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Date : 20070920

Dossier : IMM-5079-06

Référence : 2007 CF 944

Toronto (Ontario), le 20 septembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

BERNARD MWAURA MUCHAI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un adulte et est citoyen du Kenya. Il a revendiqué le statut de réfugié au Canada, mais on le lui a refusé. Le membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), Section de la protection des réfugiés, a conclu dans sa décision écrite du 29 août 2006 que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger; par conséquent, il a rejeté la demande. Plus particulièrement, le commissaire a conclu que le demandeur avait volontairement fait partie de la secte Mungiki au Kenya, une organisation qui avait commis des crimes contre l’humanité, notamment des crimes contre des populations civiles et de graves crimes de droit commun, comme ceux proscrits par les alinéas 1Fa) et b) de la Convention de Genève. De plus, le commissaire a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son obligation de prouver qu’il risquait vraisemblablement d’être persécuté pour un motif prévu dans la Convention, c’est‑à‑dire qu’il était plus probable que non qu’il soit exposé personnellement au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de peines ou traitements cruels et inusités s’il retournait au Kenya.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande doit être rejetée.

 

[3]               Le demandeur déclare avoir fait carrière en tant que photographe et fait ses débuts en 1989 auprès du ministère de l’Information et de la Radiodiffusion au Kenya. En 1995, il s’est rendu à Londres, en Grande-Bretagne, où il a poursuivi cette carrière. En 2001, le demandeur est retourné au Kenya, où il a poursuivi sa carrière à la pige. En septembre 2005, il a présenté sa première demande d’autorisation d’entrer au Canada à titre de visiteur pour visiter des studios de photographie, mais cette demande fut refusée. Parallèlement, il avait présenté une demande de visa pour se rendre aux États-Unis, qui fut aussi refusée. Le demandeur a présenté une deuxième demande de visa pour visiter le Canada et un visa lui a été accordé. Lorsqu’il est arrivé au Canada muni de ce visa, les agents de l’immigration l’ont longuement interrogé et, à ce moment‑là, il a revendiqué le statut de réfugié. Le demandeur fait valoir qu’au moment où il a présenté ses premières demandes de visa pour visiter le Canada et les États-Unis, la police du Kenya a effectué une perquisition chez lui et a saccagé sa maison. Selon le demandeur, cette perquisition a eu lieu parce qu’il était membre d’une organisation connue sous le nom de secte Mungiki.

 

[4]               Le demandeur s’est joint à la secte Mungiki en 2002, c’est‑à‑dire une fois de retour au Kenya après son séjour en Grande-Bretagne. Il admet volontiers s’être joint à la secte et d’en avoir été membre volontairement. Il a même présenté une carte d’adhérent au commissaire qui entendait l’affaire. Le demandeur prétend que la secte est un groupe composé de différents éléments et qu’il y a des personnes mauvaises qui ne font pas partie de ce groupe, mais qui agissent en son nom. Il admet qu’il y a sans aucun doute des gens mauvais qui agissent au nom de la secte, mais qu’il est impossible de les arrêter. Le demandeur affirme qu’il est contre la violence et qu’il a adhéré à la secte parce qu’il s’intéresse à l’histoire culturelle du Kenya ainsi qu’aux droits de la personne et à la création d’un parti politique différent au Kenya. Il admet que la secte Mungiki a été condamnée par le gouvernement du Kenya et que ses membres sont passibles d’arrestation. Cependant, le demandeur fait valoir que chaque parti politique du Kenya pratique la violence et l’intimidation, et que le gouvernement même encourage des criminels à se livrer à des activités violentes au nom de la secte Mungiki.

Le commissaire a examiné les éléments de preuve du demandeur et les autres éléments de preuve présentés. Il a affirmé que la tyrannie, quelle que soit la noblesse de la cause pour laquelle on prétend l’exercer, c’est la tyrannie, et qu’il vaut mieux laisser les tribunaux du Kenya se prononcer sur toute argumentation ayant trait aux différents secteurs de la secte Mungiki. Le commissaire a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve digne de foi lui permettant de conclure que la secte Mungiki compte deux différents secteurs. Je suis d’accord avec lui quant à cette conclusion. À l’exception des affirmations du demandeur, aucune preuve ne démontre que la secte Mungiki comprend un secteur de bienfaisance ou un secteur sans violence. Les autres éléments de preuve établissent de façon accablante que le groupe Mungiki n’est pas fondé sur une affiliation à une religion particulière, mais qu’il fait plutôt penser à une unité de l’armée dont les membres se servent de fusils d’assaut. Ce groupe est associé à l’extorsion, à des meurtres, à des ventes de drogues illicites et au phénomène des milices privées; il s’agit véritablement d’une armée secrète capable de commettre des massacres.

 

[5]               Il ressort de l’examen du dossier que les conclusions du commissaire à l’égard de la secte Mungiki, qui sont énoncées à la page 9 de ses motifs, ne sont pas déraisonnables, notamment le paragraphe suivant :

Compte tenu de la preuve documentaire accablante contenue dans la preuve déposée par la conseil de la ministre, il fait peu de doute que les Mungikis visent une seule fin brutale. Il semble que cette fin soit de dominer en ayant recours au meurtre et à l’intimidation. De manière similaire, il ne fait pratiquement aucun doute que le demandeur d’asile était informé de ces faits et qu’il est demeuré, en toute connaissance de cause, membre de cette organisation. Le demandeur d’asile a partagé un objectif commun, le renversement des valeurs kenyanes contemporaines dans le but de restaurer la religion et la culture traditionnelle des Kikuyus.

 

 

[6]               De plus, à la page 9 de ses motifs, le commissaire reconnaît qu’aucune preuve ne démontre que le demandeur a participé personnellement aux atrocités commises par la secte Mungiki. Cependant, il s’est appuyé sur les principes énoncés dans la décision Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306, pour rendre sa décision.

 

[7]               J’ai réexaminé la règle de droit qui s’applique lorsqu’on conclut qu’une personne est membre d’une organisation ayant commis des atrocités, mais sans avoir de preuve démontrant que cette personne a participé directement à ces activités (Bedoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1092). La décision rendue dans l’affaire Ramirez, susmentionnée, doit être prise en compte à la lumière des décisions ultérieures, notamment celle de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mugesera, 2005 CSC 39, et celle de la Cour dans l’affaire Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1356. J’ai conclu ce qui suit dans l’affaire Bedoya, aux paragraphes 11 et 12 :

[11] En droit, le critère appliqué par la Commission semble donc correct, puisqu'elle a examiné si le demandeur Sanchez « était au courant de ces opérations et qu'il y a participé » et s'il était un « complice » de crimes contre l'humanité.


[12] La Cour doit donc se demander si les conclusions de fait de la Commission au soutien de ses conclusions de droit étaient « manifestement déraisonnables » , eu égard à la norme de preuve à laquelle était tenu le ministre, c'est-à-dire une norme « moindre que la prépondérance des probabilités » . Sur ce point, la jurisprudence énumère divers facteurs de « complicité » dans des situations telles que celles dont la Cour est maintenant saisie. J'accepte le résumé de ces facteurs qui est présenté par l'avocat du ministre au paragraphe 32 du mémoire complémentaire du défendeur:

 

a.                     la nature de l’organisation;

b.                     la méthode de recrutement;

c.                     le poste ou le grade au sein de l’organisation;

d.                     la période de temps passée dans l’organisation;

e.                     la possibilité de quitter l’organisation;

f.                                   la connaissance des atrocités commises par l’organisation.

[8]               En regard des critères énoncés aux alinéas a) à f) ci‑dessus, la preuve démontre que le demandeur s’est joint sciemment à la secte Mungiki en 2002 et qu’il en est demeuré membre à tout le moins jusqu’à son arrivée au Canada, à la fin de 2005. Il semble que, au moment de se joindre à l’organisation, le demandeur fût au courant qu’elle commettait des atrocités. Il aurait pu quitter l’organisation à plusieurs reprises; le gouvernement du Kenya avait même offert une amnistie et sa protection. Nous ne connaissons ni son grade ni son poste au sein de l’organisation, mais ils ne semblent pas avoir été très élevés, tout au moins publiquement. 

 

[9]               Le commissaire a conclu ce qui suit à la page 10 de ses motifs :

La Commission conclut donc que le demandeur d’asile a été sciemment complice d’une organisation visant principalement une seule fin brutale et a partagé un objectif commun à la secte Mungiki, du fait qu’il était suffisamment informé de la violence de la secte pour faire part de ses inquiétudes aux chefs des Mungikis. Toutefois, en dépit de ses propres hésitations, le demandeur d’asile est demeuré membre de la secte jusqu’à son départ du Kenya en octobre 2005. De plus, il a reconnu qu’il partageait l’opinion de ses confrères Mungikis, à savoir que la situation idéale pour la tribu Kikuyu serait que les Mungikis saisissent le pouvoir et recréent la culture et la religion ancestrales au Kenya.

 

En conséquence, la Commission conclut qu’il existe des motifs sérieux de croire que le demandeur a participé sciemment à de telles actions au Kenya et, du fait de sa participation aux activités de la secte Mungiki, l’asile lui est refusé en raison de crimes contre l’humanité, dont des crimes commis contre des populations civiles et de graves crimes de droit commun.

 

 

[10]           Ces conclusions ne sont pas déraisonnables eu égard à la preuve présentée à la Commission.

 

[11]           Étant donné que le demandeur s’est joint volontairement à la secte Mungiki, sachant qu’elle était une organisation qui avait commis des atrocités, qu’il est volontairement demeuré membre de ce groupe même s’il avait la possibilité de s’en extirper, et qu’il a fait valoir son désir de s’y affilier tout au long de l’audience, il était raisonnable que le commissaire conclue que le demandeur était « complice » des atrocités commises par la secte Mungiki au sens de l’alinéa 1Fa) de la Convention de Genève.

 

[12]           Une fois qu’il est démontré qu’un demandeur est exclu en application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), la Commission ne doit pas examiner une demande présentée en vertu de l’article 97 de la Loi (Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, aux paragraphes 33 à 37). En l’espèce, le commissaire a tenu compte de l’article 97 et a conclu que le demandeur pouvait demander la protection de l’État. Le commissaire n’aurait même pas dû se pencher sur la question, et il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse.

 

[13]           En ce qui concerne la question de savoir si la Commission doit tenir compte de l’article 97 de la Loi une fois qu’il a été démontré que le demandeur est exclu en application de l’article 98, l’avocat du demandeur a invoqué la décision de la Cour dans l’affaire Biro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1428, une décision rendue à la suite de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Xie, susmentionné, où la juge de première instance a effectué une analyse fondée sur l’article 97 dans une telle situation. Il semble que la juge n’ait pas été renvoyée à l’arrêt Xie. De plus, lorsque la situation de Biro a été de nouveau examinée par la Cour, référence 2007 CF 776, le juge, au paragraphe 29, a déclaré que, depuis l’arrêt Xie, il était « bien établi en droit » qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse fondée sur l’article 97.

 

[14]           La demande sera rejetée, il n’y a aucune question à certifier et il n’existe aucun motif spécial pour adjuger des dépens.


 

JUGEMENT

Pour les motifs exposés :

 

LA COUR STATUE :

            1.         que la demande est rejetée;

            2.         qu’il n’y a aucune question à certifier;

            3.         qu’il n’y a pas d’adjudication des dépens.

 

                                                                                                                « Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5079-06

 

INTITULÉ :                                       BERNARD MWAURA MUCHAI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto Ontario

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 septembre 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Hughes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 septembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Kevin Doyle                                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Maria Burgos                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Kevin Doyle

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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