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Date :  20070924

Dossier :  IMM-527-07

Référence :  2007 CF 910

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

ANA YOLANDA MARTINEZ DE QUIJANO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi) à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) datée du 9 janvier 2007. Le tribunal a conclu que la demanderesse était exclue du système de protection des réfugiés.

 

 

QUESTION EN LITIGE

[2]               Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de cette Cour?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la réponse à cette question est négative et la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

CONTEXTE FACTUEL

[4]               Citoyenne salvadorienne, la demanderesse est née à San Salvador, le 17 septembre 1960.

 

[5]               En 1978, elle adhère à la Brigade révolutionnaire des étudiants (BRES), l’aile estudiantine d’un mouvement politico-militaire affilié au Front Farabundo Marti de Libération nationale (FMLN) qui est reconnu pour ses luttes armées de guérilla avant que le mouvement devienne un parti politique légal en 1992.

 

[6]               La demanderesse collabore avec le FMLN de 1978 à 1994, partage l'idéologie révolutionnaire et travaille pendant de nombreuses années en tant que volontaire au sein du mouvement. Elle aide le FMLN à organiser des marches de protestation et des réunions. Elle est responsable de la gestion financière et de la comptabilité, s'occupe de prendre les présences lors des réunions, distribue l'ordre du jour ainsi que le café, stylos et papiers.

 

[7]               Elle s'implique de nouveau auprès de cette organisation durant le mois de janvier 2003. Elle s'occupe de la vérification et du contrôle des fonds pour la campagne électorale. C'est à cette occasion qu'elle découvre l'existence d’un détournement de fonds pour l'achat clandestin d'armes. Face aux risques qu'elle pourrait encourir si elle révélait à quiconque cette situation, la demanderesse démissionne au bout d’un mois.

 

[8]               Elle commence alors à recevoir des appels téléphoniques et des lettres anonymes de menaces de mort. Elle est ensuite harcelée et certains de ses biens sont détruits.  En mars 2004, elle est menacée avec un pistolet et le 29 juillet de la même année, victime de viol. Elle s'enfuit le 5 août 2004 aux États-Unis et ensuite au Canada, où elle présente sa demande d’asile le jour de son arrivée, soit le 18 août 2004.

 

DÉCISION CONTESTÉE

 

[9]               Le tribunal examine la demande d’exclusion aux termes des alinéas 1F(a) et 1F(c) de l’article premier de la Convention. Le représentant du Ministre soutient que la demanderesse est complice de la commission de violations des droits humains pour avoir été membre du FMLN, un parti ayant commis des crimes contre la paix, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies. La demande d’exclusion est fondée sur les faits suivants :

a)      son adhésion au FMLN est volontaire;

 

b)      l'existence de sa participation comme membre du mouvement pendant 16 ans et le renouvellement de sa collaboration en janvier 2003;

 

c)      elle fait partie de l’élite du parti;

 

d)      sa connaissance de la nature et des abus commis démontrés par la pièce M-4, (United States Institute of Peace Library, Truth Commissions : Reports : El Salvador (pp. 46 à 77 du dossier du demandeur); et

 

e)      le fait qu'elle ne s'est jamais dissociée de l'idéologie de ce groupe.

 

 

[10]           La demanderesse a eu l'occasion de se faire entendre et de déposer des documents lors de trois audiences tenues les 20 avril, 14 septembre et 20 octobre 2006. Le tribunal en a conclu que les deux facteurs constitutifs de la complicité, c'est-à-dire la connaissance et l'intention commune étaient présents dans cette cause.

 

[11]           Le tribunal s'est déclaré satisfait que la demanderesse fût bel et bien complice par association dans la commission de la violation des droits humains par le FMLN. La participation volontaire de l'aveu même de la demanderesse à ce mouvement et la connaissance de cette dernière des buts visés et les moyens pour y arriver de l'organisation constituent les éléments essentiels de l'analyse du décideur.

 

[12]           Ensuite, le poste qu'occupait la demanderesse lui a permis d'avoir accès à des informations privilégiées. Elle a reconnu l'existence d'abus, crimes et violence politiques de la part du FMLN en ajoutant que malgré tout, elle était pacifiste. Enfin, le tribunal n’a pas été satisfait de la réponse de la demanderesse selon laquelle elle avait peur des représailles car elle n’a jamais cherché à obtenir l’asile aux États-Unis, malgré plusieurs visites au cours de ces années.

 

[13]           Quant à l’intention commune, le tribunal a décidé que les conditions étaient réunies pour l'établissement de la complicité soit : la participation personnelle et directe de la demanderesse pendant 16 ans au sein d’un mouvement révolutionnaire et insurrectionnel reconnu pour ses actes de violence, et sa connaissance des atrocités non seulement pendant la guerre civile salvadorienne mais aussi après l’accord de paix signé en 1991.

 

[14]           Bien que la demanderesse n’ait jamais personnellement pris part aux actes de violence, il n’en demeure pas moins que les dirigeants du FMLN avaient une grande confiance en elle en lui laissant le soin de préparer des tracts pour les marches de protestation, la rédaction de l’ordre du jour des réunions, et l'accès à des documents financiers secrets.  Selon le décideur, la demanderesse partageait la même idéologie que le FMNL.

 

Législations pertinentes

[15]                  L’article 98 de la Loi exclut la personne visée à la section F de l’article premier de la Convention qui prévoit ce qui suit :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Exclusion — Refugee Convention

 98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

[16]                  La section F de l’article premier de la Convention, et en particulier les alinéas 1F a) et 1F c), traite de l’exclusion. Ces extraits prévoient ce qui suit :

ANNEXE

(paragraphe 2(1))

SECTIONS E ET F DE L’ARTICLE PREMIER DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES RELATIVE AU STATUT DES RÉFUGIÉS

 

[. . .]

 

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

[. . .]

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

SCHEDULE

(Subsection 2(1))

SECTIONS E AND F OF ARTICLE 1 OF THE UNITED NATIONS CONVENTION RELATING TO THE STATUS OF REFUGEES

 

[. . .]

 

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

[. . .]

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

Analyse

Norme de contrôle

[17]           Je réitère ici l'analyse faite dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Molebe, 2007 CF 137, [2007] A.C.F. no 187 (QL) portant sur l’exclusion en vertu des alinéas 1F(a) et 1F(c) de l’article premier de la Convention. Dans la cause qui nous occupe, il s’agit de conclusions de faits tirées de l’ensemble des éléments de preuve. Pour réussir, la demanderesse doit démontrer que la décision du tribunal est manifestement déraisonnable.

 

L’intervention de la Cour est-elle justifiée?

[18]           Avec respect, je ne crois pas que l'intervention de la Cour puisse être justifiée. La demanderesse reproche au tribunal de ne pas avoir suffisamment détaillé sa décision au sujet du FMLN comme organisation reconnue pour avoir commis des crimes contre l’humanité. Elle ajoute que le tribunal a erré en tirant une inférence déraisonnable de la preuve pour en arriver à reconnaître l'existence de la connaissance et de l'intention commune. Elle s'objecte à la conclusion du tribunal d’avoir conclu qu'elle était complice des actes de violence commis par le FMLN.

 

[19]           Après analyse de l'ensemble la preuve ainsi que des représentations orales et écrites des parties, je suis satisfait que la décision du tribunal ne rencontre pas les critères de la décision manifestement déraisonnable. En effet, la demanderesse de façon volontaire a participé activement pendant 16 ans selon le tribunal (mais pendant 25 ans selon la preuve) à une organisation reconnue pour ses activités contre les droits de la personne et ceci sans la dénoncer malgré le fait qu'elle savait que des abus et des crimes étaient commis.

 

[20]           L'analyse par le tribunal des faits pour en arriver à l'établissement de la complicité ne peut pas être qualifiée de manifestement déraisonnable. Même si la demanderesse n'était pas une tête dirigeante de l'organisation, elle avait la confiance de ce mouvement par l'accès aux documents confidentiels soit la gestion financière et la diffusion de l'information.

 

[21]                  Les parties n'ont pas soulevé de question à certifier et ce dossier n'en contient aucune.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-527-07

 

INTITULÉ :                                       ANA YOLANDA MARTINEZ DE QUIJANO ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                           L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 29 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 24 septembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Peter Shams                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Thi My Dung Tran                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre Grenier, s.e.n.c.                                         POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LA DÉFENDERESSE 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

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