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Date : 20070727

Dossier : T-895-07

Référence : 2007 CF 781

ENTRE :

ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS INC.,

JEAN-GILLES CHIASSON, en son nom personnel et ès qualités

de président de l’Association des crabiers acadiens inc.,

ASSOCIATION DES CRABIERS GASPÉSIENS INC.,

MARC COUTURE, en son nom personnel et ès qualités

d’administrateur de l’Association des crabiers gaspésiens inc.,

ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE,

DANIEL DESBOIS, en son nom personnel et ès qualités

d’administrateur de l’Association des crabiers de la Baie,

et ROBERT F. HACHÉ

demandeurs

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

[1]               Il s’agit en l’espèce d’une requête des demanderesses en vertu de la règle 318 des Règles des Cours fédérales (les règles) afin que la Cour ordonne au défendeur, le Procureur général du Canada, de leur transmettre tous les documents requis dans leur avis de demande de contrôle judiciaire.

Contexte

[2]               Les demanderesses sont constituées essentiellement de trois associations de pêcheurs traditionnels au crabe des neiges.

[3]               Le 24 mai 2007, elles ont entrepris une demande de contrôle judiciaire (la Demande) dans laquelle la décision visée est identifiée d’entrée de jeu par les demanderesses comme suit :

DEMANDE

A)        LA DÉCISION VISÉE

La présente demande de contrôle judiciaire concerne l’adoption, par le ministre des Pêches et des Océans (le « Ministre »), d’un plan de gestion de la pêche du crabe des neiges du sud du golfe (le  « Plan »), lequel fut publiquement annoncé le ou vers le 25 avril 2007.  (…)

[4]               Ce texte nous indique donc que la décision visée est l’adoption du Plan.

[5]               Rendues, en termes de rédaction, à l’étape de l’objet de celle-ci (voir page 6 de la Demande), les demanderesses apparaissent à la fois préciser d’une part les aspects particuliers du Plan qu’elles attaquent par la Demande et, d’autre part, élargir le champ de la Demande aux décisions diverses ayant trait à la mise en œuvre de ces aspects du Plan.

[6]               Pour l’essentiel, les demanderesses s’expriment alors comme suit à la Demande :

Que cette honorable Cour accueille la demande de contrôle judiciaire et annule et infirme les aspects ci-haut mentionnés du Plan et/ou toute décision prise en application desdits aspects du Plan, (…)

[7]               Pour fins de compréhension, les aspects du Plan auxquels réfèrent les demanderesses touchent principalement la fermeture de zones de pêche et l’attribution de permis de pêche qui reflètent un maximum de prises alloué entre les pêcheurs traditionnels et des pêcheurs des Premières Nations et de flottilles dites non-traditionnelles.

[8]               Enfin, les demanderesses contestent que le défendeur puisse réclamer le privilège client-avocat pour s’opposer à la divulgation d’une phrase contenue à l’un des documents transmis aux demanderesses en vertu de la règle 318.

Analyse

[9]               J’entends pour les fins de la présente requête retenir, tel qu’il est requis par la règle 302 et la jurisprudence s’appliquant en circonstances normales, que la Demande est restreinte et est en effet de par son propre libellé limitée à une seule décision, soit ici, en l’espèce, l’adoption du Plan par le Ministre.

[10]           En conséquence, je n’entends pas retenir que la Demande vise également une série de décisions qui font suite à l’adoption du Plan et que les demanderesses décrivent comme suit à la requête à l’étude :

toutes les décisions, ordonnances, baux, permis et/ou licences accordés, renouvelés et/ou amendés, partiellement ou complètement, à la suite de l’adoption du Plan et/ou en fonction des paramètres établis dans le Plan.

[11]           Par ailleurs, quant à la décision visée, soit l’adoption du Plan, je considère que les demanderesses ne peuvent réclamer que les documents qui étaient devant le Ministre lors de l’adoption du Plan.

[12]           C’est là, à mon avis, la mesure à appliquer de par la jurisprudence dominante.  Ce courant de jurisprudence fut de fait rappelé aux demanderesses lors d’une contestation passée logée par elles à l’égard d’un plan de pêche au crabe des neiges et où les demanderesses cherchaient à avoir accès à tous les documents pertinents (au sens d’une action) et non seulement aux documents devant le décideur au moment de la décision.

[13]           Dans l’arrêt Association des crabiers acadiens et al c. Sa Majesté la Reine, 2004 CF 23, ma collègue Tabib a tenu les propos suivants aux paragraphes [23] et [24] :

[23]      J'adopte les motifs énoncés par le protonotaire adjoint Giles dans Ecology Action Centre Society c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no. 1588, reprenant les principes énoncés par la Cour d'appel dans Canada c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455:

"[6] (...) À mon avis, les éléments pertinents comprennent tous les éléments de preuve qui ont été portés à la connaissance du décideur dans le cadre du processus décisionnel. Les éléments pertinents ne comprennent pas tous les documents qui concernent la question et qui ont pu se trouver sur le bureau du décideur à une date antérieure. Ils ne comprennent certainement pas l'ensemble des documents qui se trouvent dans son service ou dans sa zone de responsabilité."

[24]      La défenderesse a divulgué dans la déclaration de David C. Bevan les documents "qui étaient en la possession du Ministre des pêches et océans lorsqu'il a pris la décision qui fait l'objet [de cette demande]". Dans l'état actuel du dossier, les demanderesses n'ont pas démontré à la satisfaction de la Cour que les autres documents demandés, même s'ils étaient autrement en possession du ministre ou de son ministère et auraient pu être pertinents à la décision, sont effectivement des documents pertinents aux fins de la Règle 317 en ce qu'ils ont été pris en considération par le ministre pour prendre sa décision.

(Mes soulignés)

[14]           L’on ne peut donc certes pas considérer ici que la position prise alors par ma collègue équivaille à reconnaître que tous les documents consultés par le Ministre à quelque moment du processus d’élaboration ou de conception du Plan doivent être transmis sous les règles 317 et 318.

[15]           Si les documents transmis par le Ministre à ce jour sous la règle 318 ne permettaient pas au Ministre, selon les demanderesses, d’adopter certains aspects du Plan, elles pourront faire valoir ces points lors de l’expression de leur position au mérite.  Toutefois, je ne pense pas que cette position des demanderesses oblige le Ministre à transmettre tout ce qui a pu être porté à son attention lors de l’élaboration du Plan de manière à permettre aux demanderesses de trouver appui à leur prétention centrale qu’il y a au Plan des paramètres qui ne sont pas mentionnés dans les documents transmis.

[16]           Ici dans la Demande, les demanderesses réclament qu’il leur soit transmis :

1.         Tous les documents, notes de services, mémorandums, messages électroniques, briefings, études (scientifiques ou autres), avis, communiqués et fiche d’information ayant trait à la conception, à l’élaboration et/ou à l’adoption du Plan et de l’Ordonnance de modification, de même que toute la correspondance provenant du et/ou adressée au Ministre, au sous-ministre, au sous-ministre adjoint – gestion des pêches, aux directeurs généraux et aux fonctionnaires des régions du Golfe et du Québec et/ou du Bureau national relativement à ces éléments.

[17]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cette demande de transmission de documents est de la nature d’une recherche d’informations et de documents que l’on retrouve au stade interlocutoire d’une action et non lors d’une demande de contrôle judiciaire.

[18]           Encore récemment, soit le 8 juin 2007, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, s’est dite en désaccord avec des demandes de transmission de documents sous les règles 317 et 318 qui ressortent bien davantage du processus présent aux actions.  Aux paragraphes [20] et [21], la Cour d’appel indique :

[20]      En terminant, la Cour désire exprimer sa désapprobation des demandes de transmission de documents rédigés en termes aussi vagues que celle en cause. La révision judiciaire ne procède pas sur la même base qu'une action en justice; c'est une procédure qui se veut sommaire. Il y a donc une série de limites imposées aux parties en conséquence de cette distinction. La preuve se fait par affidavit et non par témoignage de vive voix. Il y a moins d'ouverture aux procédures préliminaires telles que la communication de la preuve entre les mains des parties et l'examen au préalable. Si de telles procédures s'avèrent nécessaires, les règles permettent qu'une demande de révision judiciaire soit transformée en action.

[21]      C'est dans ce contexte que se situe la règle 317 qui traite de la demande de transmission de documents. L'objet de la règle est de limiter la communication de la preuve aux documents qui étaient entre les mains du décideur lors de la prise de décision et qui n'étaient pas en la possession de la personne qui en fait la demande et d'exiger que les documents demandés soient décrits de façon précise. Il n'est pas question, lorsqu'il s'agit de contrôle judiciaire, de demander la transmission de tout document qui pourrait être pertinent dans l'espoir d'en établir la pertinence par la suite. Une telle démarche est tout à fait à l'encontre du caractère sommaire du contrôle judiciaire. Si les circonstances sont telles qu'il s'avère nécessaire d'élargir le cadre de la communication de la preuve, celui qui exige une divulgation plus complète a le fardeau de mettre de l'avant des éléments de preuve qui justifient sa demande. C'est ce dernier élément qui est tout à fait absent en l'instance.

(Mes soulignés)

[19]           Ici, la déclaration ou certificat de M. David Bevan datée du 18 juin 2007 indique que les demanderesses se sont vues transmettre l’ensemble des documents qui étaient devant le Ministre lors de l’adoption du Plan.

[20]           La Demande des demanderesses pour la transmission des documents recherchés sera donc rejetée.

[21]           D’autre part, ayant pu revoir la phrase d’un document que le défendeur considère être une opinion juridique, je suis satisfait que ce n’est pas vraiment le cas et, en conséquence, cette phrase aura à être divulguée aux demanderesses dans les dix (10) jours des présentes.

[22]           Pour tous ces motifs, hormis ce qui est indiqué au paragraphe précédent, cette requête des demanderesses sera autrement rejetée, le tout frais à suivre.

 

 

 

« Richard Morneau

Protonotaire

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-895-07

 

INTITULÉ :                                      

ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS INC.,

JEAN-GILLES CHIASSON, en son nom personnel et ès qualités de président de l’Association des crabiers acadiens inc.,

ASSOCIATION DES CRABIERS GASPÉSIENS INC.,

MARC COUTURE, en son nom personnel et ès qualités

d’administrateur de l’Association des crabiers gaspésiens inc.,

ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE,

DANIEL DESBOIS, en son nom personnel et ès qualités

d’administrateur de l’Association des crabiers de la Baie,

et ROBERT F. HACHÉ

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               23 juillet 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      27 juillet 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patrick Ferland

 

POUR LES DEMANDEREURS

Me Ginette Mazerolle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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