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Date : 20071025

Dossier : T-341-06

Référence : 2007 CF 1107

 

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

LA NATION CRIE DE TATASKWEYAK

(auparavant la PREMIÈRE NATION CRIE DE SPLIT LAKE)

 

demanderesse

et

 

ALBERT SINCLAIR PÈRE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Albert Sinclair s’est plaint d’avoir été congédié injustement de son poste d’annonceur et de disc-jockey à la station radiophonique de Split Lake (Manitoba), où est établie la Nation crie de Tataskweyak, une bande selon la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5. Un arbitre a tenu une audience conformément au paragraphe 242(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (le Code) et, le 26 novembre 2004, il a ordonné sa réintégration et rendu un jugement, avec dépens, condamnant la demanderesse à lui verser 17 028 $. M. Sinclair a obtenu de la Cour, le 17 janvier 2006, une ordonnance de saisie‑arrêt, qui a été dûment signifiée à la demanderesse. La demanderesse voudrait maintenant que soit infirmée la décision de l’arbitre, en faisant valoir qu’elle n’a pas été informée de la procédure, qu’elle n’était pas l’employeur du défendeur et que le congédiement de celui-ci ne lui était pas imputable.

 

[2]               La réserve de la demanderesse se trouve à environ 150 km au nord-est de Thompson, au Manitoba. Il y a, dans la réserve, une station radiophonique dont la licence a été délivrée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et qui est détenue par Northern Communications Inc. (NCI) depuis 1996. NCI est propriétaire du transmetteur, mais n’intervient aucunement dans la gestion de la station, qui diffuse gratuitement une programmation locale et restreinte. La station était, de 2000 à 2004, dirigée par Virginia Audy, un membre de la bande habitant la réserve. Les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si la bande jouait un rôle dans la propriété, l’exploitation ou la supervision de la station radiophonique.

 

[3]               M. Sinclair, un membre inscrit de la bande, a travaillé à la station radiophonique durant plus de cinq ans avant d’être congédié par Virginia Audy en novembre 2003. Il a communiqué avec une inspectrice à Développement des ressources humaines Canada pour déposer une plainte de congédiement injuste comme l’y autorisait l’article 241 du Code. L’inspectrice a mené une enquête et entrepris d’aider les parties à régler la plainte. Elle n’y est pas parvenue, l’employeur supposé ayant négligé de répondre à ses demandes successives de renseignements. L’inspectrice a donc renvoyé l’affaire à un arbitre conformément au paragraphe 242(1) du Code.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[4]               L’audience d’arbitrage s’est déroulée le 23 novembre 2004, à Thompson. La demanderesse ne s’y est pas présentée, et tout ce que l’arbitre avait devant lui fut le témoignage de M. Sinclair. L’arbitre a rédigé sa décision en écrivant d’abord qu’il avait tenté à plusieurs reprises de communiquer avec la bande demanderesse, en vain, comme l’avait fait l’inspectrice. Il disait qu’il avait finalement pu communiquer, par téléphone, avec Mme Audy, qu’il a décrite comme la représentante de l’employeur, et qu’il l’avait informée de l’audience à venir, les détails devant lui être confirmés par la poste. Avis de l’audience fut signifié aux parties par courrier ordinaire. M. Sinclair en a accusé réception et s’est présenté à l’audience. Nul n’a comparu pour la bande.

 

[5]               Le plaignant a témoigné sous serment et produit comme preuve d’emploi une feuille de paie datée de juillet 2003. L’arbitre a jugé son témoignage crédible et sincère et a conclu qu’il avait été congédié injustement. Il a ordonné que M. Sinclair soit réintégré dans son poste, avec prise d’effet le 1er décembre 2004, et qu’il soit indemnisé pour son manque à gagner.

 

[6]               La décision de l’arbitre, répertoriée : Sinclair c. Première nation de Split Lake, [2004] C.L.A.D. n° 600, a été enregistrée comme jugement de la Cour fédérale, numéro du greffe T‑304‑05, le 15 février 2005. Comme je l’ai dit, le défendeur a obtenu une ordonnance de saisie‑arrêt, qui a été envoyée par télécopieur au chef de la bande, Norman Flett, le 27 janvier 2006. La présente demande a alors été déposée le 24 février 2006. Les sommes saisies ont été consignées à la Cour jusqu’à l’issue de la présente instance.

 

POINTS LITIGIEUX

 

[7]               Les points que j’ai recensés à la lecture des pièces déposées et des conclusions des avocats sont les suivants :

1.      La demande est-elle prescrite?

2.      La décision de l’arbitre contrevient-elle à l’équité procédurale?

 

ARGUMENTS ET ANALYSE

 

            Norme de contrôle

 

[8]               Dans leurs pièces écrites, aucune des parties n’a évoqué la norme de contrôle que la Cour devrait appliquer ici. Dans son argumentation orale, l’avocat de la demanderesse a fait valoir que l’équité procédurale appelle la norme de la décision correcte. Selon l’avocat du défendeur, il s’agissait d’abord de savoir si l’arbitre s’est fourvoyé en partant du principe que la bande demanderesse était l’employeur. C’était là selon lui une question de fait, qui devait être revue selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[9]               Dans le jugement North c. West Region Child and Family Services Inc. [2005] C.A.F. n° 1686 (QL), au paragraphe 13, la juge Snider a dégagé plusieurs grands principes au regard de la norme de contrôle applicable à la décision d’un arbitre agissant selon la partie III du Code canadien du travail. Aux fins de la présente instance, je suis d’avis comme elle qu’une conclusion de fait est réformable selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, et qu’une conclusion rattachée à une convention collective ou autre instrument établissant la relation entre l’employeur et l’employé est une question mixte de droit et de fait, qui appelle la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[10]           Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, la Cour suprême du Canada écrit que, lorsqu’une cour de justice examine une décision qui est contestée pour manquement présumé à l’équité procédurale, elle doit isoler toute action ou omission intéressant l’équité procédurale. Cet élément touchant l’équité procédurale est revu en tant que question de droit. Une question de droit n’appelle aucune retenue. Soit le décideur s’est conformé au contenu de l’obligation d’équité dicté par les circonstances de l’affaire, soit il a manqué à son obligation.

 

[11]           Au cœur de la présente affaire est la question de savoir si l’arbitre a manqué à l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse parce qu’il a décidé de tenir l’audience en l’absence de l’employeur présumé. Pour l’examen de cette question, il faut appliquer la norme de la décision correcte.

 

            La demande est-elle prescrite?

 

[12]           Selon le défendeur, la décision de l’arbitre a été portée à l’attention de la bande plus de un an avant qu’elle ne sollicite le contrôle judiciaire de la décision. Le délai de 30 jours prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales était donc expiré lorsque la présente demande a été déposée, et aucune ordonnance de prorogation du délai n’a été sollicitée ou accordée.

 

[13]           La demanderesse n’a pas directement abordé la question du délai dans ses conclusions écrites ou orales. La position qu’elle avance dans ses conclusions écrites est qu’elle n’a pas reçu avis de l’audience et n’a pas eu la possibilité de présenter des conclusions, oralement ou par écrit, ce qui était là une violation du principe (audi alteram partem) selon lequel les deux parties doivent être entendues. La demanderesse a nuancé cette position dans son argumentation orale. Selon son avocat, la position de la bande aujourd’hui est que, même si la bande a pu recevoir avis de l’audience, ceux qui étaient informés de la situation ont estimé que la bande était étrangère à cette affaire. D’après eux, c’était à Mme Audy qu’il appartenait de s’occuper du dossier, et ils étaient maintenant pris dans un filet qu’on avait jeté trop loin.

 

[14]           Chacune des parties s’est plainte de la qualité des preuves produites par l’autre. La demanderesse dit que l’affidavit du défendeur est rempli de dépositions faites sur la foi d’autrui et qu’il n’est pas conforme à la règle selon laquelle un affidavit doit être fondé sur la connaissance personnelle du déclarant. Le défendeur rétorque qu’il n’est astreint à aucune obligation dans la présente instance et que la demanderesse, qui est en meilleure position de le faire, n’a pas produit la meilleure preuve concernant le fonctionnement de la station radiophonique.

 

[15]           Le dossier de la demanderesse comprend essentiellement l’affidavit du chef Norman Flett, accompagné de deux pièces annexes : la lettre du 27 janvier 2006 de l’avocat du défendeur, communiquée par télécopieur, informant le chef Flett de l’ordonnance de saisie‑arrêt, ainsi que l’ordonnance elle-même. Le chef Flett dit qu’il a été chef de la bande durant environ 16 des 20 dernières années. Il était chef de la bande durant les années 2000 à 2002 inclusivement et il a été élu la dernière fois à cette charge en septembre 2004. Il dit que la bande n’a jamais été le propriétaire ou l’exploitant de la station radiophonique. Virginia Audy a dirigé la station radiophonique à partir d’environ 2002 jusqu’en 2004. En cette qualité, elle ne relevait pas du chef et du conseil, ni d’un quelconque membre du personnel administratif de la bande, et elle n’est pas une employée de la bande. Le chef Flett dit que les pièces annexes de son affidavit furent le premier et unique avis que lui–même ou l’un quelconque de ses conseillers ont reçu de la décision arbitrale. Ni lui ni l’un quelconque des conseillers de la bande n’ont reçu avis de l’audience, d’une manière ou d’une autre. Comme je l’ai dit plus haut, la demanderesse n’a pas insisté sur cette position à l’audience.

 

[16]           Le défendeur a produit son propre affidavit. Il dit que, eu égard à son expérience durant les cinq années au cours desquelles il a travaillé pour la station radiophonique, il croyait savoir que le conseil de la bande exerçait un pouvoir et un droit de regard sur la station, y compris le pouvoir de recruter et de licencier le personnel de la station. M. Sinclair dit que, peu après avoir reçu la décision arbitrale, il s’est présenté aux bureaux de la bande et a demandé à la secrétaire de faire des photocopies de la décision. Il dit qu’une copie a été remise au chef Flett et aux conseillers de la bande qui se trouvaient là. M. Sinclair ajoute qu’il s’est présenté aux bureaux de la bande plusieurs fois par la suite, pour obtenir sa réintégration et un dédommagement, et que deux conseillers de la bande, Elija Dick et Lazarus Kichekeesik, étaient au courant de ses revendications.

 

[17]           L’affidavit de M. Sinclair contient des renseignements qu’il dit avoir obtenus de l’inspectrice de DRHC, ou du ministère de celle-ci, et qu’il croit être véridiques. Ces renseignements sont confirmés par les pièces suivantes :

a)      les notes d’une conversation téléphonique entre l’inspectrice et une personne appelée Elijah, « membre du conseil » de la Première nation de Split Lake;

b)      des copies de lettres datées du 26 janvier 2004 et du 30 mars 2004, adressées par l’inspectrice à Mme Audy, et une copie d’une lettre du 14 mai 2004 adressée par l’inspectrice au chef Flett, toutes des lettres qui semblent avoir été envoyées par poste recommandée à la « Nation crie de Tataskweyak », à son adresse de Split Lake;

c)      des notes qui semblent à première vue avoir été écrites par l’inspectrice le 8 février 2005 concernant des appels téléphoniques qu’elle avait faits à propos de la licence détenue par la station radiophonique de Split Lake; et

d)      un document intitulé « Rapport narratif d’assignation » où il est question de communications avec M. Sinclair et avec l’avocat de la demanderesse, en janvier et février 2005.

 

[18]           La pièce D, datée du 24 mars 2005 et signée par l’inspectrice, rend compte d’un appel téléphonique fait le 7 février 2005 par un avocat représentant la bande de Split Lake, qui disait que sa cliente avait eu vent de la décision arbitrale et qu’elle affirmait ne pas être l’employeur. L’inspectrice écrit dans ce document qu’elle a informé l’avocat que l’objection était tardive et qu’elle a passé en revue le dossier « pour s’assurer que la bande avait eu amplement l’occasion durant l’enquête de formuler une telle objection ». Selon la pièce D, l’avocat fut informé que des objections pourraient être soulevées à la Cour fédérale. L’avocat de la demanderesse a confirmé durant l’audience que l’avocat en cause est un associé principal du cabinet dont lui-même fait partie.

 

[19]           Le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales énonce la règle générale selon laquelle les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Il s’agit d’une règle de common law dont la raison d’être est que le déclarant d’un affidavit doit pouvoir être contre-interrogé sur le contenu de l’affidavit : Bressette c. Kettle & Stony Point First Nations Band Council, [1997] A.C.F. n° 1130, 137 F.T.R. 189 (1re inst.), paragraphe 3. Il en va de même pour les pièces annexées à l’affidavit, puisque la preuve tout entière est sujette à la règle interdisant les dépositions faites sur la foi d’autrui, sauf si les conditions d’une exception sont réunies : Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [1998] 3 C.F. 400, [1998] A.C.F. n° 448 (1re inst.)

 

[20]           Il est clair que les faits contenus dans ces pièces, et résumés dans l’affidavit de M. Sinclair, ne sont pas des faits dont il avait personnellement connaissance. Il s’agit de dépositions faites sur la foi de l’inspectrice, et de dépositions faites à la suite de dépositions pour ce qui concerne les déclarations faites par des tiers à l’inspectrice. Validement authentifiées, les pièces seraient recevables en tant que pièces commerciales en application de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5. Mais elles n’ont pas été produites en tant que pièces de l’affidavit d’un agent ou préposé de DRHC. Elles se trouvent donc devant la Cour en tant que déclarations factuelles que le défendeur croit véridiques, mais qu’il ne peut personnellement vérifier.

 

[21]           Je suis également d’avis que l’affidavit du chef Flett contient des références à des dépositions faites sur la foi de tiers. Il évoque par exemple la connaissance de faits que d’autres conseillers avaient ou n’avaient pas durant la période considérée, de même que la relation entre Virginia Audy et le conseil durant la période 2002-2004 lorsqu’il n’était pas chef de la bande, des renseignements qu’il n’a pu obtenir que d’autres personnes dont la Cour n’a pas le témoignage.

 

[22]           Ainsi que l’écrivait la Cour d'appel dans l’arrêt Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659, [1993] A.C.F. n° 183, paragraphes 1 et 2, deux arrêts de la Cour suprême du Canada, R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, [1990] A.C.S. n° 81, et R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, 94 D.L.R. (4th) 590, ont considérablement éclairci et simplifié les règles applicables aux dépositions faites sur la foi d’autrui. Les principes directeurs sont la fiabilité et la nécessité.

 

[23]           L’avocat de la demanderesse ne conteste pas la fiabilité des pièces de l’affidavit Sinclair, notamment l’appel téléphonique et les déclarations attribuées à un associé principal de son cabinet en date du 7 février 2005. Il dit plutôt que la nécessité de les présenter dans cette forme n’a pas été établie. Selon l’avocat de la demanderesse, les déclarations de l’associé principal auraient dû être produites par une personne ayant une connaissance directe de leur contenu, par exemple l’inspectrice ou un autre employé de DRHC. Les pièces contiennent des déclarations attribuées à des tiers qu’il est impossible de contre-interroger, et la Cour ne devrait pas s’en rapporter à telles déclarations en tant que comptes rendus des événements en cause.

 

[24]           Le présent litige concerne les habitants d’une petite localité nordique éloignée, et une Première nation qui n’est pas riche. Le défendeur est le plus souvent resté sans travail depuis son congédiement. Aucune des parties n’a les moyens de payer un procès dans la mesure envisagée par les Règles des Cours fédérales. Eu égard à cette réalité concrète, aucun des déclarants n’a été contre-interrogé sur son affidavit. Mais, pour ce qui concerne les parties, la bande demanderesse est manifestement dans une position plus solide. Dans ces conditions, la Cour peut, à mon avis, admettre les pièces jointes à l’affidavit de M. Sinclair en tant que pièces répondant aux critères de la recevabilité de dépositions faites sur la foi d’autrui, c’est-à-dire en tant que preuves fiables et nécessaires de la véracité de leur contenu.

 

[25]           Il est sans doute utile de rappeler les propos de lord Mansfield, dans l’arrêt Blatch v. Archer (1774) 1 Cowp.63, 98 E.R. 969, page 65, auxquels la Cour suprême du Canada a souscrit dans l’arrêt R. c. Jolivet, [2000] 1 R.C.S. 751, paragraphe 25 :

 

[traduction] Il est certes bien établi qu’un témoignage doit être soupesé en fonction de la preuve qu’une partie pouvait produire et que l’autre partie pouvait contredire.

 

 

[26]           Selon le paragraphe 81(2) des Règles des Cours fédérales, le fait pour une partie de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits peut donner lieu à des conclusions défavorables. Des affidavits tenus pour véridiques sur la foi de renseignements devraient renfermer une explication disant pourquoi la meilleure preuve n’est pas offerte, à moins que la raison n’en soit évidente : Kootenhayoo c. Conseil de la Première nation Alexis, 2003 CF 1128, [2003] A.C.F. n° 1444. La non-production de la meilleure preuve n’est pas une condition préalable de recevabilité d’un affidavit, si ce n’est qu’elle influe sur le poids ou sur la valeur probante de l’affidavit : Lumonics Research Ltd. c. Gould, [1983] 2 C.F. 360 (C.A.F.).

 

[27]           Il me semble qu’il s’agit ici d’un cas où il convient de tirer des conclusions défavorables contre la demanderesse qui n’a pas offert le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits. En l’espèce, plusieurs personnes auraient pu produire des affidavits au nom de la demanderesse, dont Mme Audy, le secrétaire de la bande, et le chef et les conseillers, qui étaient en fonction durant la période 2002-2004. Comme la bande s’est abstenue d’offrir de tels témoignages, je n’accepte pas les affirmations du chef Flett selon lesquelles le conseil de la bande n’a pas été informé de la procédure d’arbitrage jusqu’à ce qu’il fût mis au fait de la saisie‑arrêt.

 

[28]           J’accepte la preuve par affidavit de M. Sinclair selon laquelle il avait signifié aux bureaux de la bande des copies de la décision arbitrale peu après que la décision fut rendue, et selon laquelle des copies ont été remises aux membres du conseil de la bande à cette date. Je tiens aussi pour avéré le compte rendu de la conversation entre l’inspectrice et l’avocat de la bande le 5 février 2005, annexé à la pièce D de l’affidavit de M. Sinclair. Je dois donc conclure que la demanderesse a reçu avis de la décision arbitrale en février 2005 et n’a pas déposé une demande de contrôle judiciaire dans le délai de 30 jours prévu par la Loi, ou n’a pas par la suite sollicité une prorogation du délai de dépôt d’une telle demande. La demande est donc prescrite et devrait être rejetée pour ce seul motif.

 

[29]           Par souci d’exhaustivité, j’examinerai brièvement la seconde question, c’est-à-dire le point de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que la procédure d’arbitrage s’est poursuivie en l’absence d’une partie dont les droits étaient directement touchés par l’issue de cette procédure. Comme je l’explique ci-après, je suis d’avis qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. La décision de l’arbitre était juste sur le plan de la procédure et aurait résisté à une contestation sur ce chef, même si la demande avait été déposée à temps.

 

[30]           Ayant accepté le témoignage du défendeur portant sur les tentatives de l’inspectrice et de l’arbitre en vue de communiquer avec la bande demanderesse, et compte tenu de la fiabilité et de la nécessité de tel témoignage, il est clair que des efforts réguliers et concertés ont été faits par l’arbitre pour faire en sorte que les deux parties aient la possibilité de produire un témoignage à l’audience. Il apparaît ici que le conseil de la bande était d’avis que la bande n’était pas l’employeur et qu’il a décidé alors d’agir comme si c’était là un fait établi. Il n’est pas loisible aux parties à une plainte déposée en vertu du Code canadien du travail d’ignorer une telle procédure, et la partie qui néglige de répondre à des allégations avec lesquelles elle est en désaccord ne saurait s’appuyer sur cette négligence et plus tard alléguer un manquement à l’obligation d’équité procédurale.

 

[31]           Il y a plusieurs questions auxquelles le dossier ne répond pas. Cette station radiophonique était manifestement une entreprise non officielle, mais M. Sinclair était payé pour son travail et il a présenté à l’arbitre une feuille de paie qui l’atteste. Il est vrai que, en l’absence d’une autre preuve, la question de savoir si la bande demanderesse était effectivement l’employeur devra rester sans réponse. Mais la conclusion de l’arbitre selon laquelle la bande était effectivement l’employeur n’était pas ici une conclusion déraisonnable.

 

[32]           En règle générale, on peut dire qu’une conclusion défavorable peut être tirée si la preuve requise n’est pas produite pour réfuter des allégations justifiées : voir l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772; Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé national et du Bien-être social), [1998] A.C.F. n° 1096, paragraphe 26.

 

[33]           À mon avis, il appartenait à la demanderesse d’apporter une preuve apte à démontrer qu’elle n’était pas l’employeur de M. Sinclair, comme celui-ci le prétendait, par exemple en expliquant comment la station radiophonique était financée ou en apportant d’autres indices de la relation d’emploi. En l’absence d’une telle preuve, j’arrive à la conclusion que le financement était assuré par la bande et que l’arbitre pouvait parfaitement dire que tel était le cas.

 

[34]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la demande a été déposée hors délai, qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale de la part de l’arbitre et que la décision de l’arbitre était raisonnable. La demande est donc rejetée. Le défendeur a droit à ses dépens, calculés de la façon ordinaire.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        T-341-06

 

INTITULÉ :                                                       LA NATION CRIE DE TATASKWEYAK

                                                            (auparavant la PREMIÈRE NATION CRIE DE SPLIT LAKE)

                                                            c.

                                                            ALBERT SINCLAIR PÈRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 18 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 25 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Graeme E. Young

 

POUR LA DEMANDERESSE

Larry B. Nasberg

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Graeme E. Young

Campbell Marr LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Larry B. Nasberg

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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