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Date : 20070822

Dossier : T-1145-05

Référence : 2007 CF 847

ENTRE :

JUNE STEVENS

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

TAXATION DES DÉPENS – MOTIFS

Charles E. Stinson

Officier taxateur

[1]               Une copie des présents motifs est versée aujourd’hui au dossier T-1146-05 (l’affaire T‑1146-05) de la Cour fédérale (Jacki McCallum c. Le procureur général du Canada) et ils s’appliquent dans cette affaire. La demanderesse en l’espèce (la demanderesse Stevens) et la demanderesse dans l’affaire T-1146-05 (la demanderesse McCallum) se représentent elles-mêmes et ont chacune présenté une demande de contrôle judiciaire. Les deux demandes de contrôle reposaient toutefois sur des faits presque identiques, elles ont été instruites ensemble et elles visaient toutes deux des décisions (les décisions de la CCDP) par lesquelles la Commission canadienne des droits de la personne refusait de se pencher sur la plainte de l’une et l’autre demanderesses pour cause de prescription. La demanderesse Stevens et la demanderesse McCallum (les demanderesses) travaillent comme inspectrices à l’Agence canadienne d’inspection des aliments et elles prétendent avoir fait l’objet de sexisme dans l’exercice de leurs fonctions et dans la classification de leur poste aux fins de la rémunération. La Cour a annulé les décisions de la CCDP, renvoyé les affaires devant celle-ci pour nouvel examen et adjugé les dépens aux demanderesses. J’ai alors fixé un calendrier pour la présentation des prétentions écrites pour faire établir le mémoire de frais de l’une et l’autre demanderesses.

 

I.   Les positions des demanderesses

[2]               La demanderesse Stevens a présenté un mémoire de frais où elle réclamait 5 987,04 $ pour le temps consacré par elle au litige (somme calculée selon ce que prévoient les articles de la colonne III du tarif B pour les services d’un avocat) et 188,15 $ pour ses débours. Dans son mémoire de frais, pour sa part, la demanderesse McCallum a réclamé 6 984,88 $ pour son temps (somme calculée de la même manière que la demanderesse Stevens) et 409,14 $ à titre de débours.

 

[3]               Les demanderesses ont fait valoir ce qui suit comme argument principal :

[traduction]

1.  Nous avons tenté d’engager des négociations avec le ministère de la Justice au sujet des dépens qu’on nous attribue selon le tarif B, comme nous avions cru comprendre que c’était là le mode d’attribution qu’il nous fallait respecter.

 

2.  Le ministère de la Justice n’a convenu de nous verser que les débours, en renvoyant à une décision (dossier de la Cour n° A‑104‑97) portant que les plaideurs qui ne sont pas avocats n’ont pas droit aux honoraires d’avocat. Nous en avons d’abord déduit que nous ne pouvions recourir au tarif B, et avons alors modifié notre demande de dépens en nous fondant sur deux décisions (dossiers de la Cour nos T-222-03 et T-346-02) où l’on avait attribué aux parties se représentant elles-mêmes des dépens pour le temps qu’elles avaient consacré à faire des recherches et à constituer et produire leur dossier.

 

3.  Le ministère de la Justice a également rejeté cette demande.

 

4.  En établissant le mémoire de frais, nous avons constaté qu’au tarif B, seuls les éléments prévus aux articles 13, 14, 16, 21, 22 et 24 s’appliquent de manière particulière aux honoraires d’avocat. Nous avons donc décidé de nous conformer et vous soumettons en toute déférence le mémoire de frais ci-joint, établi en fonction du tarif B, sans demander aucuns honoraires d’avocat visés aux articles susmentionnés [...]

 

[4]               Dans leur réplique, les demanderesses ont rappelé le libellé de l’article 407 des Règles : « Sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens partie-partie sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B ». Selon elles, la Cour d’appel fédérale a statué dans Lavigne c. Canada (Ministère du Développement des ressources humaines), [1998] A.C.F. n° 855 (C.A.F.) [Lavigne]) que les plaideurs qui ne sont pas avocats, ou plaideurs profanes, n’avaient pas droit aux « honoraires d’avocat », mais elle n’a pas dit que ces plaideurs n’avaient pas droit aux honoraires prévus au tarif B. En outre, le tarif B est intitulé « Honoraires des avocats et débours qui peuvent être acceptés aux fins de la taxation des frais », mais on n’y utilise l’expression « honoraires d’avocat » qu’aux articles 13, 14, 16, 21, 22 et 24. Les demanderesses ajoutent qu’elles ne demandent pas l’attribution de dépens en vertu de ces derniers articles et qu’on devrait donc leur accorder les dépens correspondant au temps qu’elles ont consacré aux éléments prévus aux autres articles de la colonne III. Dans Thibodeau c. Air Canada, [2005] A.C.F. n° 2001 (C.F.) [Thibodeau], la Cour a reconnu qu’on avait statué dans Lavigne que les plaideurs profanes ne sont pas éligibles à l’attribution de dépens selon le tarif B, a renvoyé à  Canada (Procureur général) c. Kahn, [1998] A.C.F. n° 1542 (C.F. 1re inst.) où l’on avait statué qu’une somme appropriée pouvait être accordée pour le temps consacré au litige par de tels plaideurs, puis avait attribué une somme forfaitaire au demandeur profane pour son temps. Par ailleurs, les conclusions tirées dans Turner c. Canada, [2001] A.C.F. n° 250 (O.T.), conf. [2001] A.C.F. n° 1506 (C.F. 1re inst.), conf. [2003] A.C.F. n° 548 (C.A.F.) [Turner] ne peuvent étayer la position du défendeur, puisque dans cette affaire M. Turner  avait réclamé à tort un nombre d’éléments supérieur à ceux prévus au  tarif B, que sa preuve était insuffisante et qu’il avait une conception erronée de l’attribution des dépens.

 

II.   La position du défendeur

[5]               Après avoir relevé les insuffisances de la preuve à l’appui présentée par les demanderesses, le défendeur a concédé que celles-ci avaient droit aux débours réclamés, mais s’est objecté à ce qu’on leur attribue des honoraires pour leur temps consacré au litige. Dans Lavigne, précité, en effet, on a statué que les plaideurs profanes n’avaient pas droit aux honoraires d’avocat prévus au tarif B, comme un plaideur ne peut assurer un service à lui-même. Dans Turner, précité, en outre, on a conclu qu’un officier taxateur ne peut attribuer que des débours à une partie qui se représente elle-même, puisque seul un juge peut exercer le pouvoir d’attribution des dépens conféré par l’article 400 des Règles et que l’article 405 n’autorise pas un officier taxateur, sauf si la Cour l’y autorise au préalable, à attribuer des dépens à un plaideur profane pour le temps consacré à son litige. Or, la Cour n’a pas autorisé en l’espèce l’attribution d’une somme forfaitaire à titre d’honoraires, non plus que d’honoraires quelconques, en vertu du tarif B.

 

[6]               La jurisprudence citée par les demanderesses dans leur argumentation principale ne peut étayer la position de l’une ou de l’autre. Dans Comeau c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. n° 1323 (C.F.) (dossier n° T-222-03), la Cour a simplement accordé les dépens au demandeur au terme du contrôle judiciaire, sans qu’il n’y ait par la suite de taxation des dépens. Dans Thibodeau, précitée, en outre, la Cour avait attribué une somme forfaitaire à titre de dépens, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

 

III.   La taxation

[7]               Les positions respectives des demanderesses ont été présentées succinctement et avec à‑propos. Malheureusement pour les demanderesses, toutefois, c’est la position de défendeur qui reflète correctement le droit existant. L’argumentation des demanderesses fondée sur l’intitulé du tarif B était digne d’intérêt, mais il est de droit constant que lorsqu’on fait état d’honoraires dans le tarif applicable à une cour, comme celui de la Cour fédérale, c’est en relation avec le temps consacré par un avocat à un litige. Le seul recours ouvert aux demanderesses aurait été de demander au juge compensation pour le temps consacré au litige, à la fin de l’audience relative à l’un et l’autre contrôles judiciaires. Pour aider les demanderesses à bien comprendre les questions liées à la compensation (expression que j’ai choisie avec soin pour marquer la distinction d’avec les dépens en leur sens classique d’indemnisation) pour le temps consacré au litige par les plaideurs, j’ajouterai certains commentaires obiter portant sur l’arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 R.C.S. 371 (C.S.C.) [Okanagan] et sur l’ouvrage de Mark M. Orkin, The Law of Costs, 2e  éd. à feuilles mobiles (Aurora : Canada Law Book, 2006), 2-44 à 2-145 [Orkin].

 

[8]               Dans Okanagan, précité, le gouvernement de la Colombie-Britannique (le gouvernement) avait engagé une procédure devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique (le tribunal de première instance) pour faire respecter des ordonnances de cessation des travaux prises contre les quatre bandes intimées (les bandes) afin d’empêcher l’exploitation forestière sur des terres publiques. Les bandes avaient fait valoir la protection constitutionnelle de droits ancestraux et affirmé qu’elles n’avaient pas les ressources pécuniaires voulues pour financer un procès long et coûteux. Elles avaient par conséquent demandé au tribunal de première instance d’ordonner à la Couronne provinciale de payer à l’avance leurs honoraires et débours d’avocats, quelle que soit l’issue de la cause. Le tribunal de première instance (le juge en chambre) a rejeté cette demande. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la cour d’appel), même si elle a conclu que la Constitution ne garantissait pas aux Bandes le paiement par la Couronne des honoraires d’avocats, a accueilli l’appel de celles-ci après avoir conclu en l’existence du pouvoir discrétionnaire d’ordonner le paiement d’une provision pour frais, puis a exercé ledit pouvoir au profit des bandes. Par opinion majoritaire dans Okanagan, précité, (l’opinion majoritaire) la Cour suprême du Canada a rejeté l’appel du gouvernement. La Cour suprême a alors établi les conditions nécessaires à l’attribution d’une  provision pour frais : la partie concernée doit être si dépourvue de ressources qu’elle serait, sinon, incapable de faire entendre sa cause, et la demande vaut prima facie d’être instruite car la cause appartient à cette catégorie restreinte de causes justifiant l’exercice exceptionnel d’un tel pouvoir.

 

[9]               On déclare ce qui suit dans l’opinion majoritaire :

I. Introduction

 

   Les deux présents pourvois ont trait à la compétence inhérente des tribunaux d’accorder des dépens à une partie au litige, dans des circonstances rares et exceptionnelles, avant le règlement définitif de l’affaire et quelle qu’en soit l’issue (j’appellerai « provision pour frais » l’avance provisoire d’honoraires et de débours de cette nature).  Une telle compétence existe en Colombie-Britannique.  Ce pouvoir discrétionnaire est assujetti à des conditions rigoureuses et au respect de contrôles procéduraux applicables.  En l’espèce, pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de confirmer la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique d’attribuer une provision pour frais aux intimés et je conclus que la Cour d’appel avait des motifs suffisants pour réviser l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal de première instance (pages 379 et 380).

 

On a ensuite résumé dans l’opinion majoritaire (pages 380 à 383) les faits pertinents et la législation applicable, pour ensuite se pencher sur les facteurs pris en compte par le juge en chambre :

[...] Le juge Sigurdson refuse d’ordonner au ministre de payer à l’avance les honoraires et débours d’avocats des Bandes.  Il estime que sa compétence pour rendre une telle ordonnance demeure très restreinte et qu’elle se trouve limitée par le principe qu’il ne peut préjuger de l’issue de la cause.  En l’espèce, la question de la responsabilité n’est pas réglée et le juge Sigurdson conclut que, s’il ordonnait le versement d’une provision pour frais, il se trouverait à préjuger de l’affaire quant au fond.  C’est pourquoi il estime qu’il ne peut rendre une telle ordonnance.  Cependant, il recommande aussi que la Couronne, aussi bien fédérale que provinciale, envisage de fournir un appui financier de sorte que ces affaires, qui s’apparentent à des causes types, soient tranchées comme il se doit dans le cadre d’un procès.  Il semble également indiquer que le litige pourrait être entendu si les Bandes pouvaient conclure une entente d’honoraires conditionnels avec leurs avocats (pages 383 et 384).

 

 

Je crois que ce qu’on entendait par « appui financier » dans ce passage, c’était simplement le fait pour la Couronne de prendre en charge dès le départ le financement de la cause des Bandes. Cela diffère au plan conceptuel de la notion traditionnelle d’attribution de dépens à titre d’indemnisation, comme les Bandes ne puiseraient jamais dans leurs propres fonds pour payer leurs avocats. En outre, c’est à la Couronne et non aux Bandes qu’incomberait l’obligation de payer les avocats de celles-ci pour défendre leurs droits. Les Bandes n’acquitteraient jamais de frais, un élément traditionnellement essentiel pour l’octroi de frais de litige à titre d’indemnisation.

 

[10]           On a ensuite résumé dans l’opinion majoritaire (pages 384 à 387) les points examinés par la cour d’appel, notamment dans le passage suivant :

[...] À propos de la question du financement du litige, la juge Newbury établit une distinction entre, d’une part, un droit constitutionnel au paiement intégral des honoraires et débours et, d’autre part, le pouvoir discrétionnaire du tribunal de statuer sur les « dépens » au sens où ce terme est employé dans les règles de procédure et dans la langue juridique en général – c’est-à-dire le versement d’une somme destinée à couvrir les frais du recours à la justice, habituellement selon des lignes directrices prévues par la loi, et non le paiement de la somme réelle que le client doit à son avocat [...] (page 384).

 

 

Le résumé qui a suivi des points examinés par la cour d’appel ne donnait pas à croire, selon moi, que ce que la cour d’appel entendait par « appui financier » ou « financement » recoupait le concept traditionnel de dépens à titre d’indemnisation.

 

[11]           On a poursuivi comme suit dans l’opinion majoritaire :

[...]

V. Les questions en litige

 

 La présente affaire soulève deux questions : premièrement, la nature de la compétence des cours de la Colombie-Britannique d’accorder des provisions pour frais et les principes qui régissent l’exercice de cette compétence; deuxièmement, l’examen en appel du pouvoir discrétionnaire du tribunal de première instance de statuer sur les dépens.  La question d’un droit constitutionnel au financement ne se pose pas, car elle n’a pas été soulevée par les intimés en l’espèce [...] (page 387).

 

 

Il ressort de ce passage qu’une comparaison du concept de financement par la Couronne et du concept traditionnel de dépens à titre d’indemnisation serait sans intérêt aux fins de l’analyse qui va suivre. On a continué en ces termes dans l’opinion majoritaire :

[...] VI. Analyse

 

A. Le pouvoir discrétionnaire du tribunal d’accorder des provisions pour frais

 

(1)     Les principes traditionnels relatifs à l’attribution de dépens – L’indemnisation de la partie ayant obtenu gain de cause

 

   La compétence des tribunaux d’ordonner le paiement des dépens afférents à une procédure judiciaire existe depuis fort longtemps.  Les cours anglaises de common law n’avaient pas de compétence inhérente pour statuer sur les dépens mais, dès la fin du 13e siècle, la loi leur a conféré le pouvoir d’adjuger les dépens à la partie gagnante.  De plus, les cours d’equity détenaient une compétence entièrement discrétionnaire pour accorder les dépens au gré de leur conscience (voir M. M. Orkin, The Law of Costs (2e éd. (feuilles mobiles)), p. 1-1).  Dans le système juridique canadien moderne, ce pouvoir discrétionnaire fondé sur l’equity existe toujours et est reconnu par les diverses lois et règles de procédure civile provinciales, qui laissent la question des dépens à la discrétion de la cour.

 

   Normalement, les dépens sont accordés à la partie gagnante après le prononcé du jugement.  Dans Re Regional Municipality of Hamilton-Wentworth and Hamilton-Wentworth Save the Valley Committee, Inc. (1985), 51 O.R. (2d) 23, p. 32, la Cour divisionnaire de la Haute Cour de justice de l’Ontario résume ainsi les caractéristiques habituelles de l’octroi des dépens:

 

[traduction]

   (1)     Les dépens sont alloués à la partie victorieuse ou méritoire et sont payables par la partie qui succombe.

 

   (2)     Par la force des choses, les dépens ne sont accordés qu’à la fin de l’instance étant donné qu’on ne peut savoir d’avance qui aura gain de cause.

 

(3)     Ils sont payables à titre d’indemnité pour les dépenses et les services admissibles afférents à l’instance.

 

(4)     Ils ne sont pas versés dans le but de garantir la participation à l’instance. [En italique dans l’original.]

 

   Les caractéristiques énumérées par la cour traduisent le but traditionnel de l’octroi des dépens : indemniser la partie gagnante des dépenses qu’elle a engagées soit pour se défendre contre une action qui, en fin de compte, s’est révélée sans fondement (si le défendeur a obtenu gain de cause), soit pour faire reconnaître un droit valide (si le demandeur a obtenu gain de cause).  L’attribution des dépens est décrite dans Ryan c. McGregor (1925), 58 O.L.R. 213 (Div. app.), p. 216, comme [traduction] « participant de la nature des dommages-intérêts accordés au gagnant contre le perdant, à titre de compensation des dépenses qu’il a dû engager en raison de la poursuite non fondée ».

 

 

   (2)     L’attribution de dépens comme instrument de politique juridique

 

   Ces principes fondamentaux continuent à régir les règles de droit relatives à l’attribution de dépens dans les affaires où aucun facteur particulier ne justifierait qu’on y déroge.  Le pouvoir d’adjudication de dépens demeure discrétionnaire, mais c’est un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé de façon judicieuse et il faut donc suivre les règles ordinaires relatives à cette question à moins que les circonstances ne justifient une approche différente.  Depuis un certain temps, toutefois, les tribunaux reconnaissent que l’indemnisation de la partie victorieuse ne constitue pas le seul objectif et, dans certains cas, pas même l’objectif principal de l’attribution de dépens. Voici ce qui est écrit dans Orkin, op. cit., p. 2-24.2 :

 

[traduction]

Le principe de l’indemnisation, bien que primordial, n’est pas la seule considération retenue par le tribunal appelé à rendre une ordonnance de paiement des dépens; ce principe a même été qualifié de « désuet » puisqu’une telle ordonnance peut servir d’autres fins, par exemple encourager les règlements, prévenir les litiges futiles ou vexatoires et décourager les démarches inutiles.

 

   Le principe de l’indemnisation a été qualifié de « désuet » dans la décision Fellowes, McNeil c. Kansa General International Insurance, (1997), 37 O.R. (3d) 464 (Div. gén.), p. 475.  Dans cette affaire, la partie victorieuse était un cabinet d’avocats.  L’un de ses associés avait agi pour le compte de ce dernier. Traditionnellement, les tribunaux qui appliquent le principe de l’indemnisation permettent à une partie non représentée de taxer uniquement les débours et non les honoraires d’avocats, la partie ne pouvant être indemnisée des honoraires d’avocats qu’elle n’a pas payés.  La juge Macdonald a estimé que, d’une manière générale, le principe de l’indemnisation demeurait toujours une considération primordiale en matière de dépens, mais que son application était « désuète » dans une affaire de cette nature.  La cour devrait également recourir à l’attribution des dépens afin d’encourager les règlements, de prévenir les actions et les défenses frivoles et de décourager les démarches futiles dans le cadre du litige.  Ces objectifs pourraient être atteints au moyen d’une ordonnance de paiement de dépens en faveur d’une partie qui n’y aurait peut-être pas droit selon le seul principe de l’indemnisation de la partie victorieuse.

 

   De même, dans Skidmore c. Blackmore (1995), 2 B.C.L.R. (3d) 201, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a affirmé au par. 28 que [traduction] « le principe selon lequel les dépens sont accordés dans le seul but d’indemniser la partie gagnante des honoraires et débours d’avocats est maintenant périmé ».  La cour a conclu que le profane non représenté par avocat devrait avoir le droit de taxer les frais du recours à la justice, écartant ainsi sa décision dans Kendall c. Hunt (No. 2) (1979), 16 B.C.L.R. 295.  Selon la cour, il s’agissait là d’un changement progressif en common law [traduction] « lorsqu’on l’examine dans le contexte global de la tendance à accorder des dépens pour encourager ou décourager certains types de comportement et non simplement pour indemniser la partie gagnante » (par. 44).

 

   Comme l’illustrent les décisions Fellowes et Skidmore, les règles modernes d’attribution des dépens visent des objectifs divers outre le traditionnel objectif de l’indemnisation.  Une ordonnance d’adjudication des dépens peut viser à pénaliser la partie qui a refusé une offre de règlement raisonnable; cette politique a été codifiée dans les règles de pratique des tribunaux de plusieurs provinces (voir, p. ex., les Rules of Court de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, par. 37(23) à 37(26); les Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, par. 49.10; les Règles de la Cour du Banc de la Reine, Règl. du Man. 553/88, règle 49.10).  L’attribution des dépens peut également servir à sanctionner des conduites qui ont prolongé la durée du litige, ou en ont augmenté le coût ou qui sont par ailleurs déraisonnables ou vexatoires.  Bref, les tribunaux utilisent maintenant couramment le pouvoir d’adjudication des dépens comme un instrument destiné à favoriser l’administration efficace et ordonnée de la justice.

 

   À vrai dire, on peut aussi considérer que la règle traditionnelle d’adjudication des dépens est dictée par le souci général d’assurer le fonctionnement équitable et efficace du système judiciaire.  Comme l’attribution des dépens transfère au perdant une partie des dépenses assumées par le gagnant au lieu de laisser à chaque partie le soin de supporter ses frais (comme c’est la pratique dans les ressorts où il n’existe pas de règles à cet égard), elle agit comme moyen dissuasif sur ceux qui pourraient être tentés d’en harceler d’autres par des demandes non fondées.  Comme elle réduit dans une certaine mesure les dépenses du gagnant, elle rend le système juridique plus accessible aux parties qui cherchent à défendre une position valable en droit.  Ces effets des règles traditionnelles peuvent être rattachés au souci de la cour d’exercer un contrôle sur sa propre procédure et de voir au déroulement efficace et juste de l’instance.  En ce sens, ce souci se situe dans la ligne de l’évolution naturelle du droit de reconnaître les objectifs connexes d’intérêt public que favorise l’approche moderne de l’attribution des dépens [...] (pages 387 à 391).

 

On peut constater à la lecture de ce passage la volonté des juges majoritaires d’aller par-delà le principe traditionnel de dépens attribués pour indemniser la partie ayant obtenu gain de cause. Cela a des conséquences pour les plaideurs qui se représentent eux-mêmes et qui souhaitent faire taxer les dépens pour le temps qu’ils ont pu consacrer au litige.

 

[12]           Les juges de la majorité ont ensuite examiné (pages 391 à 393) la question des poursuites d’intérêt public, en établissant comme réserve qu’il ne fallait pas traiter la Couronne comme une source de fonds intarissable de manière à encourager les demandes marginales. Les juges de la majorité ont ensuite déclaré que les préoccupations « concernant l’accès à la justice et l’opportunité d’atténuer les grandes inégalités entre les parties au litige occupent également le premier plan dans les rares cas où des provisions pour frais sont accordées » (page 393). Les juges de la majorité ont  ensuite établi (pages 393 à 403) les conditions à remplir pour le recours à une provision pour frais, conclu que la situation des bandes satisfaisait à ces conditions puis confirmé l’octroi de la provision par la cour d’appel. L’octroi par la cour d’appel visait les « honoraires et débours d’avocats », sans toutefois qu’il soit jamais exigé ou sous-entendu que les bandes auraient à payer quoi que ce soit à leurs avocats. Les honoraires ainsi octroyés semblent donc échapper au modèle traditionnel d’attribution des dépens à titre d’indemnisation (en vue du paiement de ses avocats par une partie). S’agissant de la situation de la demanderesse Stevens et de la demanderesse McCallum, toutefois, je ne crois pas qu’elle satisfasse aux conditions requises pour l’octroi d’une provision pour frais. Je ne crois pas non plus que la décision rendue dans Okanagan, précité, puisse étayer l’argument selon lequel une cour peut accorder un certain montant pour le temps consacré au litige par un plaideur profane au motif que les honoraires peuvent constituer quelque chose d’autre qu’une indemnisation ou s’ajouter à celle-ci.

 

[13]           Les juges dissidents dans Okanagan, précité, ont ensuite formulé pour leur part les commentaires suivants :

[...] Il sagit en lespèce de déterminer sur quels paramètres les tribunaux de première instance peuvent se fonder pour octroyer des provisions pour frais.  Dans quels cas ladjudication de provisions pour frais est-elle opportune?  Jusqu’à quel point les tribunaux dappel doivent-ils faire preuve de retenue à légard du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance en la matière?

 

   Quatre bandes indiennes poursuivent la Couronne du chef de la province de la Colombie-Britannique pour établir lexistence dun titre aborigène sur des terres sur lesquelles elles veulent mener des activités dexploitation forestière.  Comme ce litige sera coûteux, elles demandent que leur soit allouée une provision pour frais - cest-à-dire des frais qui leur seraient accordés à lavance peu importe lissue du litige.  Il sagit incontestablement dune mesure extraordinaire.

 

   Le juge en chambre ne trouve aucune jurisprudence à lappui et, usant de son pouvoir discrétionnaire, choisit de ne pas attribuer de provision pour frais.  La Cour dappel de la Colombie-Britannique dabord, puis mon collègue le juge LeBel ont infirmé la décision du juge en chambre en se fondant sur ce qui semble être une nouvelle règle dadjudication des provisions pour frais.  Avec égards pour lopinion contraire, je conclus que le juge Sigurdson a correctement interprété les principes applicables et je ne vois aucune raison dinfirmer sa décision discrétionnaire.  Par conséquent, je suis davis daccueillir le pourvoi.

 

   Le pourvoi soulève des questions difficiles.  En particulier, comment des parties démunies peuvent-elles intenter une poursuite pour faire valoir ce qu’elles allèguent être des droits fondés du point de vue constitutionnel?  Aucune question constitutionnelle na cependant été invoquée en lespèce.  Les intimés se fondent uniquement sur les règles de common law régissant loctroi des dépens.

 

   Traditionnellement, les dépens - habituellement les dépens entre parties - sont attribués après que la décision finale a été rendue en première instance ou en appel et ils le sont presque toujours en faveur de la partie gagnante.  Dans lensemble des ressorts canadiens, les dépens entre parties ne représentent qu’une indemnisation partielle des frais de justice des plaideurs.  Dans certains cas, une provision pour frais peut être accordée à un conjoint qui intente un procès au sujet du partage des biens, par suite dune séparation ou dun divorce.  En droit matrimonial, la justification de telles provisions pour frais est claire : habituellement un conjoint a droit en tout ou en partie au patrimoine familial; il est presque assuré dobtenir en partie gain de cause sur le fond.  Ainsi, le but traditionnel de ladjudication des dépens - lindemnisation de la partie gagnante - est préservé.

 

   Cependant, ce serait étendre considérablement la portée de la jurisprudence que daccorder des provisions pour frais alors que la question de la responsabilité na pas encore été tranchée.  De plus, agir de la sorte dans une affaire qui présente des considérations constitutionnelles importantes et dans laquelle la Couronne est la partie défenderesse constituerait une transposition inhabituelle dune jurisprudence de droit privé très exceptionnelle dans un domaine lourd dimplications.

 

   La common law est censée évoluer de façon à adapter les principes applicables à la réalité moderne.  Cependant, en matière dadjudication des dépens, lévolution de la common law devrait se faire par lexercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance.  Ce pouvoir discrétionnaire, qui est fondé sur lequity et qui résulte de siècles dévolution, est un aspect essentiel de la principale fonction traditionnelle du pouvoir discrétionnaire dadjudication des dépens des tribunaux : la gestion des instances et du rôle.  Il se peut que des questions de droit public justifient loctroi discrétionnaire de provisions pour frais afin de permettre laccès à la justice.  Mais de tels cas doivent être largement comparables à ceux que reconnaît la jurisprudence en matière dattribution de provisions pour frais.  Une telle évolution devrait être amorcée par les tribunaux de première instance dans lexercice judicieux de leur pouvoir discrétionnaire et non par lannulation en appel de leurs décisions à cet égard [...] (pages 403 à 405).

 

 

[14]           Les juges dissidents ont alors passé en revue (pages 405 et 406) certains faits et certaines conclusions, pour ensuite ajouter ce qui suit :

II. Analyse

 

A. Les règles de droit en matière de dépens

 

   Selon la règle habituelle dadjudication des dépens entre parties, ceux-ci sont généralement accordés à la partie gagnante à la fin du litige.  Ils représentent une contribution aux dépenses réelles de la partie gagnante.  Au Canada, il est rare que lon ordonne une pleine indemnisation par loctroi de dépens sur la base avocat-client.  De tels dépens ne sont attribués que lorsque la partie perdante sest comportée dune manière singulière et inacceptable.  Dans de rares cas, eu égard à lequity, la cour peut allouer des dépens sur la base avocat-client.

 

   Mon collègue souligne ce quil décrit comme étant une tendance moderne en ce qui concerne les règles dadjudication des dépens - soit à titre dappui aux litiges dintérêt public.  En toute déférence, je crois que cet argument confond la notion de financement public des revendications fondées sur la Charte avec celle de ladjudication des dépens.  Il sagit de deux fonctions distinctes.  Même si le juge de première instance conserve un pouvoir discrétionnaire pour lattribution des dépens dans de telles affaires, ceux-ci ont toujours été accordés à lissue du litige [...] (pages 406 et 407).

 

Les juges dissidents ont ensuite fait remarquer (page 407) que l’adjudication de provisions pour frais pouvait faire « craindre raisonnablement qu’il y ait partialité en faveur du bénéficiaire », en mettant en question l’objectivité de la cour qui y procède, puis ils ont déclaré ce qui suit :

Loctroi de dépens avant linstruction est plus susceptible dencourager les procès que leur éventuelle attribution après linstruction.  Ladjudication dune provision pour frais dans les circonstances particulières de lespèce apparaît comme une forme daide juridique imposée par le tribunal.  Les provisions pour frais sont utiles en droit de la famille mais on ne doit pas étendre leur utilisation pour amener, essentiellement, le tribunal à financer le litige pour les parties sans ressources suffisantes et à garantir leur accès aux tribunaux.  Si louable que puisse être cet objectif, la solution relève du législateur et des ordres professionnels des avocats et non de la magistrature [...] (page 407)

 

 

[15]           On a également examiné dans l’opinion dissidente (pages 407 à 413) les règles de droit en matière de provisions pour frais, et formulé la réserve suivante :

Selon moi, un tribunal doit se montrer particulièrement prudent dans lexercice de son pouvoir inhérent dadjudication des dépens dans les affaires où lon doit résoudre des questions dintérêt public controversées.  Non seulement un tel précédent nétait pas exigé par la common law, mais ladoption dune notion aussi nébuleuse sans définition claire de ce que lon entend par « circonstances spéciales » estompe la distinction entre lobjectif traditionnel de ladjudication des dépens et les préoccupations quant à laccès à la justice [...] (page 412).

 

 

Les juges dissidents ne partageaient pas l’avis des juges de la majorité quant aux critères d’adjudication de provisions pour frais, et ils ont conclu que les Bandes n’étaient pas admissibles à une telle adjudication :

[...] Si la Cour élargit le champ dapplication des provisions pour frais, il faudra interpréter cela comme une nouvelle règle et non pas comme une adaptation des règles de droit existantes.  Le juge en chambre a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en fonction des règles de droit qui existaient en matière de dépens à lépoque où la demande a été présentée.

 

   Le juge Sigurdson a eu raison de conclure que la question de la responsabilité demeure entière en lespèce et que, sil ordonnait le paiement de provisions pour frais, il se trouverait à préjuger de façon inopportune de lissue de laffaire.  Il a donc eu raison de conclure que [traduction] « [b]ien qu[il] possède un pouvoir discrétionnaire limité dans les circonstances appropriées daccorder des provisions pour frais, la présente affaire relève dun tout autre domaine » (par. 129).

 

III. Conclusion

 

   La common law doit évoluer graduellement tout en respectant dune manière générale les objets sous-jacents à ses règles.  Les nouveaux critères approuvés par mon collègue élargissent le champ dapplication des provisions pour frais dans une mesure qui nest pas souhaitable et ils ne sont pas étayés par la jurisprudence.  Selon moi, les règles de common law en matière de provisions pour frais ne devraient pas être modifiées par lintervention dune cour dappel infirmant la décision que le juge de première instance a rendue en usant judicieusement de son pouvoir discrétionnaire.  Une telle modification relève davantage du législateur.  Voir Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750; R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654; Office des services à lenfant et à la famille de Winnipeg (région du Nord-Ouest) c. G. (D.F.), [1997] 3 R.C.S. 925.

 

   Comme le juge Sigurdson na pas commis derreur de droit ni d« erreur manifeste » dans son appréciation des faits, je suis davis de men remettre à la décision quil a prise de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder exceptionnellement des provisions pour frais.

 

   Je suis davis daccueillir le pourvoi, chacune des parties devant assumer ses propres dépens.                                   

(pages 413 et 414)

 

 

[16]           Les juges dissidents ont conclu que les règles de droit en matière de dépens prévoient une indemnisation, mais non pas un financement de telle nature que la Couronne ait l’entière responsabilité de financer les deux parties à un litige sans disposer du droit de recouvrer des dépens quelconques de l’autre partie ou de la partie qui succombe. Cette conclusion visait les provisions pour frais. En toute déférence, la conséquence en serait, pour les plaideurs tels que la demanderesse Stevens  et la demanderesse McCallum, que les règles du droit en matière de dépens exprimées dans l’opinion dissidente feraient obstacle à la notion d’adjudication de dépens pour le temps consacré à leur litige puisqu’il n’existe aucun élément d’indemnisation. Ce n’est pas là une condition préliminaire facile à remplir, d’autant qu’on déclare dans l’opinion dissidente que l’évolution graduelle de la common law devrait se faire grâce à l’intervention du législateur et à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des juges de première instance. La conclusion tirée par la Cour d’appel fédérale dans Lavigne, précité, rendrait difficile l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire par notre Cour. Toutefois, les conclusions des juges majoritaires dans Okanagan ayant été tirées plusieurs années après le prononcé de la décision Lavigne, un plaideur se représentant lui-même pourrait s’autoriser de ces conclusions pour faire valoir que le droit a évolué depuis Lavigne quant à la compensation du temps consacré au litige par des plaideurs profanes.

 

[17]           Je ferai maintenant de brefs commentaires, à l’intention des demanderesses, relativement à l’ouvrage Orkin, cité ci-dessus dans Okanagan, précité. À la partie 204 (pages 2-44 à 2-49) de l’ouvrage, on traite du concept de dépens octroyés pour indemniser un plaideur des frais que lui a occasionné le litige. À la partie 204 (page 2-48), on fait état d’exceptions au principe de l’indemnisation, soit les dépens utilisés à titre de pénalité ou de mesure tendant à décourager certains comportements. À la partie 209.14 (pages 2-135 à 2-138), il est question du principe traditionnel en matière de dépens selon lequel, si un plaideur n’avait pas à payer son avocat, il ne pouvait se faire attribuer des dépens parce qu’il n’y avait alors rien à indemniser. On précise (page 2-137) toutefois que, malgré la jurisprudence plus ancienne, il est maintenant reconnu que [traduction] « le principe de l’indemnisation, bien que primordial, n’est pas la seule considération retenue par le tribunal appelé à rendre une ordonnance d’adjudication des dépens ». Il en est résulté l’octroi de dépens à des plaideurs représentés pro bono, ou à titre bénévole, par un avocat. De même, l’absence dans une entente d’honoraires conditionnels de toute obligation de paiement d’honoraires comme tels n’empêche pas de recouvrer des frais (les honoraires d’avocat) de l’autre partie.

 

[18]           À la partie 209.15 (pages 2-139 à 2-145) d’Orkin, précité, on traite des plaideurs profanes, en précisant (page 2-139) que malgré l’absence au Canada de dispositions législatives prévoyant, comme au Royaume-Uni, l’adjudication de dépens pour le temps consacré par eux au litige, [traduction] « la common law semble évoluer dans le sens de l’octroi de dépens aux plaideurs qui se représentent eux-mêmes ». À la partie 209.15, on se penche également (page 2-140) sur la question de savoir si l’octroi de dépens pour le temps consacré au litige par un plaideur profane contrevient [traduction] « à la règle de common law qui découle du principe de l’adjudication des dépens à titre d’indemnisation, selon laquelle les dépens ne peuvent être une source de profits pour la partie victorieuse ». On traite ensuite à la partie 209.15 de la tendance récente en common law favorable à l’octroi de dépens pour le temps consacré au litige par un plaideur profane, et de la nécessité de discerner trois facteurs à cette fin (pages 2-142 à 2-143). Il y a premièrement le fait que l’octroi de dépens n’a jamais été envisagé pour compenser le temps perdu par les plaideurs, qu’ils soient ou non représentés, ainsi que les perturbations dans leurs activités habituelles. Ce qu’on peut compenser, deuxièmement, c’est le temps pris par un plaideur profane pour accomplir le travail habituellement fait par un avocat. En outre, troisièmement, il y aura les pertes du plaideur en effectuant ce travail d’un avocat comme il a ainsi été empêché d’exercer une autre activité rémunérée. On fait ensuite état à la partie 209.15 de plusieurs cas où des dépens ont été octroyés pour le temps consacré au litige par des plaideurs profanes, pour ensuite suggérer diverses formules de calcul de ces dépens, soit par exemple un pourcentage des honoraires d’avocat selon le tarif, l’octroi de ces honoraires en entier étant considéré excessif, ou encore simplement la fixation d’une somme forfaitaire.

 

[19]           Je crois que des décisions comme l’arrêt Okanagan, précité, et des ouvrages de doctrine réputés comme Orkin, précité, dénotent pour les plaideurs profanes une évolution encourageante des règles sur les dépens de la common law, dans le sens de la compensation du temps consacré par eux à leur litige. Toutefois, s’agissant plus particulièrement des demanderesses dans les deux présentes affaires devant la Cour fédérale, la common law n’a pas évolué de manière si importante qu’un officier taxateur puisse normalement considérer l’octroi de dépens tels ceux visés en l’espèce  comme un exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 400(1) des Règles permettant d’obtenir de la Couronne compensation pour le temps consacré au litige par les demanderesses. Comme autre mesure de redressement, qui n’a pas été demandée en l’espèce, les demanderesses auraient pu solliciter par requête, présentée au juge ayant instruit la cause, l’octroi de sommes forfaitaires ou encore des directives adressées à l’officier taxateur en vue de la taxation d’un certain montant pour le temps consacré au litige. Je n’ai donc pas compétence pour agir en ce sens. La demanderesse Stevens réclamait 6 175,19 $ dans son mémoire de frais; les dépens qui lui sont attribués sont fixés à 188,15 $, la somme réclamée à titre de débours. La demanderesse McCallum réclamait pour sa part 7 394,02 $ dans son mémoire de frais, et les dépens qui lui sont attribués sont fixés à 409,14 $, la somme réclamée à titre de débours.

 

 

« Charles E. Stinson »

Officier taxateur

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1145-05

 

INTITULÉ :                                       JUNE STEVENS c. PCG

 

 

 

TAXATION DES DÉPENS PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION EN PERSONNE DES PARTIES

 

 

 

MOTIFS DE LA TAXATION

DES DÉPENS :                                  CHARLES E. STINSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 AOÛT 2007

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

June Stevens

 

Jackie McCallum

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

POUR LA DEMANDERESSE (T-1146-05)

Tracy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s.o.

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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