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Date : 20071114

Dossier : T-122-07

Référence : 2007 CF 1180

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

H & R TRANSPORT LTD.

demanderesse

et

 

JAMES ST. CYR

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La demanderesse, une société de camionnage dont le siège social est situé à Lethbridge, en Alberta, conteste la décision d’un arbitre (l’arbitre) qui a déclaré que la société avait congédié injustement le défendeur, un des camionneurs de la société. L’arbitre a été nommé aux termes de la partie III du Code canadien du travail (le Code) et chargé d’entendre la plainte du défendeur au sujet de son congédiement. L’arbitre a rendu sa décision aux termes du paragraphe 242(3) du Code :

242. (3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

 

 

 

a) décide si le congédiement était injuste;

 

 

 

 

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

 

242. (3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

 

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

 

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

 

[2]               Le défendeur a comparu à l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire, mais n’a pas déposé de dossier et n’a présenté que de brèves observations orales.

 

II.         LE CONTEXTE FACTUEL

[3]               Le défendeur était un routier qui a travaillé pour la société H & R du 28 mai 1999 au 4 novembre 2005. Le 21 octobre 2005, pendant qu’il conduisait son camion pour H & R, il a reçu dans son camion un message du directeur du personnel du parc de camions de la société, par un système de messagerie textuelle informatisé, qui l’informait qu’il avait été congédié avec deux semaines de préavis. Les motifs de son congédiement étaient les suivants :

[Traduction]

Nous avons examiné votre dossier de conduite, et il nous semble que vous n’avez pas pris de mesures pour donner suite aux efforts que nous avons déployés pour vous aider à répondre aux questions que nous nous posions à votre sujet.

 

[4]               L’arbitre a accepté que la série d’infractions qu’aurait commises le camionneur était à l'origine de son congédiement par la société en question. La société a soutenu que le défendeur avait reçu des avertissements au sujet des infractions dont elle avait eu connaissance, qu’il avait été informé du fait que, s’il n’y avait pas d’amélioration, il serait congédié, qu’il avait commis d’autres infractions dont il n’avait pas informé la société comme il était tenu de le faire, notamment le fait que son camion avait été mis « hors service » (l’équivalent pour un camion d’être « interdit de circulation »).

 

[5]               En plus de soutenir qu’il était en général un bon employé, le défendeur a affirmé qu’il n’avait jamais reçu une évaluation ou un avertissement écrit ni été suspendu de ses fonctions. Il a reconnu ne pas avoir fait l’arrêt obligatoire à un poste de vérification des freins situé à Golden, en Colombie-Britannique, et avoir payé l’amende qui lui avait été imposée. Il a affirmé que c’était la seule fois où son employeur lui avait fait des reproches. Il a déclaré qu’il avait toujours informé son employeur des infractions qu’il avait commises ou des contraventions qu’il avait reçues, qu’on ne lui avait jamais dit qu’il risquait d’être congédié et il a expressément nié que son camion ait jamais été mis « hors service ».

 

[6]               Dans une analyse d’un paragraphe figurant dans la décision, l’arbitre a accepté le témoignage du défendeur au sujet de son dossier de conduite et du fait qu’il n’avait jamais reçu de rapport d’évaluation ou d’avertissement écrit. L’arbitre a jugé que la société n’avait pas respecté sa politique en matière de mesures disciplinaires progressives et que le congédiement était une mesure excessive et injustifiée.

 

[7]               L’arbitre a finalement conclu que la réintégration n’était pas la réparation appropriée et a accordé une indemnité correspondant à un avis de cessation d’emploi de six mois.

 

III.       ANALYSE

[8]               La présente affaire ressemble de façon frappante à l’affaire North c. West Region Child and Family Services Ltd., 2005 CF 1366, une décision de la juge Snider. La juge Snider a recensé la jurisprudence concernant la norme de contrôle applicable à la décision d’un arbitre. Je souscris à son analyse et plus particulièrement à sa conclusion, selon laquelle la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable pour les questions de fait. Ce sont les conclusions de fait qu’a tirées l’arbitre qui sont en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[9]               Dans North, précitée, la juge Snider a formulé un commentaire au sujet du fait que l’arbitre n’avait pas analysé les éléments de preuve, un commentaire qui s’applique tout à fait à la présente demande de contrôle judiciaire.

35.       En outre, l’arbitre n’a nullement essayé d’analyser la preuve dont il était saisi, au‑delà de cette déclaration à l’emporte-pièce : [traduction] « lorsqu’il y a un conflit entre l’employeur et l’employé dans la preuve, je retiens la preuve de l’employeur ». Cela ne nous donne aucune explication, ni à M. North et à moi, quant à savoir pourquoi on a plutôt retenu la preuve de l’employeur. Cela n’explique pas non plus le conflit interne apparent entre le témoignage de M. Crocker, le directeur exécutif adjoint de la WRCFS, et la lettre exigée par l’article 241.

 

36.       En conclusion, je suis d’avis que l’arbitre n’a pas examiné la question fondamentale dont il était saisi et qui était de savoir sur quels motifs s’était appuyé l’employeur pour renvoyer M. North. Sur cette question, la décision est « à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » (Ryan, précité, par. 52). La décision est manifestement déraisonnable.

 

[10]           Dans la présente affaire, l’arbitre a manifestement décidé de croire le défendeur, une décision qu’il avait le pouvoir de prendre. Il est toutefois impossible de comprendre sur quoi repose sa décision. Il est également très troublant qu’il ne mentionne aucunement l’existence de contradictions irréconciliables entre les divers éléments de preuve.

 

[11]           Le défendeur affirme n’avoir jamais reçu d’évaluation ou d’avertissement écrits. L’employeur avait non seulement présenté un témoin qui avait déclaré que le défendeur avait reçu des avertissements, mais également des notes de service internes rédigées à l’époque des faits et qui le mentionnaient également. Il serait spécieux de soutenir qu’il n’y avait pas de conflit entre les éléments de preuve parce que le défendeur affirmait n’avoir jamais reçu d’avertissements écrits alors qu’il existe des éléments de preuve montrant qu’il avait été averti oralement. L’arbitre n’explique aucunement pourquoi il a préféré les éléments de preuve présentés par le défendeur à ceux de l’employeur.

 

[12]           Le défendeur a affirmé que son camion n’avait jamais été mis « hors service ». Cependant, le rapport relatif à l’incident survenu à Golden, en Colombie-Britannique, qui est à l’origine de l’amende pour mise « hors service » du camion, ainsi que des documents émanant des autorités américaines mentionnant deux autres sanctions pour « mise hors service » du camion qui n’ont pas été déclarées à la société ont été présentés en preuve.

 

[13]           Quant à l’affirmation du défendeur selon laquelle la société en question était toujours parfaitement au courant de ses activités, il existait des preuves écrites, y compris des messages texte reçus dans le camion provenant de l’employeur, qui établissaient que ce dernier reprochait au défendeur de ne pas l'informer de ses heures de travail et qui exigeaient qu’il présente des rapports appropriés.

 

[14]           Il y avait donc des contradictions importantes entre les éléments de preuve, tant oraux qu’écrits, qui n’ont jamais été mentionnées, et encore moins analysées, par l’arbitre.

 

[15]           La demanderesse a critiqué le ton général de la décision de l’arbitre – celui‑ci a en effet accepte les affirmations du défendeur de façon assez gratuite. Cela ne constituerait pas une erreur si l’on pouvait comprendre pourquoi l’arbitre avait adopté une attitude aussi favorable au défendeur, sans aucune justification apparente. Je signale toutefois que la demanderesse n’a pas non plus agi de façon très cohérente en décidant ce congédiement. Il est évident que le défendeur a fait l’objet d’un congédiement justifié, mais l’employeur lui a aussi donné un préavis de deux semaines « de travail » – une incohérence qu’il est difficile d’expliquer.

 

[16]           La Cour n’accorde une grande déférence aux conclusions de fait tirées par un arbitre que si une condition préalable est remplie : la Cour sait sur quoi reposent les conclusions en question. Dans la présente affaire, il était loisible à l’arbitre de retenir la version des faits fournie par le défendeur et d’écarter la preuve documentaire, mais il n’est pas possible de comprendre pourquoi l’arbitre a pris cette décision.

 

[17]           La décision ne peut donc être maintenue.

 

IV.       CONCLUSION

[18]           Il sera fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire. La décision de l’arbitre datée du 20 décembre 2006 est annulée. Il ne serait pas équitable d’obliger le défendeur à payer les dépens dans ces circonstances, et aucuns dépens ne seront adjugés.

 

[19]           Le présent jugement n’a pas pour effet d’interdire au défendeur de demander qu’une autre décision soit prise au sujet de sa plainte concernant son prétendu congédiement injustifié.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QU’IL SOIT FAIT DROIT à la présente demande de contrôle judiciaire et que la décision de l’arbitre datée du 20 décembre 2006 soit annulée. Aucuns dépens ne seront adjugés.

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-122-07

 

INTITULÉ :                                       H & R TRANSPORT LTD.

                                                            c.

                                                            JAMES ST. CYR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 14 NOVEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

William Armstrong

 

POUR LA DEMANDERESSE

James St. Cyr

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Laird Armstrong

Avocats

Calgary (Alberta)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

James St. Cyr

DÉFENDEUR

 

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