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Date : 20070914

Dossier : IMM-4477-06

Référence : 2007 CF 911

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2007

En présence de Madame la juge Dawson

 

ENTRE :

 

EMMANUEL MONOH HOWBOTT

 

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        M. Howbott est un citoyen du Libéria qui prétend avoir droit à l’asile. Sa demande a été entendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR). Elle a conclu qu’il ne pouvait pas obtenir l’asile en raison de l’alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention), lequel prévoit que les personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité (au sens de certains instruments internationaux) n’ont pas droit à l’asile.

[2]        En l’espèce, la SPR a conclu qu’il existait des raisons sérieuses de penser qu’en tant que membre et informateur du Parti patriotique national (le NPP) M. Howbott avait été complice d’un crime de guerre et de crimes contre l’humanité. Le crime de guerre en question était le fait de veiller à ce que des enfants‑soldats soient forcés de combattre. M. Howbott ne conteste pas cette conclusion. Même s’il n’est pas certain qu’un crime de guerre puisse être commis dans le contexte d’une guerre civile (voir Bermudez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 860 (1re inst.)), je suis convaincue que cette conclusion était superflue et qu’elle n’était pas importante au regard de la décision de la SPR, qui portait principalement sur la question de la complicité de crimes contre l’humanité. Les crimes contre l’humanité en cause étaient notamment des meurtres, des viols et des actes de torture. M. Howbott ne conteste pas la conclusion de la SPR selon laquelle le NPP a commis de manière systématique de très nombreux meurtres, viols et actes de torture à l’égard de civils.

 

[3]        Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la présente demande de contrôle judiciaire devait être rejetée parce que les conclusions de fait de la SPR n’étaient pas manifestement déraisonnables, que la SPR a correctement tenu compte de l’importance du rôle de M. Howbott au sein du NPP et qu’elle a examiné de façon appropriée la question de savoir si M. Howbott avait participé personnellement et sciemment aux crimes contre l’humanité commis par le NPP.

 


[4]        Au cours des plaidoiries, on a soutenu pour le compte de M. Howbott que la SPR a commis les erreurs suivantes :

 

1.         elle n’a pas tenu compte du fait que M. Howbott avait essayé à deux reprises de quitter le NPP;

2.         elle n’a pas tenu compte du fait que le NPP n’était pas engagé dans une guerre civile en 1997, lorsque M. Howbott en est devenu membre;

 

3.         elle ne s’est pas intéressée aux actes précis commis par M. Howbott et n’a pas tenu compte des [traduction] « bonnes choses » qu’il avait faites pour la population de son pays;

 

4.         l’analyse qui l’a amenée à conclure que M. Howbott était un membre informé du NPP, une organisation qui commettait de manière systématique de très nombreuses violations des droits de la personne à l’endroit de civils, n’était pas suffisante.

 

[5]        L’avocat de M. Howbott a fait savoir qu’il laissait tomber la prétention contenue dans ses documents écrits selon laquelle la SPR a commis une erreur en omettant d’examiner la question de savoir si M. Howbott aurait été une personne à protéger n’eût été l’application de l’alinéa 1Fa). Il a eu raison de faire une concession à cet égard, compte tenu des décisions judiciaires comme Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1142, au paragraphe 38 (C.A.), et Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.).

 

[6]        J’examinerai maintenant chacune des erreurs alléguées.

 

1.  La SPR a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que M. Howbott avait essayé à deux reprises de quitter le NPP?

[7]        Dans son témoignage, M. Howbott a affirmé qu’il avait essayé de quitter le NPP en 1999, puis en 2000, mais que, chaque fois qu’il a cessé de fournir de l’information, il a été arrêté et battu. Il dit qu’il craignait d’être torturé s’il cessait de fournir des renseignements au NPP. La SPR a rejeté ce témoignage pour deux raisons. Premièrement, M. Howbott n’a pas parlé de ses tentatives de quitter le NPP lors de son entrevue au point d’entrée ou dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP). Dans son FRP, il a simplement écrit qu’il avait quitté le mouvement [traduction] « en août 2003, lorsque Charles Taylor a été évincé du pouvoir. Je pensais qu’il n’y avait plus d’avenir pour moi dans ce mouvement. » Deuxièmement, M. Howbott a dit dans son témoignage qu’il était toujours considéré comme un informateur fiable, même après avoir été arrêté. Selon la SPR, il était invraisemblable que M. Howbott ait toujours été considéré comme une personne digne de confiance après avoir tenté de quitter le NPP. À mon avis, on ne peut pas dire que ces conclusions sont manifestement déraisonnables. La SPR avait le droit de conclure que si M. Howbott avait réellement fait des efforts pour quitter le NPP, il en aurait fait mention dans son FRP ou au point d’entrée, au lieu de dire qu’il avait quitté le NPP parce qu’il n’y avait plus d’avenir pour lui dans ce mouvement.

 

[8]        M. Howbott prétend que la SPR a agi de manière manifestement déraisonnable en rejetant son témoignage selon lequel il avait essayé de quitter le NPP lorsque, pour conclure qu’il était conscient de la nature brutale du NPP, elle s’est appuyée sur le fait qu’il disait craindre d’être torturé s’il quittait le mouvement. Je conviens que la SPR aurait dû expliquer pourquoi elle ajoutait foi à la crainte de torture du demandeur alors qu’elle a rejeté son témoignage au sujet de ses efforts pour quitter le NPP. La conclusion de la SPR selon laquelle M. Howbott connaissait la nature brutale du NPP est toutefois étayée par une preuve abondante. À cet égard, M. Howbott a affirmé dans son témoignage que sa mère avait été torturée par le Front patriotique national du Libéria, l’ancêtre du NPP; qu’au moment où il est devenu membre du NPP il savait que celui‑ci avait commis des atrocités puisqu’il avait été témoin de certaines de celles‑ci; qu’il savait que le NPP avait continué à commettre des violations des droits de la personne après son arrivée au pouvoir; qu’il savait qu’un grand nombre de personnes avaient été arrêtées et torturées par le NPP.

 

2. La SPR a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en compte le fait que le NPP n’était pas engagé dans une guerre civile en 1997, lorsque M. Howbott en est devenu membre?

[9]        Comme je l’ai mentionné précédemment, M. Howbott a indiqué clairement dans son témoignage qu’il savait, lorsqu’il est devenu membre du NPP, que celui‑ci avait commis des atrocités puisqu’il avait été témoin de certaines d’entre elles. En conséquence, il n’était pas nécessaire que la SPR examine la question de savoir si le NPP était engagé dans une guerre civile en 1997.

 

3. La SPR a-t-elle omis de s’intéresser aux actes précis commis par M. Howbott et de prendre en compte des [traduction] « bonnes choses » qu’il avait faites pour la population de son pays?

[10]      La SPR n’a pas omis de s’intéresser aux actes précis commis par M. Howbott. Elle a tiré les conclusions de fait suivantes :

 

(i)                  M. Howbott a été un informateur du NPP de 1999 à 2003. Il recueillait des renseignements sur toute personne constituant une menace pour le NPP, qu’il transmettait ensuite à un autre informateur ou à un colonel de l’armée;

 

(ii)                il a été adjudant et, à ce titre, il assignait du travail aux soldats le long de la frontière avec la Côte d’Ivoire; il s’est aussi rendu sur le front pour combattre [traduction] « les ennemis » et a pris part à une bataille armée;

 

(iii)               il a recueilli des renseignements sur des soldats qui harcelaient des civils et qui se livraient au pillage;

 

(iv)              il s’est posté à un point de contrôle afin de s’assurer que les soldats ne battaient pas en retraite et il a transmis des renseignements sur des soldats;

 

(v)                il a fourni des [traduction] « renseignements en temps utile » au gouvernement contrôlé par le NPP, et les renseignements ont soutenu directement les efforts des forces de sécurité et du NPP dans le cadre de la guerre civile;

 

(vi)              il a supervisé d’autres informateurs.

 

[11]      En ce qui concerne les [traduction] « bonnes choses » qu’il aurait faites, M. Howbott a affirmé dans son témoignage qu’il avait travaillé lors d’une campagne électorale et avait encouragé les gens à voter pour le NPP. Il a ajouté que les biens pillés avaient été remis aux civils après qu’il eut transmis des renseignements sur les soldats qui se livraient au pillage. La SPR a rejeté le témoignage de M. Howbott sur ce dernier point parce qu’il contredisait l’information qu’il avait lui‑même donnée au point d’entrée. Je suis convaincue cependant que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en ne s’attardant pas sur les [traduction] « bonnes choses » que M. Howbott aurait faites. La SPR a eu raison de s’intéresser plutôt à la question de savoir si ce dernier avait été complice de crimes contre l’humanité.

 

4. L’analyse qui a amené la SPR à conclure que M. Howbott était un membre informé du NPP, une organisation qui commettait d’une manière systématique de très nombreuses violations des droits de la personne à l’endroit de civils, était‑elle suffisante?

[12]      Comme je l’ai indiqué précédemment, il a été admis que le NPP avait commis de manière systématique de très nombreuses violations des droits de la personne à l’endroit de civils. Il reste à déterminer si l’analyse qui a amené la SPR à conclure que M. Howbott était un membre informé du NPP était suffisante. M. Howbott prétend que la SPR n’a pas examiné la question de savoir si les renseignements qu’il fournissait avaient réellement mené à des violations des droits de la personne, et il dit que la preuve ne démontre pas qu’il avait connaissance des atrocités commises par le NPP ou qu’il en avait été témoin.

 

[13]      À mon avis, ces prétentions ne sont pas fondées. La Cour d’appel fédérale a décidé qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que les crimes contre l’humanité commis par une organisation sont nécessairement et directement attribuables à des omissions ou à des actes précis du demandeur d’asile. Dans le cas d’un informateur, la Cour a écrit : « Quand un délateur comme l’intimé a sciemment livré aux personnes qui se trouvent à l’échelon le plus violent de la chaîne de commandement le nom de leurs victimes, il peut difficilement prétendre, comme il le fait : [traduction] “ Vous ne pouvez pas prouver qu’une des personnes que j’ai dénoncées a en fait été tuée ou torturée ”. » Voir Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 66, aux paragraphes 31 et 36 (C.A.).

 

[14]      En ce qui concerne la connaissance que M. Howbott avait des atrocités commises par le NPP, il a été mentionné précédemment que ses admissions étaient claires.

 

[15]      Quant à la question de savoir si l’analyse de la SPR était suffisante, je suis d’accord avec l’avocate du défendeur lorsqu’elle dit que la structure des motifs de la SPR laissait à désirer. De plus, alors que la SPR a examiné la preuve de façon approfondie et qu’elle a tiré un certain nombre de conclusions de fait, son analyse de la preuve, en particulier l’application des faits au droit applicable, n’était pas aussi détaillée qu’on l’aurait espéré. Je crois cependant qu’il ressort clairement de l’ensemble de ses motifs :

 

            (i)         qu’elle ne s’est pas limitée à la simple appartenance au NPP;

 

(ii)        qu’elle a conclu que le NPP avait commis de manière systématique de très nombreux crimes contre l’humanité à l’égard de civils, notamment des meurtres, des viols et des actes de torture;

 

(iii)       qu’elle a conclu que M. Howbott était clairement au courant des violations des droits de la personne commises par le NPP, notamment des meurtres, des viols et des actes de torture commis à l’égard de civils;

 

(iv)       qu’elle a convenu que, à titre d’informateur, M. Howbott avait facilité la perpétration de meurtres, de viols et d’actes de torture en identifiant des personnes, dont des civils, auxquelles le NPP devait s’en prendre;

 

(v)        qu’elle n’a pas accepté le témoignage de M. Howbott selon lequel il avait tenté de quitter le NPP. Elle a plutôt conclu qu’il était resté membre de ce parti jusqu’à ce que Charles Taylor ne soit plus au pouvoir et qu’il estime qu’il n’y avait plus d’avenir pour lui dans le mouvement.

 

[16]      À mon avis, ces conclusions justifiaient, en droit, la conclusion de la SPR selon laquelle M. Howbott ne pouvait pas obtenir l’asile en raison de l’alinéa 1Fa) de la Convention parce qu’il avait été complice de crimes contre l’humanité.

 

[17]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats n’ont proposé aucune question à des fins de certification, et je suis d’avis que la présente affaire ne soulève aucune telle question.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-4477-06

 

INTITULÉ :                                                           EMMANUEL MONOH HOWBOTT

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 5 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                  LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 14 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Johnson Babalola                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Marissa Bielski                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Odeleye                                                       POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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