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Date : 20071002

Dossier : IMM-4693-06

Référence : 2007 CF 994

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

MANUEL MARIA CODAS MARTIN et

MARCOS MANUEL CODAS ECHAVARRI

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et visant une décision du 3 août 2006 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que le demandeur était exclu, en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention relative au statut des réfugiés, de la protection accordée aux réfugiés. La Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible et que, de ce fait, le ministre s’était acquitté de son fardeau de preuve et avait établi le bien-fondé de l’exclusion.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Le demandeur soumet les quatre questions qui suivent à l’examen de la Cour.

a)      La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a apprécié la crédibilité?

b)      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant en l’absence d’une crainte subjective de la part du demandeur principal?

c)      La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a apprécié la vraisemblance du récit du demandeur principal?

d)      La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve corroborante?

 

 

[3]               Je reformulerais plus simplement la question à trancher. Ce qu’il s’agit de savoir, c’est si la Commission a commis une erreur en tirant, de façon abusive ou arbitraire, des conclusions défavorables quant à la crédibilité en prenant en considération des facteurs dénués de pertinence ou en ne tenant pas compte de la totalité des éléments de preuve.

 

LE CONTEXTE

[4]               Le demandeur principal, Manuel Maria Codas Martin, est un citoyen du Paraguay.  Le deuxième demandeur, Marcos Manuel Codas Echavarri, également citoyen du Paraguay, est son fils. Ce dernier fait valoir le même ensemble de faits que son père pour fonder sa demande d’asile. En plus d’exercer la médecine, le demandeur principal a été le maire de Coronel Bogado, une ville du  Paraguay, de décembre 2001 à janvier 2003. Il a été élu à titre de membre du parti dominant, le Colorado, mais il faisait en réalité partie d’une faction minoritaire et a fait sa campagne pour devenir maire à titre de candidat indépendant. Il a refusé de se joindre à la faction officielle du parti Colorado parce que certains membres importants du parti avaient des liens avec les narcotrafiquants de la région et recevaient d’eux des fonds pour leurs campagnes.

 

[5]               Le demandeur soutient avoir adopté, en tant que maire, des mesures pour faire obstacle au trafic des stupéfiants. Ainsi, il aurait fait en sorte que certaines routes soient impraticables et fait accroître la surveillance des véhicules sans plaques d’immatriculation. Vers le mois d’août 2002, il a commencé à recevoir des menaces de mort de la part de personnes souhaitant qu’il mette un terme à ces mesures.

 

[6]               Les demandeurs soutiennent que le deuxième demandeur a été kidnappé le 15 décembre 2002 et qu’il a téléphoné à son père à la demande des kidnappeurs. Ces derniers ont ordonné au demandeur principal de leur remettre 100 000 $ US, sous forme de chèques, et de ne parler à personne de l’enlèvement. Ils lui ont également ordonné de manifester publiquement son appui au parti officiel et de faire rouvrir les routes servant à leur trafic, et ce, dans les 48 heures. Faute de s’exécuter, le demandeur principal serait exécuté, de même que son fils.

 

[7]               Le demandeur principal a signé les chèques demandés, et son fils lui a été rendu le lendemain matin. Ce dernier avait du sang séché sur le visage et sur ses vêtements, des meurtrissures ainsi qu’une coupure. Le demandeur principal est alors allé faire examiner son fils par un médecin, de peur qu’il n’ait des lésions internes.

 

[8]               Puis, le 20 décembre 2002, un tribunal civil aurait ordonné la saisie-arrêt de 25 p. 100 des honoraires de maire du demandeur au motif que les chèques datés du 15 décembre 2002 étaient sans provision. La propriété du demandeur a été grevée par un privilège, et ses comptes bancaires ont été fermés.

 

[9]               Alors que le demandeur principal revenait chez lui le 25 décembre 2002 après une visite dans la ville d’Encarnacion, trois coups de feu ont été tirés dans sa direction à partir d’une voiture roulant en sens inverse, et ils ont atteint son véhicule.

 

[10]           Finalement, le 15 janvier 2003 à 22 h, le demandeur a reçu un appel d’urgence d’un patient afin qu’il se rende à son chevet. Alors que le demandeur stationnait sa voiture devant la maison censée appartenir à ce patient, une personne masquée s’est approchée du véhicule, a pointé une arme sur la tête du demandeur et a menacé ce dernier de le tuer s’il refusait de quitter le pays. Le 22 janvier 2003, à la suite de ce dernier incident, le demandeur principal et son fils ont demandé la délivrance d’un visa pour le Canada. Partis du Paraguay le 1er février 2003, ils sont arrivés au Canada le 3 février après avoir transité par l’Argentine.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[11]           La Commission a rendu sa décision après la tenue d’audiences à trois dates différentes. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est intervenu pour demandeur l’exclusion en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

[12]           La Commission a conclu que le représentant du ministre avait établi l’existence de motifs sérieux de considérer que le demandeur principal était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention et n’était pas une personne à protéger. La Commission devait essentiellement déterminer si le demandeur principal avait quitté le Paraguay parce qu’il craignait d’y être persécuté ou plutôt parce qu’il souhaitait échapper à des poursuites pénales.

 

[13]           La Commission a prêté davantage foi aux prétentions du ministre et a reconnu que les documents mentionnés ci-après démontraient non pas que le demandeur principal avait été victime de persécution au sens des articles 96 et 97 de la Loi mais plutôt qu’il avait été déclaré coupable de fraude.

 

a)      Un ordre de paiement et un mandat de saisie judiciaire datés du 27 décembre 2002 exigeant le paiement d’environ 30 000 $ US à la cour au nom d’un certain Patricio Jose Acosto Rivero. Selon le document, à défaut de se conformer à l’ordonnance, le demandeur verrait un privilège grever sa propriété.

b)      Une ordonnance judiciaire du Ministère public et un mandat d’arrêt datés du 4 février 2003. Selon ces documents, le demandeur aurait émis des chèques totalisant environ 60 000 $ US à l’ordre de Patricio Acosto en octobre 2002 et, par suite d’enquêtes, les comptes bancaires du demandeur principal auraient été fermés les 10 et 11 décembre 2002.

c)      Deux articles de journaux paraguayens, l’un du 11 mars et l’autre du 23 mars 2003. Selon le premier article, le demandeur principal se serait enfui au Canada pour éviter d’avoir à payer ses dettes et pour échapper à un mandat d’arrêt. Selon le second, un encan public aurait été tenu à la suite de la saisie des biens du demandeur principal par Patricio Acosta.

d)      Une ordonnance de privilège préventif datée du 19 mars 2003 exigeant le paiement d’environ 8 000 $ US.

e)      Un certificat de notification délivré par le pouvoir judiciaire de la République du Paraguay accusant le demandeur principal d’avoir contourné la loi.

f)        Correspondance reçue d’INTERPOL signalant l’existence d’un mandat d’arrêt national en suspens contre le demandeur principal.

 

[14]           La Commission a dit estimer qu’il n’y avait pas assez de preuves suffisamment crédibles pour reconnaître la véracité des allégations des demandeurs pour les motifs qui vont suivre.

a)      Le demandeur principal n’a pas signalé à la police l’enlèvement survenu le 15 décembre, alors qu’il a rédigé deux rapports de police, l’un pour signaler le vandalisme perpétré contre son véhicule et l’autre pour signaler qu’on avait attenté à sa vie le 25 décembre 2002. La Commission a refusé l’explication donnée par le demandeur principal, soit que les kidnappeurs avaient menacé de le tuer s’il les dénonçait à la police, puisqu’il s’agissait là de la seule demande des kidnappeurs à laquelle le demandeur principal se serait conformé. La Commission a dit estimer plus vraisemblable que le demandeur aurait dénoncé les kidnappeurs s’il les avait réellement craints. Elle a également jugé invraisemblable que le demandeur principal ait pu signaler l’incident du 25 décembre, et non pas l’enlèvement de son fils.

b)      La Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait pas mentionné expressément dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) la demande faite par les kidnappeurs qu’il ne les dénonce pas à la police.

c)      La Commission n’a pas reconnu que le demandeur principal avait été menacé en janvier. La Commission a estimé invraisemblable que le demandeur ait décidé de quitter son pays en raison d’une menace qui n’était pas plus sérieuse que celle liée à l’agression du 25 décembre, et elle a conclu que l’incident n’était donc pas survenu.

d)      La Commission s’est dite d’avis que le comportement du demandeur principal ne correspondait pas à celui d’une personne qui craint pour sa vie. En effet, bien que le demandeur principal ait prétendu s’être caché entre le 15 décembre et le jour de son départ du Paraguay, il dit également avoir continué d’exercer la médecine et s’être acquitté activement de ses fonctions de maire.

e)      La Commission a jugé invraisemblable que le demandeur principal ne se soit pas adressé aux institutions financières qui administraient les comptes sur lesquels il avait tiré des chèques, pour les informer que ses comptes bancaires présenteraient un problème, entre le moment de l’émission des chèques et les 16 et 20 décembre 2002, dates auxquelles les actions en justice ont prétendument été instituées. Cette inférence a étayé la conclusion de la Commission selon laquelle l’enlèvement et l’émission des chèques sous la contrainte n’avaient jamais eu lieu.

f)        La Commission a jugé invraisemblable qu’une ordonnance de saisie-arrêt ait été délivrée dans le court délai s’étendant entre le jour de l’enlèvement et le 20 décembre. La Commission a conclu qu’il était plus probable que ce document ait été le résultat d’une autre procédure qui était déjà en cours et qui remontait à bien avant l’enlèvement.

g)      La Commission a estimé invraisemblable que le demandeur principal ait pu demander l’assistance d’un avocat et ne pas divulguer à ce dernier qu’il y avait eu un enlèvement. Le demandeur principal aurait simplement déclaré à son avocat qu’il n’était pas en mesure d’honorer les grosses sommes à payer au moyen des chèques émis et que cela avait entraîné la fermeture de ses comptes bancaires.

h)      La Commission a accordé peu de poids à une lettre de l’avocat du demandeur principal. Puisque la Commission n’a pas accepté l’allégation selon laquelle la fermeture des comptes bancaires était attribuable à l’enlèvement, elle a conclu que les renseignements fournis par le demandeur principal à son avocat n’étaient pas crédibles, et que la lettre de ce dernier ne reposait donc pas sur des renseignements crédibles.

i)        La Commission n’a accordé aucun poids à un billet de médecin daté du 16 décembre 2002, où il était dit que le deuxième demandeur avait cherché à obtenir les services d’un médecin après l’enlèvement. Le même médecin ayant transmis une lettre à l’appui de la demande d’asile des demandeurs, la Commission a dit douter qu’il s’agissait là d’une source indépendante et objective.

j)        La Commission n’a accordé aucun poids à des lettres envoyées par des amis des demandeurs, estimant que ces lettres étaient intéressées.

k)      La Commission n’a accordé aucun poids à la preuve relative à des irrégularités de procédure, en violation des lois du Paraguay, soit particulièrement que le mandat d’arrêt semblait avoir été délivré par un procureur et non par un juge.

l)        Finalement, la Commission n’a accordé aucun poids à un rapport psychologique indiquant que le deuxième demandeur souffrait du syndrome de stress post‑traumatique à la suite de son enlèvement. La Commission, ne croyant pas à la thèse de l’enlèvement, n’a pas prêté foi au diagnostic du psychologue.

 

[15]           La Commission a accepté la documentation divulguée par le ministre comme étant valide et digne de foi et a par conséquent conclu qu’il y avait de sérieuses raisons de croire que le demandeur principal avait été coupable de graves crimes de droit commun à l’étranger. La Commission a déclaré que le concept de grande criminalité pouvait inclure les crimes économiques et que, les fraudes pour plus de 5 000 $ étant punissables au Canada d’une peine maximale de dix ans d’emprisonnement en application de l’article 380 du Code criminel du Canada, L.R. 1985, ch. C‑46, le demandeur se devait d’être exclu.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Exclusion — Refugee Convention

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

Code criminel du Canada, L.R., 1985, ch. C-46

 

Fraude

380. (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

 

 

a) est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans, si l'objet de l'infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l'objet de l'infraction dépasse cinq mille dollars;

 

 

b) est coupable :

 

(i) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans,

 

 

(ii) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

 

si la valeur de l’objet de l’infraction ne dépasse pas cinq mille dollars.

Fraud

 

380. (1) Every one who, by deceit, falsehood or other fraudulent means, whether or not it is a false pretence within the meaning of this Act, defrauds the public or any person, whether ascertained or not, of any property, money or valuable security or any service,

 

(a) is guilty of an indictable offence and liable to a term of imprisonment not exceeding fourteen years, where the subject-matter of the offence is a testamentary instrument or the value of the subject-matter of the offence exceeds five thousand dollars; or

 

(b) is guilty

 

(i) of an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding two years, or

 

(ii) of an offence punishable on summary conviction,

 

 

 

where the value of the subject-matter of the offence does not exceed five thousand dollars.

 

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, R.T. 1969

 

Article 1. Définition du terme « réfugié »

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés.

 

ANALYSE

Questions préjudicielles

[16]           Le défendeur soulève deux questions préjudicielles. 

 

[17]           Le défendeur soulève la question, en premier lieu, du défaut des demandeurs de déposer, à l’appui de leur demande d’autorisation, leurs propres affidavits fondés sur leur connaissance personnelle des événements; l’affidavit déposé était plutôt signé par l’adjoint de leur avocat, Sijani Widyaratne.  Le défendeur cite l’ordonnance par laquelle le juge McGillis a rejeté une demande d’autorisation dans l’affaire Morales et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (3 septembre 1998) IMM-1582-98 (C.F. 1re inst.), pour étayer sa prétention selon laquelle le défaut de déposer pareils affidavits est fatal à la demande et qu’il ne peut être remédié à ce défaut par le dépôt de l’affidavit de tiers. Dans Sarmis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110, [2004] A.C.F. n° 109 (QL), toutefois, j’ai statué sur cette même question et conclu comme suit, au paragraphe 10 :

Il est bien établi que l’utilisation d’affidavits de tiers n’est pas fatale à une demande de contrôle judiciaire. Bien que je n’approuve pas l’utilisation d’affidavits de tiers, je ne suis pas prêt à rejeter la demande de contrôle judiciaire pour ce motif. Comme l’affidavit de Rizni Faruk repose sur une connaissance personnelle du témoignage des demandeurs à l’audience, il est suffisant pour étayer la présente demande.

 

 

[18]           J’en viens donc à la conclusion, en l’espèce, que l’utilisation de l’affidavit d’un tiers par les demandeurs n’est pas fatale à la demande.

 

[19]           Le défendeur soulève le fait, en second lieu, que seule la transcription de la première séance de l’instruction de la demande d’asile des demandeurs figure au dossier du demandeur. Il en résulte, selon le défendeur, un tableau incomplet de la preuve. Cependant, le dossier du demandeur renferme toutes les pièces prescrites par la règle 10 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22. De plus, la Cour est saisie du dossier de la Commission en conformité avec l’ordonnance du 28 juin 2007 du juge Blanchard, de telle sorte qu’elle a accès à la preuve en son entier.

 

La norme de contrôle judiciaire

[20]           Deux normes de contrôle sont applicables en l’espèce (Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 139, [2006] A.C.F. n° 187 (QL), paragraphes 11 à 13).

 

[21]           Il est établi que la norme de contrôle applicable à l’évaluation de la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 732 (C.A.F.) (QL), paragraphe 4). Les conclusions quant à la vraisemblance comme celles contestées en l’espèce sont en lien avec la crédibilité de la preuve devant la Commission. Dans Aguebor, précitée, la Cour a déclaré bien clairement qu’il fallait faire preuve d’autant de retenue devant les conclusions quant à la vraisemblance que devant les autres conclusions liées à la crédibilité; la Cour ne peut réviser ces conclusions que si on les a tirées de façon abusive ou arbitraire, en prenant en considération des facteurs dénués de pertinence ou ne tenant pas compte de la totalité des éléments de preuve. La Cour a statué dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. n° 1131 (QL), paragraphe 7, que de telles conclusions ne seront manifestement déraisonnables que « si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend ».

 

[22]           La question de savoir si le demandeur est exclu en application de la section F de la Convention en est une à la fois de fait et de droit, qui appelle à ce titre la norme du caractère raisonnable simpliciter

 

[23]           Je ne puis trouver aucune erreur susceptible de révision en l’espèce. La Commission a très bien expliqué pourquoi elle ne croyait pas le demandeur principal. Elle ne pouvait accepter le fait que le demandeur ait pu ne pas signaler à la police l’enlèvement de son fils alors qu’il lui aurait signalé au moins 15 autres incidents. La Commission ne pouvait non plus comprendre pourquoi le demandeur n’avait pas communiqué avec sa banque alors qu’il savait ne pas disposer de fonds suffisants pour honorer les chèques pour 100 000 $ US qu’il avait signés. La Commission se préoccupait également du fait que le demandeur n’avait pas révélé à son avocat tout ce qu’il lui était advenu. Finalement, la Commission a expliqué de manière convaincante pourquoi elle estimait que le comportement du demandeur ne correspondait pas à celui d’une personne qui craignait d’être tuée. Il y a aussi lieu de noter que, selon ses dires, le demandeur principal aurait continué tous les jours d’exercer ses fonctions de maire, ainsi que de médecin à sa clinique privée, pendant environ six semaines après la perpétration du prétendu enlèvement.

 

[24]           Le fils du demandeur soutient par ailleurs que la Commission n’a pas évalué sa propre demande d’asile. Je ne suis pas d’accord. La demande d’asile du fils est fondée entièrement sur celle du père. Comme la Commission n’a pas cru le récit du demandeur principal, ses conclusions valent pour les deux demandeurs d’asile. Il n’était pas non plus manifestement déraisonnable pour la Commission de n’accorder aucun poids au billet de médecin daté du 16 décembre 2002 et déposé pour corroborer que le deuxième demandeur d’asile avait cherché à obtenir les services d’un médecin après le prétendu enlèvement, car la Commission n’a pas cru en la réalité même de cet enlèvement (Kabedi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 154, [2005] A.C.F. n° 224 (QL)).

 

[25]           La Cour estime, finalement, que l’analyse de la Commission portant sur l’exclusion en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention ne justifie pas son intervention. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission d’accepter comme étant valide et digne de foi la documentation divulguée à cet égard par le ministre.

 

[26]           À la fin de l’audience, l’avocat des demandeurs a signalé à la Cour que, selon l’avis de décision reçu par ses clients, les deux demandeurs étaient exclus en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention. Il s’agit là d’une erreur de rédaction, comme il apparaît clairement, à la lecture de la conclusion de la décision, que l’exclusion ne visait que le demandeur principal, et non le fils de ce dernier.

 

[27]           Aucune question n’a été proposée en vue de sa certification et aucune question n’a à être certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                      IMM-4693-06

 

INTITULÉ :                                                    MANUEL MARIA CODAS MARTIN et

              MARCOS MANUEL CODAS ECHAVARRI

              c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                       

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 26 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUEGEMENT

ET JUGEMENT :                                           LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                                          LE 2 OCTOBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Shacter                                                  POUR LES DEMANDEURS

                                                                        

Marianne Zoric                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Schacter                                                POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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