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Date20071108

Dossier :  T-1021-06

Référence :  2007 CF 1160

Ottawa, Ontario, le 8 novembre 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

Wooby Fontaine

demandeur

et

 

Transports Canada sécurité et sûreté

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

ARPERÇU

[1]               Le demandeur conteste la validité de la décision du Ministre d’annuler son habilitation de sécurité.

 

[2]               Le demandeur n’a pas démontré que la décision du Ministre d’annuler son habilitation de sécurité était « manifestement déraisonnable » ou « non-conforme à la raison » ou même déraisonnable.

 

[3]               De plus, la preuve au dossier révèle que le Ministre a tenu le demandeur informé de l’enquête et lui a donné l’occasion de faire valoir son point de vue.

 

[4]               De plus, le demandeur n’a jamais, malgré l’opportunité qui lui a été donnée, réfuté les informations recueillies par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) au sujet de la nature de ses liens avec les « Ruffriders ».

 

[5]               Les prétentions du demandeur ne permettent donc pas de conclure que la décision du Ministre d’annuler son habilitation de sécurité était « manifestement déraisonnable ».

 

[6]               En l’espèce, le Ministre a mis en place le Programme d’habilitation ainsi qu’un Organisme consultatif afin d’assurer que l’octroi des habilitations de sécurité soit fait à la suite de vérifications sur le dossier de la personne requérant une habilitation. (Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, art. II.19.)

 

[7]               Ce ne sont donc pas, en l’espèce, des actes précis qui rendent le demandeur inapte à détenir une habilitation de sécurité mais plutôt le fait qu’il soit associé avec des individus qui pourraient avoir une influence négative sur lui qui donne au Ministre des motifs de croire que le demandeur soit « sujet ou peut être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ». (Programme d’habilitation, ci-dessus, art. I.4d).)

 

[8]               Le juge Yvon Pinard note dans Motta c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 27 (QL) :

[13]      [...] je considère donc que les exigences imposées par l'obligation d'agir équitablement sont minimes et qu'il suffisait au Ministre, après avoir permis au demandeur de présenter sa demande par écrit comme il l'a fait, de rendre une décision qui ne soit pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition [...]

 

INTRODUCTION

[9]               Le présent pourvoi concerne une question parmi les plus importantes de notre société, soit la sécurité aérienne.

 

[10]           Le demandeur, monsieur Wooby Fontaine, demande le contrôle judiciaire de la décision du Ministre des Transports de l’Infrastructure et des Collectivités d’annuler son habilitation de sécurité.

 

[11]           Or, la décision a été prise en conformité avec la loi habilitante et monsieur Fontaine n’a aucunement démontré l’existence d’une erreur ou circonstance qui permettrait à cette Cour d’intervenir dans la décision du Ministre.

 

Les procédures

[12]           Monsieur Fontaine, par un avis de demande de contrôle judiciaire, déposé le 19 juin 2006, cherche à obtenir une ordonnance enjoignant le Ministre (1) de renverser sa décision du 24 mars 2006 d’annuler son habilitation de sécurité, et (2) d’accorder au demandeur ladite habilitation. (Dossier du demandeur (DD), p. 4.)

 

L’annulation de l’habilitation de sécurité du demandeur

[13]           Le Ministre est responsable d’assurer la sûreté dans les aérodromes canadiens suivant les dispositions de la Loi sur l’aéronautique, S.R. (1985) ch. A-2 (Loi), ses règlements et politiques d’application.

 

[14]           Le rôle du Ministre comprend notamment la réglementation de l’accès aux aéroports et l’octroi d’habilitation de sécurité pour les individus qui désirent avoir accès aux zones réglementées des aérodromes. (Loi, ci-dessus, art. 4.8; Règlement canadien sur la sûreté aérienne, DORS/2000-111, art. 4 (Règlement).)

 

[15]           Le 29 décembre 2003, monsieur Fontaine a soumis une demande d’habilitation de sécurité à l’Aéroport international Pierre E. Trudeau. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 12, pièce C.)

 

[16]           Le 13 octobre 2004, le Directeur du renseignement de Transports Canada, responsable des autorisations en matière de sécurité, a été informé de circonstances donnant des motifs sérieux de croire que monsieur Fontaine posait un risque pour la sécurité de l’aéroport. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 15, Pièce D; Programme d’habilitation, ci-dessus, art. I.6.)

 

[17]           Le 25 octobre 2005, la Direction du renseignement a envoyé une lettre au Chef de sûreté aéroportuaire de l’Aéroport international Pierre E. Trudeau recommandant qu’un laissez-passer pour zone réglementées ne soit pas émis à monsieur Fontaine jusqu’à ce que le Ministre soit en mesure de considérer sa demande. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 19, pièce H.)

[18]           L’information obtenue lors du processus de vérification a révélé que monsieur Fontaine avait été associé avec des membres de l’organisation criminelle « Ruffriders » depuis 1997. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 18, pièce G.)

 

[19]           Le 14 décembre 2005, Transports Canada a avisé monsieur Fontaine que, compte tenu de l’information préjudiciable obtenue lors du processus de vérification, son dossier allait être soumis au Comité de révision pour l’autorisation de sécurité en matière de transport (l’Organisme consultatif) afin qu’il en fasse l’étude et formule une recommandation au Ministre quant à son habilitation de sécurité. Monsieur Fontaine a été invité à soumettre des renseignements supplémentaires. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 17, pièce F.)

 

[20]           En décembre 2005, monsieur Fontaine ainsi que son amie, ont communiqué avec Transports Canada afin de fournir des explications quant à son dossier. Ces renseignements ont été consignés au dossier par monsieur Guy Mathieu. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 21, pièce I.)

 

[21]           Le 14 mars 2006, après avoir complété l’étude de la demande de monsieur Fontaine, l’Organisme consultatif a recommandé au Ministre que son habilitation de sécurité soit annulée. L’Organisme consultatif était d’avis que monsieur Fontaine, vu son dossier, est une personne liée à des membres connus d’organisations criminelles. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 22; Programme d’habilitation, ci-dessus, par. I.4d).)

 

[22]           Cette recommandation a été entérinée par le Ministre le 22 mars 2006 et la décision a été communiquée à monsieur Fontaine le 24 mars 2006. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 23, pièce J.)

 

[23]           Le 19 juin 2006, monsieur Fontaine a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du Ministre d’annuler son habilitation de sécurité. (DD, Avis de demande, p. 3; Affidavit de Francine Massicotte, par. 24.)

 

POINT EN LITIGE

[24]           La seule question en litige vise à déterminer si monsieur Fontaine a démontré que la décision du Ministre des Transports était manifestement déraisonnable.

 

ANALYSE

            Le processus administratif ayant donné lieu à la décision du Ministre

[25]           Comme toute demande de contrôle judiciaire, l’analyse doit être fondée sur un examen du cadre législatif en question.

 

[26]           L’objectif principal de la législation en cause est la sécurité aérienne.

 

[27]           Afin d’atteindre son objectif, le Parlement a investi le Ministre des Transports de la responsabilité d’administrer un régime législatif complexe et détaillé.

 

[28]           La pierre angulaire de ce régime est l’octroi d’habilitation de sécurité aux individus demandant un accès privilégié aux zones réglementées de certains aéroports désignés.

 

[29]           L’article 4.8 de la Loi, ci-dessus, stipule simplement :

Habilitations de sécurité

 

Délivrance, refus, etc.

 

4.8      Le ministre peut, pour l'application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

 

Security Clearances

 

Granting, suspending, etc.

 

4.8      The Minister may, for the purposes of this Act, grant or refuse to grant a security clearance to any person or suspend or cancel a security clearance.

 

 

[30]           Ce pouvoir discrétionnaire du Ministre n’est aucunement restreint dans son objectif – soit celui d’assurer la sécurité aérienne au Canada.

 

[31]           L’accès à certaines zones des aéroports canadiens est limité aux personnes qui détiennent un laissez-passer de zone réglementée, le tout conformément au Règlement. (Mesures de sûreté relatives à l’autorisation d’accès aux zones réglementées d’aéroport.)

 

[32]           Une directive intitulée « Mesures de sûreté relatives à l’autorisation d’accès aux zones réglementées d’aéroport » désigne les aéroports à zones d’accès restreint. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 4, pièce A; Mesure, ci-dessus, Annexe A.)

 

[33]           En vertu de l’article 4 du Règlement, l’exploitant d’un aérodrome qui est un aéroport énuméré à l’annexe A des Mesures, « doit établir, appliquer et exécuter les mesures de sûreté énoncées dans ce document ».

 

[34]           Ce document prévoit que seules les personnes qui détiennent une autorisation approuvée par le Ministre peuvent obtenir un laissez-passer de l’exploitant d’un aéroport afin d’accéder aux zones réglementés des aérodromes énumérés. L’aéroport international de Montréal Pierre E. Trudeau se trouve sur cette liste. (Mesures, Annexe A; Affidavit de Francine Massicotte, par. 5.)

 

[35]           Afin d’assurer l’exercice transparent de ses pouvoirs en vertu de l’article 4.8 de la Loi, le Ministre a adopté le Programme d’habilitation. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 6, pièce B.)

 

[36]           En vertu du paragraphe 4.3 de la Loi, le Programme d’habilitation est administré par le Directeur du renseignement de Transports Canada. Ce dernier examine les demandes et effectue des vérifications de sécurité telle que la recherche d’antécédents criminels auprès de la GRC, l’existence d’un casier judiciaire, d’accusations, de mandats d’arrêts et/ou d’association avec des groupes d’une organisation criminelle ou terroriste. (Programme d’habilitation, ci-dessus, art. I.6; Affidavit de Francine Massicotte, par. 8.)

 

[37]           Dans le cas où de l’information préjudiciable ressort de cet examen, le Directeur peut décider de suspendre une habilitation de sécurité et d’instituer une enquête. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 9.)

[38]           Monsieur Fontaine est ensuite avisé de la suspension de son habilitation de sécurité et est invité à faire des représentations. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 11.)

 

[39]           Un dossier sera alors constitué pour être remis à l’Organisme consultatif qui en fera l’étude et formulera des recommandations au Ministre concernant le refus, l’annulation ou la suspension de l’habilitation de sécurité. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 9; Programme d’habilitation, ci-dessus, art. 1.8.)

 

[40]           Au moment où la décision a été prise, l’Organisme consultatif était formé de cinq membres, soit le Directeur du renseignement (président), le Directeur du renseignement de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) (vice-président), le Chef du Programme de renseignement et de filtrage de sécurité (secrétaire) ainsi qu’un conseiller juridique et un inspecteur de sécurité de Transports Canada. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 10; Programme d’habilitation, ci-dessus, art. II.31.)

 

[41]           À la suite de la recommandation de l’Organisme, le Ministre exerce son pouvoir, en vertu de l’article 4.8 de la Loi, d’accorder, refuser, suspendre ou annuler l’habilitation de sécurité.

 

Rôle du Tribunal siégeant en contrôle judiciaire et norme de contrôle applicable

[42]           Le premier paragraphe de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, se lit comme suit :

[1]          Selon la jurisprudence applicable, une cour saisie en révision d'une décision rendue par un tribunal administratif doit déterminer par l'analyse pragmatique et fonctionnelle le degré de déférence requis à l'égard de cette décision. Le degré de déférence approprié lui permet ensuite de déterminer parmi les trois normes de contrôle celle qu'il doit appliquer à la décision: la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter ou la décision manifestement déraisonnable.

 

 

[43]           Le défendeur soutient qu’aux termes de l’analyse pragmatique et fonctionnelle du degré de déférence requis, la décision rendue par le Ministre ne peut être révisée qu’en cas d’erreur manifestement déraisonnable. (Motta, ci-dessus.)

 

[44]           Il est également soumis que, même si cette Cour venait à la conclusion que c’est la norme intermédiaire qui devrait s’appliquer, soit celle de la décision raisonnable, la demande de contrôle judiciaire de monsieur Fontaine ne soulève aucune erreur de fait ou de droit qui rencontrait ce dernier critère.

 

Facteurs à considérer

[45]           Suivant la jurisprudence établissant les principes directeurs en matière, quatre facteurs doivent être considérés afin d’identifier la norme d’intervention applicable, soit : (1) la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel, (2) l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige, (3) l’objet de la loi et de la disposition particulière, et (4) la nature de la question, de fait, de droit ou mixte (voir notamment Ryan, ci-dessus, par. 27). Aucun de ces facteurs n’est à lui seul déterminant; l’intention du législateur quant à l’étendu du contrôle judiciaire auquel sera soumise la décision contestée est la considération centrale à retenir. (Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, par. 16 et 18.)

1er facteur : présence d’un droit d’appel ou d’une clause privative

[46]           Le régime législatif, dont il est question, ne prévoit aucune clause privative ni de droit d’appel.

 

[47]           Dans ces circonstances, ce premier facteur est neutre dans le contexte de l’analyse du degré de déférence requis, puisque « L’absence de clause privative n’implique pas une norme élevée de contrôle, si d’autres facteurs commandent une norme peu exigeante. » (Ryan, ci-dessus, par. 29, citant les propos du juge Michel Bastarache dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 30.)

 

2e facteur : spécialisation du décideur

[48]           Quant au deuxième facteur, soit celui de la spécialisation du défendeur relativement à celle de la Cour fédérale, le défendeur soutient qu’elle milite lourdement en faveur de la norme du manifestement déraisonnable, puisque ce critère repose sur les « connaissances spécialisées sur un sujet ou de l’expérience et de qualifications dans un domaine précis ». (Ryan, ci-dessus, par. 30.)

 

[49]           L’Organisme consultatif qui a procédé à l’analyse du dossier de monsieur Fontaine était composé du Directeur du renseignement (président), le Directeur du renseignement ASFC (vice-président), le Chef du Programme de renseignement et de filtrage de sécurité (secrétaire) ainsi qu’un conseiller juridique et un inspecteur de sécurité de Transports Canada. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 10; Programme d’habilitation, ci-dessus, art. II.31.)

[50]           Ces personnes détiennent toutes une expertise en vertu de leurs expériences professionnelles respectives et possèdent indéniablement un savoir adapté relativement aux questions dont elles étaient saisies.

 

[51]           En conséquence, la question d’accorder ou non une habilitation de sécurité relève du champ d’expertise du Ministre et de l’Organisme consultatif et milite en faveur d’un haut degré de déférence.

 

3e facteur : objet de la Loi

[52]           En ce qui concerne le troisième facteur, soit celui visant l’objet de la Loi et de la disposition particulière, il comporte un important volet de protection du public en ce que la Loi a notamment pour objectif d’assurer la sécurité au niveau des aéroports et du transport aérien.

 

[53]           Ceci est indéniablement parmi les questions les plus importantes et urgentes que le gouvernement doit traiter.

 

[54]           Comme il s’agit d’une Loi « qui concerne la protection du public, qui fait intervenir des questions de politiques ou qui comporte la pondération d'intérêts ou de considérations multiples », on peut déduire que le Ministre dispose d’un grand pouvoir discrétionnaire. Compte tenu de ceci, la Loi « exige une plus grande déférence de la part de la cour de révision ». (Ryan, ci-dessus, par. 39.)

 

[55]           En outre, « [...] plus le pouvoir discrétionnaire accordé au décideur est grand, plus les tribunaux devraient hésiter à intervenir dans la manière dont les décideurs ont choisi entre diverses options ». (Baker c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 56.)

 

4e facteur: nature de la question

[56]           Quant au dernier facteur à considérer, soit la nature de la question devant le Ministre, le défendeur soutient qu’il démontre également l’opportunité de réviser la décision du Ministre uniquement si celle-ci est manifestement déraisonnable. Les questions auxquelles le Ministre a dû répondre à la suite de son enquête sont de nature mixte de fait et de droit.

 

[57]           La question, dont est saisi le Ministre, est celle de déterminer si la demande d’habilitation de sécurité dont il est saisi devrait être accordée.

 

[58]           Cette question concerne également la sécurité publique. Il y a lieu d’accorder une grande latitude à un office fédéral lorsque ce dernier prend des décisions dans le but de protéger le public et qu’aucun droit substantif des individus affectés n’est compromis par sa décision.

 

[59]           En effet, l’accès aux zones protégées est un privilège. Le seul droit dont jouit monsieur Fontaine dans le cadre de  sa demande d’habilitation de sécurité est de nature procédurale. Ce droit, par ailleurs, a été pleinement respecté en l’espèce.

 

[60]           Finalement, la nature mixte d’une question « appelle une déférence plus grande si la question est principalement factuelle, et moins grande si elle est principalement de droit ». (Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.)

 

[61]           Le défendeur est d’avis que la tâche d’évaluer le risque associé avec un certain comportement est principalement une question d’appréciation des faits qui relève du domaine d’expertise du Ministre et de l’Organisme consultatif.

 

[62]           De plus, en poursuivant les objectifs de la Loi, le Ministre jouit d’une large discrétion en développant et en appliquant le Programme d’habilitation. Cette discrétion est tout à fait raisonnable, et même essentielle puisque l’objectif de la Loi est la sécurité publique.

 

[63]           En analysant les quatre facteurs applicables, cette Cour est d’avis que la norme applicable à la décision du Ministre de refuser l’habilitation de sécurité de monsieur Fontaine est celle de manifestement déraisonnable.

 

Effet du choix de la norme

[64]           Lorsque la norme du manifestement déraisonnable s’applique à une décision, ceci signifie que la Cour ne pourra intervenir que si cette décision est entachée d’un défaut flagrant ou évident, i.e. qui pourra être expliqué simplement ou facilement. La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non-conforme à la raison ». (Ryan, ci-dessus, par. 52.)

[65]           Même si cette Cour considérait plutôt que la norme applicable est celle de la décision raisonnable, ceci devrait également être rejeté, compte tenu de la définition de cette norme :

[46]      Le niveau de déférence requis dans le contrôle judiciaire d'une mesure administrative selon la norme de la décision raisonnable fait appel à l'autodiscipline. Une cour sera souvent obligée d'accepter qu'une décision est raisonnable même s'il est peu probable qu'elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal (voir Southam, précité, par. 78-80)...

 

(Ryan, ci-dessus.)

 

 

[66]           Monsieur Fontaine n’a pas démontré que la décision du Ministre d’annuler son habilitation de sécurité était « manifestement déraisonnable » ou « non-conforme à la raison » ou même déraisonnable.

 

[67]           Comme réitéré par la juge Johanne Gauthier « l'obligation d'équité n'exige pas la tenue d'une audience formelle et complète; elle requiert cependant que [le demandeur ait] une occasion réelle de faire valoir [son point] de vue avant que la décision finale soit rendue ». (DiMartino c. Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635, [2005] A.C.F. no 876 (QL), par. 36.) En espèce, la preuve au dossier révèle que le Ministre a tenu monsieur Fontaine informé de l’enquête et lui a donné l’occasion de faire valoir son point de vue.

 

[68]           Monsieur Fontaine conteste la validité de la décision du Ministre, d’annuler son habilitation de sécurité, pour les raisons suivantes.

 

[69]           Monsieur Fontaine prétend, d’une part, que les renseignements obtenus, dans le cadre du processus de vérification, sont imprécis quant à la personne. (Dossier du demandeur, Mémoire, p. 8.)

 

[70]           Or, tel qu’il appert de l’interrogatoire sur affidavit de madame Massicotte, il n’y avait aucune confusion entre monsieur Wooby Fontaine et son frère jumeau, Woody Fontaine, au cours du processus décisionnel. (DD, pièce 7, Interrogatoire sur affidavit de Francine Massicotte, pp. 15 et 16; Dossier du défendeur, Affidavit de Francine Massicotte, pièce G.)

 

[71]           Monsieur Fontaine prétend, d’autre part, que les représentations qu’il a faites, selon lesquelles il n’a jamais fait partie d’une organisation criminelle, n’ont pas fait l’objet de vérification. (DD, Mémoire, p. 8.)

 

[72]           Or, il n’y avait pas lieu de vérifier ces affirmations car elles n’ont jamais été mises en doute.

 

[73]           En effet, la décision concernant monsieur Fontaine est fondée uniquement sur son association avec une organisation criminelle reconnue, soit les « Ruffriders », et non sur son statut de membre. Il n’a jamais été question que monsieur Fontaine soit lui-même membre d’une organisation criminelle. (Affidavit de Francine Massicotte, par. 18 et 22, pièce G.)

 

[74]           Finalement, monsieur Fontaine soumet que le dossier qui a été constitué à son sujet est « basé sur du ouï-dire qui n’a pas été vérifié ». (DD, Mémoire de Faits et de Droits, p. 8.)

[75]           Or, la fiabilité de l’information obtenue de la GRC est suffisante aux fins du processus de vérification institué par le Programme d’habilitation. (Affidavit de Francine Massicotte, pièce G; DD, Interrogatoire sur affidavit de Francine Massicotte, p. 14.)

 

[76]           De plus, monsieur Fontaine n’a jamais, malgré l’opportunité qui lui a été donnée, réfuté les informations recueillis par la GRC au sujet de la nature de ses liens avec les « Ruffriders ». (Dossier du défendeur, pièce F, p. 38 et pièce G, p. 39.) En réponse, monsieur Fontaine précise simplement que « si certains amis que j’avais dans mon enfance sont aujourd’hui dans de pareils groupes, il serait injuste de m’inculper d’en faire partie parce que mon nom a été associé au leur au cours de notre jeunesse ». (Dossier du défendeur, pièce I, p. 52.)

 

[77]           Les prétentions de monsieur Fontaine ne permettent donc pas de conclure que la décision du Ministre, d’annuler son habilitation de sécurité, était manifestement déraisonnable.

 

[78]           En exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 4.8 de la Loi, le Ministre peut prendre en considération tout facteur qu’il juge pertinent.

 

[79]           En l’espèce le Ministre a mis en place le Programme d’habilitation ainsi qu’un Organisme consultatif afin d’assurer que l’octroi des habilitations de sécurité soit fait à la suite de vérifications sur le dossier de la personne requérant une habilitation. (Programme d’habilitation, ci-dessus, art. II.19.)

 

[80]           L’existence d’un tel mécanisme peut créer des droits procéduraux mais ne limite aucunement la grande discrétion dont jouit le Ministre en vertu de l’article 4.8 de la Loi.

 

[81]           De plus, l’Organisme consultatif n’a pas comme devoir de recueillir des preuves établis hors de tout doute raisonnable d’actes menaçant à la sécurité publique.

 

[82]           Au contraire, le Programme d’habilitation qui régit l’octroi d’habilitation de sécurité exige seulement qu’il existe une probabilité qu’une personne soit :

d) qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à:

 

 

i. commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou

 

ii. aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

(d) the Minister reasonably believes, on a balance of probabilities, may be prone or induced to

 

i. commit an act that may unlawfully interfere with civil aviation; or

 

ii. assist or abet any person to commit an act that may unlawfully interfere with civil aviation

 

(Programme d’habilitation, ci-dessus, art. I.4.)

 

CONCLUSION

[83]           Ce ne sont donc pas, en l’espèce, des actes précis qui rendent monsieur Fontaine inapte à détenir une habilitation de sécurité, mais, plutôt, le fait qu’il soit associé avec des individus qui pourraient avoir une influence négative sur lui, qui donne au Ministre des motifs de croire que monsieur Fontaine soit « sujet ou peut être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ». (Programme d’habilitation, ci-dessus, art. I.4.)

 

[84]           Le Ministre n’a donc commis aucune erreur permettant l’intervention de cette Cour.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de révision judiciaire soit rejetée.

2.         Le tout sans frais.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1021-06

 

INTITULÉ :                                       WOOBY FONTAINE c.

                                                            TRANSPORTS CANADA SÉCURITÉ ET SÛRETÉ

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 22 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 8 novembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marc-Antoine Rock

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Alexander Pless

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROCK VLEMINCKX DURY LANCTÔT, Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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