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Date : 20070914

Dossier : IMM-3618-07

Référence : 2007 CF 909

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2007

En présence de monsieur le juge Frenette

 

ENTRE :

NAIR FATIMA BABOLIM

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

            VU la requête présentée par la demanderesse afin d’obtenir une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada vers le Brésil prévue en date du 16 septembre 2007;

 

            APRÈS examen des documents écrits présentés par les parties;

 

            APRÈS avoir entendu les observations orales des avocats lors d’une conférence téléphonique;

 

            ET COMPTE TENU de ce qui suit :

 

            (i)         Introduction

            La demanderesse sollicite une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prévue pour le dimanche 16 septembre 2007, jusqu’à l’issue de la demande d’autorisation et, si cette demande est accueillie, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire.

 

            (ii)        Décision de l’agent d’exécution

            La décision rendue par l’agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 5 septembre 2007 refusant d’accorder un report administratif du renvoi de la demanderesse est très brève, est présentée sous forme de lettre et contient peu de motifs, le cas échéant.

 

            La demanderesse allègue qu’il existe des circonstances exceptionnelles qui auraient dû convaincre l’agent d’exercer son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

            Sans empiéter sur la décision subséquente que rendra la Cour sur la demande de contrôle judiciaire, je ne peux faire fi des conséquences découlant des faits consignés au dossier.

 

(iii)               Énoncé des faits

            La demanderesse est une ressortissante du Brésil âgée de 40 ans.

 

            En 2003, elle a rencontré un dénommé « Vincent Randall « sur une plage du Brésil qui lui a dit qu’il était Canadien, en vacances au Brésil.

 

            Il est resté au Brésil jusqu’en février 2004, auquel moment il est revenu au Canada. La demanderesse et M. Randall sont tombés amoureux. Ils se sont fiancés et projetaient de se marier le 6 mai 2004. La demanderesse a suivi M. Randall au Canada en mai 2004, entrant au pays comme visiteur. Ils se sont mariés à Toronto le 11 septembre 2004. En 2005, M. Randall a parrainé la demande de résidence permanente au Canada de son épouse. Puis, il a commencé à se montrer agressif envers la demanderesse, en l’agressant physiquement et psychologiquement, en lui interdisant d’appeler la police et en menaçant de la tuer.

 

            Le 21 décembre 2005, des agents d’exécution de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ont arrêté la demanderesse et son époux, au motif qu’ils étaient des résidents illégaux. La police a informé la demanderesse que le nom de « Vincent Randall » était un faux nom, que le vrai nom de son époux était en fait « Carlos Batista Carpes », un résident du Brésil. En janvier 2006, il a été renvoyé au Brésil. La demanderesse a été autorisée à rester au Canada. Selon les éléments de preuve déposée au dossier, Carlos a communiqué avec la famille de la demanderesse au Brésil, menaçant de s’en prendre à cette dernière ou à sa fille (qui réside au Brésil), et blâmant la demanderesse pour son expulsion du Canada. Il a menacé de la tuer si elle retournait au Brésil.

 

            La famille a signalé la menace à la police brésilienne, qui n’a rien fait. Les éléments de preuve au dossier révèlent que certains policiers brésiliens sont corrompus et ne protègent pas les personnes qui déposent une plainte pour violence familiale. Des rapports crédibles émanant d’organismes internationaux concluent qu’il y a des cas incontestés de violence et de meurtres de la part de la police d’État (police militaire et civile). Au cours de l’année 2006, selon un rapport sur les pratiques en matière de droits de la personne, 3 000 détenus ont été tués par la police à Rio de Janeiro, au Brésil.

 

            La demanderesse craint pour sa vie ainsi que pour celle de sa famille et de sa fille si elle était forcée de retourner au Brésil. Le risque a été signalé aux agents chargés des renvois, de même que les documents sur les services de police au Brésil.

 

            (iv)       Dispositions législatives applicables

            La Cour suprême du Canada a établi un critère à trois volets afin de déterminer si une injonction interlocutoire devrait être accordée jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le fond d’une affaire; il s’agit d’établir :

1.                  s’il y a une question sérieuse à juger;

 

2.                  si la partie qui cherche à obtenir l’injonction interlocutoire subirait, si elle n’était pas accordée, un préjudice irréparable;

 

3.                  d’après la prépondérance des inconvénients, laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond.

 

Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110;

RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311,

 

un critère appliqué par la Cour d’appel fédérale pour surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion dans l’arrêt Toth c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.).

 

(v)        Analyse

                        1-         Y a-t-il une question sérieuse?

            Dans une requête en sursis, la norme de preuve est élevée pour donner lieu à une question sérieuse, et la Cour doit examiner attentivement si, sur le fond, la question sous-jacente a des chances d’être retenue.

            Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148

 

            En outre, « [...] S’il existe une mesure de renvoi valable et exécutoire, le renvoi immédiat devrait être la règle, et le report l’exception. ».

            Chowdhury c. (Procureur général), 2006 CF 663, au paragraphe 4

 

            En l’espèce, nous sommes en possession d’une note de l’agent décideur, même si cette note n’a aucun effet obligatoire, et, malgré cela, nous ne connaissons pas les raisons exactes justifiant le refus de reporter le renvoi. Il est vrai que, sur cette question, la jurisprudence de la Cour faisant autorité en la matière établit qu’une telle décision administrative n’exige pas que l’agent de renvoi rende une décision concrète ou formelle pour surseoir au renvoi étant donné la portée restreinte de la fonction qu’il remplit en vertu de l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

            Tran c. Canada (Solliciteur général), 2006 CF 1240, au paragraphe 16;

            Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1161, au paragraphe 11

 

           

            Un agent d’exécution a un pouvoir discrétionnaire restreint pour retarder l’exécution de la mesure de renvoi, mais il peut tenir compte de « facteurs ayant une incidence sur la sécurité ou la santé de la personne renvoyée »; voir les décisions suivantes : Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 614; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148. La norme de contrôle correspond à celle de la décision manifestement déraisonnable; voir les décisions suivantes : Harb c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CAF 39, au paragraphe 14; Chir c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 242.

 

            En résumé, même si le pouvoir discrétionnaire de l’agent est restreint, quand il existe des facteurs tels que la maladie ou d’autres problèmes et qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est en instance, et non tranchée à cause d’arriérés dans le système, il convient d’accorder un report.

            Simoes c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM-2775-00, le 16 juin 2000, au paragraphe 11

           

            En l’espèce, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été déposée il y a 20 mois, et je suis d’avis que, dans les circonstances décrites précédemment, une question sérieuse doit être débattue relativement au risque couru au Brésil, et l’agent n’y a pas fait référence. Dans un tel cas de risque potentiel, comme le juge Barnes l’a écrit dans la décision Gonzalez Perea c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-3090-07, le 8 août 2007, en voyant la gravité des allégations relatives aux menaces de mort, un juge doit faire preuve de prudence. Par conséquent, je pense qu’il y a un risque sérieux à examiner en l’espèce.

 

                        2-         Préjudice irréparable

            La demanderesse doit satisfaire au critère du préjudice irréparable. Il a été établi que « [...] l’allégation d’un préjudice irréparable ne doit pas être une simple hypothèse ni être fondée sur une série de possibilités. »

           Akoyl c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, aux paragraphes 6 et 7

 

            Je suis d’avis que la demanderesse a établi qu’elle est susceptible de subir un préjudice irréparable si elle retourne au Brésil. Elle a été victime de violence familiale de la part de son époux. Il l’a menacée de mort et a menacé de mort sa fille et sa famille au Brésil, ce qui a justifié une plainte déposée au service de police, lequel n’a rien fait jusqu’ici. Au Brésil, la loi interdit la violence familiale, mais, dans les faits, selon la preuve documentaire, cette violence est généralisée et sous-déclarée. De plus, selon ces mêmes éléments de preuve, la police brésilienne a la réputation d’être violente et de se rendre coupable d’homicides. Par conséquent, je suis d’avis que le critère du préjudice irréparable à la demanderesse a été respecté.

 

                        3-         Prépondérance des inconvénients

            Le troisième critère consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou que l’on refuse le sursis. D’une part, il ne fait aucun doute que l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit qu’une mesure de renvoi exécutoire doit être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

            D’autre part, la demanderesse n’a aucun casier judiciaire et ne constitue pas un danger pour le public ou la sécurité du Canada. Elle pourrait subir un préjudice irréparable si elle était renvoyée au Brésil avant que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée.

            Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no1440 (QL)

            Smith c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 1069 (QL)

 

            Par conséquent, les conditions requises ont été remplies.

 

POUR TOUTES CES RAISONS, LA COUR ORDONNE :

            -           La requête en vue d’obtenir une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, prévue le 16 septembre 2007, est accordée, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente.

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3618-07

 

INTITULÉ :                                       NAIR FATIMA BABOLIM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AL.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 septembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       Le juge Frenette

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 septembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Blanshay

 

POUR LA DEMANDERESSE

Angela Marinos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Blanshay

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous ministre de la Justice et

sous-procureur général

POUR LE DÉFENDEUR

 

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