Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date :  20071029

Dossier :  IMM-3943-07

Référence :  2007 CF 1116

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

RICARDO MORALES ALBA

MARICRUZ ORALES BARRADAS

XIOMARA YEDID MORALES MORALES

LEILANI DESIRE MORALES MORALES

demanderesse

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               L’absence de preuve quant à l’existence d’un préjudice irréparable suffit, à elle seule, à rejeter la demande de sursis.

 

[2]               Les demandeurs n’ont déposé aucune preuve d’un risque personnel advenant un retour au Mexique.  

[3]               Il ne suffit pas pour les demandeurs de déposer de la preuve documentaire faisant état de situations problématiques dans leur pays pour se voir reconnaître le statut de « réfugiée », au sens de la Convention, ou « personne à protéger ».  Encore faut-il que les demandeurs démontrent un lien entre cette preuve et leur situation personnelle, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire. (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, [2002] A.C.F. no 302 (C.A.F.) (QL).)

 

[4]               La preuve documentaire portant sur la situation générale existant dans le pays d'un demandeur d’asile ne permet pas, à elle seule, d'établir le bien-fondé de sa demande d’asile. (Alexibich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 53, [2002] A.C.F. no 57 (QL); Ithibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 288, [2001] A.C.F. no 499 (QL).)

 

[5]               En ce qui a trait à l’appréciation de la preuve, il incombe au tribunal, et non aux demandeurs, d’apprécier la preuve soumise et d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Pour ce faire, le tribunal peut choisir parmi la preuve celle qu’il préfère et ce choix fait partie de son rôle et de son expertise. (Mahendran c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 549 (QL), (1991) 134 N.R. 316 (C.A.F.), à la p. 319, par. 8 in fine et 9; Demande d'autorisation d'appel en Cour Suprême du Canada rejetée le 20 février 1992 : [1992] 138 N.R. 404 (no. 22661); Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (QL), (1992) 147 N.R. 317 (C.A.F.); Akinlolu Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 296 (QL).)

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[6]               Il s’agit d’une requête demandant le sursis de l’exécution d’une mesure de renvoi émise contre les demandeurs, laquelle requête est greffée à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (DACJ), attaquant la décision de l’Agent d’examen des risques avant renvoi (Agent ERAR), N. Gagné, rendue le 20 juillet 2007, refusant la demande ERAR.

 

FAITS

[7]               Les demandeurs, un couple marié et leurs deux enfants, sont citoyens du Mexique.

 

[8]               Le 23 février 2006, les demandeurs sont arrivés au Canada.

 

[9]               Le 10 mars 2006, les demandeurs ont demandé l’asile.

 

[10]           Le 24 octobre 2006, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté la revendication des demandeurs concluant qu’ils n’étaient pas crédibles et qu’ils auraient pu se prévaloir de la protection de l’État mexicain.

 

[11]           Le 20 mars 2007, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la CISR, datée du 24 octobre 2006.

 

[12]           Le 5 juin 2007, les demandeurs ont soumis une demande ERAR qui a subséquemment été refusée.

[13]           Le 24 septembre 2007, les demandeurs ont déposé une DACJ à l’encontre de la décision négative ERAR.

 

ANALYSE

[14]           Afin d’évaluer le bien-fondé de la requête en sursis, Cour doit déterminer si les demandeurs ont satisfait aux critères jurisprudentiels émis par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 587 (QL).

 

[15]           Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a retenu trois critères qu’elle a importés de la jurisprudence en matière d’injonction, plus particulièrement de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., (1987) 1 R.C.S. 110. Ces trois critères sont :

·              l’existence d’une question sérieuse;

·              l’existence d’un préjudice irréparable;

·              et l’évaluation de la balance des inconvénients.

 

[16]           Les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’une question sérieuse à être tranchée dans le cadre de leur demande d‘autorisation à l’encontre de la décision de l’Agent ERAR, d’un préjudice irréparable du fait de leur renvoi au Mexique et d’inconvénients supérieurs à ceux de l’intérêt public qui veut que le processus d’immigration prévu par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, suive son cours.

QUESTION SÉRIEUSE

i)    Les demandeurs auraient pu se prévaloir de la protection de l’État mexicain

[17]           La détermination des risques est essentiellement une question de faits et, pour cette raison, une grande déférence doit lui être accordée.

 

[18]           Au soutien de sa demande ERAR, les demandeurs ont réitéré les mêmes faits et craintes que ceux préalablement étudiés par la Section de la protection des réfugiés (SPR) et jugés non crédibles.

 

[19]           D’une part, l’Agent ERAR a noté qu’il ressort des motifs de la SPR que cette dernière a conclu à l’absence de crédibilité du récit des demandeurs en raison des contradictions et omissions dans leur récit.

 

[20]           De plus, la SPR conclu que les demandeurs, n’ayant jamais porté plainte aux autorités de leur pays, n’ont pas réussi à démontrer que le la protection de l’État n’était pas disponible au Mexique.

 

[21]           Il appartenait aux demandeurs de présenter une preuve claire et convaincante montrant l'incapacité du Mexique d'apporter une protection à ses nationaux. (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.)

[22]           Les demandeurs devaient aussi prouver qu'ils ont épuisé tous les recours disponibles dans leur pays avant de pouvoir demander l'asile ailleurs, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire en l’espèce. (Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F).)

 

[23]           D’autre part, l’Agent note que la preuve documentaire analysée par la SPR en 2006 est sensiblement la même que celle qu’elle est aujourd’hui.

 

[24]           Or, au regard de la preuve documentaire, l’Agent ERAR a conclu que la preuve documentaire objective concernant la situation au Mexique n'étayait pas les prétentions des demandeurs relatives à l’incapacité de l’État mexicain de leur fournir une protection adéquate.

 

[25]           À cet effet, dans la décision Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1393, [2005] A.C.F. no 1737 (QL), le juge Yves de Montigny indique que la présomption de protection de l’État n’est pas aussi facilement écartée :

[7]        [...] Il ne sera pas suffisant, pour écarter cette présomption, de prétendre que la police est corrompue ou qu'un policier n'a pas donné suite à une plainte. Dans cette optique, je suis donc prêt à admettre, comme plusieurs de mes collègues, que le Mexique est en mesure de protéger ses citoyens même si cette protection est loin d'être parfaite.... (La Cour souligne.)

 

[26]           De plus, la protection fournie par l’État n'a pas à être parfaite, mais simplement adéquate, l’État ne pouvant protéger tous ses citoyens à tout moment. (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1993) 18 Imm. L.R. (2d) 130, [1992] A.C.F. no 1189 (QL).)

[27]           À ce sujet, la jurisprudence récente de cette Cour à l’effet que la protection de l’État est disponible au Mexique, lequel déploie des efforts pour contrer les problèmes liés à la corruption et à la criminalité. (Burgos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1537, [2006] A.C.F. no 1924 (QL); Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 198, [2007] A.C.F. no 278 (QL).)

 

[28]           Ainsi, l’Agent ERAR a considéré les efforts sérieux des autorités mexicaines pour contrer, entre autre, les phénomènes de corruption au sein de l’État et des forces policières.

 

[29]           Compte tenu de ce qui précède, il n’était certes pas déraisonnable pour l’Agent ERAR de conclure que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État.

 

[30]           Dans leur mémoire, les demandeurs réfèrent à plusieurs extraits de la preuve documentaire objective afin de souligner la situation de violence au Mexique.

 

[31]           Il ne suffit pas pour les demandeurs de déposer de la preuve documentaire faisant état de situations problématiques dans leur pays pour se voir reconnaître le statut de « réfugiée » au sens de la Convention ou « personne à protéger ».  Encore faut-il que les demandeurs démontrent un lien entre cette preuve et leur situation personnelle, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire. (Rahaman, ci-dessus.)

 

[32]           La preuve documentaire portant sur la situation générale existant dans le pays d'un demandeur d’asile ne permet pas, à elle seule, d'établir le bien-fondé de sa demande d’asile. (Alexibich, ci-dessus; Ithibu, ci-dessus.)

 

[33]           Les demandeurs prétendent que l’Agent ERAR aurait effectué une analyse incomplète de la preuve présentée au soutien de leur dossier en ce qu’il aurait supposément ignoré certaines preuves produites par ces derniers à l’appui de leur demande.

 

[34]           D’une part, à la p. 3 de sa décision, l’Agent mentionne explicitement tous les documents soumis par les demandeurs à l’appui de leur demande.

 

[35]           D’autre part, il n’y a aucune preuve au dossier démontrant que ces documents ont effectivement été soumis à l’Agent ERAR. Notamment, les observations écrites des demandeurs, soumis pour leur demande ERAR, ne contiennent aucune liste de documents déposés. Cet argument ne devrait donc pas être retenu par la Cour.

 

[36]           En ce qui a trait à l’appréciation de la preuve, il incombe au tribunal, et non aux demandeurs, d’apprécier la preuve soumise et d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Pour ce faire, le tribunal peut choisir parmi la preuve celle qu’il préfère et ce choix fait partie de son rôle et de son expertise. (Mahendran, ci-dessus; Demande d'autorisation d'appel en Cour Suprême du Canada rejetée le 20 février 1992, ci-dessus; Hassan, ci-dessus; Akinlolu, ci-dessus.)

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[37]           Il importe de rappeler que la notion de préjudice irréparable a été définie par la Cour dans l’affaire Kerrutt c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration),  (1992) 53 F.T.R. 93, [1992] A.C.F. no 237 (QL), comme étant le renvoi d’une personne vers un pays où il existe un danger pour sa vie et sa sécurité.

 

[38]           Les demandeurs n’ont déposé aucune preuve d’un risque personnel advenant un retour au Mexique.  

 

[39]           L’absence de preuve quant à l’existence d’un préjudice irréparable suffit, à elle seule, à rejeter la demande de sursis.

 

BALANCE DES INCONVÉNIENTS

[40]           La juge Barbara Reed, dans l'affaire Membreno-Garcia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 C.F. 306, [1992] A.C.F. no 535 (QL), a développé la question de la balance des inconvénients en matière de sursis, et de l'intérêt public qui doit être pris en considération:

[18]      Cependant, d'après la prépondérance des inconvénients, il faut se demander à quel point le fait d'accorder des sursis risque de devenir une pratique qui contrecarre l'application efficace de la législation en matière d'immigration. Chacun sait que la procédure actuelle a été mise en place parce qu'une pratique s'était développée par laquelle de très nombreuses demandes, tout à fait dénuées de fondement, étaient introduites devant la Cour et encombraient les rôles, uniquement pour permettre aux appelants de demeurer plus longtemps au Canada. Il y va de l'intérêt public d'avoir un régime qui fonctionne de façon efficace, rapide et équitable, et qui, dans la mesure du possible, ne se prête pas aux abus. Tel est, à mon avis, l'intérêt public qu'il faut soupeser par rapport au préjudice que pourrait éventuellement subir le requérant si un sursis n'était pas accordé. (La Cour souligne.)

 

 

CONCLUSION

 

[41]           Les demandeurs ont bénéficié de tous les recours légaux qui leur étaient possibles. L’intérêt du défendeur d’exécuter la mesure de renvoi avec célérité prime sur les inconvénients que subiraient les demandeurs.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis des demandeurs soit rejetée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3943-07

 

INTITULÉ :                                       RICARDO MORALES ALBA

MARICRUZ ORALES BARRADAS

XIOMARA YEDID MORALES MORALES

LEILANI DESIRE MORALES MORALES

c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 26 octobre 2007

                                                            (par conférence téléphonique)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 29 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me. Cristina Marinelli

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Andrea Shahin

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CRISTINA MARINELLI

Montréal, Québec

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.