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Date : 20071023

Dossier : IMM-1042-07

Référence : 2007 CF 1097

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

CHRISTOPHER AYALOGU,

EVELYN AYALOGU,

FRANCIS-XAVIER AYALOGU,

KATE AYALOGU et

ELIZABETH AYALOGU

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur principal, Christopher Ayalogu, son épouse, Evelyn Ayalogu, et leurs enfants Francis-Xavier Ayalogu, Kate Ayalogu et Elizabeth Ayalogu, ont présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision, rendue le 31 janvier 2007 et signée le 21 février 2007, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) concluait qu’ils n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des  réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

LES FAITS

[2]               Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria. Le demandeur principal est âgé de 65 ans, et c’est avec dévouement qu’il a accompli son travail comme membre de la police et comme fonctionnaire du gouvernement de son pays pendant plus de quarante ans. Les demandeurs sont arrivés au Canada en 1998 à l’époque où le demandeur principal avait commencé à occuper un poste d’attaché administratif au Haut Commissariat du Nigéria à Ottawa. Après que le demandeur principal eut pris sa retraite de la fonction publique du Nigéria en 2003, les demandeurs sont restés au Canada et, en mai 2003, ils ont présenté une demande de résidence permanente.

 

[3]               En octobre 2004, le demandeur principal a reçu un appel téléphonique d’un ami du Nigéria qui lui annonçait que son frère était décédé le 15 septembre 2004 des suites d’une blessure à la tête et d’un traumatisme résultant d’une agression. Le demandeur principal affirme dans son « Formulaire de renseignements personnels » que son frère a été [traduction] « assassiné par des mercenaires » du gouvernement du Nigéria, et qu’il a été informé par un appel téléphonique reçu en octobre 2004 [traduction]  « que des tueurs à gages étaient aussi à [sa] poursuite ».

 

[4]               Le 25 novembre 2004, compte tenu de cette information, les demandeurs ont présenté des demandes d’asile, lesquelles ont initialement été entendues le 13 avril 2005. Le 29 avril 2005, la Commission a rejeté les demandes au motif que les demandeurs « ont omis de prouver d’une manière adéquate et crédible qu’ils éprouvent une crainte fondée de persécution pour tout motif compris dans la définition d’un réfugié au sens de la Convention ». La Commission a aussi conclu que les demandeurs sont étaient « des migrants économiques qui veulent rester au Canada pour continuer à vivre [Traduction] “la vie meilleure qu’ils ont appris à connaître, plutôt que de retourner au Nigéria” ».

 

[5]               Le 26 mars 2006, le juge en chef Lutfy a conclu que le président de l’audience n’avait pas examiné « la pertinence et la valeur probante » de la lettre que les demandeurs avaient tenté de déposer à l’audience devant la Commission. Par conséquent, le juge en chef Lutfy a accueilli la demande de contrôle judiciaire des demandeurs et ordonné que l’affaire soit renvoyée à la Commission « pour nouvelle audience et nouvelle décision ».

 

La demande d’asile

[6]               Le demandeur principal soutient que sa vie serait gravement menacée s’il devait retourner au Nigéria parce qu’il est membre de la tribu des Igbos qui, selon lui, a fait l’objet d’une campagne de persécution par le gouvernement à la suite de rumeurs selon lesquelles [traduction]  « les Igbos avaient l’intention d’unir leurs efforts pour recréer l’État du Biafra en fondant le Mouvement pour l’actualisation de l’État souverain du Biafra (MASSOB) ».

 

[7]               Le demandeur principal fonde également sa demande sur l’argument selon lequel, comme il a servi dans l’armée du Biafra durant la guerre civile, de 1967 à 1970, le gouvernement le soupçonne d’être un chef et un organisateur du MASSOB. Le demandeur principal allègue que d’anciens soldats sont [traduction] « maintenant harcelés et assassinés systématiquement » par le gouvernement, et que [traduction]  « les meurtres commandités sont devenus chose courante ». À titre d’exemple, il fait référence au décès en 2004 de son frère, ancien soldat biafrais lui aussi.

 

[8]               Les membres de la famille du demandeur principal ont fondé leurs demandes d’asile sur la sienne.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[9]               Le 8 janvier 2007, un autre membre de la Commission a entendu les demandes d’asile des demandeurs.

 

[10]           Le 31 janvier 2007, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger. Elle a constaté de nombreux écarts entre le témoignage du demandeur principal et les documents produits pour étayer sa demande d’asile, concluant que de tels écarts « ont miné sa crédibilité quant au danger que lui-même et sa famille courent en cas de retour dans leur pays ».

 

[11]           La Commission a jugé que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve provenant  « d’une source indépendante et crédible » pour étayer le fait que la mort de son frère résultait d’un assassinat pour des motifs politiques. À l’audience, l’avocat du demandeur a soutenu que le certificat médical était une preuve indépendante et crédible de ce fait.

[12]           Quant à la crainte de persécution du demandeur principal en raison de son appartenance au groupe ethnique des Igbos, la Commission a déclaré que « bien que la preuve documentaire ait indiqué qu’il y avait des problèmes graves entre les groupes ethniques au Nigéria et que les membres actifs du MASSOB étaient souvent harcelés par la police, rien n’indiquait que le pays s’adonnait présentement à un génocide contre les Igbos comme il l’allègue ».

 

[13]           En ce qui concerne la crainte de persécution du demandeur principal liée à ses années de service dans l’armée biafraise, la Commission a conclu que le demandeur n’avait présenté « aucune preuve claire qu’il avait été un ancien soldat biafrais, ni que ces hommes plus âgés étaient derrière le MASSOB ».

 

[14]           Enfin, la Commission a également conclu que le retard que les demandeurs ont mis à demander l’asile, c’est-à-dire le temps qui s’est écoulé entre le départ à la retraite du demandeur principal en mars 2003 et le dépôt de leurs demandes d’asile en novembre 2004, a eu une incidence négative sur leur crédibilité. Comme la Commission l’a dit :

 

Le tribunal a remarqué que son travail s’était terminé en mars 2003 et que son frère est mort en octobre de l’année suivante. Le demandeur d’asile a expliqué qu’il était en train de demander la résidence permanente au Canada et que sa demande était toujours en instance. Le tribunal comprend les efforts déployés par le demandeur d’asile pour demeurer au Canada, mais son comportement et le retard qu’il a mis pour demander l’asile ne sont pas le fait d’une personne qui pense vraiment que sa vie et sa sécurité sont menacées. Le renouvellement des passeports de la famille au Canada n’indique pas que le demandeur d’asile craignait les autorités de son pays. Le retard qu’il a mis à demander l’asile mine sa crainte subjective.

 

Le fondement de la demande présentée à la Cour fédérale

[15]           À l’audience, le demandeur a contesté trois conclusions de la Commission touchant sa crédibilité en affirmant qu’elles étaient manifestement déraisonnables. Il a allégué qu’il était manifestement déraisonnable de conclure :

1.                  qu’il « n’a présenté aucun autre élément de preuve provenant d’une source indépendante et crédible pour étayer le fait que la mort de son frère résultait d’un assassinat pour des motifs politiques »;

 

2.                  qu’il n’a pas présenté « une preuve claire et convaincante pour étayer ses allégations selon lesquelles le gouvernement en place se livre à des persécutions systématiques contre les Igbos dans son pays », ni une preuve qu’il avait été « un ancien soldat biafrais »;

 

3.                  que « le retard qu’il a mis à demander l’asile mine sa crainte subjective » de persécution.

 

La question en litige

[16]           Dans la présente demande, la seule question en litige est de savoir si la Commission a tiré des conclusions manifestement déraisonnables en matière de crédibilité.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[17]                       En ce qui concerne les conclusions de fait de la Commission, y compris les conclusions touchant la crédibilité, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable. C’est seulement lorsque les conclusions de la Commission ne sont pas étayées par la preuve dont celle-ci dispose que la décision faisant l’objet de contrôle sera jugée manifestement déraisonnable. Sinon, la Cour ne doit pas revoir les faits ou apprécier la preuve dont la Commission disposait : Jessani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 127, 270 N.R. 293, au paragraphe 16.

L’ANALYSE

Question en litige :     La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions manifestement déraisonnables en matière de crédibilité?

 

[18]                       La décision de la Commission de rejeter les demandes d’asile des demandeurs reposait principalement sur le fait qu’elle n’avait pas cru le récit du demandeur principal. Comme la Commission l’a écrit :

 

Le tribunal exprime plusieurs doutes sur la crédibilité du récit du demandeur d’asile et sur les documents qu’il a présentés à l’appui de sa demande d’asile. Les réponses qu’il a données aux questions du tribunal ne sont pas satisfaisantes. Les nombreux écarts entre son récit, son témoignage et les documents produits pour étayer sa demande d’asile ont miné sa crédibilité quant au danger que lui‑même et sa famille courent en cas de retour dans leur pays.

 

La Commission est celle qui est le mieux en mesure « de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent » : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Comme je l’ai récemment écrit dans la décision Olal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 811, [2007] A.C.F. no 1067 (QL), au paragraphe 13 :

[13]      La Commission a compétence absolue pour juger de la vraisemblance d’un témoignage, apprécier la crédibilité du récit d’un demandeur d’asile et tirer les conclusions qui s’imposent.

 

Par conséquent, la Commission pouvait conclure que le récit du demandeur principal n’était pas crédible, et une telle conclusion ne doit pas être modifiée sauf si la Cour conclut qu’elle est manifestement déraisonnable.

 

[19]                       Les demandeurs soutiennent que la décision de la Commission est manifestement déraisonnable puisque le témoignage du demandeur principal ne renfermait aucune contradiction et qu’on « doit considérer sa preuve non contredite comme crédible », et que cette preuve « n’a pas à être corroborée » : Lachowski c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 134, à la page 144. Je ne suis pas convaincu par cet argument et, à ce titre, je préfère les propos du juge MacKay dans la décision Akinlolu, où il a déclaré aux paragraphes 13 et 14 :

[13]      Il appartient à la [Commission] d'apprécier la crédibilité et la force probante des preuves et témoignages, dans son instruction des revendications du statut de réfugié. C'est ainsi qu'elle peut rejeter des preuves non réfutées si elles ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble, si elle relève des contradictions dans le témoignage ou si elle juge celui-ci invraisemblable. Dans le cas où il y a eu une audience de vive voix et que l'appréciation de la formation de jugement est, comme en l'espèce, clairement subordonnée, du moins en partie, au fait qu'elle voit et entend le témoin, la Cour n'interviendra pas à moins de conclure que la formation de jugement fonde sa décision sur des considérations étrangères à l'affaire ou ignore des preuves dignes d'attention. En bref, la Cour n'interviendra que si elle juge la décision manifestement déraisonnable au regard des éléments de preuve produits.

 

[14]      Dans le cas où la décision de la formation de jugement est centrée en dernière analyse sur son appréciation de la crédibilité, la charge de la preuve qui incombe à celui qui se pourvoit en contrôle judiciaire est bien lourde, puisque la Cour doit être persuadée que la décision de la formation de jugement est abusive ou arbitraire, ou rendue au mépris des éléments de preuve dont elle dispose. Ainsi donc, dans le cas même où la Cour pourrait tirer une conclusion différente des preuves produites, elle n'interviendra pas à moins que le requérant n'arrive à prouver que la décision de la formation de jugement n'est fondée sur aucune preuve.

 

[20]                       En conséquence, la Cour conclut que la décision de la Commission n’était pas manifestement déraisonnable. Je suis persuadé que la Commission a correctement soupesé et examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait, et qu’elle était justifiée de conclure que le récit du demandeur principal n’était pas crédible d’après cette preuve. Je suis également d’accord avec la conclusion de la Commission selon laquelle il est difficile de comprendre comment le demandeur principal pourrait être « perçu comme une personne dangereuse par son gouvernement après une longue carrière au sein de la Police du Nigéria et au ministère des Affaires étrangères de son gouvernement ».

 

[21]                       Plus particulièrement, la conclusion de la Commission n’était pas manifestement déraisonnable en ce qui concerne la crédibilité du certificat médical, lequel ne confirme pas si la cause du décès du frère du demandeur était d’origine criminelle, accidentelle ou autre. Le certificat médical n’était donc pas « une source indépendante et crédible » pour étayer la prétention voulant que la mort du frère du demandeur ait résulté d’un assassinat pour des motifs politiques.

 

[22]                       La Cour convient que le demandeur n’a pas présenté une preuve claire démontrant qu’il était un ancien soldat biafrais ou qu’il existe une preuve objective que d’anciens soldats biafrais sont systématiquement persécutés par le gouvernement du Nigéria.

 

[23]                       De plus, le retard que le demandeur a mis à demander l’asile mine la prétention selon laquelle il éprouve une crainte subjective de persécution. Le demandeur ne se sentait exposé à aucune menace de persécution avant le décès de son frère. De surcroît, il a été au service du gouvernement jusqu’à sa retraite en 2003, après une carrière de quarante ans en tant que fonctionnaire, d’abord comme agent de police et ensuite comme diplomate.

 

[24]                       Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

LA QUESTION AUX FINS DE CERTIFICATION

 

[25]                       Les parties ont précisé à la Cour que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui devrait être certifiée et la Cour est d’accord avec elles.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE  :

            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

                                                                                                            « Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-1042-07

 

INTITULÉ :                                                               CHRISTOPHER AYALOGU ET AUTRES

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 9 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 23 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Riley

 

                   POUR LES DEMANDEURS

Jennifer Frances

 

    POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Avocats

24 Bayswater Avenue

Ottawa (Ontario)

 

        POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

  POUR LE DÉFENDEUR

 

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