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  Date : 20071003

Dossier : IMM-5190-06

Référence : 2007 CF 1008

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

MASOODHUR RAHAMAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 15 août 2006. La Commission a conclu que le demandeur n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi respectivement.

 

QUESTION EN LITIGE

[2]               La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’était donc pas nécessaire d’examiner certains documents qu’il a présentés?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je répondrai à cette question par la négative.

 

CONTEXTE

[4]               Né le 7 octobre 1981 au Bangladesh, le demandeur a été élevé dans une famille musulmane qui entretenait depuis longtemps des liens avec la Ligue Awami. Il était membre de l’aile étudiante de la Ligue Awami lorsqu’il fréquentait l’université et il en est resté un membre actif par la suite.

 

[5]               En 1999, des hommes de main du Parti national du Bangladesh (PNB), qui, à l’époque, était le plus grand parti au sein du gouvernement de coalition nationale, s’en sont pris au demandeur. Il a été battu à plusieurs reprises. En 2005, il a été menacé par les hommes de main et ceux‑ci ont laissé des vêtements de sépulture à sa résidence. Il a cherché à obtenir la protection de la police, mais celle‑ci n’a rien fait pour lui. Par la suite, sa résidence familiale a été attaquée.

 

[6]               Le demandeur s’est enfui dans un village avoisinant, où il est resté avec un ami. Il a par la suite déménagé dans la capitale, Dhaka, mais les hommes de main du PNB ont continué de le poursuivre, de sorte qu’il s’est enfui au Canada muni de documents de voyage falsifiés que lui avait remis un passeur. Il a demandé l’asile dans un bureau intérieur de Citoyenneté et Immigration Canada.

 

DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE

[7]               La décision de la Commission a été rendue au terme de trois audiences tenues séparément devant le même membre. La première a été tenue en novembre 2005 et les deuxième et troisième, les 8 et 31 mai 2006 respectivement.

 

[8]               La Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible et, parce qu’il a montré qu’il avait une propension à présenter des éléments de preuve faux ou falsifiés, elle a appliqué sa conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’ensemble de la preuve pertinente. La Commission a par conséquent conclu qu’il n’était pas nécessaire d’évaluer la situation des droits de la personne au Bangladesh.

 

[9]               Le demandeur a produit deux articles de journaux à l’appui de son récit, le premier faisant état de sa présence lors d’une manifestation et le deuxième donnant les détails de l’attaque de sa résidence par les hommes de main du PNB. Avant la tenue de la deuxième audience, un enquêteur du Haut‑Commissariat du Canada à Dhaka a procédé à une enquête de vérification. L’examen des archives journalistiques par l’enquêteur a révélé que les documents soumis étaient faux.

 

[10]           Lors de la deuxième audience, le demandeur s’est dit étonné d’apprendre que les documents étaient falsifiés. Toutefois, lors de la troisième audience, il a avoué avec franchise qu’un ami l’avait aidé à obtenir ces documents pour étoffer sa demande d’asile.

 

[11]           La Commission a accepté la prétention du demandeur selon laquelle une admission quant à la fausseté d’un élément de preuve ne signifie pas nécessairement que le reste de la preuve est également faux. Toutefois, parce que le demandeur n’a pas, au départ, admis la falsification, la Commission a conclu qu’il avait montré qu’il avait une propension à présenter des éléments de preuve faux ou fabriqués dans le but de tromper la Commission.

 

[12]           La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible ou digne de foi et que, de façon générale, sa preuve n’était pas crédible. En outre, la Commission n’a pas estimé que le récit du demandeur sur les événements qui ont précipité sa décision de quitter le Bangladesh était suffisant, même en ne tenant pas compte des documents falsifiés.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[13]           La Cour contrôle les décisions de la Commission sur la crédibilité des demandeurs d’asile selon la norme du caractère manifestement déraisonnable. Ainsi, la Cour n’interviendra que si la Commission a tiré une conclusion de fait abusive ou arbitraire sans tenir compte des documents qui lui ont été soumis. Cette norme a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent?  Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. […]

 

Conclusions défavorables en matière de crédibilité

[14]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte d’autres éléments de preuve documentaire qui corroboraient son récit à cause de sa conclusion défavorable générale sur sa crédibilité. Je suis d’avis que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en choisissant d’appliquer à l’ensemble de la preuve sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas crédible. En admettant avoir tenté de tromper le tribunal, le demandeur a gravement nui à sa crédibilité. Dans la présente affaire, tant sa propre crédibilité que la crédibilité de la preuve sont en cause; non seulement la preuve documentaire cruciale pour sa revendication a été jugée fausse, mais encore le demandeur a induit la Commission en erreur en niant au départ qu’il était au courant de la falsification. 

 

[15]           Dans la décision Osayande c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 368, [2002] A.C.F. no 511 (QL), aux paragraphes 19 à 21, où le contexte factuel était très similaire, la Cour en est arrivée à la même conclusion :

La SSR a décidé que cet élément de preuve, si authentique, [traduction] « aurait pleinement corroboré les allégations du revendicateur ». Lors de l’audience, le défendeur a produit la véritable première page du The Observer datée du 14 décembre 1999. Ce document était identique à la pièce produite par le demandeur, à l’exception du fait que l’article au sujet du demandeur ne s’y trouvait pas. La SSR a conclu que le journal produit par le demandeur était un faux. Interrogé à ce sujet, le revendicateur n’a pas été en mesure d’expliquer cela. La SSR a conclu que l’histoire dans le journal concernant le fait que le revendicateur était recherché par les autorités nigérianes [traduction] « constitue une fabrication visant à tromper le tribunal ». En clair, le demandeur s’est fait prendre dans un mensonge éhonté visant à tromper la SSR relativement à la question principalement en litige. Cela a démontré, en des termes on ne peut plus clairs, que le demandeur était un menteur.

 

Il y a une règle de droit bien connue en notre Cour selon laquelle un tribunal administratif tel que la SSR n’a pas besoin de faire spécifiquement référence à tous les éléments de preuve disponibles avant d’en venir à une conclusion concernant la crédibilité d’un demandeur. De plus, le tribunal peut raisonnablement tirer des conclusions de crédibilité et celles-ci ne seront pas infirmées par la cour, à moins qu’on ait conclu qu’elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire.

 

En l’espèce, le faux journal, sa fausseté n’étant pas en cause devant notre Cour, a été pris en considération par la SSR en même temps que d’autres éléments de preuve disponibles, et le tribunal en est venu à la conclusion que le demandeur n’était pas crédible. Lorsque la SSR conclut qu’un témoin qui a déposé devant elle a gravement endommagé sa propre crédibilité dans un cas précis, tel que la production d’un faux document à la SSR, cela peut avoir des répercussions sur d’autres conclusions relatives à sa crédibilité.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Le demandeur soutient que la présentation d’éléments de preuve frauduleux et le fait de ne pas avoir immédiatement admis la falsification ont pu être déterminants quant à sa propre crédibilité, mais que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la situation des droits de la personne au Bangladesh et en refusant d’analyser d’autres éléments de preuve documentaire pertinents.

 

[17]           Je ne suis pas d’accord avec ces prétentions. Si la crédibilité du demandeur est à ce point minée que la  Commission ne croit pas que ce dernier craigne avec raison d’être persécuté, il est inutile de se demander si les conditions du pays peuvent étayer sa revendication.

 

[18]           Les conclusions défavorables de la Commission en matière de crédibilité sont motivées; la question de la crédibilité ressort des faits et rien ne justifie donc une intervention de la Cour.

 

Prise en considération de la preuve personnelle

[19]           Le demandeur cite la décision Lahpai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 88, [2001] A.C.F. no 232 (QL), à l’appui de sa prétention selon laquelle l’on ne peut rejeter une preuve documentaire personnelle ou des rapports médicaux sans en donner la raison. La Cour écrit ceci au paragraphe 21 de Lahpai :

[…] quand la preuve est omise, non seulement de la décision, mais de l’examen à l’audience, et que cette preuve contredit carrément les conclusions de la Commission sur la question principale, la Commission doit manifestement faire référence à cette preuve et indiquer pourquoi elle n’y a pas accordé foi. […]

 

 

[20]           L’examen du dossier révèle que la preuve documentaire qui n’a pas été mentionnée par la Commission consiste en une lettre du médecin du demandeur confirmant l’existence de blessures, preuve compatible avec un unique aspect d’une attaque dont le demandeur a été victime en 2001, et deux lettres de membres de la Ligue Awami attestant son association avec le parti. Il aurait peut‑être été préférable que la Commission examine explicitement les lettres et donne les raisons pour lesquelles elle a décidé de ne pas en tenir compte, mais je suis d’avis qu’aucune des lettres ne vient contredire directement la conclusion défavorable que la Commission a tirée sur la crédibilité, aspect déterminant dans la présente affaire.

 

[21]           De plus, aucune preuve n’a été soumise pour corroborer la véracité des lettres. Celles qui proviennent de la Ligue Awami n’ont pas été vérifiées, et les blessures qui ont été décrites par le médecin n’ont démontré rien d’autre qu’un lien de nature conjecturale avec la persécution alléguée par le demandeur. Je suis d’accord avec la prétention du défendeur selon laquelle il ne suffit pas que le demandeur, qui a admis avoir produit de faux documents dans la même instance, affirme sans hésitation que les documents sont authentiques. Dans la décision Hamid c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1293 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 21, la Cour a conclu qu’il doit y avoir une corroboration supplémentaire dans de telles circonstances :

Par conséquent, à mon avis, la prétention du requérant voulant que la Commission soit tenue d’analyser la preuve documentaire "indépendamment du témoignage du requérant" doit être examinée dans le contexte des procédures informelles qui s’appliquent devant la Commission. Lorsqu’une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n’est pas crédible, dans la plupart des cas, il s’ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu’ils sont véritablement authentiques. En l’espèce, la preuve du requérant n’a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n’est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d’affirmer qu’il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[22]           Il y a lieu de noter que, dans la présente affaire, on a accordé au demandeur du temps pour qu’il rétablisse sa crédibilité, mais il ne l’a pas fait.

 

[23]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et aucune question ne se pose.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5190-06

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            MASOODHUR RAHAMAN et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE   L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               25 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      3 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS

 

John M. Guoba                                                                        POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

 

Rhonda Marquis                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

John M. Guoba                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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