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Date : 20071005

Dossier : T-1691-07

Référence : 2007 CF 1027

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

BANDE INDIENNE MUSQUEAM

demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

L’HONORABLE MICHAEL M. FORTIER, C.P.

EN SA CAPACITÉ DE MINISTRE DES TRAVAUX

PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX,

LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA ET

LARCO INVESTMENTS LTD.

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Le 19 septembre 2007, la bande indienne de Musqueam (le « demandeur » ou les « Musqueam ») a déposé une demande de contrôle judiciaire d’une décision annoncée le 20 août 2007 par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le « ministre ») selon laquelle le gouvernement du Canada avait vendu neuf (9) parcelles de biens fonciers au défendeur Larco Investments Ltd. (« Larco »), y compris deux (2) biens à Vancouver, en Colombie-Britannique, en l’occurrence le 401, rue Burrard, et le Centre Sinclair, au 757, rue Hastings Ouest (les « biens de Vancouver »). Peu de temps après l’annonce, le demandeur a été informé que la vente des neuf (9) biens devait être conclue entre le premier et le trente et un octobre 2007. L’annonce indiquait que le prix de vente des neuf (9) biens serait de 1,644 milliard de dollars et que chacune d’entre elles serait louée au gouvernement fédéral pour une période de vingt-cinq (25) ans. La part du prix de vente attribuée à chacun des biens de Vancouver dépasse 100 millions de dollars.

 

[2]               Le 24 septembre 2007, le demandeur a déposé une requête pour une injonction interlocutoire empêchant le gouvernement du Canada de transférer, de vendre ou autrement de disposer des biens de Vancouver avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Les principes sur lesquels repose la demande d’injonction interlocutoire découlent de la revendication territoriale du demandeur concernant la région où se trouvent les biens de Vancouver, de la date imminente de conclusion de l’opération immobilière, de l’existence d’une clause dans la convention d’achat-vente qui autorise le gouvernement du Canada à retirer deux (2) des neuf (9) biens de la vente et de la réalité selon laquelle l’incertitude engendrée par la demande de contrôle judiciaire du demandeur a un impact important sur les négociations de Larco visant à financer l’opération dans un délai qui permettrait de conclure l’opération au plus tard le 31.

 

[3]               Compte tenu de l’urgence découlant des circonstances précitées, une session spéciale de la Cour à Vancouver a été prévue jeudi et vendredi, les 27 et 28 septembre. À la fin de la session, la Cour a accordé une injonction interlocutoire au demandeur et a indiqué que ses motifs suivraient. Voici ces motifs.

 

FAITS

[4]               La bande indienne de Musqueam est une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens[1]. Les membres actuels de la bande indienne de Musqueam sont les descendants d’un peuple autochtone qui habitait une région de la vallée du Bas-Fraser de la Colombie-Britannique qui comprenait le centre-ville de Vancouver, où les biens de Vancouver se trouvent. Les Musqueam ont trois (3) réserves situées dans la vallée du Bas-Fraser. La bande compte actuellement environ mille deux cents (1 200) membres, dont environ 55 % habitent sur la réserve. Un déposant agissant pour le compte des Musqueam atteste que ses assises territoriales sont très petites comparativement à sa population, ce qui fait que la bande souffre d’un grave manque de terrain.

 

[5]               La bande indienne de Musqueam et les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique négocient un traité depuis le début de 1994. Elle demeure engagée à protéger le bien de l’État restant dans son territoire traditionnel qui demeure entre les mains du gouvernement du Canada. C’est au moins la troisième fois au cours des dernières années que le demandeur est intervenu devant les tribunaux dans le cadre de la vente proposée de terrains du gouvernement dont elle allègue qu’ils font partie de son territoire traditionnel.

 

[6]               Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (« TPSGC ») fournit des services de locaux aux employés du gouvernement fédéral dans l’ensemble du Canada dans des immeubles loués et de l’État. Le gouvernement a décidé d’examiner des solutions de rechange qui lui permettraient de s’extirper du domaine de la gestion des biens immobiliers pour se concentrer sur ce qu’il considère comme les activités de base du gouvernement, tout en économisant l’argent des contribuables. À cette fin, le 16 juin 2006, le gouvernement a demandé des propositions à cet égard concernant trente-cinq (35) biens, nombre augmenté plus tard à quarante (40), faisant partie du portefeuille des biens de l’État. Les neuf (9) biens faisant partie de la convention d’achat-vente sous-jacente, y compris les deux (2) biens de Vancouver, sont comprises dans l’inventaire de quarante (40) biens.

 

[7]               Le 15 septembre 2006, le gouvernement a annoncé l’octroi d’un contrat à des experts-conseils du secteur privé pour examiner la proposition.

 

[8]               Le 14 novembre 2006, les experts-conseils ont présenté un rapport « provisoire » concernant neuf (9) des quarante (40) biens et recommandant au gouvernement de réduire « immédiatement » son ratio bien/location en vendant, puis en louant, des locaux conventionnels, y compris les neuf (9) biens.

 

[9]               Le 5 mars 2007, le ministre a annoncé que le gouvernement du Canada tentait de déterminer s’il serait recommandable de vendre, puis de louer, les neuf (9) biens.

 

[10]           Le 7 mars 2007, un représentant de TPSGC a écrit au demandeur pour l’aviser de l’annonce, du fait qu’on demandait des soumissions pour les neuf (9) biens dans le but d’évaluer le bien-fondé de procéder à la vente, puis à la location, des biens, et du fait que le gouvernement n’avait pris aucun engagement à vendre l’un ou l’autre des neuf (9) biens étudiés. Voici ce qu’a écrit le représentant :

[traduction]

 

Avant de prendre une décision concernant les biens, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada invite la Première nation Musqueam à lui faire part de ses commentaires sur la nature et la portée de tout intérêt éventuel de la Première nation Musqueam en ce qui concerne cette proposition.

 

Le représentant a poursuivi en indiquant que TPSGC souhaitait obtenir les commentaires des Musqueam « [...] dans les 30 jours suivant la réception de cette lettre. »

 

[11]           Le demandeur a répondu par lettre en date du 29 mars 2007, bien que, pour une quelconque raison, il semblerait qu’elle n’ait pas été reçue par TPSGC avant la mi-avril. Le demandeur a écrit, en partie, ce qui suit :

[traduction]

 

Les Musqueam prennent note avec inquiétude de cette proposition concernant les essais continus du Canada de disposer de terrains de l’État faisant partie du territoire traditionnel des Musqueam. Au nom de la bande indienne de Musqueam, je vous avise que les Musqueam ne sont pas en faveur de la proposition pour ces deux biens [les biens de Vancouver] pour diverses raisons.

 

Comme vous le savez peut-être, voilà de nombreuses années que les Musqueam soulèvent cette préoccupation en ce qui concerne les politiques du Canada. En particulier, les Musqueam ont beaucoup discuté et correspondu avec la Société immobilière du Canada concernant le 401, rue Burrard [un des deux biens de Vancouver], au moins depuis 1996.

 

Si vous ne le saviez pas déjà, ces deux parcelles de terrain se trouvent dans la ville de Vancouver, au cœur du territoire traditionnel des Musqueam, tout près de sites archéologiques Musqueam d’importance majeure, et à quelques kilomètres de notre principale réserve, RI Musqueam no 2 [...]

 

À plusieurs reprises au cours des dernières années, les Musqueam ont indiqué leur intérêt légitime pour les terres de l’État dans leur territoire traditionnel. Les biens dont vous proposez de vous défaire font partie du règlement de nos revendications territoriales et ont une importance spéciale, car il ne reste que très, très peu de terrain dans notre territoire traditionnel qui n’a pas été aliéné à des tiers par l’État.

 

Les Musqueam aimeraient vous rencontrer, vous et les hauts représentants de votre ministère, afin de discuter de l’état actuel des terres et de la possibilité de les acquérir à des fins utiles pour notre communauté. À cet égard, nous espérons transiger directement, et de façon bilatérale, avec le ministère et le Canada afin d’en arriver à une entente entre nous tous.

 

De récentes décisions, comme dans Haïda de la Cour suprême du Canada, ont confirmé que l’honneur de l’État nécessite de tenir compte des intérêts des Premières nations autochtones avant toute preuve de leur titre autochtone, là où la preuve de leur titre est solide. En mars 2005, la Cour d’appel a confirmé que la force des intérêts autochtones des Musqueam impose à l’État un devoir [traduction] « à l’extrémité plus étendue du spectre » (aux paragraphes 93 et 94 de Musqueam Indian Band c. Ministre de la Gestion durable des ressources). Cela comprendrait le fait de tenir compte des besoins et du droit de notre peuple à plus de terrain. Nous tenons à vous rappeler que les Musqueam ont déjà prouvé un droit autochtone dans la célèbre affaire de Regina c. Sparrow.

 

À l’heure actuelle, 45 % de notre population habite à l’extérieur des réserves et nous ne disposons pas des assises territoriales nécessaires pour reprendre notre stature de peuple autosuffisant que nous étions jadis. Cela découle du fait que les Musqueam ont la plus petite attribution de réserve par personne au Canada. Il est à noter que notre peuple se trouve dans une situation unique dans la province, car nous habitons tout près d’un important centre urbain et, par conséquent, la majorité des terres de notre territoire traditionnel ont déjà été aliénées à des tiers.

 

Notre situation est directement visée par la déclaration de la Cour suprême dans Haïda lorsqu’elle a confirmé qu’il n’est pas conforme au devoir et à l’honneur de l’État envers les Premières nations de nuire à la réconciliation du titre autochtone en disposant de terres et de ressources lorsque cela priverait la Première nation de tout avantage découlant de son droit autochtone à ces terres et ces ressources [...]. C’est précisément ce à quoi sont maintenant confrontés les Musqueam. Nous souhaitons régler ce problème de façon proactive et positive.

 

La plupart des terres dans notre territoire traditionnel ont déjà été aliénées et nous faisons face à une réelle probabilité de règlement sans terres. Cela ne nous est pas acceptable et nous croyons que cela n’est pas acceptable à l’État non plus. Nous présumons que le terrain ne sera pas offert en vente ou de quelque façon que ce soit aliéné à des tiers avant d’en arriver à une entente appropriée avec les Musqueam. Par conséquent, nous souhaitons discuter du respect de nos droits en ce qui concerne le peu de terres de l’État qui demeurent dans notre territoire.

 

Nous demandons donc qu’on tienne compte de nos droits concernant les deux biens et qu’on amorce le processus de consultation [...] immédiatement.

[références omises]

 

 

 

[12]           Les trois références dans la citation précédente sont Nation haïda c. Colombie-Britannique (ministre des Forêts)[2], Bande indienne de Musqueam c. Colombie-Britannique (Ministre de la Gestion durable des ressources)[3] et R. c. Sparrow[4]. La deuxième de ces décisions, Musqueam c. Colombie-Britannique, est une décision d’une formation de trois juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique où les trois juges de la formation convenaient du résultat, mais offrant des motifs différents. La citation précise de cette décision constitue le motif de l’honorable M. le juge Hall.

 

 

[13]           La TPSGC, dans une lettre datée du 4 mai 2007, proposait une rencontre vers la fin de la semaine du 21 mai 2007. La rencontre proposée eut lieu le 22 mai.

 

[14]           Le procès-verbal de la rencontre, rédigé par un haut fonctionnaire de TPSGC, indique que la rencontre a commencé à 10 h 15 et a duré environ une (1) heure. Le procès-verbal indique qu’un fonctionnaire de TPSGC a indiqué que les soumissions pour les neuf (9) biens seraient reçues au plus tard le 12 juin et que les soumissions seraient évaluées pendant l’été et des recommandations seraient émises au mois d’août. Le procès-verbal indique aussi que la date de conclusion de l’opération serait en septembre ou octobre 2007 et que le contrat de cession-bail comprendrait une clause offrant à l’État l’option de racheter les biens après vingt-cinq (25) ans pour [TRADUCTION] « des raisons de politique gouvernementale ».

 

[15]           Un représentant du demandeur a demandé si la rencontre était en fait une séance de partage d’information. On lui a répondu que c’était bien le cas. Il a été convenu que le demandeur se verrait accorder l’accès à la [traduction] « salle des données » établie à l’intention des soumissionnaires éventuels. Les Musqueam ne se sont pas prévalus d’un tel accès.

 

[16]           Un affidavit au nom du demandeur attesté par une personne représentant ce dernier lors de la rencontre précitée a décrit la réunion comme étant une [traduction] « réunion d’information » et une [traduction] « [...] réunion préliminaire à l’établissement d’un processus consultatif ». Les notes manuscrites de la réunion de cette même personne confirment cette impression. Quoi qu’il en soit, il est clair, selon les affidavits produits par les deux parties devant notre Cour, et leurs notes ou procès-verbaux respectifs de la rencontre, qu’aucune réunion subséquente n’avait été prévue.

 

[17]           Le 31 mai 2007, un fonctionnaire de TPSGC a écrit au demandeur pour remercier les Musqueam de la rencontre du 22 mai, poser certaines questions et décrire de la façon suivante les étapes qui seraient ensuite prises :

[traduction]

 

[...] quels renseignements pouvez-vous fournir pour appuyer votre affirmation de titre ancestral aux biens susmentionnés [les biens de Vancouver]? Ces biens en particulier ont-ils une signification spéciale pour la Première nation Musqueam? Selon vous, y a-t-il d’autres renseignements dont nous devrions tenir compte?

 

Avant de prendre une décision concernant ces biens, nous examinerons tous les documents sur l’intérêt ancestral qui ont été recueillis ou reçus afin d’évaluer la force des revendications et les incidences. Les résultats de cette évaluation détermineront la façon de procéder.

 

On demandait une réponse [traduction] « [...] d’ici la fin du mois de juin. »

 

 

[18]           Le demandeur a répondu, dans une lettre datée du 29 juin 2007, qu’il était à recueillir les documents et qu’il fournirait une réponse et les documents afférents dans les deux (2) semaines. Le demandeur a encore une fois répondu, le 11 juillet 2007, dans une lettre de six (6) pages répondant à la lettre de TPSGC sous les en-têtes suivants : [traduction] « Votre lettre du 31 mai 2007 », « Notre titre ancestral à l’égard des biens », « Incidences graves de la vente proposée sur le titre ancestral », « Absence de nécessité publique pour la vente proposée », « Inverser l’ancienne violation de l’obligation de consulter » et « Futures étapes ». La lettre était accompagnée de deux (2) opinions d’experts, la première d’une personne ayant mené des recherches ethnographiques chez les Musqueam et dont la thèse doctorale en anthropologie à l’Université de Washington en 1970 portait [traduction] « [...] directement sur les systèmes sociaux et culturels des Musqueam. »  Le deuxième rapport avait été préparé par un archéologue et consultant patrimonial. Tous deux parlent avec autorité des revendications de longue date des Musqueam à ce qui est maintenant le cœur de Vancouver.

 

[19]           Une lettre datée du 27 juillet 2007 accusait réception de la lettre et des pièces jointes du demandeur. On cherchait à rassurer les Musqueam du fait que la lettre et les pièces jointes avaient été examinées. Ils ont été rassurés du fait que « l’État n’a pas encore pris de décision définitive quant à la disposition des biens [de Vancouver] ». On a davantage rassuré les Musqueam qu’ils seraient avisés par écrit de toute décision définitive.

 

[20]           Aucune autre « consultation » ou communication n’a eu lieu jusqu’au moment où une lettre de TPSGC datée du 20 août 2007 parvint au demandeur. À ce moment-là, TPSGC a avisé le demandeur, par lettre, de la décision définitive de l’État de vendre les neuf (9) biens, y compris les biens de Vancouver. TPSGC écrivit :

[traduction]

 

Les renseignements fournis par la Première nation Musqueam le 11 juillet 2007 et les renseignements recueillis indépendamment par TPSGC ont été examinés et nous sommes d’avis que l’État s’est acquitté de toute obligation de consulter qui lui incombait en ce qui concerne la disposition de ces biens.

 

La vente sera conclue au plus tard le 31 octobre 2007.

 

Aucun détail concernant les renseignements [traduction] « recueillis indépendamment par TPSGC » ne semble avoir été communiqué au demandeur. Par conséquent, ce dernier n’a pas eu l’occasion d’examiner ces renseignements ou d’y répondre.

 

[21]           Le présent litige a ensuite été initié.

 

LES ENJEUX

[22]           Voici les enjeux de la requête d’injonction interlocutoire et des réparations connexes :

1)         Le critère pour accorder une injonction interlocutoire dans des circonstances comme celles devant notre Cour

2)         Y a-t-il une question sérieuse à trancher dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente?

3)         Le demandeur subit-il un préjudice irréparable ne donnant pas droit à réparation si une injonction interlocutoire n’est pas accordée?

4)         La prépondérance des avantages ou des inconvénients entre les parties tient compte de l’intérêt public.

5)         si une injonction interlocutoire doit être accordée, le demandeur doit-il être excusé de l’exigence normale de promettre de se conformer à toute ordonnance de la Cour par rapport aux dommages engendrés par la délivrance ou la prolongation de cette injonction?

6)         les coûts.

 

DISCUSSION

1) Critère pour la délivrance d’une injonction interlocutoire

[23]           Les parties devant notre Cour ont accepté que le demandeur doive répondre au critère établi dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général)[5]. Les éléments de ce critère sont le caractère sérieux de la question à trancher, le préjudice irréparable et la prépondérance des avantages et des inconvénients. Pour ce qui est des faits en l’espèce, comme la réparation demandée ici est semblable, en partie, à la réparation demandée à la suite de la disposition ultime du contrôle judiciaire sous-jacent, le seuil du « caractère sérieux » de la question doit faire l’objet d’un examen plus minutieux, en ce qui concerne le bien-fondé, qu’il aurait autrement été le cas. De plus, comme permettait de l’entrevoir l’énumération des enjeux ci-dessus, pour ce qui est de la prépondérance des avantages ou des inconvénients, même si l’affaire dont nous sommes saisis ne constitue pas une affaire constitutionnelle, je suis convaincu que notre Cour doit tenir compte de l’intérêt public et de la légitimité présumée de l’intérêt public dans la décision de l’État en question.

 

2) Question sérieuse

[24]           La seule question pertinente à la demande de contrôle judiciaire sous-jacente à cette demande d’injonction interlocutoire est de savoir si Sa Majesté la Reine du chef du Canada et les défendeurs connexes (les « défendeurs représentants de l’État »), c’est-à-dire tous les défendeurs à l’exception de Larco, avaient une obligation de consulter de bonne foi le demandeur en ce qui concerne toute disposition des biens de Vancouver avant une telle disposition éventuelle, ou non seulement de consulter, mais aussi de prendre des mesures d’accommodement, et, si les défendeurs de l’État, si une telle obligation existait dans les faits de l’espèce, se sont acquittés de cette obligation de consulter et de prendre des mesures d’accommodement avant la disposition en question. Mon collègue, le juge Phelan, a instruit une question identique par rapport à une demande d’injonction interlocutoire dans Bande indienne Musqueam c. Canada (Gouverneur en conseil)[6] (l’affaire « Garden River »). Le juge Phelan a offert ses motifs aux paragraphes [24] à [31] :

[traduction]

 

[24] L’essentiel de l’argumentation de la Bande [le demandeur] est décrit comme suit dans son mémoire des faits et du droit :

 

9.             Ce que la bande de Musqueam vise dans la présente instance c’est d’avoir l’occasion de négocier de bonne foi et d’obtenir que l’État s’efforce sincèrement de composer au sujet de ses droits et intérêts sur le bien Garden City. La bande cherche à obtenir cette occasion avant que le terrait soit transféré à CLC ou à quelqu’un d’autre. C’est là le fondement de sa demande d’injonction.

 

[25] Cela ressemble, si je comprends bien, à une demande de négociation de « bonne foi » en contexte de relations de travail, rendue plus complexe par les principes généraux de l’obligation fiduciaire envers les Autochtones, les principes de droit public et la question de la compétence des défendeurs fédéraux.

 

[26] Après examen des faits établis par la demanderesse et comme il est mentionné au paragraphe 18, il est raisonnable de prétendre que le gouvernement canadien n’a ni négocié ni composé avec la demanderesse tel qu’il en est requis selon cette dernière.

 

[27] La question essentielle, eu égard au paragraphe 23, est celle de savoir si constitue une question suffisamment sérieuse celle de l’existence ou non de pareille obligation de négocier et de composer.

 

[28] Dans Taku River Tlingit First Nation c. Tulsequah Chief Mine Project... la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a déterminé l’existence et la nature de l’obligation :

 

Souscrire à la prétention de l’État, selon laquelle l’obligation de consulter n’est déclenchée que lorsqu’on a établi l’existence d’un droit ancestral dans une instance, ce serait faire abstraction de l’essence des déclarations de la Cour suprême non seulement dans Sparrow, mais aussi dans des décisions antérieures, lorsqu’elle a insisté sur l’obligation incombant au gouvernement de protéger les droits des Indiens en raison de la relation fiduciaire particulière créée par l’histoire, les traités et les lois. [...] En effet, si on souscrivait à cette prétention, de fait, le paragraphe 35(1) verrait de beaucoup réduite sa portée constitutionnelle.

[...]

La jurisprudence va dans le même sens à mon avis que le juge en chambre, selon lequel, avant de délivrer le certificat d’approbation de projet, le ministre devait « tenir compte de la possibilité que cette décision enfreigne des droits ancestraux » et veiller à s’assurer, par conséquent, de la prise en compte de l’essentiel des préoccupations des Tlingits.

 

[29] Les défendeurs fédéraux ont donc pour responsabilité de protéger les intérêts des Autochtones, une obligation dont selon la Bande, ils ne seraient pas acquittés.

 

[30] Les défendeurs fédéraux ont toutefois l’obligation concurrente d’agir dans l’intérêt supérieur du public, ce qui peut nécessiter d’engager des négociations serrées. Il n’est pas facile de mettre en balance ces obligations concurrentes, et cette question devra être tranchée dans le cadre du contrôle judiciaire.

 

[31] En 2002, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a donné des précisions quant à la nature des obligations en cause. Dans Haida Nation c. British Columbia (Minister of Forests), la Cour d’appel a décrit comme suit la question dont elle avait à connaître :

 

La principale question en litige dans le présent appel, c’est celle de savoir si l’État et des tiers ont l’obligation de consulter des Autochtones qui ont revendiqué expressément un titre aborigène ou des droits ancestraux en regard d’atteintes éventuelles à ce titre ou à ces droits avant qu’un tribunal compétent ne se soit prononcé à leur sujet.

 

[32] La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que c’était là une question importante, puisque l’État pouvait, si on en faisait abstraction, passer outre à un titre aborigène ou à des droits ancestraux ou y déroger avant que ceux-ci aient été établis par traité ou par jugement.

 

[33] Les défendeurs fédéraux pourraient de même en l’espèce, en passant outre à l’obligation de consulter et de composer (si tant est qu’elle existe), vendre ou aliéner l’objet même de l’obligation.

[références omises] 

 

[25]           À l’époque ou mon collègue le juge Phelan instruisait l’affaire « Garden River », un appel découlant de la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’Haida Nation[7], mentionnée dans la référence précédente, venait d’être instruit par la Cour suprême du Canada. Le jugement n’avait cependant pas été rendu. Le jugement de la Cour, délivré par le juge en chef le 18 novembre 2004, offrait une clarification supplémentaire sur l’obligation de consulter et de composer. Les passages suivants sont extraits de ce jugement :

[traduction]

 

Au paragraphe 14 :

[...] Les affaires portant sur des revendications autochtones peuvent être extrêmement complexes et prendre des années, voire des décennies, avant d’être tranchées par les tribunaux. L’application d’une injonction interlocutoire pendant une si longue période pourrait causer des préjudices inutiles et pourrait inciter la partie en bénéficiant à faire moins de compromis. Même si les revendications autochtones sont et peuvent être réglées dans le cadre de litiges, il est préférable de recourir à la négociation pour concilier les intérêts de l’État et ceux des Autochtones. Pour toutes ces raisons, il est possible qu’une injonction interlocutoire ne tienne pas suffisamment compte des intérêts autochtones avant qu’une décision définitive soit rendue au sujet de ceux-ci.

 

Aux paragraphes 16 et 17 :

L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de l’État. L’honneur de l’État est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones : voir par exemple R. c. Badger, [...]; R. c. Marshall, [...]. Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes.

 

Les origines historiques du principe de l’honneur de l’État tendent à indiquer que ce dernier doit recevoir une interprétation généreuse afin de refléter les réalités sous-jacentes dont il découle. Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, l’État doit agir honorablement. Il s’agit là du minimum requis pour parvenir à « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté » : Delgamuukw, [...].

 

Aux paragraphes 25 à 27 :

En résumé, les Autochtones du Canada étaient déjà ici à l’arrivée des Européens; ils n’ont jamais été conquis. De nombreuses bandes ont concilié leurs revendications avec la souveraineté de l’État en négociant des traités. D’autres, notamment en Colombie-Britannique, ne l’ont pas encore fait. Les droits potentiels visés par ces revendications sont protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de1982. L’honneur de l’État commande que ces droits soient déterminés, reconnus et respectés. Pour ce faire, l’État doit agir honorablement et négocier. Au cours des négociations, l’honneur de l’État peut obliger celle-ci à consulter les Autochtones et, s’il y a lieu, à trouver des accommodements à leurs intérêts.

[...]

L’obligation de négocier honorablement emporte celle de consulter les demandeurs autochtones et de parvenir à une entente honorable, qui tienne compte de leurs droits inhérents. Mais prouver l’existence de droits peut prendre du temps, parfois même beaucoup de temps. Comment faut-il traiter les intérêts en jeu dans l’intervalle? Pour répondre à cette question, il faut tenir compte de la nécessité de concilier l’occupation antérieure des terres par les peuples autochtones et la réalité de la souveraineté de l’État. Celle-ci peut-elle, en vertu de la souveraineté qu’elle a proclamée, exploiter les ressources en question comme bon lui semble en attendant que la revendication autochtone soit établie et réglée? Ou doit-elle plutôt adapter son comportement de manière à tenir compte des droits, non encore reconnus, visés par cette revendication?

 

La réponse à cette question découle, encore une fois, de l’honneur de l’État. Si cette dernière entend agir honorablement, elle ne peut traiter cavalièrement les intérêts autochtones qui font l’objet de revendications sérieuses dans le cadre du processus de négociation et d’établissement d’un traité. Elle doit respecter ces intérêts potentiels, mais non encore reconnus. L’État n’est pas paralysé pour autant. Elle peut continuer à gérer les ressources en question en attendant le règlement des revendications. Toutefois, selon les circonstances, question examinée de façon plus approfondie plus loin, le principe de l’honneur de l’État peut obliger celle-ci à consulter les Autochtones et à prendre raisonnablement en compte leurs intérêts jusqu’au règlement de la revendication. Le fait d’exploiter unilatéralement une ressource faisant l’objet d’une revendication au cours du processus visant à établir et à régler cette revendication peut revenir à dépouiller les demandeurs autochtones d’une partie ou de l’ensemble des avantages liés à cette ressource. Agir ainsi n’est pas une attitude honorable.

 

Et au paragraphe 35 :

Mais à quel moment, précisément, l’obligation de consulter prend-elle naissance? L’objectif de conciliation ainsi que l’obligation de consultation, laquelle repose sur l’honneur de l’État, tendent à indiquer que cette obligation prend naissance lorsque l’État a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui-ci :  voir Halfway River First Nation v. British Columbia (Ministry of Forests).

[références omises, accent d’intensité ajouté]

 

[26]           Ce que contient le jugement de la Cour suprême dans Haida est beaucoup plus pertinent aux faits de l’espèce que ce qu’on vient de citer. Cela étant dit, je suis convaincu que les citations de Haida et des autres autorités ont clairement établi que la question de l’obligation de consulter de bonne foi et peut-être de prendre des mesures d’accommodement est une question sérieuse qui est pertinente aux éléments de preuve devant notre Cour. Je suis aussi convaincu qu’il est également suffisant aux fins de la présente demande d’injonction, tenant compte du niveau de rigueur nécessaire en ce qui concerne les faits de l’espèce relatifs à l’élément de « question sérieuse » du critère tripartite, que la question a été soulevée et qu’elle est assez contestable. La question de savoir si la nature des biens de Vancouver, y compris leur superficie au sol relativement faible et leur emplacement au cœur du milieu commercial du centre-ville de Vancouver, a un impact qui permettrait à la demande sous-jacente de contrôle judiciaire de se distinguer de la demande équivalente dans l’affaire « Garden City », mentionnée précédemment, est une question à déterminer, s’il y a lieu de le faire, un autre jour.

 

3) Préjudice irréparable

[27]           La conclusion imminente de la vente des biens de Vancouver causera-t-elle un préjudice irréparable ne donnant pas droit à réparation au demandeur? La Cour doit examiner non pas la magnitude du préjudice, mais la « portée du préjudice » qui serait causé. Bien qu’on puisse verser de l’argent en réparation pour pratiquement tout, le simple fait qu’on peut ordonner cette réparation ne règle pas la question. La Cour doit examiner la nature réelle de ce qui pourrait être perdu. Il ne semble pas être contesté que les biens de Vancouver se trouvent dans le territoire décrit dans la Déclaration de titre ancestral des Musqueam produite par la Nation Musqueam en juin 1976. Le demandeur, le Canada et la Colombie-Britannique ont alors entrepris des négociations de traité et ce processus se poursuit, si parfois de façon sporadique, depuis le début de 1994. Dans l’affidavit présenté au nom du demandeur dans le cadre de la présente requête, le déposant atteste ce qui suit :

[traduction]

 

[...]

5. La Nation Musqueam compte actuellement environ 1 200 membres, dont 55 % habitent sur réserve. Les assises territoriales du peuple Musqueam sous le système de réserves sont très petites et nous souffrons d’un grave manque de terrain. Le lotissement par personne de notre réserve est le plus petit de toutes les bandes de la Colombie-Britannique. Environ 200 membres figurent actuellement sur la liste d’attente pour le logement. Un nombre important de membres adultes de la bande sont sans emploi en ce moment et le taux de chômage est un problème chronique pour nos membres.

 

6. Les biens sis au 401, rue Burrard, et au 757, rue Hastings Ouest [les biens de Vancouver], qui font l’objet de la présente demande, se situent sur le territoire traditionnel des Musqueam.

 

 

[28]           Par conséquent, les enjeux qui préoccupent le demandeur ne se prêtent peut-être pas à un règlement monétaire. Ce qui importe pour le demandeur, c’est d’accroître ses assises territoriales et, comme on l’a mentionné plus tôt, les biens de Vancouver figurent dans l’inventaire limité de terres qui sont toujours entre les mains du gouvernement fédéral dans la zone de revendication du demandeur.

 

[29]           Eu égard au bref sommaire des considérations, je suis convaincu que le demandeur subirait un préjudice irréparable ne donnant pas droit à réparation si les biens de Vancouver étaient aliénés par le gouvernement du Canada sans consultations complètes et utiles de bonne foi, et peut-être composer, conformément à l’honneur de l’État.

 

4) Prépondérance des avantages et des inconvénients

[30]           Comme nous l’avons noté plus tôt, en l’espèce, pour décider où se situe l’équilibre entre avantage et inconvénient entre le demandeur et les défendeurs de l’État, l’intérêt public doit être pris en considération.

 

[31]           L’avocat des défendeurs de l’État a fait valoir que la Cour a un devoir de retenue envers la responsabilité des défendeurs de l’État d’élaborer et d’appliquer des politiques publiques dans l’intérêt public et que la vente des biens de Vancouver, avec les sept (7) autres biens compris dans l’arrangement de cession-bail en question, représente justement la mise en œuvre partielle d’une politique gouvernementale adoptée dans l’intérêt public et de laquelle découle un avantage important, soit l’efficience accrue des opérations du gouvernement et des économies substantielles en fonds publics à court terme et long terme. Par opposition, l’avocat des Musqueam a affirmé qu’il existe un intérêt important, non seulement de la part des Musqueam, mais du public en général, de protéger l’honneur de l’État en participant à des consultations complètes et utiles de bonne foi et, s’il y a lieu, de composer avec les intérêts des Musqueam avant tout transfert de titre des biens de Vancouver.

 

[32]           Je suis convaincu, tout compte fait, que l’intérêt public est mieux servi par la protection de l’honneur de l’État que l’avantage d’une durée comparativement courte à moyenne découlant de la vente essentiellement immédiate des biens de Vancouver. Le fait, selon les éléments de preuve devant la Cour, que l’État pourrait reprendre le titre des biens de Vancouver quelque vingt-cinq (25) ans plus tard ne constitue pas, en soi, une réparation adéquate, pour les Musqueam, pour la perte de négociations complètes et utiles, et possiblement des mesures d’accommodement.

 

5) Une promesse de respecter toute ordonnance de la Cour en ce qui concerne préjudices causés par l’émission ou la prolongation d’une injonction interlocutoire

[33]           Dans les documents écrits déposés au nom du demandeur dans le cadre de la présente demande, le demandeur maintenait qu’il ne devrait pas être tenu de suivre la pratique normale de s’engager à verser des dommages-intérêts si la demande est accueillie. Il affirmait que sa demande d’injonction était beaucoup plus solide que celle au contraire des défendeurs de l’État, tant par rapport au critère de la question sérieuse à trancher que de celui de la prépondérance des avantages et inconvénients, et qu’il existait des circonstances spéciales en l’espèce en ce que le demandeur cherchait à obtenir une injonction contre l’État et que sa demande reposait sur un droit constitutionnel fondamental. De plus, le demandeur insistait sur le fait que le potentiel de préjudice était très élevé et incertain, compte tenu de l’importance de l’opération immobilière totale en question. L’avocat insistait sur le fait que le fardeau d’un tel engagement serait insoutenable, nonobstant le fait que le demandeur reconnaît qu’il n’est pas [traduction] « pauvre ».

 

[34]           En réponse, l’avocat des défendeurs de l’État insistait sur le fait qu’il n’existait aucune circonstance spéciale qui justifierait de soustraire le demandeur au besoin de prendre un engagement significatif qui constituerait, en fait, une certaine assurance de protection des intérêts de l’ensemble des contribuables canadiens.

 

[35]           Au début de l’audience de la demande, la Cour a demandé au demandeur s’il s’était mis en position de prendre un engagement s’il réussissait à obtenir une injonction interlocutoire et la Cour a décidé qu’il ne devrait pas pouvoir se soustraire à la responsabilité de prendre un tel engagement. L’avocat du demandeur a répondu que le demandeur n’avait pas pris en considération la position dans laquelle il se trouverait s’il réussissait à obtenir son injonction et qu’on ne lui permettait pas de se soustraire à la prise d’un engagement. La Cour avait indiqué sa préoccupation par rapport à cette réponse.

 

[36]           Avant la fin de l’audience, le demandeur a eu l’occasion, bien que limitée, de réexaminer sa position relative à la prise d’un engagement. L’avocat du demandeur a indiqué qu’après réexamen, le demandeur était disposé à prendre un engagement, mais assujetti à une limite supérieure de 2 millions de dollars. L’avocat des défendeurs de l’État a maintenu sa position selon laquelle un engagement illimité était nécessaire.

 

[37]           À la fin de l’audience, la Cour a conclu qu’une injonction interlocutoire serait émise en faveur du demandeur et qu’un engagement en dommages-intérêts d’une somme limitée de 2 millions de dollars serait nécessaire. Le raisonnement de la Cour selon lequel elle accepte l’engagement offert par le demandeur est le suivant : premièrement, la Cour n’est pas convaincue qu’il existe des motifs spéciaux en l’espèce pour justifier de permettre au demandeur de se soustraire au fardeau de prendre un engagement en dommages-intérêts; cela étant dit, la Cour accepte les observations au nom du demandeur selon lesquelles les seuls éléments de preuve devant la Cour sur d’éventuels dommages-intérêts étaient hautement spéculatifs, donnant ainsi lieu à un montant estimatif de dommages-intérêts éventuels qui aurait imposé au demandeur un fardeau déraisonnable eu égard à l’ensemble des faits de l’espèce. Cela étant dit, la Cour a exprimé sa préoccupation par rapport au fait que la position adoptée par le demandeur à cet égard ne lui permettait essentiellement pas d’examiner les options éventuelles qui auraient pu lui permettre de prendre un engagement plus substantiel à un coût raisonnable.

 

[38]           L’ordonnance de la Cour en question, prise le jour où l’audience a pris fin, exige du demandeur qu’il dépose et signifie son engagement limité ce même jour afin de préserver l’impact de l’injonction délivrée. Le demandeur a respecté l’exigence.

 

6) Coûts

[39]           Le demandeur a demandé des dépens pour cette demande. À la lumière de ce que la Cour estime être la position inacceptable adoptée par le demandeur sur la question de l’engagement en dommages-intérêts, la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire et a refusé d’ordonner le versement des dépens après l’événement. L’ordonnance de la Cour, rendue le jour de la fin de l’audience, indiquait qu’il n’y aurait pas d’ordonnance pour les dépens.

 

CONCLUSION

[40]           Pour les motifs qui précèdent, la Cour a rendu une ordonnance le 28 septembre dernier stipulant ce qui suit :

[traduction]

 

  À LA SUITE d’une requête présentée le 24 septembre 2007 au nom du demandeur en vertu des articles 373 et 377 de la Loi sur les Cours fédérales, 1998, pour :

 

1.             une injonction interlocutoire empêchant Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le Conseil du Trésor du Canada et le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, selon le cas, de transférer, de vendre, ou de quelque façon de disposer des biens suivants avant l’audience de la demande déposée dans les présentes.

 

a)             401, rue Burrard, Vancouver, C.-B.

                Identificateur de parcelle : 018-392-164

                Lot 1 bloc 1 lot de district 185 Plan Lmp11726;

 

b)            Centre Sinclair, 757, rue Hastings Ouest, Vancouver, C.-B.

                Identificateur de parcelle : 006-834-353

                Lot 15 district Lot 541 Plan 20191

 

                (les « biens » et

 

2.             une ordonnance selon laquelle le demandeur n’est pas tenu de prendre un engagement de respecter toute ordonnance relative aux dommages-intérêts causés par la délivrance ou la prolongation de l’injonction;

 

3.             une ordonnance selon laquelle le demandeur a droit aux dépens pour cette requête.

 

                LA COUR ORDONNE que, pour les motifs à suivre,

                1.             L’injonction interlocutoire décrite au paragraphe 1 ci-dessus est accordée, sous réserve du paragraphe 2 ci-dessous.

                2.             Le demandeur doit signifier et déposer, ce jour même, un engagement en dommages-intérêts limité de deux millions de dollars (2 000 000 $) aux défendeurs, autres que Larco Investments Ltd. Si le demandeur omet de signifier et déposer cet engagement, l’injonction accordée au paragraphe 1 de la présente ordonnance est annulée.

                3.             Aucune ordonnance n’est rendue concernant les dépens.   

 

 

 

 

 

 

« Frederick E. Gibson »

JUGE

 

Ottawa (Ontario)

Le 5 octobre 2007

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1691-07

 

INTITULÉ :                                       BANDE INDIENNE MUSQUEAM

 

demandeur

Et

 

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, L’HONORABLE MICHAEL M. FORTIER, P.C. EN SA CAPACITÉ DE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX, LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA ET LARCO INVESTMENTS LTD.

 

défendeurs

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver, Colombie-Britannique

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 27 et 28 septembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 Octobre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Me Rhys Davies

Me Sarah Ciarrocchi

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Donnaree Nygard

Me Lindsay Morphy

 

Me Randall Hordo

POUR LES DÉFENDEURS DE L’ÉTAT

 

 

POUR LE DÉFENDEUR LARCO

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davies LLP

Vancouver, Colombie-Britannique

 

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice,

Vancouver, Colombie-Britannique

 

Hordo & Bennett

Vancouver, Colombie-Britannique

POUR LES DÉFENDEURS DE L’ÉTAT

 

 

POUR LE DÉFENDEUR LARCO

                                                                                                                                                    



[1] L.R. 1985, ch. I-5.

[2] [2004] 3 R.C.S. 511.

[3] 2005 BCCA 128, 7 mars 2005.

[4] [1990] 1 R.C.S. 1075.

[5] [1994] 1 R.C.S. 311, au paragraphe 334.

[6] [2004] 4 C.F. 391 (T.D.).

[7] Supra, note 2.

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