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Date : 20070118

Dossier : T-639-05

Référence : 2007 CF 52

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2007

En présence de Monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

GAÉTAN PLANTE

demandeur 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En 1982, Gaétan Plante était déclaré coupable de vol qualifié avec usage d’une arme à feu après s’être introduit dans un resto-bar et d’y avoir menacé la serveuse du bout de son arme. En raison de la commission du délit, M. Plante fût condamné à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans. Jusqu’à ce jour, il a bénéficié de quelques remises en liberté et sa sentence n’a cessé d’augmenter pour de nouveaux délits commis en 1983, 1991, 1992 et 1997. M. Plante croit qu’il devrait être en liberté jusqu’à ce que son mandat vienne à échéance le 3 juin 2007, alors que la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) est d’avis contraire.

 

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur le maintien en incarcération. Il est à noter qu’un délinquant purge rarement la globalité de sa peine incarcéré. Tout d’abord, parce qu’une mise en liberté sous condition peut être accordée lorsque la Commission est d’avis que le délinquant ne représente pas un risque inacceptable pour la société et que l’octroi de la liberté contribuera à la protection du public en favorisant sa réinsertion comme l’énonce l’article 102 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20 (la Loi).

 

[3]               Toutefois, en l’instance, il n’est pas question de libération conditionnelle, mais plutôt de libération d’office. Conformément à l’article 127 de la Loi, un délinquant a droit à une remise en liberté lorsque les deux tiers de sa peine sont purgés. Néanmoins, en vertu d’un régime d’exception prévu à la Loi, la Commission peut ordonner le maintien en incarcération d’un détenu jusqu’à l’expiration légale de sa peine. M. Plante fait présentement l’objet d’une telle ordonnance. Il en a appelé de cette décision à la Section d’appel de la Commission, mais sans succès. En l’espèce, il s’agit de la demande de contrôle judiciaire de cette décision de la Section d’appel de la Commission datée du 11 décembre 2003.

 

[4]               Le fond de la demande de M. Plante est à l’effet que la Commission n’avait pas compétence pour ordonner son maintien en incarcération le 12 novembre 2003 et qu’il n’a pas eu l’opportunité de procéder valablement à la défense de son cas devant la Commission, incluant la soumission de nouveaux éléments de preuve. Il est pertinent, avant d’aborder le récit et les questions en litige de la présente demande, de rappeler les assises de la libération d’office.


Le droit du délinquant à la mise en liberté

[5]               Contrairement à la mise en liberté sous condition, la Commission n’a pas discrétion pour décider de la mise en liberté d’un délinquant lorsque ce dernier est éligible à une libération d’office conformément au paragraphe suivant de la Loi :

 

 

LIBÉRATION D’OFFICE

Droit du délinquant

 

127. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’individu condamné ou transféré au pénitencier a le droit d’être mis en liberté à la date fixée conformément au présent article et de le demeurer jusqu’à l’expiration légale de sa peine.

 

STATUTORY RELEASE

Entitlement

 

127. (1) Subject to any provision of this Act, an offender sentenced, committed or transferred to penitentiary is entitled to be released on the date determined in accordance with this section and to remain at large until the expiration of the sentence according to law.

 

 

Il s’agit d’un droit statutaire reconnu aux délinquants sous responsabilité fédérale une fois que les deux tiers de leur peine aient été purgés, et ce, sans qu’une mise en liberté sous condition ne leur ait déjà été préalablement accordée.

 

[6]               En bref, la libération d’office est un droit et non un privilège. Les seuls points sur lesquels la Commission est justifiée d’intervenir sont l’émission de conditions de mise en liberté surveillée, la révocation de la liberté d’office pour non respect des conditions imposées et l’émission d’une ordonnance de maintien en incarcération d’un délinquant si les circonstances l’y obligent. Il va sans dire qu’il serait peu souhaitable qu’un tel droit que constitue la libération d’office soit reconnu aux délinquants sans égard à leur passé criminel et sans égard à leur état comportemental global au moment de leur mise en liberté. Il en va de l’intérêt public. Par conséquent, un véritable régime d’exception est prévu à la Loi comme l’énoncent les articles 129 et suivants. Avant l’adoption de la Loi, soit de 1985 à 1992, c’était plutôt les dispositions 21.2 et suivantes de la Loi sur la libération conditionnelle, S.R.C. 1970, c. P-2 (la LLC) qui le prévoyaient.

 

[7]               L’extrait de la Loi, au cœur de la demande de contrôle judiciaire en l’instance, est ici reproduit :

Maintien en incarcération au cours de la période prévue pour la libération d’office

Examen de certains cas par le Service

 

129. (1) Le commissaire fait étudier par le Service, préalablement à la date prévue pour la libération d’office, le cas de tout délinquant dont la peine d’emprisonnement d’au moins deux ans comprend une peine infligée pour une infraction visée à l’annexe I ou II ou mentionnée à l’une ou l’autre de celles-ci et qui est punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale.

 

Renvoi à la Commission

 

(2) Au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d’office, le Service défère le cas à la Commission — et lui transmet tous les renseignements en sa possession et qui, à son avis, sont pertinents — s’il estime que :

a) dans le cas où l’infraction commise relève de l’annexe I :

(i) soit elle a causé la mort ou un dommage grave à une autre personne et il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l’expiration légale de sa peine, une telle infraction,

Detention during period of statutory release

 

 

Review of cases by service

 

 

129. (1) Before the statutory release date of an offender who is serving a sentence of two years or more that includes a sentence imposed for an offence set out in Schedule I or II or an offence set out in Schedule I or II that is punishable under section 130 of the National Defence Act, the Commissioner shall cause the offender’s case to be reviewed by the Service.

 

 

Referral of certain cases to Board

(2) After the review of the case of an offender pursuant to subsection (1), and not later than six months before the statutory release date, the Service shall refer the case to the Board together with all the information that, in its opinion, is relevant to it, where the Service is of the opinion

(a) in the case of an offender serving a sentence that includes a sentence for an offence set out in Schedule I, that

(i) the commission of the offence caused the death of or serious harm to another person and there are reasonable grounds to believe that the offender is likely to commit an offence causing death or serious harm to another person before the expiration of the offender’s sentence according to law, or

 

[8]               Comme dans le présent cas, conformément au sous-alinéa 129(2)a)(i) de la Loi, avant que la Commission ne puisse se prononcer sur le bien-fondé du maintien en incarcération du délinquant au cours de la période prévue pour sa libération d’office lorsqu’un des délits commis figurent à l’annexe I de la Loi, le Service correctionnel doit estimer préalablement, et ce, six mois avant la date prévue pour la libération d’office du délinquant, si l’infraction relevant de cette annexe a « causé la mort ou un dommage grave à une autre personne » et subsidiairement, s’il existe des « motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l’expiration légale de sa peine, une telle infraction ».

 

[9]               Ainsi, ce n’est qu’une fois que le Service correctionnel aura estimé que le cas du délinquant satisfaisait à ces exigences législatives que la Commission pourra procéder à son tour à l’examen du cas, et ce, après avoir jugé que l’opinion du Service correctionnel de lui déférer le dossier de cas était appropriée et qu’elle avait une base rationnelle. Ensuite, la Commission pourra se pencher sur la véritable question qu’elle a à décider, soit le maintien ou non du délinquant en incarcération si elle est convaincue que le délinquant commettra, avant l’expiration légale de sa peine, « soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne ». L’alinéa 130(3)a) de la Loi énonce ce qui suit :

 

Ordonnance de la Commission

 

130 (3) Au terme de l’examen, la Commission peut, par ordonnance, interdire la mise en liberté du délinquant avant l’expiration légale de sa peine autrement qu’en conformité avec le paragraphe (5) si elle est convaincue :

a) dans le cas où la peine d’emprisonnement comprend une peine infligée pour une infraction visée à l’annexe I, ou qui y est mentionnée et qui est punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, que le délinquant commettra, s’il est mis en liberté avant l’expiration légale de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d’ordre sexuel à l’égard d’un enfant;

 

Decision of Board

 

130(3) On completion of the review of the case of an offender referred to in subsection (1), the Board may order that the offender not be released from imprisonment before the expiration of the offender’s sentence according to law, except as provided by subsection (5), where the Board is satisfied

(a) in the case of an offender serving a sentence that includes a sentence for an offence set out in Schedule I, or for an offence set out in Schedule I that is punishable under section 130 of the National Defence Act, that the offender is likely, if released, to commit an offence causing the death of or serious harm to another person or a sexual offence involving a child before the expiration of the offender’s sentence according to law,

 

Les origines de la présente demande de contrôle judiciaire

[10]           Depuis le 19 décembre 1982, M. Plante purge une peine globale de 23 ans, 11 mois et vingt six jours. Suite à plusieurs modifications à la LLC et à son abrogation suivant l’adoption en 1992 de la Loi, M. Plante est depuis le 24 avril 2002 éligible à une libération d’office conformément à l’article 127 de la Loi.

 

[11]           Cependant, en vertu de l’article 129 de la Loi, si le délinquant purge une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans comprenant une peine infligée pour une infraction spécifiquement énoncée à la Loi, avant de procéder à la mise en liberté, le Commissaire doit faire étudier par le Service correctionnel le cas du délinquant. Ensuite, dépendamment des résultats d’enquête, le cas pourra être déféré à la Commission pour qu’elle statue sur le maintien en incarcération du délinquant. La deuxième façon de procéder au renvoi est par l’entremise du commissaire du Service correctionnel au président de la Commission. Ce n’est pas la voie suivie en l’instance.

 

[12]           Comme il en a déjà été fait état, le cas de M. Plante a été déféré à la Commission en vertu du sous-alinéa 129(2)a)(i) de la Loi. Bien que la peine initiale à purger par le demandeur pour vol qualifié avec usage d’une arme à feu était de moins de deux ans, il faut rappeler que le demandeur a été condamné à des peines additionnelles au cours de son passé carcéral. En fait, conformément au paragraphe 139(1) de la Loi, M. Plante est réputé n’avoir été condamné qu’à une seule peine commençant le jour du début de l’exécution de la première et se terminant à l’expiration de la dernière à purger.

 

[13]           En l’espèce, si le Service correctionnel est d’avis que le délit initial commis par le demandeur en 1982 a causé un dommage grave à une autre personne et qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’il commettra une telle infraction avant l’expiration légale de sa peine, celui-ci doit déférer le cas à la Commission. La Loi prévoit d’autres façons de procéder au renvoi d’un cas à la Commission, mais elles ne sont pas pertinentes pour les fins de la présente demande.

 

[14]           Conformément à l’article 130 de la Loi, la Commission devait informer M. Plante à l’effet qu’il faisait l’objet d’un renvoi, et du même coup, elle devait faire l’examen de son cas en procédant à toutes les enquêtes qu’elle jugeait nécessaire à cette fin. Tant que la Commission n’avait pas rendu sa décision, M. Plante n’était pas autorisé à être libéré d’office comme l’énonce le paragraphe 130(2) de la Loi.

 

[15]           Lors de cet examen, pour décider de l’ordonnance de maintien en incarcération à rendre, la Commission doit prendre en compte tous les facteurs utiles, dont plusieurs sont énumérés au paragraphe 132(1) de la Loi, afin d’évaluer le risque que le délinquant commette, avant l’expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne. En l’instance, la Commission était convaincue que M. Plante commettrait, s’il jouissait d’une liberté d’office, une infraction susceptible de causer un dommage grave à une autre personne.

 

[16]           En l’espèce, M. Plante, qui se représentait par lui-même jusqu’à l’audition de la présente demande, a mis en lumière un grand nombre de faits et de questions en litige qui se sont trouvés superflus vue la nature réelle du dossier. Voici les faits ayant une pertinence certaine.

 

[17]           M. Plante a déjà bénéficié d’une libération d’office. Cela indique que les agents du Service correctionnel ont déjà conclu auparavant que M. Plante n’avait pas causé de dommage psychologique grave à la serveuse du resto-bar lors du vol qualifié en avril 1982.

 

[18]           Lorsque le Service correctionnel a étudié le cas de M. Plante relativement à sa mise en liberté à la date prévue pour sa libération d’office, les agents du Service correctionnel ont changé d’opinion et ont estimé que M. Plante avait effectivement causé un dommage psychologique grave à la serveuse lors des événements de 1982. Faut-il le préciser, avant de déférer le cas de M. Plante à la Commission pour examen, le Service correctionnel ne s’est pas entretenu avec M. Plante.

 

[19]           En recevant le renvoi du cas de M. Plante, le Vice-président régional de la Commission a écrit à l’attention de « Dossier » la note de service suivante : « Après examen de toutes les informations pertinentes, je considère le renvoi effectué conformément à la Loi ». Cette décision est ex parte en ce que M. Plante n’a pas été consulté au cours du processus menant au renvoi de son cas à la Commission par le Service correctionnel.

 

[20]           Jusqu’à ce jour, M. Plante s’est vigoureusement opposé au renvoi de son cas à la Commission. Il est d’avis que la Commission n’avait pas compétence pour procéder à l’examen comme elle l’a fait puisque le délit commis au resto-bar n’avait pas véritablement causé de dommage grave à une autre personne, et que ce faisant, le renvoi était illégal. En conséquence, dans le but de démontrer qu’aucun dommage psychologique grave n’avait été causé, M. Plante a engagé un détective privé afin de questionner la serveuse du resto-bar sur les conséquences qu’avaient eu sur sa personne les événements de 1982. La Commission a répondu à M. Plante que la question de l’exigence légale de la commission d’un dommage grave n’était pas de sa responsabilité. À son avis, ayant conclu à la raisonnabilité du renvoi par le Service correctionnel, son rôle se limitait désormais à l’examen du cas de M. Plante en vertu du paragraphe 130(3) de la Loi. Subséquemment, elle n’avait pas à analyser, lors de son évaluation, si la peine purgée par M. Plante comprenait un délit ayant causé la mort ou un dommage grave. Cela était repris dans une lettre de la Commission adressée à M. Plante qui répétait le fait que c’était du devoir du Service correctionnel de décider si un dommage grave avait été causé lors de la commission du délit initial.

 

[21]           Par conséquent, la contestation de M. Plante l’a mené à s’adresser au Service correctionnel dans le même objectif de faire rejeter le renvoi de son cas. Le Service correctionnel a refusé. Il était d’avis que les résultats d’enquête que M. Plante avait obtenus n’apportaient rien de nouveau quant au dommage subi par la victime des événements de 1982.

 

[22]           À l’audition devant la Commission, M. Plante était absent : « Vous avez refusé de participer à l’audience en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’un refus. [...] La Commission a été informée que vous n’aviez fait aucune demande pour obtenir les services d’un assistant et qu’aucun observateur n’avait formulé de demande pour être présent à l’audience ».

 

[23]           Il est important de souligner que la décision de maintien en incarcération ordonnée par la Commission est annuellement sujette à révision. Toutefois, la question que soulève la présente demande n’est pas académique puisque M. Plante a démontré sa claire intention d’intenter une action judiciaire en raison de l’illégalité de la détention qu’il allègue. Il est important de rappeler qu’avant d’entamer des procédures judiciaires pour obtenir des dommages résultant d’une décision d’une commission ou d’un tribunal fédéral, une demande de contrôle judiciaire de cette décision doit tout d’abord avoir été faite (Canada c. Grenier, 2005 CAF 348).

 

Les points en litige

[24]           À titre préliminaire, je tiens à préciser que la présente demande de contrôle judiciaire ne concerne pas la validité des motifs rendus par le Service correctionnel, la Commission et la Section d’appel de la Commission en ce qui a trait à la possibilité que M. Plante commette la mort ou un dommage grave à une autre personne s’il était remis en liberté avant l’expiration légale de sa peine. Peu importe la norme de contrôle judiciaire applicable en pareilles circonstances, les avis à l’effet que M. Plante commette une telle infraction dans l’avenir sont raisonnables.

 

[25]           Selon moi, les points en litige pertinents en l’instance et leurs réponses vont comme suit.

 

[26]           Est-ce que la Commission avait compétence pour accepter le renvoi par le Service correctionnel sur la base que le délit avait commis un dommage psychologique grave à la serveuse? La réponse est oui.

 

[27]           Est-ce que M. Plante était en droit de faire des représentations auprès de la Commission et de présenter des nouveaux éléments de preuve pour démontrer qu’il n’avait pas causé un dommage psychologique grave lors des événements de 1982? La réponse est oui.

 

[28]           Est-ce que ce droit lui a été convenablement reconnu? La réponse est non.

 

[29]           Dans l’hypothèse où ce droit lui aurait été accordé, est-ce que cela aurait fait une différence sur l’issue du dossier? La réponse à cette question n’est pas apparente. Comme les règles de justice fondamentale n’ont pas été respectées en l’espèce, et sans être convaincu que leur respect n’aurait pas changé quoi que ce soit, la révision judiciaire doit être accordée.

 

[30]           Qu’elle est la norme de contrôle judiciaire applicable? La présente demande ne met pas en jeu une telle détermination puisqu’elle s’intéresse aux principes de justice naturelle. En fait, les questions faisant intervenir ces principes, ainsi que celles relatives à l’équité procédurale, sont sujettes à révision sur la base de la norme de la décision correcte (Sweet c. Canada (Procureur Général), 2005 CAF 51).

 

[31]           Toutefois, en ce qui concerne les décisions de la Section d’appel de la Commission, c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique, à moins que la question soulevée en soit une de droit, ce serait alors la norme de la décision correcte qui trouverait application. Je m’en remets ici au travail d’analyse de ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans la décision Costiuc c. Canada (Procureur Général), [1999] A.C.F. n ° 241 (QL) et à celui de M. le juge Décary de la Cour d’appel fédérale dans la décision Cartier c. Canada (Procureur Général) (2002), 300 N.R. 362 :

[6] Le rôle de la section d'appel est de s'assurer que la CNLC s'est conformée à la Loi et à ses politiques, qu'elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. Ce n'est que dans la mesure où ses conclusions sont manifestement déraisonnables que l'intervention de cette Cour est justifiée.

Costiuc c. Canada (Procureur Général), précitée

 

[9] Je crois que le législateur, encore que maladroitement, n'a fait que s'assurer à l'alinéa 147(5)a) [de la Loi] que la section d'appel soit en tout temps guidée par la norme de raisonnabilité.

Cartier c. Canada (Procureur Général), précitée

 

 

L’analyse

[32]           Bien que la législation concernant la question du maintien en incarcération ait quelque peu été revue et corrigée depuis, je suis d’avis que la décision Bradford c. Correctional Service of Canada (1988), 24 F.T.R. 179, du juge en chef associé d’alors, M. le juge Jerome, est toujours pertinente. Les dispositions relatives à la commission d’un dommage grave étaient, lors de la commission du délit initial de M. Plante, énoncées sous le libellé « tort considérable » à la LLC qui est aujourd’hui abrogée et substituée par la Loi. Hier comme aujourd’hui, le Service correctionnel ne peut déférer à la Commission un cas comme en l’espèce sans tout d’abord avoir estimé que le délit ait causé la mort ou un dommage grave à une autre personne.

 

[33]           M. le juge Jerome notait dans Bradford qu’il n’y avait aucune obligation pour le Service correctionnel de discuter du renvoi d’un cas avec le délinquant avant d’y procéder, bien qu’une telle façon de faire soit à l’occasion informellement observée. En l’espèce, aucune représentation de M. Plante n’est survenue avant que le cas de M. Plante soit déféré à la Commission.

 

[34]           La Commission soutenait que son rôle relativement à la question de la commission d’un préjudice grave était de déterminer si les motifs du Service correctionnel au soutien de cette affirmation étaient rationnels. Dans Bradford, M. le juge Jerome est d’accord avec le fait que la Commission ne doit pas exercer sa compétence sans avoir d’abord déterminé si le Service correctionnel avait une base rationnelle pour ce faire. Je suis d’avis que la décision de la Commission, à l’effet qu’il y avait une base rationnelle au renvoi par le Service correctionnel sur la foi qu’un dommage grave avait été causé, était raisonnable.

 

[35]           Cependant, M. le juge Jerome est d’avis que le délinquant a l’opportunité de faire ses propres représentations compte tenu que la Commission doit considérer la question de la gravité du délit commis lorsqu’elle procède à son examen de maintien en incarcération. Les facteurs utiles, énoncés à la Loi sont les suivants :

Facteurs − cas général

Relevant factors in detention reviews

132. (1) Le Service et le commissaire, dans le cadre des examens et renvois prévus à l’article 129, ainsi que la Commission, pour décider de l’ordonnance à rendre en vertu de l’article 130 ou 131, prennent en compte tous les facteurs utiles pour évaluer le risque que le délinquant commette, avant l’expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne, notamment :

a) un comportement violent persistant, attesté par divers éléments, en particulier :

(i) le nombre d’infractions antérieures ayant causé un dommage corporel ou moral,

(ii) la gravité de l’infraction pour laquelle le délinquant purge une peine d’emprisonnement,

(iii) l’existence de renseignements sûrs établissant que le délinquant a eu des difficultés à maîtriser ses impulsions violentes ou sexuelles au point de mettre en danger la sécurité d’autrui,

(iv) l’utilisation d’armes lors de la perpétration des infractions,

(v) les menaces explicites de recours à la violence,

(vi) le degré de brutalité dans la perpétration des infractions,

(vii) un degré élevé d’indifférence quant aux conséquences de ses actes sur autrui;

b) les rapports de médecins, de psychiatres ou de psychologues indiquant que, par suite d’une maladie physique ou mentale ou de troubles mentaux, il présente un tel risque;

c) l’existence de renseignements sûrs obligeant à conclure qu’il projette de commettre, avant l’expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne;

d) l’existence de programmes de surveillance de nature à protéger suffisamment le public contre le risque que présenterait le délinquant jusqu’à l’expiration légale de sa peine.

 

132. (1) For the purposes of the review and determination of the case of an offender pursuant to section 129, 130 or 131, the Service, the Commissioner or the Board, as the case may be, shall take into consideration any factor that is relevant in determining the likelihood of the commission of an offence causing the death of or serious harm to another person before the expiration of the offender’s sentence according to law, including

(a) a pattern of persistent violent behaviour established on the basis of any evidence, in particular,

(i) the number of offences committed by the offender causing physical or psychological harm,

(ii) the seriousness of the offence for which the sentence is being served,

(iii) reliable information demonstrating that the offender has had difficulties controlling violent or sexual impulses to the point of endangering the safety of any other person,

(iv) the use of a weapon in the commission of any offence by the offender,

(v) explicit threats of violence made by the offender,

(vi) behaviour of a brutal nature associated with the commission of any offence by the offender, and

(vii) a substantial degree of indifference on the part of the offender as to the consequences to other persons of the offender’s behaviour;

(b) medical, psychiatric or psychological evidence of such likelihood owing to a physical or mental illness or disorder of the offender;

(c) reliable information compelling the conclusion that the offender is planning to commit an offence causing the death of or serious harm to another person before the expiration of the offender’s sentence according to law; and

 

(d) the availability of supervision programs that would offer adequate protection to the public from the risk the offender might otherwise present until the expiration of the offender’s sentence according to law.

 

M. le juge Jerome ajoutait au paragraphe 14 de la décision Bradford précitée : « It is apparent from the above that the nature of the inmate’s crime will be examined in detail during the course of a detention hearing. It is therefore entirely open to the inmate to make submissions on that subject and to challenge any characterization of the crime as serious or harm-causing. ». De plus, il y mentionne au paragraphe 15 que le renvoi d’un cas par le Service correctionnel « [...] does not finally determine any matter relating to the rights of the inmate ».

 

[36]           En l’instance, la Commission a clairement fait état avant l’audition du cas de M. Plante que la question de la détermination du dommage grave causé à la serveuse en 1982 était close. La Commission a précisé qu’elle n’était pas le bon forum pour discuter de la raisonnabilité du renvoi, et qu’en conséquence, des nouveaux éléments de preuve à cet effet étaient impertinents. La Commission a toutefois informé M. Plante que c’était au Service correctionnel de décider s’il jugeait opportun, compte tenu de nouvelles informations, de retirer le renvoi ou non. M. Plante se retourna alors vers le Service qui refusa de modifier le cours des choses.

 

[37]           Ce qui m’incommode est le fait que je considère la décision du Service correctionnel, de ne pas avoir retiré le renvoi sur la foi des enquêtes déposées, comme étant raisonnable. Tout ce qui peut en être dit en faveur de M. Plante est que les résultats de ses enquêtes réalisées en 2002 indiquent que, malgré le fait que la serveuse ait été traumatisée pendant près de cinq ans suite aux événements de 1982, elle ne l’est plus aujourd’hui. Toutefois, cette information ne contredit en rien le rapport de police à l’effet des traumatismes psychologiques subis par la serveuse, considérant entre autres choses qu’elle avait dû quitter son emploi conséquemment au vol qualifié dont elle avait été victime. De surcroît, les enquêtes n’ont pas permis de soumettre au Service correctionnel des nouvelles informations susceptibles de modifier la décision préliminaire qui déférait le cas de M. Plante à la Commission. Un fait demeure, le processus d’évaluation de la Commission lui permet de procéder à toutes les enquêtes qu’elle juge opportunes en l’espèce, et conformément à l’article 147 de la Loi, M. Plante pouvait en appeler de la décision de la Commission :

Droit d’appel

147 (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d’appel pour l’un ou plusieurs des motifs suivants :

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l’exercer.

Right of appeal

147(1) An offender may appeal a decision of the Board to the Appeal Division on the ground that the Board, in making its decision,

(a) failed to observe a principle of fundamental justice;

(b) made an error of law;

(c) breached or failed to apply a policy adopted pursuant to subsection 151(2);

(d) based its decision on erroneous or incomplete information; or

(e) acted without jurisdiction or beyond its jurisdiction, or failed to exercise its jurisdiction.

 

 

[38]           Comme l’écrit M. le juge Binnie au paragraphe 102 de la décision SCFP c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539 :

L’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations.

 

[39]           Je suis d’avis que M. Plante n’a pas eu l’opportunité de se faire entendre auprès de l’instance qui avait le devoir de décider de son maintien en incarcération, la Commission.

 

[40]           Comme l’écrit M. le juge Le Dain au paragraphe 23 de la décision Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643 :

[(...)] j'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.

 

 

[41]           Il y a des circonstances où la Cour n’accordera pas de réparation malgré qu’il y ait eu violation aux principes de justice naturelle. La décision en matière commerciale Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 en est un exemple. Ici, la Cour suprême était d’avis que les circonstances de l’affaire étaient exceptionnelles, et qu’ultimement, aucune autre décision n’aurait pu être rendue en l’espèce. En fait, il s’agissait d’une cause s’intéressant à des questions de droit particulières conduisant à une seule réponse possible. Ce n’est pas le cas en l’instance puisque la question mettant en cause l’exigence légale de la commission d’un dommage corporel ou moral grave en est une mixte, de fait et de droit.

 

[42]           En l’espèce, il était justifié pour la Commission d’exercer sa compétence considérant qu’il y avait une base rationnelle au renvoi exécuté par le Service correctionnel à l’effet que M. Plante avait causé un dommage psychologique grave à l’une des victimes des événements de 1982. Étant maître de sa procédure, lorsque M. Plante a voulu soumettre ses observations contestant le fait qu’il avait causé un dommage psychologique grave et lorsqu’il a voulu soumettre des nouveaux éléments de preuve à cet égard, la Commission était libre d’inviter M. Plante à lui faire ses propres représentations afin de tenter de dissuader le Service correctionnel de continuer avec le renvoi engagé devant la Commission. Elle a refusé d’agir ainsi.

 

[43]           Dès lors, quel recours s’offrait à M. Plante? Suivant Bradford, précitée, plutôt que de procéder par la voie d’une demande de contrôle judiciaire, le recours approprié était de présenter ses observations directement devant la Commission. Il est à noter que les différentes décisions, prises avant ce jour dans le présent dossier, font partie du même processus décisionnel (Condo c. Canada (Procureur Général), 2004 CF 991). La Commission est un tribunal spécialisé, et de ce fait, elle était dans une meilleure position pour apprécier la défense de M. Plante. Comme la Cour suprême l’a établi dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin et al., [2003] 2 R.C.S. 504 au paragraphe 56, il est souhaitable que les cours de justice bénéficient d’un dossier complet, constitué par un tribunal spécialisé.

 

[44]           Je rappellerai en terminant que le délit initial de vol qualifié n’est pas le seul délit pour lequel M. Plante purge actuellement une peine carcérale. Pour cause, d’autres délits ont aussi fait l’objet de l’examen ayant mené la Commission à décider comme elle l’a fait. En vertu du sous-alinéa 129(2)a)(i) de la Loi, dans l’hypothèse où le Service correctionnel avait conclu qu’un dommage sérieux n’avait pas été causé suite aux événements de 1982, il aurait alors été nécessaire pour le Service correctionnel de considérer les autres délits commis par M. Plante afin de déterminer s’ils avaient effectivement causé la mort ou un dommage grave à une autre personne. Il s’agit d’un critère du délit devant être satisfait. Subsidiairement, faut-il le rappeler, suivant le paragraphe 129(3) de la Loi, le dossier de cas d’un délinquant peut faire l’objet d’un renvoi par le commissaire du Service correctionnel au président de la Commission, et ce, en dépit du fait que l’infraction commise ait causé ou non la mort ou un dommage grave à une autre personne.

 

[45]           Ce qu’il faut en retenir est que le processus de renvoi, tel que prévu aux articles 129 et suivants de la Loi en regard à la libération d’office, est un régime d’exception mené par un seul objectif : la protection du public.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie avec dépens. Le dossier est renvoyé à la Commission pour qu’elle procède à sa reconsidération sur la base des présents motifs. Toute demande de renseignements et tout ce qui relève de la matière relative au renvoi de cas sont limités à la question de la « commission d’un dommage grave à une autre personne ».

 

 

 

« Sean Harrington »

 

Judge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-639-05

 

INTITULÉ :                                       GAÉTAN PLANTE c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 13 décembre 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      le 18 janvier 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Clemente Monterosso

Me Marie-Hélène Giroux

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Dominique Guimond

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Monterosso Giroux s.e.n.c.

Avocats

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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