ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT
Le juge Pinard
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration (l’agent), rendue le 15 février 2007, qui a conclu qu’il n’y avait aucune raison d’ordre humanitaire permettant à la demanderesse de présenter une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada.
[2] Nenita Enriquez, la demanderesse, est une citoyenne des Philippines. Elle est entrée au Canada en mai 1999 pour rendre visite à son frère, qui était un résident permanent. Pendant son séjour au pays, elle a présenté une demande de visa d’étudiant auprès du bureau des visas de Buffalo et sa demande fut accueillie. Après avoir terminé ses études, la demanderesse a reçu une offre d’emploi en tant qu’aide familiale. En février 2000, cette offre fut approuvée par Développement des ressources humaines Canada (DRHC). En juillet 2000, elle a reçu un permis de travail, qui a été renouvelé deux fois. La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente en août 2002 et, en mars 2003, elle a été informée qu’il était possible qu’elle ne puisse pas avoir droit au statut de résidente permanente, parce qu’elle ne satisfaisait pas à l’une des exigences du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 : une personne qui sollicite la résidence permanente en tant qu’aide familiale doit être entrée au Canada à ce titre.
[3] La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de rejeter sa demande de résidence permanente, qui fut rejetée; la Cour a statué que l’agent d’immigration n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant sa demande. Au paragraphe 10 de cette décision, la Cour a statué ce qui suit :
La demanderesse ne peut remédier au fait qu'elle n'a pas sollicité une autorisation de séjour au Canada en tant qu'aide familiale résidant au Canada en invoquant les erreurs ou l'incompréhension ultérieures des employés de DRHC ou du défendeur dans l'appréciation de son statut au Canada. La demanderesse n'a pas présenté de demande d'admission au Canada en tant qu' « aide familiale résidant au Canada » , comme l'exigeait la loi applicable lorsqu'elle est entrée au Canada en 1999, soit l'ancienne loi. Le fait que la demanderesse ait obtenu un permis de travail du défendeur en 2000 et des renouvellements de ce permis en 2001 et 2002 peut être pertinent quant à une demande d'admission au Canada fondée sur des considérations humanitaires, mais la présente demande de contrôle judiciaire ne porte pas sur une telle demande.
Le 13 octobre 2006, la demanderesse a présenté une demande de prise en considération de raisons d’ordre humanitaire.
[4] La demanderesse affirme notamment que l’agent n’a pas correctement tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants en cause en ne la considérant pas comme étant la personne qui s’occupait principalement des enfants de la famille Betel.
[5] Dans l’arrêt Hawthorne c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CAF 475, la Cour d’appel fédérale a statué qu’une décision d’ordre humanitaire sera considérée déraisonnable si un agent ne tient pas compte de l’intérêt supérieur d’un enfant et ne se montre pas « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur d’un enfant.
[6] En l’espèce, l’agent a fondé sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’était pas la personne qui s’occupait principalement des enfants de la famille Betel sur le fait que Mme Betel avait déclaré que la demanderesse était comme une deuxième mère pour ses enfants. La demanderesse soutient que ce raisonnement est faux et que les éléments de preuve dont disposait l’agent révèlent que la demanderesse était en fait la personne qui s’occupait principalement des enfants et qu’elle l’était depuis qu’ils avaient été des nourrissons.
[7] À mon avis, il était déraisonnable de la part de l’agent d’interpréter la déclaration de Mme Betel, soit que la demanderesse était comme une deuxième mère pour ses enfants, comme signifiant que la demanderesse n’était pas la personne qui s’occupait principalement d’eux. Les termes mère et personne qui s’occupe principalement des enfants ne sont pas des synonymes. De plus, la preuve révèle que la demanderesse devait prendre soin de Mme Betel et, il est raisonnable de présumer que, si la demanderesse devait prendre soin de Mme Betel, cette dernière ne pouvait donc pas être la personne qui s’occupait principalement des enfants.
[8] Je suis d’accord avec la demanderesse quant à son autre observation, selon laquelle l’agent qui examine une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doit se montrer très prudent avant de prendre la décision d’enlever à un enfant la personne qui s’occupe principalement de lui, que cette personne soit son père ou sa mère biologique ou non (Momcilovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 79, [2005] A.C.F. no 100 (1re inst.) (QL); Jakhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 329, [2006] A.C.F. no 452 (1re inst.) (QL)).
[9] Par conséquent, en lisant la décision de l’agent, j’estime qu’il n’a pas correctement évalué l’incidence du départ de la demanderesse du Canada sur les enfants de la famille Betel. À mon avis, la demanderesse a réussi à établir que l’agent ne s’était pas montré « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants.
[10] La conclusion susmentionnée justifiant l’intervention de la Cour, il ne sera pas nécessaire d’examiner les autres arguments avancés par la demanderesse.
[11] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.
Traduction certifiée conforme
Annie Beaulieu
Ottawa (Ontario)
Le 4 octobre 2007
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-842-07
INTITULÉ : NENITA ENRIQUEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 12 septembre 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 4 octobre 2007
COMPARUTIONS :
Carole Simone Dahan POUR LA DEMANDERESSE
John Provart POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bureau du droit des réfugiés POUR LA DEMANDERESSE
375, av. University, bureau 206
Toronto (Ontario)
M5G 2G1
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada