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Date : 20071026

Dossier : IMM-150-07

Référence : 2007 CF 1109

ENTRE :

VAN MUOI VU

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition, le 23 octobre 2007, à Toronto, d’une demande de contrôle judiciaire déposée contre la décision d’un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada, en date du 4 janvier 2007. L’agent d’exécution a refusé de reporter le renvoi du demandeur du Canada. Le demandeur devait être renvoyé le 8 janvier 2007. La Cour a par la suite prononcé une ordonnance sursoyant à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire a été instruite en même temps qu’une autre demande semblable déposée au nom du demandeur à l’encontre d’une décision défavorable faisant suite à une demande d’autorisation, fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, de solliciter depuis le Canada le droit d’établissement.

CONTEXTE

[3]               Le demandeur est un homme âgé de 48 ans, né à Quang Ninh, au Vietnam. Il est arrivé au Canada le 22 juin 1992 en tant que résident permanent, avec son épouse et sa fille. Le demandeur et les membres de sa famille avaient été choisis à l’étranger, dans un camp de réfugiés à Hong Kong, au titre de la catégorie désignée n° 1. La fille du demandeur est née le 25 septembre 1989 à Hong Kong, dans le camp de réfugiés. L’épouse et la fille du demandeur sont maintenant citoyennes canadiennes.

 

[4]               Depuis leur arrivée au Canada, le demandeur et son épouse ont eu deux autres enfants, tous deux nés au Canada et donc citoyens canadiens. Le premier est né le 15 septembre 1997 et le second le 27 mars 2004.

 

[5]               Depuis leur arrivée au Canada, le demandeur et son épouse ont eu beaucoup de mal à s’adapter et à préserver leur cellule familiale. Le demandeur n’a été scolarisé que durant 10 ans au Vietnam et ne parle que très peu l’anglais ou le français. Il a occupé divers emplois, surtout dans la restauration, mais également comme nettoyeur, apprenti mécanicien et ouvrier agricole.

 

[6]               Le demandeur s’est constitué un imposant casier judiciaire. En 1993, il a été déclaré coupable d’agression et condamné à une amende de 250 $. D’une manière plus notable, il a été déclaré coupable en 1994, en Colombie-Britannique, de trafic de stupéfiant (héroïne) et a été condamné à une peine d’emprisonnement de neuf mois. Qui plus est, le demandeur a été déclaré coupable le 10 juin 2002 de quatre infractions, à savoir : culture de marihuana, infraction pour laquelle il a été condamné à une peine de 15 mois d’emprisonnement, possession à des fins de trafic, pour laquelle il a été condamné à une peine concomitante de 12 mois, utilisation illégale d’électricité ou de gaz, probablement en rapport avec la culture de marihuana, infraction pour laquelle il a été condamné à une peine concomitante de trois mois, et enfin conduite d’un véhicule alors qu’il avait plus de 80 milligrammes d’alcool dans le sang, infraction pour laquelle il a été condamné à une amende et à une interdiction de conduire pendant un an.

 

[7]               Une mesure de renvoi a donc été prononcée contre le demandeur, et la date de son renvoi fut fixée. Le demandeur a sollicité le report de son renvoi, ce qui lui a été refusé. Il s’en est ensuivi la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, à l’issue de laquelle la Cour a rendu une ordonnance sursoyant à la mesure de renvoi.

 

POINTS LITIGIEUX

[8]               L’avocate du demandeur a fait valoir que le droit de son client à l’équité procédurale avait été nié parce que le décideur s’est prononcé sans donner au demandeur et à son avocate une occasion raisonnable de soumettre des arguments à l’examen du décideur. Plus importante, selon la Cour, est la question du caractère théorique de l’instance. Cette question sera déterminante pour l’issue de la procédure de contrôle judiciaire.

 

ANALYSE

Caractère théorique de l’instance

[9]               Dans le jugement Higgins c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile)[1], j’ai passé en revue la question du caractère théorique d’une instance, à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire dont le contexte factuel était similaire à celui de la présente demande : d’abord, dans cette affaire-là, depuis la date à laquelle le report du renvoi avait été refusé, le demandeur était resté au Canada durant plus de neuf mois, alors qu’ici le demandeur était resté au Canada depuis le rejet de sa demande de report, durant près de huit mois, jusqu’à la date d’audition de la demande de contrôle judiciaire; deuxièmement, dans chacun des cas, le demandeur était resté au Canada grâce à un report de renvoi accordé par la Cour; et troisièmement, dans chacun des cas, la demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire avait progressé jusqu’au stade de l’octroi de l’autorisation et avait progressé encore par la suite jusqu’au stade de l’audition.

 

[10]           Dans l’espèce Higgins, après examen de l’arrêt de principe portant sur le caractère théorique d’une instance, l’arrêt Borowoski c. Canada (Procureur général)[2], je suis arrivé à la conclusion que la demande était théorique. J’écrivais ce qui suit :

Premièrement, il ne fait aucun doute que les dispositions prises par le défendeur en vue du renvoi du demandeur ne sont plus pertinentes. Deuxièmement, aucune disposition en vue du renvoi du demandeur n’est actuellement en place. Enfin, il existe désormais beaucoup plus d’éléments de preuve relativement aux troubles dont le fils de l’épouse du demandeur, âgé de 9 ou 10 ans, pourrait souffrir, à ses besoins liés à ces troubles et au rôle que le demandeur joue et qu’il est en mesure de continuer à jouer dans la vie de ce fils. De plus, une demande d’établissement présentée au Canada par le demandeur aux autorités de l’immigration et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire offre une instance beaucoup plus appropriée dans laquelle déterminer l’intérêt supérieur du garçon que ne l’offre une demande en vue de différer un renvoi où la question qui se pose est celle de savoir si le renvoi à une date fixe est appliqué « dès que les circonstances le permettent ». En outre, il ne fait aucun doute que si le défendeur demeure résolu à renvoyer le demandeur avant qu’il ne soit statué sur sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, ce dernier aurait le droit de demander que la mesure de renvoi soit de nouveau différée, compte tenu de toutes les présentes circonstances et de la preuve. Si cette demande devait être rejetée, le demandeur pourrait présenter une autre demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et une autre requête auprès de la présente Cour en vue de demander un sursis à la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue relativement à la nouvelle demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

La question du caractère théorique a été largement examinée par la Cour dans de nombreuses décisions antérieures en matière d’immigration. Dans au moins une de ces décisions, la question du caractère théorique a été appliquée de façon à empêcher que les arguments sur le bien-fondé d’une demande de contrôle judiciaire ne soient entendus.

 

Compte tenu de ce qui précède et des principes du caractère théorique susmentionnés, la Cour est convaincue que l’examen sur le bien-fondé de la présente demande de contrôle judiciaire ne résoudrait pas toute la controverse entourant les droits des parties à la présente affaire. La question du moment opportun ou inopportun de la prise de dispositions dans l’avenir en vue de renvoyer le demandeur du Canada continuerait de se poser entre les parties. Toutefois, elle ne se pose tout simplement pas entre les parties à l’heure actuelle et dans le cadre du présent contexte.

 

La présente demande de contrôle judiciaire est théorique.

 

De plus, en ce qui a trait au critère applicable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’entendre une affaire nonobstant le fait qu’elle soit théorique, la Cour ne trouve aucun fondement, quel qu’il soit, lui permettant d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la présente affaire.

 

 

 

[11]           Compte tenu des modifications requises pour tenir compte du fait que la demande d’autorisation, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, de solliciter depuis le Canada le droit d’établissement a ici été suivie d’une décision défavorable du défendeur, décision qui est maintenant l’objet d’une procédure de contrôle judiciaire introduite devant la Cour en même temps que la présente demande, je suis d’avis que, pour l’essentiel, les mêmes propos pourraient être tenus ici. Les dispositions prises en vue du renvoi de janvier 2007 ne sont manifestement plus pertinentes. Aucune disposition en vue du renvoi du demandeur n’existe actuellement. Les trois enfants du demandeur, aujourd’hui tous citoyens canadiens, restent au Canada, et leur intérêt a été examiné et pourrait l’être à nouveau si l’on juge que cela s’impose. Finalement, si une nouvelle date de renvoi visant le demandeur était fixée, le demandeur pourrait à nouveau solliciter le report de tel renvoi, en se fondant sur la situation qui existerait alors, et non sur la situation qui existait lorsqu’il avait sollicité auparavant le report de son renvoi et que ce report lui avait été refusé.

 

[12]           Je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire est théorique.

 

DISPOSITIF

[13]           Eu égard à la brève analyse ci-dessus, et compte tenu des circonstances à l’origine de cette demande de contrôle judiciaire, je suis d’avis que la demande est théorique et je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’en examiner quand même le bien-fondé. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée en raison de son caractère théorique.

 

QUESTION À CERTIFIER

[14]           Dans le jugement Higgins, précité, j’ai certifié la question suivante :

Lorsqu’un demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision de ne pas différer l’exécution d’une mesure de renvoi dont il ou elle fait l’objet, le fait que son renvoi soit par la suite empêché en raison d’une ordonnance de sursis délivrée par la présente Cour rend-il théorique la demande de contrôle judiciaire qui porte sur ce renvoi?

 

 

[15]           La même question a été certifiée dans le jugement Maruthalingam c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile)[3], un jugement qui suivait le raisonnement que j’avais exposé dans le jugement Higgins.

 

[16]           L’avocate du demandeur m’a prié de certifier ici la même question. C’est ce que je ferai.

« Frederick E. Gibson »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

le 26 octobre 2007

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-150-07

 

INTITULÉ :                                                       VAN MUOI VU

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 23 OCTOBRE 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                  LE JUGE GIBSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 26 OCTOBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mary Lam

 

POUR LE DEMANDEUR

Modupe Oluyomi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mary Lam,

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 



[1] [2007] A.C.F. n° 516; 2007 C.F. 377; 12 avril 2007.

[2] (1989) 1 R.C.S. 342.

[3] 2007 C.F. 823.

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