Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20071107

Dossier : IMM-3470-07

Référence : 2007 CF 1158

Toronto (Ontario), le 7 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

ENTRE :

CAMILLE PRESCOTT

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Camille Prescott (la demanderesse), une citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines (Saint‑Vincent), demande un sursis à la mesure de renvoi du Canada dont elle fait l’objet et dont l’exécution est prévue pour demain, jusqu’à ce que soit entendue sa demande d’autorisation visant la décision rendue le 9 août 2007 par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR), lequel a conclu qu’elle n’était pas exposé à un risque visé aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

 

[2]               La demanderesse est entrée au Canada le 5 octobre 2004 et a demandé l’asile deux semaines plus tard. Elle a affirmé que son agent de persécution était son ancien petit ami, M. Greg Gabriel, avec qui elle a habité durant quatorze mois. Elle a prétendu que M. Gabriel l’avait maltraitée physiquement.

 

[3]               Le 26 octobre 2005, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile au motif que, bien que la demanderesse fût crédible, elle n’avait pas réussi à convaincre la SPR que l’État de Saint‑Vincent n’assurait pas adéquatement la protection des victimes de violence conjugale. La SPR a fondé sa conclusion sur la jurisprudence et sur le fait que, lorsque la demanderesse avait signalé à la police deux seuls incidents de violence en mars et en mai 2000, la police avait répondu à ses appels en rédigeant des rapports, en venant la voir et en cherchant M. Gabriel, sans le trouver. La SPR a pris note que la demanderesse n’était pas représentée par un avocat à l’audience concernant son statut de réfugié et que, durant les quatre ans et demi suivant sa rupture avec M. Gabriel, elle avait souvent déménagé et n’avait plus jamais eu affaire à M. Gabriel ou à la police.

 

[4]               La demanderesse n’a pas demandé à la Cour fédérale l’autorisation de contester la décision de la SPR.

 

[5]               Elle a déposé sa demande d’ERAR le 28 février 2007 ainsi que de longues observations présentées en son nom par son avocate le 16 mars 2007. À l’appui de sa demande d’ERAR, elle a soumis un affidavit daté du 13 mars 2007 qui semble à première vue contredire nettement la décision de la SPR et différer de l’affidavit présenté à l’appui de la présente demande de sursis quant à l’incident du 6 mai 2006 dont il sera question ci‑dessous et concernant un autre petit ami. Dans son affidavit du 13 mars 2007, elle a nommé un nouvel agent de persécution, M. Orlando Edwards, un citoyen de Saint‑Vincent qui a demandé l’asile au Canada, ce qui lui a été refusé. Ils ont fait connaissance en décembre 2004, mais ils ont rompu en avril 2006, quand la demanderesse a découvert que M. Edwards fréquentait une autre femme. Elle prétend dans son affidavit qu’il est devenu très en colère, ce qui a mené à une altercation le 6 mai 2006, à la suite de laquelle la police a été appelée et des accusations ont été portées contre la demanderesse (accusations que la Couronne a suspendues pour faciliter l’exécution de la mesure de renvoi). Il a également été découvert que M. Edwards n’avait pas de statut au Canada, ce qui semble avoir entraîné son renvoi vers Saint‑Vincent. M. Edwards blâme la demanderesse pour son renvoi, ce pour quoi il aurait menacé les enfants de la demanderesse à Saint‑Vincent et aurait tenté d’enlever sa fille.

 

[6]               Comme je l’ai mentionné, le 9 août 2007, l’agent d’ERAR a rejeté la demande d’ERAR de la demanderesse, rejet pour lequel une autorisation est actuellement demandée à la Cour. Les dossiers de la demanderesse et du défendeur ont été déposés, de même temps que la réponse de la demanderesse. Le dossier est prêt à être examiné par un juge, qui décidera d’accorder ou non l’autorisation.

 

[7]               L’agent d’ERAR déclare que, avant de tirer sa conclusion, il a soigneusement examiné et pris en considération la demande d’ERAR et les observations de la demanderesse, en plus d’effectuer indépendamment une recherche sur les conditions qui avaient cours à Saint‑Vincent et qui touchaient la demanderesse. En particulier, il a mentionné ce qui suit dans sa décision. 

 

·        L’agent d’ERAR a affirmé que, pour conclure que l’État assurait une protection adéquate, le tribunal de la SPR avait reconnu le fait que [traduction] « la violence contre les femmes constituait un problème grave à Saint‑Vincent », mais que le tribunal avait jugé que [traduction] « des mesures tangibles avaient été prises pour résoudre ce problème ».

 

·        Il a souligné que, dans ses observations présentées dans le cadre de l’ERAR, la demanderesse [traduction] « a essentiellement fait part des mêmes incidents qu’elle avait racontés à la SPR et elle a invoqué le nouveau risque concernant M. Orlando Edwards ». 

 

·        Il fait référence à l’affidavit de la demanderesse, daté du 13 mars 2007, pour ce qui est de faire état de façon détaillée de sa relation avec M. Edwards et de l’origine de la crainte que ce dernier inspire à la demanderesse.

 

·        Il se réfère à la preuve documentaire soumise par l’avocate de la demanderesse et conclut que les documents qui sont ultérieurs à la décision de la SPR [traduction] « sont de nature générale et ne portent pas sur les doutes soulevés par la SPR, pas plus qu’ils ne révèlent que les conditions à Saint‑Vincent ont empiré depuis la décision de la SPR ».

 

·        L’agent d’ERAR continue son analyse en affirmant :

[traduction]

J’ai néanmoins lu et examiné [la preuve documentaire] dans le contexte de l’évaluation des conditions actuelles dans le pays. J’estime que la demanderesse n’a pas présenté une preuve qui me convainque de tirer une conclusion différente de celle du tribunal de la SPR. Je conclus également que les conditions à Saint‑Vincent n’ont pas empiré de manière tangible depuis que la SPR a rendu sa décision. Dans ses observations, le conseil a fourni trois affidavits de Pamela Cross, qui travaille actuellement comme consultante juridique privée auprès d’agences et d’organismes luttant contre la violence envers les femmes en Ontario. Bien que j’estime que ses qualifications et l’ensemble de son travail soient admirables, je ne crois pas qu’elle soit une experte sur les conditions actuelles à Saint‑Vincent. Dans ses affidavits, elle reprend de manière générale des documents portant sur la législation et présente des observations sur la violence conjugale telle qu’elle existait au moment où s’est tenue l’audience de la demanderesse.

 

·        L’agent d’ERAR décrit ensuite l’examen indépendant qu’il a effectué sur les conditions en cours à Saint‑Vincent. Il a conclu que les conditions encours dans le pays [traduction] « n’avaient pas empiré de manière tangible depuis le rejet par la SPR de la demande d’asile de la demanderesse ». Il a toutefois convenu de ceci :

[traduction]

Je reconnais que la violence contre les femmes demeure un problème grave à Saint‑Vincent, cependant, le gouvernement a conscience de ce problème et tente d’y remédier. Un examen attentif de la preuve documentaire révèle que l’État peut assurer la protection de la demanderesse, tandis que la jurisprudence canadienne, dans l’arrêt Zalzali, établit le principe selon lequel la protection peut, « sans être nécessairement parfaite, [être] adéquate. »

 

·        L’agent d’ERAR a ensuite invoqué le rapport USDOS‑2005 sur Saint‑Vincent à l’appui de son opinion quant aux efforts entrepris par le gouvernement de cette île : la reconnaissance du fait que la violence conjugale constitue un problème grave; la signature de conventions internationales sur la prévention, la sanction et l’éradication de la violence contre les femmes; l’adoption de lois; l’augmentation du nombre d’affaires soumises au tribunal de la famille et la reconnaissance que malgré tout de nombreux auteurs de violence conjugale demeurent impunis parce que les victimes n’ont rien signalé à la police ou n’ont pas voulu que l’auteur soit poursuivi, ce qui a amené à la Commission des droits de la personne de Saint‑Vincent à tenir des séances de sensibilisation aux droits des femmes victimes de violence. Le document USDOS fait mention de formation supplémentaire pour la police visant à la sensibiliser à la violence conjugale et à la nécessité de porter des accusations quand la preuve est suffisante.

 

·        L’agent d’ERAR a ensuite cité l’arrêt Villafranca de la Cour d’appel fédérale dans lequel il est énoncé que le simple fait que l’État ne réussisse pas toujours à assurer une protection n’est pas une raison justifiant de ne pas demander cette protection.

 

·        L’agent d’ERAR a conclu, à partir du dossier soumis à la SPR, que la demanderesse pourrait obtenir la protection de l’État contre ses agents de persécution : elle l’a obtenue dans le cas de M. Gabriel et elle pourrait l’obtenir dans le cas de M. Edwards. Dans le cas de M. Edwards, il a précisé que la crainte qu’il inspire découle d’un comportement criminel sur lequel la police et le gouvernement ne ferment pas les yeux. L’agent a ajouté que Saint‑Vincent fournit à ses citoyens un réseau social (la police, le système judiciaire, des groupes gouvernementaux ou non gouvernementaux défendant les droits de la personne) qui peut l’aider. 

 

[8]               Dans son mémoire, l’avocate de la demanderesse a formulé les observations suivantes, qu’elle soulève en tant que questions graves, en faisant observer que le critère applicable est de savoir si elles sont futiles et vexatoires :

 

·        L’agent d’ERAR a appliqué le mauvais critère juridique pour ce qui est de la protection de l’État : les efforts de l’État pour assurer une protection plutôt que l’existence dans les faits d’une protection efficace de l’État.

 

·        L’agent d’ERAR n’a pas tenu compte des preuves contradictoires sur la protection de l’État, c’est‑à‑dire qu’il n’a pas pris en compte, et encore moins analysé, la preuve pertinente qui contredisait la conclusion d’existence d’une protection de l’État. En particulier, l’agent d’ERAR n’a pas mentionné la réponse à une demande d’information (RDI) du 31 octobre 2006 ni la RDI du 27 octobre 2005. Il a également rejeté les affidavits de Pamela Cross.

 

·        L’agent d’ERAR n’a pas exposé de motifs adéquats.

 

 

[9]               À mon humble avis, je ne peux convenir avec l’avocate de la demanderesse que la décision de l’agent d’ERAR soulève les questions graves qu’elle a énoncées.

 

[10]           En premier lieu, je conviens avec elle que le critère applicable à la protection de l’État est la capacité d’un État d’assurer adéquatement (efficacement) une protection : il ne suffit pas que l’État fasse des efforts sérieux pour tenter d’assurer une protection.

 

[11]           La conclusion de l’agent d’ERAR à ce sujet est essentiellement fondée sur la conclusion de la SPR. Cette dernière avait conclu que la demanderesse avait en fait bénéficié de la protection de l’État à Saint‑Vincent quand elle l’avait demandée. Dans ces circonstances, il est objectivement déraisonnable pour la demanderesse de ne pas vouloir faire appel à l’État pour obtenir une protection qui peut lui être offerte. En d’autres termes, sa situation personnelle montre que la protection de l’État a été efficace dans son cas.

 

[12]           Son affidavit contredit la conclusion de la SPR dans son cas précis. Elle affirme par exemple que la police a refusé de prendre sa plainte en considération. Je ne suis pas prêt à tenir compte de cet élément de preuve, car il constituerait une contestation indirecte de la décision officielle de la SPR.

 

[13]           En second lieu, j’estime que l’argument selon lequel l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve qui lui avaient été présentés est sans fondement. La RDI du 27 octobre 2005 vient corroborer la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle la protection de l’État est adéquate ou efficace. Le document a comme source des représentants du gouvernement et de la police à Saint‑Vincent. Le représentant du gouvernement décrit en particulier l’efficacité de la méthode d’application de la loi sur la violence conjugale et du fonctionnement des ordonnances de protection et d’occupation prononcées par le tribunal de la famille. Le représentant du gouvernement reconnaît que l’efficacité est [traduction] « parfois » inconstante ou inadéquate. La perfection n’est pas nécessaire pour ce qui est de la protection de l’État en matière de droit des réfugiés. Le représentant de la police formule des commentaires sur l’utilité des ordonnances de protection.

 

[14]           La RDI du 31 octobre 2006 n’aide pas la demanderesse à établir que la protection de l’État n’est pas efficace. Les remarques d’un agent d’immigration du haut‑commissariat canadien à Trinité concernant l’efficacité de l’organisation des tribunaux de la famille à Saint‑Vincent et de ses procédures n’ont pu être corroborées par la Direction de la recherche de la CISR (voir le dossier de la demanderesse, page 98, tout le premier paragraphe). À l’audience, l’avocate de la demanderesse n’a pas soutenu que l’agent d’ERAR avait commis une erreur en n’accordant aucune valeur aux affidavits de Pamela Cross. Le reste de cette RDI ne prouve pas que la protection de l’État à Saint‑Vincent est inadéquate.

 

[15]           Pour ce qui est de l’absence de motifs adéquats, je m’appuie sur la décision rendue par la juge Snider dans Cupid c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2007 CF 176, aux paragraphes 6 à 13, pour conclure qu’il ne s’agit pas d’une question sérieuse.

 

[16]           En ce qui a trait au préjudice irréparable, l’avocate de la demanderesse s’est fondée sur les principes établis dans Figurado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 4 R.C.F. 387, au paragraphe 45. Figurado se fonde sur l’existence d’une question sérieuse, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le préjudice irréparable n’est pas prouvé.

 

[17]           Dans les circonstances, la prépondérance des inconvénients est favorable au ministre.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de sursis soit rejetée.

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross

 

 

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM-3470-07

 

INTITULÉ :                                                   CAMILLE PRESCOTT

                                                                        v.

                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 5 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 NOVEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Melinda Gayda

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Refugee Law Office

Toronto

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.