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Date : 20070808

Dossier : T-1657-06

Référence : 2007 CF 820

Ottawa (Ontario), le 8 août 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

JOHN KABATOFF

demandeur

et

 

LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES

ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. John Kabatoff a été blessé en mai 1993 lorsqu’il travaillait comme couvreur. Il tente depuis 1995 d’obtenir des prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada. Comme dernière tentative, en avril 2006, il a demandé au ministre des Ressources humaines et du Développement social de réexaminer, à la lumière de faits nouveaux, une décision rendue en 1996 par laquelle des prestations lui ont été refusées. En août 2006, un représentant a écrit une lettre au nom du ministre à l’intention de M. Kabatoff lui expliquant que la décision rendue en 1996 ne pouvait pas être réexaminée parce qu’un tribunal de révision avait rendu en 2004 une décision définitive et obligatoire sur cette même question. Cependant, le représentant a proposé à M. Kabatoff de solliciter le tribunal de révision de réexaminer sa décision.

 

[2]               M. Kabatoff me demande d’ordonner au ministre de réexaminer la décision rendue en 1996. Toutefois, je ne puis dire que le ministre a commis une erreur en refusant de le faire. Je devrais donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.        La question en litige

 

[3]               Le ministre a-t-il commis une erreur en concluant qu’il ne pouvait pas réexaminer sa décision antérieure par laquelle des prestations avaient été refusées à M. Kabatoff?

 

[4]               Le ministre a également soutenu que la réponse formulée par son représentant n’était pas susceptible de contrôle judiciaire parce qu’elle avait été donnée par simple obligeance et qu’elle ne constituait pas une décision. En supposant, sans trancher la question, que la lettre équivaut à une décision, je me suis penché sur la question de droit soulevée par M. Kabatoff.

 

II.     Analyse

 

[5]               En vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (la Loi), les décisions du ministre peuvent faire l’objet d’un appel devant un tribunal de révision et ensuite, avec autorisation, devant la Commission d’appel des pensions. La Loi prévoit que les décisions du tribunal de révision et de la Commission d’appel des pensions sont « définitive[s] et obligatoire[s] » (paragraphe 84(1)), à deux exceptions près. Premièrement, ces décisions peuvent être l’objet d’une procédure de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Deuxièmement, « le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui‑même rendue ou qu’elle a elle‑même rendue » (paragraphe 84(2)) (les dispositions légales sont reproduites dans l’annexe).

 

[6]               M. Kabatoff soutient que la Loi autorise le ministre à réexaminer une décision antérieure même si la question a déjà été tranchée par le tribunal de révision. Il affirme également que la Loi ne dit pas que le ministre n’a pas compétence pour réexaminer une question dont a également été saisie le tribunal de révision. 

 

[7]               Je suis d’accord avec M. Kabatoff sur le fait que la Loi ne dit pas expressément que le ministre ne peut pas réexaminer une décision qui a déjà été tranchée par le tribunal de révision. Cependant, je conviens avec le ministre que l’interprétation de la Loi conduit logiquement à cette conclusion. De plus, je suis persuadé que la Cour d’appel fédérale a décidé récemment que la Loi devait être interprétée de la manière avancée par le ministre : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, [2007] A.C.F. no 37 (C.A.) (QL). Dans cet arrêt, le juge Gilles Létourneau a conclu que le Régime de pensions du Canada devait être interprété de manière à rejeter toute contestation incidente des décisions, à réduire la possibilité que des décisions contradictoires soient rendues et à respecter comme il se doit le principe du caractère définitif des décisions. Dans un cas semblable à celui de M. Kabatoff, le juge Létourneau a conclu qu’une personne ne pouvait pas, en 2005, interjeter appel d’une décision rendue en 1997 par le tribunal de révision lorsqu’en 2001, le tribunal avait conclu que la personne n’était pas invalide pendant la période pertinente. La décision rendue en 2001 était « définitive et obligatoire » aux termes du paragraphe 84(1) et ne pouvait pas être écartée par un appel d’une décision antérieure.

 

[8]               En l’espèce, M. Kabatoff demande au ministre de réexaminer une décision rendue en 1996 même si en 2004, le tribunal de révision a conclu qu’il n’était pas invalide. Il est vrai qu’en 1996, le ministre ne pouvait pas décider si M. Kabatoff était invalide au 31 décembre 1997, soit la dernière journée à laquelle il était admissible aux prestations, mais le tribunal de révision pouvait prendre cette décision en 2004. M. Kabatoff soutient, par conséquent, que sa demande ne consiste pas en une contestation incidente de la décision du tribunal de révision et ne présente aucun risque de contradiction puisque les deux décideurs devaient prendre en considération des périodes différentes. La même argumentation fut présentée et rejetée dans l’arrêt Hogervorst. Le juge Létourneau a affirmé ce qui suit : « À vrai dire, un constat d’invalidité pour la période prenant fin le 4 novembre 1997 ne pourrait pas coexister avec la conclusion selon laquelle l’intimée n’est pas considérée invalide pour la période du 5 novembre au 31 décembre 1997 » (au paragraphe 19). Dans la présente affaire, la conclusion que M. Kabatoff était invalide en avril 1996 pourrait difficilement coexister avec la conclusion qu’il n’était pas invalide en décembre 1997. Il faut se rappeler qu’une invalidité est un état « grave et prolong[é] » et rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation rémunératrice pendant une période longue et indéfinie (alinéa 42(2)a)).

 

[9]               Par conséquent, dans ces circonstances, le ministre a eu raison de conclure qu’il ne pouvait pas réexaminer sa décision rendue en 1996 étant donné que le tribunal de révision avait déjà rendu une décision définitive et obligatoire sur la même question en 2004. Cependant, M. Kabatoff a le droit de demander au tribunal de révision de réexaminer sa décision rendue en 2004 puisque selon le paragraphe 84(2), le tribunal peut, lorsqu’il y a des faits nouveaux, « annuler ou modifier une décision qu’il a lui‑même rendue […] conformément à la présente loi ».


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a pas d’adjudication des dépens.

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu

 


Annexe A

Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8

 

Personne déclarée invalide

    42(2) Pour l’application de la présente loi :

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

 

Décision sur les questions de droit et de fait

84(1) Un tribunal de révision et la Commission d’appel des pensions ont autorité pour décider des questions de droit ou de fait concernant :

a) la question de savoir si une prestation est payable à une personne;

b) le montant de cette prestation;

c) la question de savoir si une personne est admissible à un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension;

d) le montant de ce partage;

e) la question de savoir si une personne est admissible à bénéficier de la cession de la pension de retraite d’un cotisant;

f) le montant de cette cession.

La décision du tribunal de révision, sauf disposition contraire de la présente loi, ou celle de la Commission d’appel des pensions, sauf contrôle judiciaire dont elle peut faire l’objet aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, est définitive et obligatoire pour l’application de la présente loi.

 

Annulation ou modification de la décision

    (2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui-même rendue ou qu’elle a elle-même rendue conformément à la présente loi.

 

Canada Pension Plan, R.S.C. 1985, c. C-8

 

 

When person deemed disabled

    42(2) For the purposes of this Act,

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death;

 

 

Authority to determine questions of law and fact

84(1) A Review Tribunal and the Pension Appeals Board have authority to determine any question of law or fact as to

(a) whether any benefit is payable to a person,

(b) the amount of any such benefit,

(c) whether any person is eligible for a division of unadjusted pensionable earnings,

(d) the amount of that division,

(e) whether any person is eligible for an assignment of a contributor’s retirement pension, or

(f) the amount of that assignment,

and the decision of a Review Tribunal, except as provided in this Act, or the decision of the Pension Appeals Board, except for judicial review under the Federal Courts Act, as the case may be, is final and binding for all purposes of this Act.

 

Rescission or amendment of decision

    (2) The Minister, a Review Tribunal or the Pension Appeals Board may, notwithstanding subsection (1), on new facts, rescind or amend a decision under this Act given by him, the Tribunal or the Board, as the case may be.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1657-06

 

INTITULÉ :                                       JOHN KABATOFF c. LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 NELSON (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 AOÛT 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Kabatoff

Walter Popoff

LE DEMANDEUR

(en son propre nom)

 

 

 

Dale Noseworthy

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN KABATOFF

Crescent Valley (C.-B.)

 

 

LE DEMANDEUR

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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