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Date : 20070726

Dossier : IMM-587-07

Référence : 2007 CF 779

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

RANJIT BACHAN SINGH MOOKER

KANWALJIT KAUR

AMRITPAL KAUR MOOKER

MANJINDER SINGH MOOKER

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'une agente d'immigration (l'agente), redue le 22 janvier 2007, dans laquelle l'agente a conclu qu'il n'existait pas de motifs humanitaires qui justifiaient que les demandeurs soient dispensés de l'obligation de présenter une demande de résidence permanente de l'extérieur du Canada.

 

[2]               Les demandeurs sont une famille de quatre personnes. Le demandeur principal, Ranjit Bachan Singh Mooker et ses deux enfants adultes, Amritpal et Manjinder, sont citoyens du Kenya. L'épouse du demandeur principal, Kanwaljit Mooker, est une citoyenne de l'Inde et est résidente permanente du Kenya. Les demandeurs ont quitté le Kenya pour venir au Canada en 2002. Leur demande d'asile a été rejetée et ils ont ensuite été renvoyés aux États-Unis, où ils ont habité pendant six mois. Ils sont revenus au Canada en 2004 et habitent ici depuis ce temps.

 

[3]               Dans leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire (demande CH), les demandeurs ont présenté un certain nombre de raisons pour lesquelles ils devraient avoir droit à une mesure spéciale pour des motifs d'ordre humanitaires. Ils soutiennent premièrement qu'ils se sont bien établi au Canada. Le demandeur principal a un poste permanent à temps plein comme machiniste. Le fils, Manjinder, a travaillé à temps plein au Canada jusqu'à son retour aux études en septembre 2006, en technologie du génie mécanique au collège Sheridan. La fille, Amritpal Kaur Mooker, travaille à temps partiel chez DWS logistics et étudie au collège Sheridan. Elle souhaite s'inscrire à un programme de sciences infirmières au Canada. Les demandeurs n'ont jamais demandé d'assistance sociale et ont utilisé leur épargne pour vivre et pour payer les frais scolaires d'Amritpal et de Manjinder. Les demandeurs ont aussi présenté des preuves de leur participation dans la communauté.

 

[4]               Les demandeurs ont aussi demandé une mesure spéciale pour des motifs d'ordre humanitaire parce qu'il serait dans le meilleur intérêt des enfants de rester au Canada. Au moment où l'agente a rendu sa décision, Manjinder avait 24 ans et Amritpal avait 22 ans. Les demandeurs craignent qu'Amritpal et Manjinder fassent l'objet de discrimination s'ils retournent au Kenya parce qu'il y a de la discrimination dans ce pays contre les personnes d'origine sud-asiatique. Ils soutiennent que leur retour au Kenya leur causerait un important traumatisme émotionnel. À ce sujet, ils ont présenté des rapports d'évaluation psychologique d'Amritpal et de Manjinder préparés par le Dr J. Pilowsky. L'évaluation psychologique d'Amritpal montre que son état psychologique s'est grandement détérioré et qu'elle souffre d'un épisode de dépression majeur de gravité modéré. L'évaluation de Manjinder montre qu'il souffre d'un épisode de dépression majeur de gravité modérée et de symptomes d'anxiété. Il ressort aussi de son évaluation qu'il est écrasé parce qu'il se sent constamment anxieux au sujet de l'avenir de sa famille et il est épuisé sur le plan émotionnel. Le Dr Pilowsky conclue que tout porte à croire que ses symptômes cliniques se sont généralisé et qu'ils nuisent à tous les domaines de fonctionnement essentiels.

 

[5]               Les demandeurs soutiennent aussi qu'ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si on les obligeait à présenter à l'extérieur du Canada leur demande de résidence permanente en raison de la situation au Kenya. Ils font valoir que le retour au Kenya serait particulièrement difficile pour Amritpal, en tant que femme asiatique, parce que la preuve documentaire démontre que les femmes au Kenya sont considérées comme des citoyens de seconde classe et qu’elles sont victimes de discrimination. Les demandeurs soutiennent aussi qu’ils seraient exposés au risque de persécution, de traitement ou peine cruels et inusités et de torture aux mains des nationalistes kényans, et qu’ils avaient déjà subi des agressions physiques et verbales, ainsi que des cambriolages et de la destruction de leur propriété.

 

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[6]               L'agente a examiné les trois motifs présentés par les demandeurs. En ce qui a trait à l'observation des demandeurs selon laquelle ils craignent de retourner au Kenya, l'agente a noté que les demandeurs avaient subi des attaques verbales et physiques de la part de Kényans africains et qu'en février 1999, le demandeur principal a été attaqué, battu et volé. L'agente a aussi noté que des nationalistes kényans sont entrés par effraction dans la maison des demandeurs en juin 2000. Leur maison a été cambriolée à nouveau en mai 2001, mais il n'est pas sûr que les nationalistes kényans étaient responsables de ce deuxième cambriolage. L'agente a remarqué que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'au Kénya, les Asiatiques étaient victimes de discrimination périodique, mais que ce traitement ne constituait pas de la persécution. L'agente a examiné la situation actuelle au Kenya et a conclu qu'il n'y avait eu aucun changement important dans la situation générale du pays. Elle a aussi remarqué que les demandeurs disposaient de recours s'ils étaient victimes d'intolérance à l'égard de leur ethnie, puisque selon la preuve documentaire, il existe une protection de l'État au Kenya. L'agente a reconnu que les demandeurs avaient tenté à deux reprises, sans succès, d'obtenir la protection de l'État, mais elle a ensuite mentionné que les demandeurs auraient dû demander la protection à d'autres niveaux que la police. L'agente a conclu que les demandeurs n'avaient pas établi qu'ils seraient exposés à des menaces à leurs vies ou à des risques à leur sécurité personnelle s'ils retournaient au Kenya.

 

[7]               Dans son examen des risques, l'agente a tenu compte des rapports psychologiques d'Amritpal et de Manjinder. Elle a noté qu'il était déclaré dans le rapport au sujet d'Amritpal que son état s'était grandement détérioré et qu'elle souffrait d'un épisode de dépression majeure de gravité modérée et de symptômes d'anxiété. L'agente a noté que bien que l'évaluation eût mentionné que les mécanismes d'adaptation d'Amritpal avaient été gravement affaiblis, il y était aussi inscrit que [traduction] « Mme Mooker est une jeune femme intelligente et travaillante qui s'est remarquablement bien adaptée au Canada. Elle a pris la responsabilité d'offrir un support émotionnel à sa famille et elle s'est efforcé de se bâtir une carrière et de bien s'intégrer dans sa nouvelle communauté ».

 

[8]               En ce qui concerne Manjinder, l'agente a noté que, selon son évaluation, il souffrait d'un épisode de dépression majeure de gravité modérée et de symptômes d'anxiété. Il y était aussi inscrit que [traduction] « Je crois que ce jeune homme intelligent sera capable de se forger un avenir brillant en tant que membre exceptionnel de sa communauté. M. Mooker m'a semblé être travaillant et studieux et il est très déterminé à réussir sa carrière en tant qu'ingénieur [...] » Il ne ressort pas clairement de la décision de l'agente quelle incidence les commentaires du Dr Pilowsky au sujet des qualités personnelles d'Amritpal et de Manjinder ont eu sur sa conclusion.

 

[9]               L'agente a noté que les évaluations ne comprenaient aucun examen diagnostique et aucune description du niveau de fonctionnement d'Amritpal et de Manjinder. De plus, elle a remarqué que la preuve ne permettait pas d'affirmer qu'Amritpal et que Manjinder recevaient présentement des traitements continus. Même s'ils avaient besoin de traitements, l'agente a conclu que les demandeurs n'avaient présenté aucune preuve documentaire indiquant qu'il serait impossible d'obtenir de traitement au Kenya. Elle a ajouté que la preuve documentaire recueillie lors d'une recherche distincte démontrait que les personnes souffrant de troubles de dépression réagissaient extrêmement bien aux traitements. L'agente a noté que les soins de santé au Kenya étaient offerts par le gouvernement, des particuliers, des églises et des organismes bénévoles, que les services de santé du gouvernement étaient fournis aux niveaux national et provincial ainsi qu'au niveau des circonscriptions et que les soins de santé mentale étaient intégrés dans les soins de santé généraux au niveau des circonscriptions. L'agente a conclu que la preuve ne donnait pas à penser qu'Amritpal et que Manjinder ne pourrait pas obtenir de traitement au Kenya.

 

[10]           L'agente a ensuite examiné le degré d'établissement des demandeurs au Canada. Elle a noté que la famille avait d'abord utilisé son épargne pour subvenir à ses besoins au Canada. Elle a aussi remarqué que le demandeur principal était employé de façon continue comme machiniste depuis mars 2002 et qu'Amritpal et Manjinder étaient présentement aux études et qu'ils avaient tous les deux de l'expérience de travail au Canada. L'agente a noté que les membres de la famille étaient très engagés dans la collectivité puisqu'ils fréquentaient le temple et qu'ils aidaient de façon bénévole à préparer et à servir des repas à la congrégation. Elle a aussi remarqué qu'ils avaient fait des dons à diverses œuvres de charité. L'agente a conclu que le degré d'établissement des demandeurs ne dépasse pas le degré auquel on peut raisonnablement s'attendre d'une personne qui a habité dans le pays pendant une période de quatre ans et demi et que le degré d'établissement n'est pas tel que le fait de présenter une demande de résidence permanente de la façon habituelle constituerait une difficulté qui n'a pas été prévue dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ni dans le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés.

 

[11]           Le dernier facteur que l'agente a examiné est l'intérêt supérieur des enfants. Amritpal et Manjinder sont tous les deux nés au Kenya et y ont habité de 1992 à novembre 2001, auquel moment la famille a quitté le pays. L'agente a noté qu'ils avaient fréquenté l'école au Kenya et qu'ils avaient été exposés à la langue et à la culture swahili. Elle a ensuite conclu que les demandeurs n'avaient pas établi que les conséquences générales de la réinstallation et du réétablissement dans leur pays d'origine auraient des répercussions négatives importantes sur Amritpal et Manjinder, qui constitueraient des difficultés inhabituelles, injustes ou excessives.

 

[12]           En plus des facteurs que les demandeurs ont soulevé, l'agente a tenu compte de la façon, selon toute probabilité, dont les demandeurs s'adapteraient à leur retour au Kenya. Elle a noté que les demandeurs savent parler, lire et écrire en anglais, l'une des langues officielles du Kenya. Elle a aussi noté que les demandeurs étaient bien établis au Kenya et que le demandeur principal avait occupé un emploi professionnel avant leur départ. Finalement, elle a noté que, pendant leur séjour au Canada, les demandeurs avaient travaillé dans divers domaines et que les habiletés qu'ils avaient acquises étaient des compétences professionnelles transférables.

 

Les questions en litige

[13]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      L'agente a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n'étaient pas établis au Canada au point tel que leur départ du pays leur causerait des difficultés inhabituelles ou excessives?

 

2.      L'agente a-t-elle appliqué le critère approprié au sujet de la partie de la demande CH portant sur l'examen des risques?

 

3.      L'agente était-elle réceptive, attentive et sensible à l'intérêt supérieur des enfants?

 

 

 

ANALYSE

Le degré d'établissement

[14]           La norme de contrôle applicable aux décisions relatives aux demandes CH est la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817). La décision raisonnable simpliciter est aussi la norme de contrôle applicable à la question de savoir si l'agente a commis une erreur en examinant le niveau d'établissement des demandeurs, puisqu'une telle conclusion nécessite l'application d'un critère juridique, c'est-à-dire les difficultés inhabituelles et injustes, aux faits en l'espèce.

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que la décision de l'agente au sujet de leur établissement est déraisonnable. Je suis convaincu que l'agente a examiné en profondeur tous les aspects de la situation des demandeurs, y compris les antécédents professionnels des demandeurs au Canada et leur engagement dans la communauté. L'agente a aussi examiné quelle est la probabilité que les demandeurs seraient capables de se réinstaller au Kenya et a tenu compte des antécédents et des expériences des demandeurs, y compris leurs antécédents professionnels, leurs compétences professionnelles et leurs attaches au Kenya, avant de conclure qu'il n'y avait pas de preuve suffisantes indiquant qu'ils seraient incapables de se réinstaller au Kenya. L'agente a raisonnablement conclu que le degré d'établissement des demandeurs ne dépassait pas ce qu'il est raisonnable de s'attendre de personnes qui ont habité dans un pays pendant quatre ans et demi. De plus, le degré d'établissement est seulement l'un des facteurs dont il faut tenir compte dans une demande CH et il n'est pas en soi déterminant (Klais c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 785; Irimie c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206).

 

Examen des risques

[16]           La question de savoir si l'agente a appliqué le critère approprié lors de l'examen des risques dans le cadre d'une demande CH est une question de droit et la décision correcte est donc la norme de contrôle applicable (Pinter c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 296).

 

[17]           Les demandeurs soutiennent que l'agente a commis une erreur en n'appliquant pas le critère approprié lorsqu'elle a examiné les facteurs de risque dans la demande CH parce qu'elle a seulement examiné si les demandeurs seraient exposés au risque d'être torturé ou à un risque à leur vie, plutôt que d'examiner si la discrimination dont ils seraient victimes à leur retour au Kenya constituerait une difficulté inhabituelle. Les demandeurs fondent leur argument sur la décision Pinter, dans laquelle le juge en chef Lufty a conclu que l'examen des risques dans le cadre d'une demande CH ne satisfait pas au critère de la menace à la vie ou du risque de traitements cruels et inusités. Ils citent aussi la décision Ramirez c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2006 CF 1404, dans laquelle la Cour a cité la décision Pinter et a conclu que :

 

[42] Il va sans dire que la notion de « difficultés », dans une demande CH, et la notion de « risque » envisagée dans une ERAR ne sont pas équivalentes et doivent être appréciées selon une norme différente. Comme le juge en chef Allan Lutfy l'a expliqué dans la décision Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 296 :

 

[3] Dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), le demandeur a le fardeau de convaincre le décideur qu’il y aurait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada.

 

 

[4] Dans un examen des risques avant renvoi en vertu des articles 97, 112 et 113 de la LIPR, la protection peut être accordée à une personne qui, suivant son renvoi du Canada vers son pays de nationalité, serait exposée soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités.

 

 

[5] À mon avis, l’agente d’immigration a commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’était pas tenue de traiter des facteurs de risque dans son examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Elle n’aurait pas dû se fermer aux facteurs de risque même si une décision défavorable valide avait pu être rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi. Il peut exister des considérations relatives au risque qui soient pertinentes à une demande de résidence permanente depuis le Canada, lesquelles sont loin de satisfaire le critère plus rigoureux de la menace à la vie ou du risque de traitements cruels et inusités.

[Non souligné dans l'original.]

 

            […]

[45] Il se peut que la violence, le harcèlement et les mauvaises conditions sanitaires ne constituent pas un risque personnalisé pour l'application de la LIPR, mais ces facteurs peuvent bien être suffisants pour établir des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives […]

 

[18]           Pour sa part, le défendeur soutient que lorsque la décision de l'agente est lue dans son ensemble, il ressort clairement que l'agente a appliqué le critère approprié. Le défendeur ajoute que l'agente a parlé de « menace à la vie » parce que les demandeurs avaient déclaré dans leur demande CH qu'ils risquaient d'être exposé à une menace à leur vie. Le défendeur se fonde sur la décision Doukhi c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2006 CF 1464, dans laquelle la Cour a conclu que :

[24] À titre de preuve montrant que l'agent a appliqué le critère préliminaire plus rigoureux applicable aux ERAR au lieu du critère moins exigeant applicable aux demandes CH, le demandeur signale la page 3 des demandes CH notes au dossier, où l'agent dit ce qui suit (dossier du tribunal, demandes CH notes au dossier, page 16) :

[traduction] [...] la preuve documentaire objective n'étaye pas les conclusions du demandeur, selon lesquelles la nature et la gravité de la situation constituent de la persécution, ou que les politiques ou pratiques de l'État libanais constituent de la persécution contre les Palestiniens.

            […]

[25] Avant de se demander si cette preuve montre que l'agent a appliqué le critère préliminaire plus rigoureux applicable aux ERAR au lieu de celui qui s'applique aux demandes CH, il est essentiel de noter que le demandeur a soulevé la question de la persécution dans les observations qu'il a présentées à l'appui de la demande CH pour indiquer qu'il ferait face à des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées ».

[…]

 

[26] Compte tenu des observations que le demandeur a lui-même présentées au sujet du risque de persécution auquel il est exposé, il est à mon avis logique que l'agent procède à une analyse pour établir si le demandeur fera face à de la persécution s'il est renvoyé au Liban. En outre, l'agent pouvait à juste titre employer le mot « persécution » dans sa décision, même s'il avait devant lui une demande CH. J'ai lu la décision de l'agent et je remarque que l'agent n'a pas employé le mot « persécution » ni procédé à une analyse pour établir si la persécution existe, si ce n'est pour répondre à la thèse du demandeur selon laquelle celui‑ci ferait face à de la persécution en sa qualité de réfugié palestinien vivant dans un camp de réfugiés au Liban.

 

[19]           En l'espèce, l'agente n'a pas seulement parlé de menace à la vie en réponse aux observations des demandeurs, mais elle a aussi précisé qu'il s'agissait du critère à appliquer dans le cadre d'une demande CH. L'agente a soutenu que [traduction] « dans le contexte de la présente demande CH, la question est de savoir s'il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur serait exposé à une menace de mort ou à une menace à sa sécurité personnelle s'il retournait au Kenya ». Plus loin dans sa décision, l'agente a conclu que [traduction] « les demandeurs n'ont pas établi qu'ils risquaient personnellement d'être exposé à une menace à leur vie ou à un risque à leur sécurité personnelle s'ils étaient renvoyés au Kenya ». L'agente a clairement appliqué un critère d'ERAR. Comme il l'est clairement mentionné dans les décisions Pinter et Ramirez, le fait d'appliquer un critère d'ERAR à l'examen d'une demande CH est une erreur susceptible de révision.

 

[20]           Le défendeur soutient que l'agente a raisonnablement conclu que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l'État et que, par conséquent, toute erreur au sujet du critère à appliquer n'est pas déterminante. Cet argument serait convaincant si l'agente avait fait une évaluation raisonnable de l'existence de la protection de l'État. L'agente a noté que les demandeurs avaient tenté de se prévaloir de la protection de l'État à deux reprises, mais les policiers avaient refusé de faire un rapport. Elle a ensuite conclu qu'il existait une protection de l'État suffisante. Compte tenu de la preuve au sujet des tentatives des demandeurs de se prévaloir de la protection de l'État, l'agente devait expliquer en profondeur les raisons pour lesquelles ils n'avaient pas réfuté la présomption de l'existence de la protection de l'État. À mon avis, l'examen de l'agente au sujet de l'existence de la protection de l'État n'est pas assez solide pour annuler son erreur au sujet du critère à appliquer pour les demandes CH.

 

Intérêt supérieur de l'enfant

[21]           Dans l'arrêt Hawthorne c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2002 CAF 475, la Cour d'appel fédérale a conclu qu'une décision portant sur une demande CH est déraisonnable si l'agent n'était pas « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant :

[31] L'avocat a convenu que, conformément au critère juridique établi dans les arrêts Baker et Legault pour examiner la manière dont les agents ont exercé leur pouvoir discrétionnaire, le refus de l'agente d'accueillir la demande de considérations humanitaires de Mme Hawthorne pourrait être annulé au motif qu'il s'agit d'une décision déraisonnable si l'agente n'a « prêté aucune attention » à l'intérêt supérieur de Suzette. D'autre part, si le décideur a été « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt (Baker, par. 75), on ne pourrait soutenir qu'il s'agit d'une décision déraisonnable.

 

[22]           Les demandeurs soutiennent que les rapports d'évaluation psychologique présentés à l'agente démontraient que les enfants, Amritpal et Manjinder, étaient déprimés au sujet de la possibilité de leur retour au Kenya et que l'agente avait commis une erreur en ne tenant pas compte de ces rapports lorsqu'elle a examiné l'intérêt supérieur des enfants.

 

[23]           Bien que l'agente n'eût pas tenu compte, dans sa décision, des rapports d'évaluation psychologique dans la partie de sa décision au sujet de l'intérêt supérieur des enfants, cela ne démontre pas en soi que l'agente n'était pas "réceptive, attentive et sensible" à l'intérêt supérieur des enfants puisqu'elle a tenu compte des rapports dans d'autres parties de sa décision. L'agente a examiné les évaluations psychologiques d'Amritpal et de Manjinder et a raisonnablement conclu que, comme rien ne donnait à penser qu'ils recevaient présentement un traitement continu ou qu'ils avaient besoin d'un traitement qui ne serait pas disponible au Kenya, ce facteur n'était pas un motif suffisant pour accorder une mesure spéciale pour des motifs d'ordre humanitaire.

 

[24]           L'agente a aussi examiné dans quelle mesure Amritpal et Manjinder seraient aptes à retourner au Kenya. Elle a examiné leur expérience professionnelle au Canada et a conclu qu’elle leur serait profitable au Kenya. Elle a aussi tenu compte de leurs liens au Kenya, y compris le fait qu'ils y ont tous deux habité de 1992 à 2001 et que Manjinder y a aussi fait certaines études post‑secondaires. Elle a conclu que les ajustements au Kenya seraient minimes. À mon avis, l'agente était réceptive, attentive et sensible à l'intérêt supérieur des enfants.

 

[25]           L'agente n'a pas commis d'erreur dans son évaluation de l'intérêt supérieur des enfants ni dans son analyse du niveau d'établissement des demandeurs au Canada. Cependant, elle a commis une erreur en appliquant un critère d'ERAR à la partie d'examen des risques de sa décision au sujet de la demande CH des demandeurs.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent d'immigration pour nouvel examen, conformément aux motifs susmentionnés. Aucune question n'a été énoncée pour la certification.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-587-07

 

INTITULÉ :                                       RANJIT BACHAN SINGH MOOKER ET AL c. MCI

                                                           

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 19 juillet 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge suppléant Teitelbaum

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov                                                                POUR LES DEMANDEURS

 

Don Hewak                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorane Waldman

Waldman & Associates                                                            POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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