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Date : 20071022

Dossier : IMM-5613-06

Référence : 2007 CF 1087

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

ZI JUN LI

YING CHENG

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 28 septembre 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

 

LES FAITS

[2]               Les demandeurs sont un couple marié. Ils demandent l’asile au Canada du fait de leur participation à des activités illégales du Falun Gong en République populaire de Chine (la Chine). Les demandeurs ont tous les deux été identifiés par la Commission comme étant des citoyens de la Chine.

 

[3]               Les demandeurs racontent qu’ils ont commencé à pratiquer le Falun Gong en décembre 1998 après que leur ami Qiang Wang les y eut initiés. Les demandeurs expliquent que ce qui les a convaincus d’adhérer au Falun Gong était le fait qu’ils croyaient qu’ils pourraient ainsi soulager leurs douleurs au dos et leur arthrite. Ils ont reçu leur enseignement de Qiang Wang, ont commencé à pratiquer le Falun Gong dans le parc avec d’autres personnes et ils partageaient leurs sentiments et leur expérience avec d’autres adeptes tous les dimanches. Les demandeurs affirment que, peu à peu, le Falun Gong a été intégré à leur vie, et qu’il a changé leur vie.

 

[4]               Le 12 juillet 1999, le gouvernement chinois a annoncé que le Falun Gong était une organisation illégale et il a commencé à réprimer ses adeptes. Peu de temps après, les demandeurs ont entendu dire que leur ami et professeur, Qiang Wang, avait été arrêté parce qu’il pratiquait le Falun Gong. Le 7 août 1999, le demandeur a été arrêté au travail et a été conduit au poste de police, où il a été menotté, forcé de s’agenouiller au mur et privé de nourriture. Il a été interrogé au sujet de ses liens avec Qiang Wang et avec le Falun Gong. Il n’a été relâché que cinq jours plus tard, après que ses parents eurent versé une somme d’argent à la police et après avoir signé un aveu de repentir dans lequel il s’engageait à ne plus pratiquer le Falun Gong. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse affirme aussi avoir été arrêtée le 7 août 1999 et avoir subi un traitement semblable à celui de son mari.

 

[5]               À la suite de son arrestation, le demandeur a été congédié de son emploi et a été forcé de s’inscrire à un cours de rééducation en signe de repentir pour avoir adhéré au Falun Gong. Le demandeur affirme aussi qu’il n’a pas réussi à se retrouver un travail régulier et que lui et sa femme ont été forcés de vendre leur maison.

 

[6]               Le 10 juillet 2005, les demandeurs ont réclamé l’aide d’un agent et sont venus au Canada dans le but d’obtenir le statut de réfugiés.

 

La décision à l’examen

[7]               Le 28 septembre 2006, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible et digne de foi et qu’en conséquence « les demandeurs d’asile n’étaient pas des adeptes du Falun Gong en Chine ». Les conclusions de la Commission étaient fondées sur plusieurs motifs, y compris les suivants :

 

1)            Les doutes éprouvés par la Commission au sujet des moments où les demandeurs auraient pratiqué le Falun Gong en Chine entre 1999 et 2005 et en compagnie de qui ils l’auraient pratiqué;

2)            Le défaut des demandeurs de répondre à des questions auxquelles on se serait raisonnablement attendu que tout adepte du Falun Gong puisse répondre;

3)            Les importantes omissions constatées dans le FRP des demandeurs en comparaison du témoignage donné par le demandeur devant la Commission;

4)            le long délai écoulé avant que les demandeurs d’asile ne quittent la Chine.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[8]               La question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[9]               En ce qui concerne les conclusions de fait de la Commission, y compris celles qu’elle a tirées au sujet de la crédibilité, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Ce n’est que si les conclusions de la Commission ne reposent pas sur la preuve dont elle disposait que la décision à l’examen sera considérée comme étant manifestement déraisonnable. Sinon, la Cour ne réexaminera pas les faits ou la preuve soumis à la Commission (Jessani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 127, 270 N.R. 293, au paragraphe 16). Dans le cas de conclusions tirées au sujet de la vraisemblance, dès lors que les inférences tirées par le tribunal ne sont pas déraisonnables au point de justifier l’intervention de la Cour, les conclusions qu’elle a tirées au sujet de la vraisemblance ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.), au paragraphe 4).

ANALYSE

Question :    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger?

 

[10]           La décision de la Commission de rejeter les demandes d’asile des demandeurs était principalement fondée sur sa conclusion que le demandeur n’était pas un témoin crédible et digne de foi. Ainsi que la Commission l’a expliqué :

La [Commission] détermine que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile principal n’est pas un témoin crédible ni digne de foi et que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs d’asile n’étaient pas des adeptes du Falun Gong en Chine […]

Le tribunal a de sérieux doutes quant à l’élément fondamental des demandes des demandeurs d’asile en l’espèce, soit le fait qu’ils sont des adeptes du Falun Gong.

 

[11]           Les demandeurs soutiennent que trois des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité sont mal fondées. Plus précisément, les demandeurs affirment que la Commission s’est méprise en concluant :

1)            qu’il n’est pas vraisemblable qu’un véritable adepte du Falun Gong ne pratiquerait pas chaque jour mais seulement quand il en a le temps;

2)            qu’il n’est pas vraisemblable que les demandeurs aient attendu près de six ans avant de quitter la Chine;

3)            qu’il n’est pas vraisemblable que le demandeur rencontrerait ses camarades adeptes du Falun Gong sans pratiquer le Falun Gong avec eux.

 

[12]           Sur le premier argument que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’est pas vraisemblable qu’un véritable adepte du Falun Gong ne pratiquerait pas chaque jour, je ne suis pas persuadé qu’il s’agisse là d’une conclusion manifestement déraisonnable.

 

[13]           S’agissant de cette conclusion, voici ce que la Commission a déclaré :

Le tribunal fait remarquer que, à son audience, le demandeur d’asile principal a affirmé qu’il avait continué à pratiquer le Falun Gong en Chine après juillet 2005, moment où il a quitté la Chine, mais qu’il ne pratiquait pas quotidiennement et qu’il le faisait seul, chez lui, quand il en avait le temps. Le tribunal estime peu vraisemblable qu’un véritable adepte du Falun Gong ne pratique pas tous les jours et qu’il le fasse uniquement lorsqu’il en a le temps.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

Il ressort de la lecture de la transcription que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable dans le passage précité. Le demandeur a en effet témoigné qu’il avait continué à pratiquer le Falon Gong en Chine après son arrestation et jusqu’en juillet 2006 (lors de son départ de la Chine), mais que [traduction] « Après ma remise en liberté, je n’ai pas pratiqué quotidiennement. Je pratiquais seul, chez moi, quand j’en avais le temps ». L’erreur qu’a commise la Commission dans ses motifs consistait simplement en le fait d’avoir écrit « après » au lieu d’« avant ». En ce qui concerne la conclusion de la Commission suivant laquelle il n’est pas vraisemblable qu’un véritable adepte du Falun Gong ne pratiquerait pas chaque jour mais seulement quand il en a le temps, elle n’est pas déraisonnable au point de justifier l’intervention de la Cour. Il n’est pas déraisonnable qu’un adepte du Falon Gong pratique chaque jour et qu’il le fasse en privé lorsqu’il ne peut le faire en public.

 

[14]           Pour ce qui est de l’argument des demandeurs que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’est pas vraisemblable que les demandeurs aient attendu près de six ans avant de quitter la Chine, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion au vu de la preuve, et la Commission n’a commis aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour. Si les demandeurs étaient persécutés, ils auraient cherché à partir plus tôt.

 

[15]           Quant au troisième moyen invoqué par les demandeurs, je conclus que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas vraisemblable que les adeptes du Falun Gong se rencontrent chaque semaine sans pratiquer le Falun Gong. Dans ses motifs, la Commission déclare :

En outre, le demandeur d’asile principal a indiqué dans son témoignage qu’il avait pratiqué en groupe, après sa libération, mais il a précisé : [traduction] « Oui, je me joignais à un groupe. » Ils se rencontraient au poste du BSP et, oui, ils se rencontraient toutes les semaines, mais ils ne pratiquaient jamais ensemble. Le tribunal ne juge pas vraisemblable que le demandeur d’asile principal rencontre chaque semaine ses camarades adeptes du Falun Gong et qu’ils ne pratiquent pas ensemble.

 

À mon avis, après avoir examiné les témoignages entendus à l’audience, la preuve ne permettait pas raisonnablement à la Commission de tirer une telle conclusion. Dans son témoignage, le demandeur explique qu’il rencontrait chaque semaine d’autres adeptes du Falun Gongs dans les locaux du Bureau de la sécurité publique parce que la police leur en avait donné l’ordre. Ces rencontres étaient, selon les demandeurs, imposées, et n’avaient rien à voir avec des rassemblements personnels visant à pratiquer le Falun Gong.

 

[16]           Cette erreur ne suffit cependant pas à elle seule à vicier la conclusion de la Commission suivant laquelle les demandeurs n’ont pas été persécutés en tant qu’adeptes du Falun Gong et sont venus au Canada pour cette raison. Comme le défendeur le signale, la Commission s’est fondée sur plusieurs autres motifs, dont certains sont importants, pour conclure que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir qu’ils avaient été persécutés en tant qu’adeptes du Falun Gong. Il vaut la peine de mentionner un des motifs en question, en l’occurrence les divergences marquées entre le FRP des demandeurs et le témoignage qu’ils avaient donné devant la Commission. Par exemple, le demandeur a témoigné qu’après avoir été arrêté une première fois le 7 août 1999, il a été de nouveau arrêté une dizaine de fois entre 1999 et la fin de 2002. Or, nulle part dans son FRP, le demandeur ne fait mention de ces arrestations ultérieures, une omission qui a conduit la Commission à tirer une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité. À mon avis, c’est à bon droit que la Commission a conclu que des faits aussi importants « auraient dû être mentionnés dans l’exposé circonstancié du FRP du demandeur d’asile ».

 

[17]           Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a également commis une erreur en conclurant que la demanderesse n’était pas une adepte du Falun Gong, étant donné que [traduction] « la Commission ne disposait pas de la moindre parcelle de preuve pour appuyer cette conclusion ». L’argument des demandeurs repose sur leur opinion que la Commission ne pouvait conclure que la demanderesse n’était pas une adepte du Falun Gong en se basant exclusivement sur sa conclusion que le demandeur n’était pas un témoin crédible et digne de foi. À l’appui de cet argument, les demandeurs citent le jugement Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1751 (QL), dans lequel le juge Rouleau dit, au paragraphe 18 :

¶ 18  Il a clairement été établi qu'un tribunal statuant en matière de statut de réfugié doit tenir compte de la totalité des éléments de preuve dont il dispose lorsqu'il s'agit d'évaluer la crédibilité d'un revendicateur du statut de réfugié. Le tribunal peut rejeter une revendication pour le motif que le revendicateur n'est pas crédible, mais doit exposer ce motif clairement, et il doit motiver la conclusion quant à la crédibilité.

 

[18]           Le défendeur affirme toutefois que, parce que la demande d’asile de la demanderesse et son exposé circonstancié étaient dans l’ensemble semblables à ceux de son mari, la Commission n’était pas tenue d’exposer séparément les raisons pour lesquelles elle déboutait la demanderesse de sa demande d’asile. À l’appui de cet argument, citons le jugement Akramov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 122, 287 F.T.R. 93, dans lequel le juge Beaudry explique que, puisque la Commission avait conclu que le demandeur principal n'avait pas établi clairement les faits relatifs à sa demande d’asile, il n'était pas déraisonnable qu'elle conclue que les demanderesses secondaires n'avaient pas établi non plus le bien-fondé de leur demande d’asile.

 

[19]           Il me faut donc conclure que la décision de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable et que la présente demande doit par conséquent être rejetée.

 

[20]           Les deux parties et la Cour conviennent que la présente demande ne soulève pas de question à certifier dans le cadre d’un appel.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5613-06

 

INTITULÉ :                                                   ZI JUN LI

                                                                        YING CHENG et

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                       

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 16 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 22 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leonard H. Borenstein                                                              POUR LES DEMANDEURS

                                                                                               

 

Tamrat Gebeyehu                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lewis & Associates                                                                  POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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