.1 du Code électoral, le nombre de postes à pourvoir (1 chef et 6 conseillers), la longueur du mandat du futur conseil (2 ans), la désignation d’un arbitre plutôt que d’un comité d’appel, un processus pour le vote des membres résidant hors réserve, et la date de l’élection.

 

[20]           Ceci étant dit, cette résolution n’a été signée que par le chef et par quatre conseillers, ce qui ne constitue pas la majorité du Conseil. Il faut aussi noter que cette résolution fait suite non seulement à une série d’assemblées générales, mais aussi aux négociations entre Me Bérubé et Me Dallaire, au nom de leurs clients respectifs.

 

[21]           Le 27 avril 2006, une assemblée publique générale a été tenue pour faire suite à la résolution #2006-04-10-020. Environ 180 personnes étaient présentes et ont voté sur les points soulevés par la résolution en question. Une autre assemblée générale a eu lieu le 3 mai 2006, au cours de laquelle les règlements utilisés pour l’élection de 2003 ont été révisés et mis à jour en vue de l’élection de 2006.

 

[22]           Les 30, 31 mai et 1er juin 2006, des élections se sont déroulées à Opitciwan, et 770 des 1352 électeurs inscrits sur la liste électorale se sont prévalus de leur droit de vote. Jean-Pierre Mattawa, Fernand Denis-Damée, Régina Chachai, Martine Awashish, Boniface Awashish, Charles Jean-Pierre et Annie Chachai ont été déclarés élus.

 

[23]           Par une lettre datée du 15 juin 2006 et adressée au président d’élection d’Opitciwan, dix membres de la communauté ont contesté les résultats de l’élection et prétendu que le Code électoral était toujours légalement en vigueur et qu’il n’avait pas été respecté. En l’absence d’une réponse à leur plainte, les demandeurs ont présenté cette demande de contrôle judiciaire, alléguant entre autres des violations du Code électoral quant à l’avis d’élection, au processus de mise en candidature, au processus électoral, aux modalités de scrutin, au code de conduite des élus et au processus de vote pour les membres ne résidant pas à Opitciwan.

 

[24]           Dans le cadre de la présente instance, les demandeurs demandent à la Cour d’annuler les élections tenues à Opitciwan les 30, 31 mai et 1er juin 2006, d’émettre un bref de quo warranto dépossédant de leurs fonctions les membres de la Bande d’Opitciwan illégalement élus au Conseil lors de ces élections, d’émettre une ordonnance d’injonction ordonnant la tenue de nouvelles élections respectant le Code électoral, et d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à être rendu nonobstant appel.

 

[25]           Le 19 janvier 2007, les demandeurs dans le dossier T-1846-05 se sont désistés officiellement de leur demande, à la suite d’une entente conférant à Simon Awashish le statut d’intervenant dans le présent dossier.

 

QUESTION PRÉLIMINAIRE

 

[26]           De façon préliminaire, je dois discuter d’une demande présentée par la procureure des défendeurs le lendemain de l’audition tenue le 13 juin 2007 à Roberval.

 

[27]           Je note d’abord que les parties ont présenté leurs arguments au cours de la journée du 13 juin, et que le dossier a été pris en délibéré le soir même. Il est inusité de demander à la Cour de rouvrir l’instance pendant le délibéré pour entendre soi-disant une nouvelle preuve.

 

[28]           J’ai pris connaissance de la correspondance reçue des parties, et je ne crois pas qu’il y ait lieu de rouvrir le débat, puisqu’il revient aux parties de faire en sorte que toute la preuve disponible, pertinente et probante soit déposée devant la Cour en temps opportun et dans le respect des droits des autres parties.

 

[29]           Je suis donc d’avis qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de rouvrir le débat, et en conséquence, la demande de réouverture de l’instance est rejetée.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[30]           Essentiellement, les questions suivantes ont été soulevées dans le cadre de ce litige :

1.         L’adoption du Code électoral par le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan était-elle valide?

 

2.           Si oui, la suspension du Code électoral par le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan était-elle valide?

 

3.        Si le Code électoral était toujours en vigueur, la preuve soumise démontre-t-elle qu’il y a eu une ou des violations du Code électoral qui justifieraient l’annulation par cette Cour de l’élection de 2006?

 


ANALYSE

1) L’adoption du Code électoral par le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan était-elle valide?

[31]           Les défendeurs soumettent tout d’abord que l’élection de 2006 ne devrait pas être annulée par cette Cour pour violation du Code électoral, puisque le Code électoral n’était pas et n’a jamais été valide, en raison de l’absence de consensus pouvant démontrer que le Code électoral reflète la coutume de la Bande. Cet argument repose sur le fait que le Conseil n’a pas tenu de référendum, tel qu’il s’était initialement engagé à le faire, et sur l’absence de preuve concernant la façon dont s’est déroulé le processus d’élaboration et de consultation précédant l’adoption du Code électoral. Les défendeurs allèguent de plus que le Code électoral a été adopté à la hâte, puisque le mandat du Conseil tirait à sa fin et que des élections devaient avoir lieu dans les plus brefs délais.

 

[32]           Les défendeurs s’objectent à la procédure suivie pour l’adoption du Code électoral, alors qu’il a été proposé que le Conseil abroge la procédure de référendum initialement prévue, qu’il a été recommandé au Conseil d’adopter le Code électoral et que celui-ci a en effet été adopté par le Conseil, le tout au cours d’une seule et unique assemblée. Les défendeurs affirment d’ailleurs que nous ne pouvons considérer que l’adoption du Code électoral par tout au plus 30 personnes sur une possibilité de 1352 inscrites sur la liste électorale, démontre que ce Code faisait l’objet d’un large consensus. Les défendeurs ajoutent qu’aucune preuve n’a été faite quant aux avis de convocation de l’assemblée du 19 mai 2005 et que, en l’absence d’un avis raisonnable pour que les membres de la communauté puissent exercer leur droit de vote, il y a eu violation des principes de justice naturelle.

 

[33]           Les défendeurs affirment finalement qu’il incombe aux demandeurs de prouver que le Code électoral représente la coutume.

 

[34]           Les demandeurs, tout comme l’intervenant Simon Awashish, maintiennent la validité du Code électoral, insistant sur le fait que le Code électoral est l’aboutissement d’un long processus de consultation afin de mettre en place une structure permettant aux membres de la communauté de voter librement et de façon ordonnée, dans la continuité des pratiques et des coutumes établies dans la communauté. Les demandeurs soumettent d’ailleurs que les défendeurs sont mal fondés en droit de soutenir que le Code électoral ne s’applique pas, parce qu’il n’aurait pas fait l’objet d’un référendum lors de son adoption.

 

[35]           Les demandeurs soumettent de plus que cet argument sur la validité du Code électoral est soulevé dans un délai totalement déraisonnable et, de surcroît, par des personnes qui se sont proclamées élues en septembre 2005 à la suite d’une élection tenue en vertu du Code électoral.

 

[36]           Les demandeurs s’appuient aussi sur l’ordonnance rendue par la juge Tremblay-Lamer dans le dossier T-1846-05, soit Awashish c. Bande des Atikamekw d’Opitciwan, 2005 CF 1703,  dans laquelle elle reconnaissait prima facie la validité du Code électoral, notant aux paragraphes 6 et 7 :

…Contrairement aux prétentions des intimés, il existe une forte preuve démontrant que le code électoral représente la coutume de la Bande.

 

 7      La coutume pertinente lorsqu'il s'agit de choisir le Conseil de Bande dans les cas qui ne sont pas régis par l'article 74 de la Loi sur les Indiens, ibid., doit "inclure, des pratiques touchant le choix d'un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l'objet d'un large consensus" : Bigstone c. Big Eagle (1992), 52 F.T.R. 109; Bone c. Bande indienne no 290 de Sioux Valley (1996), 107 F.T.R. 133. En l'espèce, le Code électoral a été valablement adopté par résolution suite à des consultations auprès de la communauté le 31 mai 2005.

 

[37]           Dans Bigstone c. Big Eagle (1992), 52 F.T.R. 109, le juge Strayer notait :

Sauf si elle est définie par ailleurs dans le cas d'une bande donnée, la "coutume" doit inclure, à mon sens, des pratiques touchant le choix d'un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l'objet d'un large consensus.[…]

 

Pour ce qui est de la validité de la constitution, la question véritable semble donc se rattacher à sa légitimité politique, et non juridique: la constitution résulte-t-elle de l'accord de la majorité de ceux qui, d'après la preuve produite, paraissent être des membres de la bande? C'est une question qu'un tribunal ne doit pas chercher à trancher en l'absence de critères juridiques discernables qu'il peut appliquer. Certes, l'exercice de la surveillance judiciaire peut être justifié par d'autres motifs, s'il y avait une preuve claire de fraude ou d'autres actes imputables aux défendeurs, qui ne sauraient de toute évidence être autorisés par la Loi sur les Indiens, mais aucune preuve ne m'a été présentée quant à de telles activités.

 

[38]           Aujourd’hui, il apparaît clairement que le Code électoral est un sujet de controverse au sein de la communauté d’Opitciwan. Cependant, les défendeurs n’ont pas démontré que tel était le cas lors de son adoption en 2005. De plus, bien que le Conseil ait initialement prévu de procéder par voie référendaire, et bien qu’il ait probablement été préférable de procéder de cette façon afin de s’assurer de l’existence d’un plus large consensus avant l’adoption du Code électoral, je ne suis pas convaincu qu’un tel processus était nécessaire pour valider l’adoption de ce Code.

 

 

[39]           Dans l’arrêt Bone c. Bande indienne no 290 de Sioux Valley (1996), 107 F.T.R. 133, le juge suppléant Heald a repris l’analyse du juge Strayer dans Bigstone, ci-haut, et élaboré sur certains points. Il a écrit :

 29      Selon le juge Strayer, la coutume d'une bande doit "inclure des pratiques touchant le choix d'un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l'objet d'un large consensus".  Je suis d'accord avec cette description de la coutume d'une bande.  Cependant, comme le présent litige l'indique, il est loin d'être facile de déterminer les pratiques qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande.  Le juge Strayer a ajouté que la validité de la constitution dans cette affaire était une question de légitimité politique qu'un tribunal ne devrait pas chercher à trancher en l'absence de "critères juridiques discernables".

 

 30      De l'avis des intimés, le critère juridique objectif que le juge Strayer recherchait se trouve à l'alinéa 2(3)a) de la Loi sur les Indiens, dont le libellé est le suivant :

 

2. (3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :

 

a) un pouvoir conféré à une bande est censé ne pas être exercé, à moins de l'être en vertu du consentement donné par une majorité des électeurs de la bande; ...

 

 31      Les intimés ont soutenu que c'est la Bande qui a le pouvoir de déterminer en quoi consiste sa constitution ou sa procédure électorale et que ce pouvoir doit être exercé conformément à l'alinéa 2(3)a) reproduit plus haut.  Je conviens que c'est la Bande elle-même, et non son conseil, qui a le pouvoir de déterminer en quoi consiste sa coutume. Toutefois, contrairement à ce que les intimés soutiennent, je refuse de reconnaître qu'il s'agit d'un "pouvoir conféré à une bande" au sens de l'alinéa 2(3)a) de la Loi sur les Indiens.

 

[40]           Bien que le juge Heald ait reconnu que la coutume doit être déterminée par la Bande, et non par le Conseil, il a refusé d’appliquer l’alinéa 2(3)a) de la Loi sur les Indiens qui prévoit l’obtention du consentement de la majorité des électeurs avant de procéder. Suivant la même logique, je ne crois pas qu’il était nécessaire pour le Conseil de procéder par voie référendaire pour s’assurer de l’appui de la majorité de la population avant d’adopter le Code électoral. Nous n’avons pas devant nous une situation où le Code électoral aurait été élaboré et adopté en secret. La population a été consultée tout au long du processus et le Code électoral a été adopté lors d’une assemblée publique.

 

[41]           L’aspect le plus convaincant de l’argument des demandeurs quant à la validité du Code électoral est que celui-ci a été utilisé pour l’élection de 2005, à laquelle les électeurs de la communauté ont participé en grand nombre, et que la validité du Code n’a pas été remise en question avant ou pendant l’élection. La validité du Code électoral n’a été questionnée pour la première fois qu’en réponse aux allégations soulevées dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1845-06.

 

[42]           Dans Bone, ci-haut, le juge Heald faisait face à une situation semblable à la situation présente, tel que l’illustre l’extrait suivant de sa décision :

 57      Le prochain événement qui est pertinent quant à l'argument du requérant selon lequel le Code traduit la coutume de la Bande est l'élection tenue le 14 mars 1994.  Les parties ne contestent pas le fait que l'élection a été tenue conformément au Code et, par suite de l'élection, la commission d'appel en matière électorale a été désignée en conformité avec le Code et a tranché l'appel du requérant d'une façon compatible avec celui-ci.  Effectivement, tout semblait se dérouler conformément au Code jusqu'à ce que les intimés refusent de se conformer à l'ordonnance que la commission d'appel en matière électorale a rendue.

 

[43]           Face à une preuve permettant « tout au plus, de déduire sans motif convaincant que le Code a reçu l’appui des membres de la Bande », le juge Heald s’est tourné vers l’élection qui a suivi l’adoption du Code, concluant aux paragraphes 67 et 68 de sa décision :

… À mon avis, la réponse se trouve dans la conduite de la Bande lors de l'élection du 14 mars 1994 et dans les événements qui se sont produits par la suite.  La mise en candidature, l'élection et l'appel subséquent se sont tous déroulés conformément au Code.  Selon l'affidavit de l'intimé Hall, 478 voix ont été exprimées en faveur de l'élection du chef de la Bande.  Même si aucune partie n'a présenté de preuve concernant le nombre total d'électeurs admissibles à voter lors de l'élection, l'intimé Hall a déclaré qu'à la date des plébiscites, la Bande comptait 964 membres qui avaient l'âge requis pour voter, y compris les non-résidents.  Il est donc permis de dire qu'environ 50 % des électeurs admissibles ont participé à l'élection du 14 mars 1994.  Il n'y a aucun élément de preuve indiquant qu'avant ou pendant l'élection, un membre de la Bande s'est opposé à la façon dont l'élection fondée sur la coutume se déroulait.  À mon avis, l'acquiescement de la Bande à l'utilisation du Code constitue une preuve suffisante pour satisfaire au critère que le juge Strayer a établi dans l'arrêt Bigstone, précité, c'est-à-dire que le Code décrivait des pratiques qui sont "généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l'objet d'un large consensus", et qu'il traduit par conséquent la coutume de la Bande.

 

 68      J'en arrive donc à la conclusion que le Code était en vigueur le 14 mars 1994.

 

[44]           Suivant le même raisonnement, je note que 649 électeurs se sont prévalus de leur droit de vote lors du premier scrutin, et 701 électeurs lors du deuxième scrutin, sur une possibilité de 1352 inscrits sur la liste électorale, d’après l’information fournie par les défendeurs. Tel que noté précédemment, aucune preuve n’a été déposée démontrant une objection avant ou pendant l’élection, autre que le refus par M. Fernand Denis-Damée de signer la résolution d’adoption du Code électoral, parce que cette résolution ne respectait pas la résolution prévoyant l’adoption du Code par voie référendaire. Je suis donc satisfait que l’acquiescement de la communauté à l’utilisation du Code électoral lors des élections de 2005 constitue une preuve suffisante pour démontrer que le Code électoral reflétait « des pratiques touchant le choix d'un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l'objet d'un large consensus » (Bigstone, ci-haut).

 

2) La suspension du Code électoral par le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan était-elle valide?

[45]           Ayant déterminé que l’adoption du Code électoral en 2005 était valide, je dois maintenant considérer si sa suspension en 2006 l’était aussi.

 

[46]           Au soutien de leur argument quant à l’illégalité de l’élection de 2006, les demandeurs maintiennent que ces élections devaient se dérouler selon le processus prévu dans le Code électoral. En cas de désaccord avec certaines provisions du Code électoral, les procédures d’amendement prévues dans le Code auraient dû être utilisées, ce qui n’a pas été fait. Les demandeurs maintiennent que le processus utilisé afin de suspendre le Code électoral était illicite et donc que le Code électoral demeurait en vigueur lors de l’élection de 2006.

 

[47]           Les demandeurs affirment que les défendeurs ont manipulé les membres de la communauté, en multipliant les assemblées et résolutions pour écarter le Code électoral et se doter d’un processus antidémocratique qui garantirait leur élection précipitée. Les demandeurs soutiennent que les défendeurs ont présenté à la communauté une pétition, afin de supporter l’opinion émise par le Conseil des Sages, voulant que le Code électoral doive être mis de côté, alors que le Conseil des Sages n’a jamais rien affirmé de la sorte. Les demandeurs concluent donc que l’on ne devrait pas accorder de poids à cette pétition, puisque les gens y ont adhéré spontanément par respect pour ce qu’ils croyaient être l’avis des aînés de la communauté.

 

[48]           Les demandeurs affirment de plus que les membres du Conseil, réintégrés dans leurs fonctions à la suite de l’ordonnance de la Cour, et ceux du comité d’élection élus en 2005, ont été progressivement écartés, et que les mois précédant l’élection de 2006 ont été marqués par l’intimidation, les pressions et la violence verbale, et que la population a finalement voté dans la plus grande confusion.

 

[49]           Les défendeurs, pour leur part, maintiennent que l’élection de 2006 était légale, puisque le Code électoral avait été suspendu et remplacé par les règlements en vigueur lors de l’élection de 2003, accompagnés de quelques modifications approuvées lors des assemblées générales des 27 avril et 3 mai 2006.  Les défendeurs affirment d’ailleurs que, tel que suggéré par la juge Tremblay-Lamer dans son ordonnance, les parties se sont entendues afin de favoriser un dénouement politique à la crise qui sévissait à Opitciwan, et qu’un comité a déjà été mandaté pour la révision du Code électoral qui sera ensuite soumis à la population pour approbation par voie de référendum.

 

[50]           Les défendeurs notent de plus que les signataires de la lettre du 15 juin 2006 n’ont contesté la mise à l’écart du Code électoral qu’une fois les élections tenues alors qu’ils y avaient participé.

 

[51]           Contrairement à la situation lors de l’adoption du Code électoral, les défendeurs notent que la décision de suspendre le Code électoral ainsi que les règles électorales adoptées par la communauté font l’objet d’un large consensus. En effet, les défendeurs allèguent que la participation au processus de suspension du Code électoral en 2006 fut plus importante que pour son processus d’adoption en 2005.

 

[52]           Les défendeurs affirment d’ailleurs que plusieurs des demandeurs critiquent le processus suivi pour suspendre le Code électoral, sans y avoir participé et sans être au courant des efforts déployés pour arriver à cette entente, tel que démontré par les interrogatoires des demandeurs M. Clément Cleary et Mme Nathalie Awahsish, et de l’intervenant M. Simon Awashish.

 

[53]           Finalement, les défendeurs soutiennent qu’à la suite des négociations entreprises pour encadrer le processus pour les élections de 2006, la décision de suspendre le Code électoral a été entérinée par le Conseil par l’entremise de la résolution #2006-04-10-020.

 

[54]           Tout d’abord, j’ai des réserves importantes quant à l’interprétation faite par les défendeurs de la « soi-disant » décision du Conseil des Sages, prise lors de la réunion du 22 décembre 2005. Ayant lu attentivement le procès-verbal de cette réunion, je dois dire que la position du Conseil des Sages sur la question du Code électoral me paraît plutôt floue. En effet, la lecture du procès-verbal, rédigé de bonne foi et dont la teneur n’est pas contestée devant la Cour, m’amène à conclure que rien n’a été décidé par les Sages au cours de cette réunion du 22 décembre 2005. Il s’agissait plutôt d’une rencontre où les participants ont discuté de plusieurs sujets, incluant le Code électoral, mais il m’apparaît que les opinions étaient variées et qu’aucune décision n’a été prise quant à l’application ou non du Code électoral. La seule décision claire semble avoir été de reporter le débat à une nouvelle réunion du Conseil des Sages, après la période des fêtes, au début janvier 2006.

 

[55]           La pétition qui a circulé pour supporter la suspension du Code électoral, ainsi que la lettre datée du 17 mars 2006, affirmant clairement refléter la position des aînés voulant que le Code électoral devait être suspendu, m’apparaît être un leurre, c’est-à-dire qu’on a utilisé une information incorrecte dans le libellé de la pétition pour obtenir l’accord général des membres de la Bande quant au rejet du Code électoral.

 

[56]           Le fait de faire circuler des informations incorrectes pour rallier une majorité de citoyens, bien que regrettable, n’est pas nouveau en politique municipale autochtone et ne suffit pas à vicier le processus électoral. Ce que j’estime inacceptable, c’est le fait d’avoir fait croire que le Conseil des Sages, qui sont en fait, les aînés de la Bande, aient pris une décision, alors que ce n’était vraisemblablement pas le cas.

 

[57]           Ce sont les aînés de la Bande, regroupés à l’occasion dans ce qu’on appelle le Conseil des Sages, qui approuvent les changements apportés de temps à autre au code de conduite que se donne la Bande. Cette procédure n’est pas unique, et elle se retrouve dans l’ensemble des bandes indiennes au Canada. En fait, les membres plus jeunes des communautés autochtones se sentent rassurés d’adopter un code de conduite qui a reçu l’aval des Sages de la Bande. Ce processus d’approbation des grandes décisions relatives à la gestion des Conseils de bandes par les Sages fait partie du processus décisionnel quel qu’il soit.

 

[58]           Dans le cas qui nous occupe, ce processus d’approbation a été carrément détourné et tout le monde, y compris les aînés eux-mêmes, se sont laissés manipuler et ont fini par croire qu’ils étaient en accord avec le rejet du Code électoral.

 

[59]           Quel membre de la Bande oserait refuser de signer une pétition pour rejeter le Code électoral croyant que les aînés l’ont eux-mêmes rejetée? C’est évidemment le poids de l’avis du Conseil des Sages qui a amené les gens à signer spontanément la pétition, laquelle prétendait faussement mettre en œuvre la décision des Sages de rejeter le Code électoral.

 

 

[60]           Par ailleurs, il est aussi légitime de croire que les mêmes aînés qui s’inquiétaient des divisions à l’intérieur de la Bande, lors de la réunion du 22 décembre 2005, et espéraient que la période des fêtes apporterait un peu de quiétude, auraient été mal avisés de supporter le Code électoral, alors qu’une majorité de membres semblait le rejeter.

.

[61]           Il est également vrai qu’il y a eu plusieurs assemblées publiques, et que le Conseil a adopté une résolution reflétant le consensus apparent parmi les membres de la communauté, voulant que le Code doive être suspendu. Cette résolution a été suivie de deux autres assemblées générales, au cours desquelles les procédures pour l’élection de 2006 ont été adoptées. Les élections générales ont procédé les 30, 31 mai et 1er juin 2006, et 770 des 1352 électeurs inscrits sur la liste électorale se sont prévalus de leur droit de vote.

 

[62]           J’en arrive maintenant à la décision formelle de « suspendre » le Code électoral. D’abord, le Code électoral existe, et il est valide, tel que discuté plus haut. La question est donc de savoir s’il est possible, suivant le même Code électoral, d’en suspendre l’application. Ayant réfléchi sur cette question, je ne crois pas que ce soit le cas.

 

[63]           Je peux comprendre et accepter que les esprits aient été perturbés à la suite des événements survenus en 2005 et en 2006, et particulièrement des élections successives qui ont eu un effet décisif parmi les membres de la Bande. Je comprends également que les membres étaient anxieux de retrouver une certaine stabilité et que le Code électoral semblait causer quelques problèmes.

 

[64]           Il appert de la preuve présentée que l’application du Code électoral empêchait le Chef de la Bande, défendeur dans le présent dossier, de briguer les suffrages à l’élection tenue en 2006, puisqu’il était accusé d’une infraction criminelle, ce qui le rendait inéligible. La suspension du Code électoral lui permettait donc de briguer les suffrages, ce qui est un élément important lorsque l’on considère le contexte ayant mené à la ‘suspension’ du Code électoral et la motivation des parties impliquées.

 

[65]           Je comprends également que les défendeurs ont plutôt utilisé le Code électoral comme un « paratonnerre » en le rendant responsable des problèmes de la Bande. J’en suis encore à identifier ce qui est si dangereux dans l’application du Code électoral et ce qui le rend si pervers. En fait, un code électoral, quel qu’il soit, n’est toujours qu’un code qui établit des règles à suivre pour le processus électoral.

 

[66]           Je constate d’ailleurs que le processus suivi pour suspendre le Code électoral n’a pas respecté les règles du Code électoral lui-même, en plus d’avoir abusé le processus d’approbation des aînés. À quoi peut bien servir un code électoral si on en suspend l’application lors des élections?

 

[67]           J’ai examiné en détail les procès-verbaux des réunions tenues entre janvier et avril 2006 et je suis d’avis qu’il est pour le moins exagéré de prétendre que ces réunions constituent une large consultation quant à la nécessité de suspendre le Code électoral. Il a été davantage question du choix des membres du comité d’élection et de la légalité du remplacement des gens élus l’année précédente. Il semblait également exister un désir de procéder à une élection dans les meilleurs délais. En fait, les dispositions du Code électoral et les règles devant le remplacer, le cas échéant, n’ont à peu près pas été discutées lors de ces réunions.

 

[68]           Je n’ai donc aucune hésitation à conclure que les résolutions adoptées à différents moments entre le 18 janvier 2006 et avril 2006 n’ont pas eu pour effet de modifier le Code électoral existant ou encore d’en suspendre l’application, suivant les règles de droit existantes pour ce faire et prévues au Code électoral en vigueur.

 

[69]           Je suis donc d’avis que les élections tenues à Opitciwan les 30 mai, 31 mai et 1er juin 2006 ont été tenues de façon illégale et qu’elles doivent donc être annulées.

 

[70]           Je suis également d’avis que les membres du Conseil élus lors de cette élection l’ont été de façon illégale et j’émets un bref de quo warranto à l’effet de déposséder de leurs fonctions les membres de la Bande d’Opitciwan élus au Conseil de Bande des Atikamekw, soit : Jean-Pierre Mattawa, Fernand Denis-Damée, Régina Chachai, Martine Awashish, Boniface Awashish, Charles Jean-Pierre, Annie Chachai.

 

[71]           J’ordonne finalement la tenue de nouvelles élections dans le respect des règles du Code électoral.

 


3) Si le Code électoral était toujours en vigueur, la preuve soumise démontre-t-elle qu’il y a eu une ou des violations du Code électoral qui justifieraient l’annulation par cette Cour de l’élection de 2006?

[72]           Compte tenu de mes conclusions sur les questions précédentes, il ne sera pas nécessaire de répondre à cette question.

 

[73]           Ceci étant dit, j’ajouterais que, considérant qu’une crise politique sévit dans la communauté d’Opitciwan depuis 2005 et que les résultats des deux dernières élections ont été contestés devant cette Cour, il serait souhaitable que la controverse entourant le Code électoral puisse être réglée une fois pour toute. Les membres de la Bande devront réaliser que les normes de conduite pour réglementer le processus électoral ne sont qu’un moyen de procéder à une élection démocratique. Cependant, les élus, quels qu’ils soient, ne peuvent s’autoriser à modifier les règles en vigueur à tout venant.

 

[74]           Les demandeurs ont démontré que le processus de mise en place du Code électoral a été suivi et que celui-ci est valide. De leur côté, les défendeurs n’ont pas réussi à démontrer que ce Code électoral avait été légalement modifié ou mis de côté.

 

[75]           Toute tentative, dans le futur, visant à modifier ou changer substantiellement le processus électoral, devra être faite en conformité avec le Code existant, et je me permets de suggérer que le processus devra être transparent et faire l’objet d’une vaste consultation afin que les gens sachent enfin quel est l’objet de leur vote.

 

[76]           Finalement, bien que le recours au contrôle judiciaire pour s’assurer de la légalité des élections soit un processus légitime, il n’en demeure pas moins qu’il serait souhaitable que les prochaines élections se déroulent de façon plus harmonieuse et mènent à des résultats non contestés devant cette Cour, ce qui permettrait aux élus de se concentrer sur les autres besoins de la communauté.

 

[77]           La présente demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

 

 

 


JUGEMENT

La Cour ordonne que :

 

a)                  Les élections tenues à Opitciwan les 30 mai, 31 mai et 1er juin 2006 soient annulées;

 

b)                  Un bref de quo warranto soit émis dépossédant de leurs fonctions, les membres de la Bande d’Opitciwan illégalement élus au Conseil de Bande des Atikamekw d’Opitciwan à savoir : Jean-Pierre Mattawa, Fernand Denis-Damée, Régina Chachai, Martine Awashish, Boniface Awashish, Charles Jean-Pierre et Annie Chachai;

 

c)                  De nouvelles élections soient tenues en conformité et dans les délais prévus par le Code électoral du Conseil des Atikamekw d’Opitciwan;

 

d)                  Le jugement soit exécuté de façon provisoire, nonobstant tout appel;

 

e)                  Le tout avec dépens contre les défendeurs en faveur des demandeurs.

 

 

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 


cour fédérale

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                 T-1082-06

INTITULÉ :

MARC AWASHISH, DENIS WEIZINEAU, NOËLLA CHACHAI

NATHALIE AWASHISH, CLÉMENT CLARY

demandeurs

et

 

CONSEIL DE BANDE DES ATIKAMEKW D’OPITCIWAN,

JEAN-PIERRE MATTAWA, FERNAND DENIS-DAMÉE,

RÉGINA CHACHAI, MARTINE AWASHISH,

BONIFACE AWASHISH, CHARLES JEAN-PIERRE,

ANNIE CHACHAI

défendeurs

et

 

SIMON AWASHISH

intervenant

LIEU DE L'AUDIENCE :         Roberval (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :        le 13 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT : M. le juge Blais

 

DATE DES MOTIFS :              le 20 juillet 2007

 

COMPARUTIONS :

Me Lina Beaulieu                                                    POUR LES DEMANDEURS

 

Me Nicole Bérubé                                                  POUR LES DÉFENDEURS

 

Me Martin Dallaire                                                 INTERVENANT

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gagné, Letarte                                                        pour les demandeurs

Québec (Québec)

 

Me Nicole Bérubé                                                  pour les défendeurs

Roberval (Québec)

 

Cain Lamarre Wells                                                intervenant

Saint-Félicien (Québec)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.