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Date : 20070822

Dossier : IMM-4191-06

Référence : 2007 CF 848

Montréal (Québec), le 22 août 2007

En présence de Monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

TUNJI DIRAN LEKE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Tunji Diran Leke demande, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision rendue en date du 18 juillet 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), selon laquelle il n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger puisque son renvoi vers le Nigéria ne l’exposerait pas personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

La question en litige

[2]               La Commission a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit en concluant que le demandeur n’avait pas établi son orientation sexuelle et, en conséquence, ne serait pas exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Nigéria?

 

Les faits

[3]               Le demandeur, Tunji Diran Leke, est né le 13 août 1977 à Osa Oke, au Nigéria. Il a été élevé dans une famille profondément chrétienne et on s’attendait à ce qu’il succède à son père, le révérend John Leke. Même s’il est devenu ministre du culte comme son père et a épousé la fille d’un pasteur avec laquelle il a eu deux fils, le demandeur a toujours mené une double vie, car il n’était pas réellement hétérosexuel.

 

[4]               Le demandeur s’est rendu compte de son homosexualité au cours de sa dernière année d’études secondaires. Il a eu sa première expérience homosexuelle avec un autre étudiant de l’école polytechnique d’Ibadon en 1993. Il a eu trois relations homosexuelles entre 1996 et 2000.

 

[5]               Le 24 septembre 2005, le demandeur et son partenaire masculin, Kunle Oba, ont été découverts pendant qu’ils avaient des relations sexuelles dans l’appartement de M. Oba. Les deux hommes ont été battus et humiliés par le propriétaire, qui les avait découverts, et par des badauds. Le demandeur s’est enfui et M. Oba a été livré aux policiers. Ceux-ci se sont ensuite rendus chez le demandeur ainsi qu’à son église. Le lendemain, le demandeur s’est enfui à Lagos, où un ami l’a accueilli chez lui. C’est à Lagos que le demandeur a été présenté à un agent, qui a pris les dispositions nécessaires pour qu’il vienne au Canada. Le demandeur est arrivé à Toronto le 6 octobre 2005 et a immédiatement demandé l’asile en raison de son orientation sexuelle.

 

[6]               Le demandeur s’est installé au 321, rue Jarvis, à Toronto, et est devenu membre du 519 Church Street Community Centre, un centre communautaire situé au cœur des communautés gaie, lesbienne, transsexuelle et transgenre de la ville qui offre des services aux membres de ces communautés. La demande d’asile du demandeur a été instruite le 19 mai 2006 et une décision défavorable a été rendue le 18 juillet 2006. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[7]               Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a produit un affidavit signé par Debo Abdul Dean Salam le 28 janvier 2007. Ce dernier jure qu’il est gai et qu’il entretenait une relation homosexuelle avec le demandeur lorsque la demande d’asile de celui‑ci a été instruite le 19 mai 2006. M. Salam jure également qu’il a assisté à l’audience et que, lorsque la commissaire lui a demandé la raison de sa présence, il a répondu qu’il était le partenaire du demandeur et qu’il était là pour lui apporter un soutien moral.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger parce qu’il n’y avait aucun motif sérieux de croire que son orientation sexuelle serait facilement identifiable par les gens au Nigéria, de sorte qu’il serait exposé au risque que cette orientation soit découverte ou au risque de torture. En premier lieu, bien que le demandeur ait allégué que d’autres personnes au Nigéria, y compris la police, un propriétaire, sa famille et sa belle‑famille, savent maintenant qu’il est homosexuel, il n’était pas possible pour la Commission de conclure que d’autres personnes au Nigéria le considéreraient comme un homosexuel ou un bisexuel. Il ne ressemblait pas à un homosexuel. La Commission a mentionné :

 

Ayant observé le demandeur d’asile tout au long de l’audience, je ne trouve pas que ses expressions faciales, le ton de sa voix ou son physique donnent en soi l’impression que le demandeur d’asile est homosexuel ou bisexuel.

 

[9]               De plus, la Commission a reconnu que, comme elle ne disposait d’aucun critère pour établir l’orientation sexuelle du demandeur, elle devait se fonder sur une évaluation de la crédibilité lui permettant de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si les allégations du demandeur relatives à son orientation sexuelle étaient vraisemblables. À cet égard, elle a conclu qu’il y avait plusieurs facteurs qui, à son avis, mettaient en doute les craintes du demandeur que les perceptions du public amènent d’autres personnes à conclure qu’il était homosexuel ou bisexuel et, en conséquence, qu’il soit exposé à un risque de persécution à son retour au Nigéria.

 

[10]           Premièrement, le demandeur a été ordonné pasteur et il n’est pas vraisemblable qu’un homme perçu comme étant homosexuel soit autorisé à devenir pasteur au Nigéria, où « les attitudes envers l’homosexualité n’ont pas encore évolué » et où l’ordination des homosexuels demeure une question controversée. Deuxièmement, le demandeur avait une conjointe de fait. Troisièmement, deux fils sont nés de cette union, l’un en 2000 et l’autre en 2004. La Commission a conclu qu’il était très peu vraisemblable qu’un homosexuel soit le père de deux fils. Elle était d’avis, compte tenu de cette conclusion, qu’il était extrêmement difficile de considérer l’identité sexuelle du demandeur comme une caractéristique innée. En parvenant à cette conclusion, la Commission a tenu compte des facteurs suivants :

·        la situation du demandeur au Canada, un pays qui est plus tolérant à l’égard des diverses orientations sexuelles que le Nigéria;

·        pendant son témoignage, le demandeur a été réticent à décrire explicitement l’acte sexuel auquel lui et Kunle Oba se livraient lorsque le propriétaire est entré de force dans l’appartement et les a surpris;

·        le demandeur a admis ne pas être engagé dans une relation homosexuelle au Canada;

·        au soutien de sa demande d’asile, le demandeur a produit une lettre du pasteur Amos Dada, de l’Église chrétienne apostolique à North York, qui ne dit rien des problèmes que le demandeur a éprouvés au Nigéria ou de son orientation sexuelle;

·        le demandeur a présenté une carte de membre du 519 Church Street Community Centre, un centre communautaire de la région de Toronto, et a demandé à la Commission d’accepter cette carte à titre de preuve de son orientation sexuelle. La Commission ne pouvait accorder une telle valeur à cette carte, et ce, pour deux raisons. Premièrement, même si le 519 Church Street Community Centre s’occupe effectivement des gais et des lesbiennes, il offre aussi des services à divers éléments de la collectivité. Deuxièmement, la Commission a procédé par analogie et a souligné que le simple fait de posséder une carte d’une bibliothèque ne prouve pas que le titulaire de la carte sait lire car les bibliothèques offrent différents services, notamment des enregistrements audio et vidéo, et elles ne font pas passer de tests d’alphabétisation à leurs membres.

 

[11]           Finalement, la Commission a conclu que les caractéristiques innées sont immuables et impossibles à changer et qu’elles établissent l’appartenance à un groupe social, conformément à l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. En conséquence, comme le demandeur n’a pas démontré que d’autres personnes au Nigéria l’identifieraient probablement comme étant homosexuel, il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi.

 

Les dispositions pertinentes de la Loi

[12]           La Commission a conclu que le demandeur d’asile n’avait pas démontré que d’autres personnes au Nigéria l’identifieraient probablement comme étant homosexuel, de sorte qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi. Les passages pertinents de cette disposition sont rédigés comme suit :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

[...]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

[. . .]

 


[13]           La Commission s’est aussi penchée sur la question de savoir si le demandeur avait qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi. Cette disposition prévoit ce qui suit :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail himself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

L’analyse

La norme de contrôle

[14]           La Cour doit d’abord déterminer la norme de contrôle qui s’applique à la présente affaire, laquelle repose entièrement sur les faits et sur la crédibilité du demandeur. Lorsqu’une conclusion de fait et la crédibilité sont en cause, le contrôle judiciaire n’est justifié que si la Cour est convaincue que la décision est manifestement déraisonnable. Voir Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), où le juge Décary a affirmé ce qui suit :

[3]   Il est exact, comme la Cour l’a dit dans Giron, qu’il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d’implausibilité qui résulte d’inférences que de faire réviser une conclusion d’incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n’a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d’un récit du champ d’expertise du tribunal, pas plus qu’elle n’a établi un critère d’intervention différent selon qu’il s’agit de « plausibilité » ou de « crédibilité ».

 

[4]   Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n’a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d’une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d’un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l’être. L’appelant, en l’espèce, ne s’est pas déchargé de ce fardeau.

 

 

[15]           Pour avoir gain de cause, le demandeur doit donc démontrer que la Commission ne pouvait raisonnablement pas tirer les conclusions qu’elle a tirées.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit?

[16]           La décision de la Commission renferme plusieurs défauts découlant de conclusions de fait erronées que celle‑ci semble avoir tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[17]           En premier lieu, comme l’avocat du demandeur le fait remarquer à juste titre, la Commission n’a pas bien interprété, bien compris ou bien appliqué la preuve documentaire relative au traitement réservé aux homosexuels au Nigéria.

 

[18]           Selon la preuve dont la Commission disposait, le demandeur avait une double vie. Il menait au grand jour une vie normale ressemblant à celle de son père : il avait été ordonné pasteur et avait une femme et deux fils. En même temps cependant, il entretenait en secret une série de relations homosexuelles au Nigéria, jusqu’à ce qu’il soit pris sur le fait. Le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il menait cette double vie parce qu’il craignait les homophobes au Nigéria et qu’il avait fui ce pays uniquement après avoir été découvert et battu pour avoir eu des relations sexuelles avec un homme.

 

[19]           La Commission a reconnu que, contrairement à ce qui se passe au Canada, les homosexuels ne sont pas du tout tolérés au Nigéria. En fait, le fait d’avoir des relations homosexuelles constitue une infraction dans ce pays. La Commission a affirmé :

Même si le demandeur d’asile a rappelé à la Commission que l’homosexualité est illégale au Nigéria, celle-ci conclut que le demandeur d’asile n’a pas qualité de personne à protéger au sens de la description qui figure dans cet article de la Loi. La Commission n’admet pas que le demandeur d’asile ait été perçu comme un homosexuel au Nigéria ni qu’il serait perçu comme tel à l’avenir, et ce, pour les raisons énumérées précédemment. Bien que l’homosexualité reste un anathème dans la culture nigériane, qu’elle ait été décrite comme quelque chose qui « attaque les valeurs fondamentales des hommes et des sociétés humaines » et, il faut en convenir, qu’elle est illégale, la Commission sait aussi qu’Amnistie internationale a déclaré que les tribunaux nigérians imposent rarement des peines pour l’homosexualité. Néanmoins, étant donné que les autres au Nigéria n’identifieraient probablement pas ce demandeur d’asile comme un homosexuel, la prise en compte des traitements ou peines cruels et inusités, ou de la torture, est une question théorique et abstraite.

 

[20]           Il était manifestement déraisonnable que la Commission conclue que le demandeur n’était pas homosexuel parce qu’il était très peu vraisemblable qu’un homosexuel soit le père de deux fils. La Commission n’a pas expliqué cette conclusion, ni sur quoi elle s’appuyait pour y parvenir, même si la preuve qui lui avait été présentée révélait que les homosexuels sont obligés d’avoir une double vie au Nigéria par crainte des conséquences qu’ils pourraient subir s’ils vivaient ouvertement avec un partenaire de même sexe. Comme la Commission n’a pas tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité du demandeur, il était manifestement déraisonnable qu’elle ne tienne pas compte de cette preuve et qu’elle conclue qu’il était très peu vraisemblable qu’un homosexuel soit le père de deux fils.

 

[21]           En plus de faire cette déclaration générale, la Commission n’a pas bien compris la preuve qui lui avait été présentée lorsqu’elle a dit qu’il n’était pas vraisemblable qu’un homme perçu comme étant homosexuel soit autorisé à devenir pasteur au Nigéria, où « les attitudes envers l’homosexualité n’ont pas encore évolué ». Même si elle pouvait raisonnablement conclure qu’elle n’avait observé aucun signe extérieur dans l’apparence du demandeur ou dans son attitude, reconnaissant ainsi qu’elle ne disposait pas d’un critère lui permettant d’établir l’homosexualité, elle a agi de façon abusive en ne tenant pas compte du fait que le demandeur est maintenant recherché par la police à cause de son homosexualité et du fait qu’il est considéré comme ayant déshonoré ses enfants, son épouse, sa famille, son église et sa communauté.

 

[22]           En outre, la Commission a commis des erreurs de fait importantes au sujet de la preuve produite au soutien de l’homosexualité du demandeur au Canada. Premièrement, elle a nettement eu tort d’affirmer que le demandeur avait admis, au cours de son témoignage, ne pas être engagé dans une relation homosexuelle au Canada au moment de l’audience. Il n’y a nulle part dans les transcriptions une telle admission de la part du demandeur. En fait, les transcriptions n’indiquent pas que la Commission ou les avocats ont posé au demandeur une question à ce sujet qui l’aurait amené à confirmer ou à nier qu’il était engagé dans une relation homosexuelle au Canada au moment de l’audience.

 

[23]           À cet égard, les transcriptions révèlent la présence d’un observateur dans la salle pendant l’audience. Cette personne a dit à la Commission qu’elle s’appelait Debo Abdul Dean Salam. M. Salam a présenté un affidavit signé le 28 janvier 2007, dans lequel il affirme notamment qu’il est homosexuel et qu’il est le partenaire du demandeur.

 

[24]           Selon les transcriptions, il n’y avait aucune preuve du fait que le demandeur était engagé dans une relation homosexuelle au Canada au moment de l’audience, si ce n’est l’affidavit de son partenaire homosexuel. C’est d’ailleurs ce que M. Salam corrobore lorsqu’il affirme avoir dit à la commissaire qu’il était le partenaire homosexuel du demandeur et qu’il n’était pas là pour témoigner, mais pour apporter un soutien moral au demandeur.

 

[25]           La présence de M. Salam a été consignée au dossier, mais la Commission n’a entendu aucun témoignage concernant sa relation avec le demandeur. Même si une discussion (inaudible aux fins de la transcription) a eu lieu entre M. Salam et la commissaire au sujet de sa relation avec le demandeur, cette discussion ne constituait pas un témoignage fait sous serment dont la Commission pouvait tenir compte dans son examen de la demande d’asile du demandeur. M. Salam était manifestement présent dans la salle d’audience. Il aurait pu témoigner pour le compte du demandeur, mais il ne l’a pas fait.

 

[26]           La Commission a néanmoins commis une erreur lorsqu’elle a mentionné que le demandeur avait admis qu’il n’était pas engagé dans une relation homosexuelle au Canada au moment de l’audience. Cette erreur est importante car la Commission a clairement indiqué que le fait que le demandeur n’avait pas pu s’identifier comme étant homosexuel au Canada était un facteur déterminant dans sa décision.

 

[27]           La Cour n’a aucune raison de douter des faits relatés dans l’affidavit puisque l’explication qui y est donnée est confirmée par la transcription : un interlocuteur non identifié a fait clairement une intervention sans utiliser de microphone, intervention qui est inaudible. De plus, le fait que la commissaire a reconnu cette personne non identifiée indique clairement qu’elle connaissait déjà cet observateur, y compris ses quatre noms.

 

[28]           En outre, la Cour estime qu’il est incongru que la Commission invite le demandeur à donner sa permission à cet observateur sans vérifier auparavant l’identité de cette personne. L’échange est cependant inaudible. Malgré cela et compte tenu des circonstances et de l’importante erreur de fait commise par la Commission au regard de la déclaration non confirmée attribuée au demandeur, la Cour conclut que cette erreur est importante en particulier parce que l’affidavit a été signé par une personne dûment assermentée devant un commissaire à l’assermentation du barreau de l’Ontario.

 

[29]           En plus de cet affidavit, le demandeur a produit une copie de sa carte de membre du 519 Church Street Community Centre dans le but de prouver ses liens avec une organisation de Toronto qui offre des services aux communautés gaie, lesbienne, transsexuelle et transgenre, et à d’autres minorités de cette ville, et qui ainsi soutient sa prétendue orientation sexuelle. La Commission rejette cette preuve pour deux raisons.

 

[30]           Premièrement, bien que le 519 Church Street Community Centre offre effectivement des services aux membres des communautés gaie et lesbienne, la Commission a pris connaissance d’office du fait que les activités de ce centre communautaire sont aussi axées sur divers éléments de la collectivité, comme les latinophones et les arts, et les festivals de théâtre et de cinéma. Deuxièmement, la Commission a procédé par analogie et a fait remarquer que le simple fait de posséder une carte d’une bibliothèque ne prouve pas que le titulaire de la carte sait lire puisque les bibliothèques fournissent toute une gamme de services pour répondre aux besoins de différentes personnes. De la même façon, le simple fait de posséder une carte de membre du 519 Church Street Community Centre ne prouve pas que le titulaire de la carte est un gai ou une lesbienne.

 

[31]           La Commission a mal appliqué les faits, ce qui l’a amenée à commettre une erreur qui justifie l’intervention de la Cour. Ainsi, il ressort clairement de la preuve documentaire dont la Commission disposait, en particulier du Formulaire de renseignements personnels (FRP), que le demandeur habite au 321, rue Jarvis, dans un quartier fréquenté surtout par la communauté gaie, au cœur duquel est situé le 519 Church Street Community Centre. De plus, la Commission affirme qu’elle a pris connaissance d’office de ce fait en consultant le site Web du centre à l’adresse suivante : « http//www:the519.org/programs/groups/arts/index.shtml ».

 

[32]           Un examen attentif de ce site Web complexe et détaillé révèle qu’outre les programmes, groupes et arts qui y sont énumérés, les membres des communautés gaie et lesbienne constituent la principale clientèle du centre. En fait, un examen superficiel du site suffit pour constater que le 519 Church Street Community Centre a pour mission de répondre aux besoins et aux préoccupations de tous les éléments de cette communauté particulière, qu’il s’agisse des latinophones ou des membres d’un autre groupe d’immigrants ou d’une autre minorité. L’extrait suivant est tiré de l’historique du centre figurant sur le site Web, à l’adresse suivante : http//www.the519.org/about/history.shtml :

[traduction] Les gais et les lesbiennes qui vivent dans la zone desservie par le 519 Church Street Community Centre ont été parmi les membres et les usagers du centre les plus actifs et les plus visibles. La plupart des groupes sont dirigés par des bénévoles, et leurs membres apprécient l’environnement sûr, l’accessibilité et le rôle du centre dans la collectivité.

 

[33]           La Cour est convaincue qu’il était manifestement déraisonnable pour la Commission de ne pas croire que le demandeur était membre du 519 Church Street Community Centre, une organisation qui offre des services aux membres de minorités comme lui, près du village gai de Toronto. La Commission a donc commis une erreur en ne prenant pas en considération toute la preuve dont elle disposait ou en l’interprétant erronément.

 

[34]           Pour tous ces motifs, la Cour estime que la Commission a commis une erreur de fait ou de droit en concluant que le demandeur n’avait pas établi son orientation sexuelle et, en conséquence, qu’il ne serait pas exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Nigéria. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

[35]           Les parties ont été invitées à proposer des questions importantes à des fins de certification, mais elles ont refusé de le faire.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.

 

  1. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour faire l’objet d’une nouvelle décision.

 

  1. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-4191-06

 

INTITULÉ :                                                           TUNJI DIRAN LEKE

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 26 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 22 AOÛT 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sina Ogunleye

 

              POUR LE DEMANDEUR

Sharon Stewart Guthrie

 

              POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sina Ogunleye

Toronto (Ontario)

 

              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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