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Date : 20071031

Dossier : T-2177-06

Référence : 2007 CF 1127

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

ARTHUR MOORE

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Anciens Combattants Canada (le ministère) offre une gamme d’avantages sociaux aux anciens combattants. Le demandeur conteste la légalité d’une décision rendue le 8 novembre 2006 (la décision attaquée). Par cette décision, R. Herbert (le fonctionnaire), directeur général de la Direction générale des opérations nationales du ministère, confirme le refus par deux autres fonctionnaires du ministère de rembourser des frais de déplacement et des dépenses connexes engagés relativement à un traitement médical administré à Montréal. 

 

[2]        La décision attaquée a été rendue en application du Règlement sur les soins de santé pour anciens combattants, DORS/90-594, et ses modifications (le Règlement), qui prévoit le remboursement de certains frais de déplacement et de certaines dépenses connexes engagés par un ancien combattant admissible (appelé « client » dans le Règlement).

 

[3]        Deux dispositions particulièrement pertinentes en l’espèce, le sous‑alinéa 7(1)a)(i) ainsi que les articles 35.1 et 36 du Règlement, se lisent comme suit : 

7. (1) Sous réserve des paragraphes (2), (2.1), (2.2) et (3), les frais de déplacement visés aux alinéas 6a) et b) sont payables à l’égard du client qui reçoit des avantages médicaux au Canada relativement :

 

a) au transport par le moyen le plus pratique et économique eu égard à son état :

 

 

 

(i) dans le cas où le client réside au Canada, entre son lieu de résidence et le centre de traitement adéquat le plus proche,

 

[…]

 

35.1 Le ministre avise le client ou son représentant de toute décision concernant l’attribution, l’augmentation, la diminution, la suspension ou l’annulation d’un avantage mentionné au présent règlement qui vise le client.

 

[…]

 

36. (1) La personne qui conteste une décision prise aux termes du présent règlement peut, dans les 60 jours suivant la réception de l’avis de la décision ou, lorsque des circonstances indépendantes de sa volonté nécessitent un délai plus long, dans ce délai, présenter une demande par écrit au ministre en vue de la révision de la décision par un fonctionnaire du ministère des Anciens combattants autre que celui qui a rendu la décision originale.

 

 

(2) La personne qui conteste les résultats de la révision visée au paragraphe (1) peut, dans les 60 jours suivant la réception de l’avis de la décision découlant de la révision, présenter une demande par écrit au ministre en vue de la prise d’une décision définitive par un fonctionnaire du ministère des Anciens combattants autre que celui qui a rendu la décision originale ou qui l’a révisée.

[Non souligné dans l’original.]

 

7. (1) Subject to subsections (2), (2.1), (2.2) and (3), the costs of travel referred to in paragraphs 6(a) and (b) are payable in respect of a client who receives treatment benefits in Canada in respect of

 

(a) transportation by the most convenient and economical means of transportation appropriate to the condition of the client

 

(i) where the client is resident in Canada, between the client’s residence and the appropriate treatment centre nearest to that residence, and

 

. . .

 

35.1 The Minister shall notify a client or the client’s representative of any decision relating to the award, increase, decrease, suspension or cancellation of any benefit under these Regulations concerning or affecting the client.

 

. . .

 

 

36. (1) A person who is dissatisfied with any decision made under these Regulations may, within 60 days after receiving notice of the decision or, where circumstances beyond the control of the person necessitate a longer period, within that longer period, apply in writing to the Minister for a review of that decision by an official of the Department of Veterans Affairs other than the official who made the original decision.

 

 

(2) Where a person is dissatisfied with the results of a review referred to in subsection (1), the person may, within a period of 60 days after receiving notice of the decision on the review, apply in writing to the Minister for a final decision to be rendered by an official of the Department of Veterans Affairs other than the official who made the original decision or who reviewed it.

 

 

 

[4]        Le demandeur avait réclamé le remboursement des frais de déplacement, d’accompagnement, de stationnement et de déjeuner à l’égard des rendez-vous médicaux auxquels il s’est présenté à l’hôpital St-Mary de Montréal du 17 octobre 1997 au 22 mars 2006. Le 23 mars 2006, un fonctionnaire a rendu la décision originale refusant les futures demandes de remboursement des dépenses susmentionnées après avoir constaté que le total des sommes versées au demandeur entre avril 2003 et février 2006 au titre de demandes de remboursement des frais de déplacement s’établissait à 10 768,10 $. De l’avis de ce fonctionnaire, la demande de remboursement des frais ne se justifiait plus en application du Règlement parce les services médicaux offerts au demandeur à Montréal étaient également fournis à la Fondation du Centre hospitalier régional de Lanaudière (le CHRDL), un hôpital situé plus près de la résidence du demandeur que ceux de Montréal. Deux autres fonctionnaires du ministère ont ensuite contrôlé la décision originale. Après avoir examiné soigneusement les faits pertinents et les dispositions applicables du Règlement, les fonctionnaires ont confirmé la décision initiale. Le demandeur réclame le contrôle de la décision définitive rendue à cet égard le 8 novembre 2006. 

 

[5]        Le ministère reconnaît que le moyen de transport le plus pratique et économique eu égard à l’état du demandeur, un ancien combattant âgé de 76 ans qui habite à Rawdon, consiste à se déplacer en voiture avec l’aide d’un accompagnateur. La décision en litige en l’espèce est la décision définitive du ministère de limiter l’allocation de frais de déplacement en voiture pour des rendez-vous médicaux à un montant équivalent à 80 kilomètres par rendez-vous, ce qui correspond à l’aller-retour entre la résidence du demandeur et l’hôpital le plus proche, en l’occurrence le CHRDL. 

 

[6]        Le demandeur soutient que le CHRDL n’offre pas tous les soins médicaux que nécessite son état de santé ou qu’il est impossible de lui garantir la prestation de ces soins en anglais, comme l’exige l’article 16 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, et les articles 21, 24 et 25 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 31 (la LLO). Le demandeur affirme donc que la décision attaquée porte atteinte à ses droits linguistiques constitutionnels ou quasi-constitutionnels ou qu’elle est par ailleurs déraisonnable dans les circonstances. 

 

[7]        Le défendeur dit que, avant de rendre la décision attaquée, le fonctionnaire a constaté, à l’issue d’une vérification, que le CHRDL offre non seulement tous les soins médicaux dont a besoin le demandeur, mais qu’il fournit aussi ces soins dans la langue choisie par le patient, soit le français ou l’anglais. Selon le défendeur, il incombe au demandeur de présenter une preuve à l’appui de sa position selon laquelle la décision attaquée est déraisonnable ou illégale. En fait, l’affidavit du demandeur mine sa demande de contrôle judiciaire vu qu’il démontre que le demandeur a été bien soigné par un médecin anglophone au CHRDL le 12 juin 2006.   

 

[8]        Compte tenu des quatre facteurs prévus par l’approche pragmatique et fonctionnelle, je conviens avec les avocats que la norme de contrôle judiciaire de la décision raisonnable simpliciter s’applique à la décision attaquée, laquelle doit reposer sur la preuve, respecter la loi et pouvoir  résister à un examen assez poussé. 

 

[9]        Contrairement à ce que le demandeur prétend en l’espèce, la preuve au dossier est largement suffisante pour appuyer la conclusion du fonctionnaire que le CHRDL offre des soins médicaux adéquats dans la langue choisie par le patient, soit le français ou l’anglais. En outre, le dossier ne contient aucun élément de preuve permettant à la Cour d’inférer que l’hôpital St-Mary et le CHRDL, des établissements provinciaux, offrent ces soins médicaux aux anciens combattants pour le compte du gouvernement du Canada, comme le fait valoir le demandeur. Par conséquent, les allégations du demandeur voulant que les droits linguistiques que lui garantissent la Charte ou la LLO soient en cause ou que le ministère porte atteinte à ces droits ne sont pas appuyées par la preuve et ne reposent sur aucune base juridique. 

 

[10]    À l’audition de la présente demande, l’avocat du demandeur a aussi dit à la Cour que la décision attaquée est par ailleurs déraisonnable parce que le fonctionnaire n’a pas accordé l’importance voulue au fait que le demandeur, un ancien combattant anglophone de la guerre de Corée, est soigné depuis de nombreuses années à l’hôpital St-Mary par des spécialistes déjà au fait de son état de santé. 

 

[11]    Ce nouvel argument doit aussi être rejeté. La documentation au dossier révèle clairement que le fonctionnaire connaissait bien les antécédents médicaux du demandeur, dont le fait qu’il consulte son médecin généraliste, la Dre Miriam Boillat, à l’hôpital St-Mary, depuis plus de 30 ans et qu’il y a été soigné par différents spécialistes tels un cardiologue, un chirurgien vasculaire, un urologue, un ophtalmologiste, ainsi qu’un spécialiste des oreilles, du nez et de la gorge. Cela dit, avant de rendre sa décision, le fonctionnaire a constaté, à l’issue d’une vérification, que le CHRDL offrait tous les soins médicaux dont a besoin le demandeur en français et en anglais. Le demandeur n’est, semble‑t‑il, pas parvenu à convaincre le fonctionnaire que le CHRDL n’est pas en mesure de fournir en anglais les traitements médicaux que nécessite son état de santé. De plus, je constate que le dossier ne contient aucun élément de preuve convaincant montrant que le CHRDL offre des soins médicaux de qualité inférieure au point de justifier le remboursement des frais associés aux déplacements plus longs au cas où le demandeur déciderait de poursuivre ses traitements à l’hôpital St-Mary.  

 

[12]    Dans l’ensemble, j’estime que la décision attaquée est raisonnable et qu’elle résiste à un examen poussé. Dans l’administration des programmes d’avantages prévus par le Règlement, le ministère permet à l’ancien combattant de choisir son médecin ou son fournisseur de soins médicaux. Cependant, les frais de déplacement ne sont remboursés que dans la mesure où ils se rapportent au moyen de transport le plus pratique et économique eu égard à l’état du client. Le ministère rembourse seulement les frais de déplacement qui correspondent à la distance entre la résidence du client et le centre de traitement adéquat le plus proche. 

 

[13]    Je suis aussi convaincu que le fonctionnaire n’a pas entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel du ministre d’autoriser, dans des circonstances spéciales ou exceptionnelles, le remboursement des frais de déplacement engagés par un client pour recevoir des soins médicaux à un autre centre que celui situé le plus près de chez lui. En l’espèce, le fonctionnaire a conclu que le demandeur ne lui avait pas remis, à ce moment-là, de la documentation suffisante pour justifier que l’on accepte, de manière exceptionnelle, sa demande de remboursement des frais de déplacement découlant de ses rendez-vous médicaux à Montréal. Il y a lieu de mentionner que, le 10 janvier 2007, soit après que la décision attaquée a été rendue, le ministre, à la réception d’une lettre dans laquelle la Dre Louise Gagnon expose les circonstances exceptionnelles justifiant le fait que le demandeur se rende à Montréal pour suivre, avec la Dre Lise Bourgeois, une thérapie contre le stress post-traumatique, a accueilli la demande de remboursement des frais de déplacement du demandeur à Montréal pour permettre au demandeur de poursuivre ce traitement. Cette nouvelle preuve d’ordre médical, dont ne disposait pas le fonctionnaire ayant rendu la décision attaquée, montre clairement, à mon sens, que le ministère est dorénavant disposé à réexaminer la décision attaquée à la lumière d’une nouvelle preuve médicale exposant les motifs pour lesquels il est plus opportun pour le demandeur de recevoir un traitement médical donné à Montréal plutôt qu’à Joliette. En effet, le demandeur pourra soutenir qu’il lui est impossible, en pratique, de faire transférer son dossier médical au CHRDL ou de consulter un médecin du CHRDL. Il peut également prétendre que l’une ou l’autre de ces démarches lui occasionnerait des difficultés indues dans l’administration d’un traitement médical particulier qui lui est présentement offert à l’hôpital St-Mary. 

 

[14]    Pour les motifs susmentionnés, je dois rejeter la présente demande. Étant donné la nature de l’espèce, la situation particulière du demandeur et tous les autres facteurs pertinents, il n’y a pas lieu, dans les circonstances, d’accorder les dépens au défendeur. 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les parties doivent payer leurs propres dépens. 

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2177-06

 

 

INTITULÉ :                                       ARTHUR MOORE

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 OCTOBRE 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 31 OCTOBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julius Grey

 

POUR LE DEMANDEUR

Jean-Robert Noiseux

Stephanie Dion

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Grey Casgrain

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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