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Date : 20071114

Dossier : T-1836-06

Référence : 2007 CF 1183

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2007

En présence de madame la juge Gauthier

 

ENTRE :

ALTANA PHARMA INC. ET

ALTANA PHARMA AG

demanderesses

et

 

 NOVOPHARM LIMITÉE ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Novopharm interjette appel de la partie de la décision de la protonotaire Milczynski par laquelle elle accorde à Altana une prorogation du délai pour produire une partie de l’affidavit de M. Senn-Bilfinger daté du 17 juillet 2007, ainsi que l’affidavit du Dr Brian Fennerty dans la forme versée au dossier de requête d’Altana.

 

[2]               La norme de contrôle applicable au présent appel n’est pas contestée. La question soulevée dans la requête sur laquelle la protonotaire devait statuer n’ayant pas une influence déterminante sur l’issue de l’instance, la Cour interviendra uniquement si l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, à savoir si la protonotaire Milczynski a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co. c. Apotex, [2003] CAF 488, au paragraphe 19, et Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003], 1 RCS 450, au paragraphe 18). Dans son dossier de requête, Novopharm soutient que la protonotaire a commis une erreur flagrante en concluant que les éléments de preuve proposés :

a) n’étaient pas accessibles plus tôt, et qu’Altana avait fourni une explication raisonnable pour justifier le retard;

b) étaient pertinents et admissibles, et ne portaient aucunement préjudice à Novopharm;

c) ne devaient pas être traités de la même manière que les éléments de preuve que lui avait transmis le juge Pierre Blais dans le dossier T-427-06.

 

[3]               Au sujet de la première erreur alléguée, l’argument semble reposer sur l’interprétation de Novopharm quant au passage suivant de l’ordonnance :

[traduction] « En ce qui concerne l’affidavit de M. Senn-Bilfinger, je suis satisfaite de l’explication fournie pour justifier que les études in vivo chez les rats n’étaient pas annexées à son affidavit précédent. Il était au courant des études et de leur importance, mais il n’a pas pu, pour diverses raisons valables, les trouver plus tôt. »

 

 

 

[4]               Selon Novopharm, M. Senn-Bilfinger a affirmé lors du contre-interrogatoire sur son second affidavit que même s’il connaissait alors l’existence des études en question, il n’y a pas fait référence dans son premier affidavit, et n’a commencé à les chercher que plusieurs mois après avoir souscrit ledit affidavit. Par conséquent, en utilisant les mots [traduction] les trouver plus tôt, il est manifeste que la protonotaire Milczynski a mal interprété la preuve et a déduit à tort que M. Senn-Bilfinger avait commencé à chercher les études avant le dépôt de son premier affidavit.

[5]               Après avoir examiné attentivement l’ordonnance et l’ensemble des circonstances, la Cour n’est pas convaincue que Novopharm a réussi à prouver que la protonotaire Milczynski a mal interprété les faits sur lesquels repose cette conclusion.

 

[6]               Les faits divulgués lors de l’interrogatoire sont non seulement décrits expressément au paragraphe 6 des observations écrites de Novopharm, mais aussi au paragraphe 24 de la décision du juge Pierre Blais, que Novopharm cite abondamment et dont la protonotaire Milczynski propose une analyse exhaustive dans son ordonnance.

 

[7]               La décideuse est présumée avoir pris en considération les écrits à sa disposition, et Novopharm a admis qu’il a été question de ces faits au cours de l’audience de deux heures devant la protonotaire Milczynski.

 

[8]               La Cour constate que Novopharm lui demande en fait de se prononcer à nouveau sur le caractère raisonnable de l’explication donnée par Altana et de conclure que parce qu’elle n’est pas raisonnable, il est clair que la protonotaire a mal interprété les faits.

 

[9]               Cette démarche serait contraire à ce que dicte la règle de contrôle applicable et, quoi qu’il en soit, la Cour n’a pas été convaincue que, pour parvenir à la conclusion contestée, la protonotaire devait forcément croire que M. Senn-Bilfinger avait commencé à chercher les études en question avant de signer son premier affidavit.

 

[10]           En ce qui a trait à la troisième question soulevée par Novopharm, la Cour souscrit à la manière dont la protonotaire Milczynski a traité la décision du juge Blais dans le dossier T-427-06 (une autre instance relative à un avis de conformité mettant en cause Altana et Apotex, et concernant le même brevet). Les circonstances de cette affaire différaient passablement de celles qui ont été portées à la connaissance de la protonotaire Milczynski en l’espèce. Quand Altana a demandé l’autorisation de déposer l’affidavit supplémentaire de M. Senn-Bilfinger, Apotex avait déjà soumis sa preuve. Il est donc permis de croire que le juge Blais a appliqué le critère de l’article 312 concernant le dépôt d’une contre-preuve. De plus, Apotex avait clairement subi un préjudice du fait que l’autorisation de produire cette preuve avait été demandée quelques mois seulement avant l’audience. De ce point de vue, la protonotaire Milczynski n’a pas mal interprété les faits et n’a pas commis d’erreur de droit. Il ne fait aucun doute qu’elle n’était pas liée par la décision précédente et qu’elle pouvait (en fait, devait) exercer son pouvoir discrétionnaire au vu des faits portés à sa connaissance.

 

[11]           La dernière question soulevée dans les écrits soumis par Novopharm sera analysée en même temps qu’une autre question qui s’est ajoutée, ou qui a plutôt été clairement énoncée par Novopharm dans les observations écrites qu’elle a déposées après l’audience.

 

[12]           Lors de l’audience devant la Cour, il était difficile de saisir quelle partie du critère, selon Novopharm, avait été mal appliquée dans l’analyse de la protonotaire Milczynski. Selon les écrits soumis à la protonotaire Milczynski, Altana a soumis sa requête initiale en vertu de l’article 312 qui, tel que l’a souligné Novopharm, s’applique aux affidavits déposés en réponse. Ce critère a été élaboré pour éviter que les parties scindent leur preuve, ce qui n’est manifestement pas en jeu en l’espèce puisque Novopharm n’avait pas encore soumis sa preuve principale au moment où Altana a déposé sa requête.

 

[13]           Ainsi, d’après Novopharm, comme Altana a demandé une prorogation du délai fixé par la protonotaire Milczynski, la gestionnaire de l’instance, pour le dépôt de sa preuve principale, celle-ci devait appliquer le critère à quatre volets établi dans la décision Canada (Attorney General) v. Hennelly [1999] F.C.J. No 846, à savoir que la partie qui demande la prorogation doit démontrer : a) une intention constante de poursuivre sa demande; b) que la demande est bien fondée; c) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le retard; d) que le retard n’entraîne pas de préjudice. Toutefois, dans ses observations écrites, Novopharm mentionne aussi le critère à deux volets applicable aux requêtes en prorogation du délai imparti pour déposer des affidavits qui est énoncé dans la décision Mapei Inc. v. Flextile Ltd. [1999] 59 C.P.R (3d) 211 (FCTD) : a) il doit exister un motif valable pour expliquer le retard; b) l’affidavit doit fournir à la Cour des éléments de preuve pertinents et admissibles.

 

[14]           Seul le critère à quatre volets est mentionné expressément dans l’ordonnance de la protonotaire Milczynski parce que, comme le plaide Altana, c’est ce dont avaient convenu les parties lors de l’audience devant elle. Cependant, Novopharm nie avoir donné un tel accord.

 

[15]           Cela dit, ni l’avis d’appel ni les écrits soumis à la Cour par Novopharm ne font allusion à un défaut de la protonotaire Milczynski d’appliquer le critère à deux volets. Il est seulement reproché à la protonotaire d’avoir commis une erreur en jugeant pertinents et admissibles les éléments de preuve supplémentaires qu’Altana a demandé à présenter, d’autant plus que l’affidavit du Dr Saibil, l’unique élément de preuve sur cette question, établit clairement le contraire.

 

[16]           La Cour a demandé des éclaircissements et les parties ont accepté de soumettre des observations additionnelles. C’est dans ce contexte que Novopharm soutient maintenant que la protonotaire Milczynski a commis une erreur en omettant d’appliquer le critère énoncé dans la décision Mapei et de mettre en équilibre les motifs du retard et la valeur intrinsèque des affidavits proposés (sur les plans de leur pertinence, de leur admissibilité et de leur utilité potentielle pour la Cour).

 

[17]           La Cour se range à l’avis d’Altana : ni l’avis d’appel ni les observations écrites de Novopharm ne mentionnent expressément ce motif d’appel. La Cour examinera néanmoins la question pour éviter un autre différend. Toutefois, la Cour prendra notamment en considération le fait qu’il ne se dégageait pas à première vue de la décision que la protonotaire avait omis d’envisager le critère à deux volets puisque Novopharm a attendu l’instruction de l’appel pour soulever cette allégation. De fait, Novopharm semble plutôt avoir présumé que la protonotaire avait envisagé ce critère, mais qu’elle en a fait une mauvaise application.

 

[18]           Il a maintes fois été affirmé que les parties ne peuvent s’attendre à ce que les ordonnances des protonotaires chargés de la gestion des instances et des questions de procédure qui en découlent fournissent des commentaires détaillés sur chacune des questions en litige.

 

[19]           En l’espèce, comme il a été souligné précédemment, la protonotaire Milczynski ne mentionne pas expressément la décision Mapei ni le critère à deux volets. Toutefois, une lecture objective de son ordonnance révèle qu’elle a clairement évalué la pertinence, l’admissibilité et l’utilité des éléments de preuve en tant que tels. Ainsi, après avoir jugé qu’elle ressemblait à une tentative pour renchérir sur la déposition précédente, la protonotaire n’a pas accordé à Altana la prorogation demandée pour déposer une bonne partie de l’affidavit de M. Senn-Bilfinger. Elle n’a pas non plus accordé de prorogation à l’égard de l’affidavit de Laura Meucci parce qu’il s’agissait d’une preuve par ouï-dire inadmissible. La protonotaire appuyait ainsi la conclusion précédente du juge Blais dans l’instance susmentionnée. Concernant l’autre partie de l’affidavit de M. Senn-Bilfinger, la protonotaire souligne qu’elle n’avait pas les mêmes motifs que le juge Blais de contester sa pertinence puisque les études avaient été déposées et que le commentaire d’expert proposé avait été fourni.

 

[20]           Bref, Novopharm n’a pas persuadé la Cour que la protonotaire Milczynski, en concluant que les nouveaux éléments de preuve pouvaient être déposés avec le reste du dossier de la demanderesse, avait de toute évidence omis d’envisager le critère à deux volets de la décision Mapei ou de soupeser les motifs du retard en regard de la valeur intrinsèque de la preuve offerte.

 

[21]           Il convient de souligner par ailleurs que le critère de la décision Mapei est censé être plus facile à remplir que le critère à quatre volets de la décision Hennelly, dans la mesure où la partie qui demande la prorogation n’est pas tenue, en principe, d’établir l’absence de préjudice et le bien-fondé global de sa demande (Strykiwsky c. Stony Mountain, 2000 ACF No 1404, aux paragraphes 7 et 8).

 

[22]           La deuxième condition du critère à deux volets semble être adaptée de la deuxième exigence énoncée à l’origine dans la décision Grewal v. Canada (Minister of Employment and Immigration), 1985 2 FC 263 (F.C.A.), selon laquelle la Cour doit apprécier si la thèse de la partie qui demande la prorogation est « fondée » (Stanfield v. Canada, 2005 CAF 107, au paragraphe 3). Toutefois, peu importe que quatre facteurs ou deux seulement soient examinés et supputés, comme il a été souligné récemment dans l’arrêt Canada (Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, [2007] FCJ No 37 (QL), au paragraphe 33, ils constituent tout au plus des outils pour s’assurer que justice est faite entre les parties. En ce sens, même si l’explication du retard est faible, voire inexistante, une prorogation peut être accordée si les circonstances s’y prêtent.

 

[23]           Pour ce qui est de la « valeur intrinsèque » des nouveaux affidavits et de la conclusion de la protonotaire concernant l’admissibilité et la pertinence des éléments de preuve, la Cour ne peut convenir avec Novopharm que cette conclusion n’était pas offerte à la protonotaire Milczynski parce que l’affidavit du Dr Fennerty n’avait pas été présenté sous serment et qu’elle était donc saisie uniquement de la déposition du Dr Saibil.

 

[24]           Tel qu’il est souligné dans la décision Prouvost SA v. Munsingwear (C.A.), 2 1992 FC 541, la Cour devait disposer du projet d’affidavit du Dr Fennerty pour en apprécier l’admissibilité, la pertinence et l’utilité potentielle pour la Cour.

 

[25]           L’admissibilité étant une question de droit, et étant donné qu’Altana a reconnu que ces études avaient été produites essentiellement pour servir d’aide-mémoire ou pour étayer le témoignage de M. Senn-Bilfinger selon lequel l’inventeur connaissait les données au moment pertinent, la conclusion de la protonotaire Milczynski n’est pas manifestement erronée.   

 

[26]           La pertinence d’un élément de preuve doit être appréciée avant tout en fonction des actes de procédure. Les parties pertinentes de l’avis de conformité ont été reproduites dans le dossier de requête soumis à la protonotaire Milczynski et, à titre de gestionnaire de l’instance, elle était très au fait des questions soulevées par les parties dans leurs actes de procédure respectifs.

 

[27]            Novopharm fait même remarquer, au paragraphe 75 de ses observations écrites soumises à la protonotaire, que les éléments de preuve proposés concernent des questions très litigieuses entre les parties.

 

[28]           À ce stade de la procédure, l’examen de la pertinence des éléments de preuve proposés n’exige pas de la Cour (en l’occurrence, la protonotaire Milczynski) qu’elle circonscrive les paramètres exacts de la question à laquelle lesdits éléments de preuve tentent de répondre, ni le poids qui devrait ultimement être accordé aux éléments de preuve contradictoires.  Du reste, le critère n’était pas censé offrir à Novopharm la possibilité de contre-interroger l’expert d’Altana sur la question en litige avant le dépôt de la preuve principale.

 

[29]           Il est tout à fait envisageable que les nouveaux éléments de preuve se révèlent insuffisants, qu’ils soient examinés isolément ou conjointement avec le reste de la preuve au dossier, pour permettre à Altana de s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe.  La même conclusion pourrait être tirée si Novopharm inclut l’avis du Dr Saibil dans sa preuve principale, mais il n’appartient ni à la protonotaire Milczynski ni à la Cour de statuer sur ce point.

 

[30]           Au vu de l’affidavit de M. Senn-Bilfinger, et notamment du paragraphe 36, la protonotaire Milczynski pouvait à bon droit conclure que la thèse d’Altana était fondée. Il lui était loisible également, étant donné l’importance de la question en litige, l’explication offerte et l’admissibilité des éléments de preuve, de conclure que ceux-ci pouvaient être déposés avec le reste de la preuve de la demanderesse

 

[31]           Cela étant dit, même si Novopharm parvenait à convaincre la Cour de son obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire de novo (par exemple, en raison d’un doute quant à l’application du critère à deux volets par la protonotaire Milczynski), elle serait parvenue à la même conclusion que la protonotaire Milczynski et aurait accordé la prorogation demandée pour le dépôt des éléments de preuve. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a notamment dû adhérer à l’explication, aussi faible fût-elle, du retard du dépôt de la déposition de M. Senn-Bilfinger concernant les études. Quant à la déposition du Dr Fennerty, il est évident qu’il ne pouvait pas donner son avis sur l’incidence des données en cause avant qu’Altana soit informée que les inventeurs les connaissaient.

 

[32]           De plus, à ce stade-ci, la Cour estime que ces éléments de preuve sont admissibles et que, même si leur incidence ultime sur la capacité des inventeurs à prédire valablement l’utilité de l’invention est contestée, il serait pertinent, important et utile que lesdites données soient à la disposition de la Cour aux fins de l’instruction sur le fond de la présente demande. Comme il a déjà été souligné, il est clair que cette conclusion ne lie aucunement le juge qui entendra l’affaire sur le fond, qu’il s’agisse de déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve ou de toute autre considération.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR :

1.         rejette l’appel avec dépens.

 

« Johanne Gauthier »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1836-06

 

INTITULÉ :                                       ALTANA PHARMA INC. ET AL. c. NOVOPHARM LIMITÉE ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                     

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin Sartorio                                                                          POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Mark Davis                                                                              POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.                        POUR LES DEMANDERESSES

Avocats                                                                                   

Toronto (Ontario)

 

Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L.                                                   POUR LES DÉFENDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

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