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Date : 20071113

Dossier : IMM-5978-06

Référence : 2007 CF 1171

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

ESAMELDIN ABDELHALIM ARBAB HAMID

demandeur

et

 

LE MINISTRER DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Esameldin Abdelhalim Arbab Hamid affirme qu’en tant que membre de la tribu des Four, de la région du Darfour, au Soudan, il risque d’être persécuté et maltraité s’il est renvoyé au Soudan. L’agent d’immigration chargé de procéder à l’examen des risques avant le renvoi a cependant conclu que M. Arbab courait peu de risques de subir le préjudice en question. M. Arbab conteste plusieurs des chefs de la conclusion de l’agent et me demande d’ordonner un nouvel examen par un autre agent.

 

[2]               Je ne vois aucune raison d’infirmer la décision de l’agent et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.     Questions en litige

 

  1. L’agent a-t-il imposé une norme de preuve trop élevée à M. Arbab?
  2. L’agent s’est-il injustement fondé sur des éléments de preuve qui n’avaient pas été divulgués à M. Arbab?
  3. L’agent a-t-il ignoré d’importants éléments de preuve qui appuyaient la demande de M. Arbab?

 

II.   Analyse

 

a)      Contexte factuel

 

[3]               M. Arbab est arrivé au Canada en 2003. Il avait un emploi réservé comme aide familial résident mais il n’a finalement pas obtenu le poste. Il a présenté une demande d’asile en se fondant sur son présumé soutien envers l’Alliance pour la jeunesse du Darfour. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande au motif que l’Alliance pour la jeunesse du Darfour n’existait pas et que M. Arbab n’avait subi aucune persécution au Soudan. Il a également conclu que, même si ses ancêtres venaient du Darfour, M. Arbab était en fait originaire de Shendi, dans le nord-est du Soudan, loin des foyers de conflits actuels.

 

[4]               M. Arbab a expliqué à l’agent qui procédait à l’examen des risques qu’il serait en danger au Soudan en raison de ses liens ethniques avec la tribu des Four, dont les membres sont persécutés au Darfour, ainsi que des activités qu’il exerçait au Canada au nom de la population du Darfour. Il a présenté certains nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été soumis avec sa demande d’asile.

 

b)         Décision de l’agent

 

[5]               L’agent a conclu que M. Arbab n’avait pas présenté d’éléments de preuve qui mettaient en doute les conclusions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Quant à l’argument de M. Arbab suivant lequel ses activités au Canada créaient une nouvelle source de risque, l’agent a estimé qu’il n’existait aucun élément de preuve démontrant que les autorités du Soudan seraient au courant des activités exercées par M. Arbab au sein de groupes de soutien au Canada. À défaut de quelque élément de preuve que ce soit, l’agent ne pouvait conclure que M. Arbab serait persécuté ou serait exposé à des risques personnels graves s’il devait retourner au Soudan.

 

1.      L’agent a-t-il imposé une norme de preuve trop élevée à M. Arbab?

 

[6]               M. Arbab affirme que l’emploi du mode conditionnel par l’agent indique que ce dernier cherchait une preuve de persécution selon la prépondérance des probabilités. Une personne a droit à l’asile si elle peut démontrer qu’elle est exposée à un « risque raisonnable » de persécution, ce qui constitue une preuve moins exigeante que la preuve selon la prépondérance des probabilités (Adjei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 67 (C.F.) (QL)). En conséquence, c’est une erreur de droit que d’exiger d’un demandeur qu’il prouve qu’il serait persécuté s’il retournait dans le pays de sa nationalité.

 

[7]               Je ne constate aucune erreur dans le choix de mots de l’agent. À plusieurs reprises, l’agent cite la norme de preuve en fonction de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (c.-à-d. le risque d’être soumis à la torture ou d’être exposé à des traitements ou peines cruels et inusités ou à une menace à sa vie – voir l’Annexe, où sont reproduites les dispositions applicables). La norme de preuve prévue à l’article 97 est effectivement celle de la prépondérance des probabilités. Pour ce qui est de l’analyse du droit d’asile (en vertu de l’article 96), qui commande une norme de preuve moins élevée, voici ce que l’agent a déclaré :

[traduction]

[Le demandeur] n’a pas soumis d’éléments de preuve objectifs pour démontrer qu’en raison de l’activité en question, il serait, à son retour au Soudan, traité différemment de tout autre rapatrié et qu’un tel traitement équivaudrait à de la persécution.

 

[8]               Suivant mon interprétation de ce passage, l’agent a simplement constaté l’absence d’éléments de preuve objectifs qui seraient susceptibles de démontrer que la crainte subjective de persécution de M. Arbab était fondée. Dans ces conditions, on ne saurait trouver dans ces propos la formulation d’une norme de preuve quelconque.

 

2.      L’agent s’est-il injustement fondé sur des éléments de preuve qui n’avaient pas été divulgués à M. Arbab?

 

 

[9]               L’agent a bien précisé dans ses motifs qu’il avait effectué ses propres recherches au sujet de la situation au Soudan. M. Arbab affirme qu’il n’a pas été mis au courant des sources sur lesquelles l’agent s’est fondé. D’ailleurs, les sources en question ne sont pas précisées dans les motifs. M. Arbab affirme en conséquence qu’il n’a pas eu une juste possibilité de faire valoir son point de vue sur les aspects sur lesquels l’agent estimait qu’il avait besoin de plus amples renseignements.

 

[10]           Bien qu’il affirme effectivement avoir procédé à ses propres recherches, l’agent cite expressément dans ses motifs deux sources d’information sur la situation dans les pays qui sont fréquemment citées par les décideurs en matière d’immigration, à savoir un rapport d’Amnistie Internationale et un rapport du Département d’État des États-Unis sur les droits de la personne. Ces sources sont également nommées dans la bibliographie de l’agent.

 

[11]           À mon avis, l’agent n’a commis aucune erreur. Certes, il aurait été plus clair s’il avait cité expressément ces documents lorsqu’il a mentionné ses recherches personnelles. Toutefois, si l’on examine ses motifs dans leur ensemble, il est clair que l’agent s’est fondé sur des documents publics aisément accessibles ainsi que, bien sûr, sur les observations écrites de M. Arbab.

 

3. L’agent a-t-il ignoré d’importants éléments de preuve qui appuyaient la demande de M. Arbab?

 

[12]           M. Arbab a soumis deux lettres émanant d’organisations canadiennes : la Soudanese Canadian Human Rights Organization (SCHRO) et la Darfour Association of Canada (DAC). La SCHRO s’est dit d’avis que les demandeurs d’asile soudanais déboutés sont torturé ou exécutés lorsqu’ils retournent au Soudan. Elle a affirmé que cet avis était confirmé par [traduction] « de nombreuses sources fiables » qu’elle n’a pas citées. Plus loin dans sa lettre, l’organisation mentionne le cas de deux rapatriés. Le premier, un militant soudanais, avait été arrêté et torturé au Soudan après avoir été expulsé de la Jordanie en 1996. La seconde, une femme, avait été incarcérée puis détenue sans accusations après son retour d’Érythrée en 2002. Les deux cas ont été signalés par Amnistie Internationale. La SCHRO a dit craindre que M. Arbab ne subisse le même sort s’il devait retourner au Soudan. L’agent a cité la lettre de la SCHRO mais a conclu qu’elle ne représentait que des spéculations au sujet du sort qui serait réservé à M. Arbab s’il retournait au Soudan.

 

[13]           Dans sa lettre, la DAC affirme que les ressortissants du Darfour sont victimes de discrimination et de brutalités de la part des autorités soudanaises parce qu’on suppose qu’ils appuient les rebelles du Darfour. M. Arbab serait donc pris pour cible à son retour. L’agent a conclu que cette lettre ne constituait pas un nouvel élément de preuve car elle aurait pu être produite en même temps que la demande d’asile de M. Arbab. L’agent n’en a donc pas tenu compte.

 

[14]           Je ne décèle aucune erreur dans la façon dont l’agent a traité ces éléments de preuve. La lettre de la SCHRO était vague et ne fournissait aucun motif de croire que M. Arbab subirait un préjudice à son retour. Il était loisible à l’agent de lui accorder peu de poids. Quant à la lettre de la DAC, M. Arbab aurait pu l’obtenir à tout moment après son adhésion à ce groupe en 2003 et il aurait certainement pu la joindre à sa demande d’asile.

 

[15]           M. Arbab reproche également à l’agent de ne pas avoir pris acte du traitement subi par des personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne selon certains des éléments de preuve documentaires soumis. J’ai examiné les éléments de preuve documentaires cités par M. Arbab et, bien qu’ils exposent les problèmes auxquels sont confrontés bon nombre de groupes et de personnes au Soudan, ils ne permettent pas de croire que les personnes se trouvant dans la même situation que M. Arbab seraient exposées à un risque.

 

[16]           Enfin, M. Arbab soutient aussi que l’agent a tiré des inférences injustifiées des sources qu’il a consultées de son propre chef. En particulier, l’agent a conclu que les activités exercées par M. Arbab au Canada ne l’exposeraient pas au risque d’être persécuté au Soudan, compte tenu du fait que rien ne permettait de penser que les autorités soudanaises surveillent les activités politiques des gens qui se trouvent au Canada. Les sources citées par l’agent ne faisaient aucune mention de quelque cas de persécution des rapatriés par suite de leur conduite à l’étranger. M. Arbab affirme que l’agent n’aurait pas dû déduire que les autorités soudanaises ne seraient pas au courant des activités de M. Arbab du fait que cette pratique n’était pas expressément mentionnée dans les études générales sur les droits de la personne. M. Arbab signale plutôt que les meilleurs éléments de preuve sur ce point se trouvent dans les deux lettres susmentionnées. Là encore, je ne peux reprocher à l’agent la façon dont il a traité les éléments de preuve portés à sa connaissance. Si des personnes qui oeuvraient au sein de groupes de soutien en faveur de la population du Darfour étaient persécutées à leur retour au Soudan, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les rapports détaillés sur les droits de la personne évoquent cette possibilité. De plus, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, il n’y avait rien de concret ou d’actuel dans les deux lettres que M. Arbab a soumises à l’agent qui aurait appuyé cet aspect de sa demande.

 

[17]           En conséquence, je ne vois aucune raison d’infirmer la décision de l’agent et je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties n'ayant pas soumis de question à certifier, aucune ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.            Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R. 2001, ch. 27

 

 

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant  :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

 

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5978-06

 

INTITULÉ :                                       ESAMELDIN ABDELHALIM ARBAB HAMID c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 30 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 NOVEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Neil Cohen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Me Neil Cohen

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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