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Date : 20070921

Dossier : T-78-07

Référence : 2007 CF 946

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

STEPHEN MYERS

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Deux demandes de contrôle judiciaire sont actuellement entendues successivement par la Cour à la suite d’une ordonnance de Madame la protonotaire Aronovitch datée du 30 août 2007. La présente demande, portant le numéro de dossier T-78-07, est la deuxième à être entendue. Elle vise le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (TPSGC) a refusé, le 14 décembre 2006, d’accorder une cote de fiabilité au demandeur. La première demande, portant le numéro de dossier T-529-07, visait à obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada (ARC) a révoqué, le 3 août 2006, la « cote de fiabilité approfondie » du demandeur.

 

[2]               Dans la première demande, j’ai conclu que le directeur du Centre de technologie d’Ottawa de l’ARC a manqué aux règles de l’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur une possibilité suffisante de répondre aux allégations formulées contre lui avant qu’une décision finale soit rendue.

 

FAITS

[3]               Le demandeur a exécuté plusieurs contrats à court terme pour différents ministères et organismes gouvernementaux. Il a obtenu ces contrats par l’intermédiaire d’agences de placement.

 

[4]               Pour pouvoir occuper ces postes contractuels, le demandeur devait se faire attribuer une cote de fiabilité par TPSGC. Il a d’abord obtenu une cote de fiabilité de TPSGC le 27 juin 2003. Cette cote ne devait pas expirer avant le 27 juin 2013. Depuis qu’il a obtenu une cote de fiabilité de TPSGC, le demandeur a été engagé par plusieurs ministères et organismes gouvernementaux :

Octobre à décembre 2003 – Agence de la santé publique du Canada

Janvier à juin 2004 – Ministère de la défense nationale

Octobre à décembre 2004 – Secrétariat du Conseil du Trésor

Juillet 2005 – Corrections Canada

Octobre à décembre 2005 – Agence de la santé publique du Canada

Janvier 2006 – Santé Canada

Février à mars 2006 – Agence canadienne de développement international

Avril à juillet 2006 – Agence du revenu du Canada

 

 

[5]               Le 3 avril 2006, le demandeur a commencé à travailler pour l’ARC comme agent aux repérages au Centre d’appels pour les recouvrements situé à Ottawa, en Ontario. Le demandeur occupait cet emploi depuis presque trois mois lorsqu’il a démissionné le 28 juin 2006. Pendant qu’il était à l’ARC, le demandeur a fait l’objet d’une enquête pour avoir utilisé de manière inappropriée le système de courrier électronique de l’ARC. À la suite de cette enquête, l’ARC a révoqué, le 3 août 2006, la « cote de fiabilité approfondie » qu’elle avait accordée au demandeur. Les circonstances entourant la révocation sont analysées en profondeur dans la demande concernant le dossier T-529-07.

 

[6]               Après avoir quitté l’ARC, le demandeur a commencé à faire affaire avec une autre agence de placement pour tenter de se trouver un emploi. L’agence lui a trouvé un contrat, mais ce contrat nécessitait une cote de sécurité de niveau II (secret). Le 27 octobre 2006, l’agence de placement a demandé, pour le compte du demandeur, une cote de sécurité à TPSGC afin de lui permettre de prendre le contrat.

 

[7]               Le 31 octobre 2006, en réponse à la demande susmentionnée, TPSGC a fourni à l’agence de placement une cote de sécurité de niveau II (secret) pour le demandeur. Il est clair pour la Cour que cette cote de sécurité a été accordée parce que, le 27 juin 2003, le demandeur avait reçu de TPSGC une cote de fiabilité ne devant pas expirer avant le 27 juin 2013. Quelques jours plus tard, TPSGC a informé l’agence de placement, par téléphone, que la cote de sécurité avait été attribuée par erreur, et que TPSGC demandait qu’on lui retourne le certificat. L’agence de placement a acquiescé à cette demande.

 

Décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[8]               Après que le certificat eut été retourné, TPSGC a demandé au demandeur de se présenter à une « entrevue préventive », le 15 novembre 2006, pour discuter des nouveaux renseignements le concernant qui avaient été portés à son attention. Plus particulièrement, l’entrevue devait porter sur le dossier défavorable du demandeur à l’ARC, et sur la décision subséquente de celle-ci de révoquer la « cote de fiabilité approfondie » du demandeur. À l’« entrevue préventive », huit facteurs ayant trait à la fiabilité du demandeur ont été jugés « non satisfaisants », à savoir ses antécédents professionnels, ses contacts personnels, sa situation financière, sa capacité à faire face au stress, ses problèmes personnels, les procédures dont il a fait l’objet au criminel et au civil et les incidents survenus à l’ARC.

 

[9]               Le rapport d’« entrevue préventive » s’est soldé par une « recommandation de refus ». Ce document contenait l’exposé sommaire suivant :

[traduction]

 

Exposé sommaire

Le 30 octobre 2006, une demande de transfert de la cote de sécurité de niveau secret déjà attribuée à Stephen Jonathan Myers a été engagée. Nous avons appris que Stephen Jonathan Myers avait un dossier défavorable à l’[ARC]; il a démissionné du poste qu’il occupait au Centre de technologie d’Ottawa le 12 juin 2006, avant la prise de mesures disciplinaires visant la révocation de sa cote de sécurité pour rupture définitive [du lien de] confiance qui existait entre lui et l’Agence. Une entrevue préventive de suivi a été ménagée pour clarifier certains points pouvant nuire à la bonne marche de ladite demande. Il s’est avéré que l’individu concerné nie avoir commis quelque faute que ce soit pendant qu’il était au service de l’[ARC], et nie avoir reçu la lettre révoquant sa cote de fiabilité, datée du 3 août 2006, que l’[ARC] lui a envoyée.

 

Après un résumé détaillé des antécédents d’enquête de sécurité du demandeur, ladite « recommandation de refus » se termine ainsi :

                        [traduction]

 

Recommandation

Compte tenu des renseignements défavorables obtenus au sujet des condamnations criminelles antérieures de l’individu concerné et du fait que les doutes quant à la fiabilité de celui‑ci persistent, il est recommandé que sa demande visant l’obtention d’une cote de fiabilité soit refusée.

 

[10]           Le 14 décembre 2006, Albert Bissonnette, directeur intérimaire de la Direction de la sécurité industrielle canadienne et internationale de TPSGC, donnant suite à la recommandation, a refusé la demande de cote de fiabilité du demandeur.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[11]           Deux questions sont en litige dans la présente demande :

1)                la question de savoir si le directeur intérimaire avait le pouvoir de refuser d’accorder la cote de fiabilité au demandeur;

2)                la question de savoir si la décision du directeur intérimaire était déraisonnable au regard des faits énoncés dans le rapport d’« entrevue préventive ».

 

NORME DE CONTRÔLE

[12]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle qui s’applique à la décision du 14 décembre 2006 est celle de la décision raisonnable. Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême du Canada a confirmé la primauté de la méthode pragmatique et fonctionnelle lorsqu’il s’agit de déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux décisions administratives. Dans la demande de contrôle judiciaire concernant le dossier T-529-07, j’ai conclu que les décisions ayant trait à la question de savoir si une personne est fiable sont de nature éminemment factuelle, relèvent de la compétence de la direction des ressources humaines et doivent bénéficier d’une grande déférence. Ce qui signifie que la deuxième question doit être examinée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[13]           S’il est vrai que mes conclusions, dans cette demande, portaient sur le pouvoir d’un fonctionnaire de l’ARC de révoquer une « cote de fiabilité approfondie » accordée par l’ARC, elles s’appliquent également au présent contexte où la décision de refuser d’accorder une cote de fiabilité est prise par un fonctionnaire de TPSGC.

 

[14]           La première question, qui concerne le pouvoir du directeur intérimaire, est une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

 

ANALYSE

[15]           Concernant la première question, le demandeur fait valoir que, M. Bissonnette n’étant pas un administrateur général, il n’avait pas le pouvoir d’annuler une cote de sécurité. Le défendeur soutient que le directeur intérimaire avait ce pouvoir puisque la décision du 14 décembre 2006 ne visait pas une cote de sécurité, mais une cote de fiabilité, qui constitue une condition préalable nécessaire à l’obtention d’une cote de sécurité. Le défendeur ajoute que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité est l’organisme qui a le pouvoir de se prononcer sur les questions touchant le refus d’accorder des cotes de sécurité. À l’audience, j’ai informé les parties que la Cour n’a pas à trancher cette question pour statuer sur la présente demande.

 

[16]           Quant à la deuxième question, la Cour a entendu les observations des parties sur les faits qui sont à l’origine des conclusions de l’agent qui a procédé à l’« entrevue préventive » du 15 novembre 2006 et de la « recommandation de refus ». Ces conclusions constituaient les motifs de la décision de refuser d’accorder une cote de fiabilité au demandeur. La Cour est convaincue, au vu de la preuve, que les conclusions du défendeur n’étaient ni déraisonnables ni manifestement déraisonnables.

 

[17]           En l’espèce, cependant, la Cour doit conclure que la décision de l’ARC de révoquer la « cote de fiabilité approfondie » du demandeur est le principal facteur qui a mené à un examen plus approfondi de la fiabilité du demandeur. Pour cette raison, la décision de l’ARC de révoquer la « cote de fiabilité approfondie » du demandeur a eu un effet important sur la décision du directeur intérimaire. Étant donné que, dans le dossier T-529-07, j’ai annulé la décision de l’ARC pour manquement à l’équité procédurale, et que je dois conclure que cette erreur procédurale a eu un effet important sur la décision que le défendeur a rendue dans la présente affaire, cette dernière décision doit également être annulée.

 

DÉPENS

[18]           Dans la première demande (dossier T-529-07), en ce qui concerne le manquement à l’obligation d’agir équitablement, le demandeur a eu droit à ses dépens. Dans la deuxième demande, les parties ont toutes deux gain de cause. La Cour n’est pas disposée à conclure que la décision était déraisonnable au regard de facteurs autres que l’influence de la décision de l’ARC. Pour ce motif, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1)            la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2)            la décision par laquelle TPSGC a refusé d’accorder une cote de fiabilité au demandeur est annulée;

3)            l’affaire est renvoyée à un autre agent de TPSGC pour qu’il prenne une nouvelle décision après avoir accordé au demandeur une autre « entrevue préventive » sans qu’il soit fait état de la décision erronée de l’ARC datée du 3 août 2006.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Diane Provencher, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

                                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        T-78-07

 

INTITULÉ :                                       STEPHEN MYERS c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 septembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Chris Rootham

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Claudine Patry

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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