Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date :  20071122

Dossier :  T-1469-05

Référence :  2007 CF 1225

Ottawa, Ontario, le 22 novembre 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

CP SHIPS TRUCKING LTD.

(anciennement connue sous le nom de

CAST TRANSPORT INC.)

demanderesse

et

 

GUNTER M. KUNTZE

et

ENTREPRISE GUNTER M. KUNTZE & FILS INC.

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERCU

[1]               Dynamex c. Canada Inc. c. Mamona, 2003 CAF 248, [2003] A.C.F. no 907 (QL), au paragraphe 52, cite l’arrêt de la Cour suprême du Canada, 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, où la juge Karen Sharlow note « [...] que le vocabulaire utilisé dans un contrat n'est pas déterminant afin de décider si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Le vocabulaire du contrat ne peut prévaloir si la preuve de la relation entre les parties tend à prouver la conclusion opposée, tel que l'arbitre en a décidé dans la présente cause. » C’est-à-dire, la réalité factuelle au delà des apparences.

INTRODUCTION

[2]               La demanderesse demande le contrôle judiciaire de la Sentence arbitrale, rendue le 29 juillet 2005, par l’arbitre, monsieur Michel A. Goulet, sentence interlocutoire, statuant que le défendeur est une « personne » au sens de l’article 240 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (Code), et que le tribunal a juridiction pour entendre et disposer de la plainte du défendeur pour congédiement injuste.

 

FAITS

[3]               La demanderesse, C.P. Ships Trucking Ltd. (anciennement connue sous le nom de Cast Transport inc.) est une entreprise de juridiction fédérale qui assure le transport de certaines marchandises, notamment, des « conteneurs » en provenance ou en direction du port de Montréal.

 

[4]               Le défendeur, monsieur Gunter M. Kuntze, est propriétaire d’un véhicule lourd destiné au transport de marchandises.

 

[5]               La défenderesse, Entreprise Gunter M. Kuntze et Fils Inc. (Entreprise), est une entreprise commerciale de juridiction provinciale, constituée le 19 avril 1999, dans la province du Québec. Monsieur Kuntze est le seul actionnaire et administrateur de l’Entreprise.

 

[6]               L’Entreprise est partie à un contrat écrit (Contrat de Propriétaire Local Montréal) avec C.P. Ships qui lie les parties depuis janvier 2001. (Dossier de la demanderesse (DD), Pièce P-2, p. 27.)

 

[7]               Dans ce contrat, l’Entreprise est qualifiée comme « Propriétaire », alors que, C.P. Ships est désignée comme la « Compagnie ». C.P. Ships retient les services de l’Entreprise aux fins d’effectuer le tirage de remorques appartenant à C.P. Ships à l’aide d’un véhicule appartenant à l’Entreprise. (DD, Sentence arbitrale, p. 13.)

 

[8]               Le 23 décembre 2003, C.P. Ships a mis fin au contrat en invoquant un manquement grave aux obligations de monsieur Kuntze en vertu dudit contrat. (DD, Pièce P-7, p. 91.)

 

[9]               Le 19 janvier 2004, monsieur Kuntze a déposé une plainte alléguant avoir été congédié injustement. Le 22 septembre 2004, monsieur Goulet est désigné comme arbitre pour entendre et disposer de la plainte logée par monsieur Kuntze.

 

[10]           Préalablement, à l’audition au mérite de la plainte de monsieur Kuntze, la demanderesse a présenté un moyen préliminaire concernant la recevabilité de la plainte logée par monsieur Kuntze et soumettant plus particulièrement que ce dernier n’est pas une « personne » au sens de l’article 240 du Code, au motif principal qu’il offre ses services par l’entremise d’une société incorporée; l’arbitre, monsieur Goulet, rend une décision interlocutoire le 29 juillet 2005 statuant que monsieur Kuntze est une « personne » et par conséquent que le tribunal a juridiction pour entendre et disposer de sa plainte de congédiement injuste et ordonne aux parties de poursuivre l’audience sur le mérite de la plainte.

 

[11]           En vertu de la preuve présentée, notamment, le contenu obligationnel du contrat (DD, Pièce P-2, p. 27), du Code d’éthique professionnelle (Dossier du défendeur, Pièce D-3, p. 28) et de la preuve testimoniale, l’arbitre conclut que l’Entreprise ou monsieur Kuntze est une « personne » et qu’en conséquence, il a la juridiction « pour décider du bien fondé et de la justesse de la décision de la compagnie de congédier le plaignant » (DD, Sentence arbitrale, p. 17). Il base sa décision sur les éléments de contrôle, de la propriété des équipements, de la répartition des mouvements de transport, des modalités d’exécution du contrat, de la compensation monétaire, des dépenses d’opération, du lien de dépendance, de la subordination juridique, des éléments d’intégration et du pouvoir disciplinaire de la demanderesse.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[12]           La demanderesse allègue que l’arbitre a commis des erreurs palpables d’appréciation des faits et des erreurs de droit en affirmant que « … l’incorporation du camionneur était un incontournable pour pouvoir exécuter le transport… », car elle croit que « l’incontournable », s’est produit en 1994. (DD, Sentence arbitrale, p. 14.)

 

[13]           De plus, la partie demanderesse allègue que l’arbitre commet une autre erreur palpable d’appréciation des faits quand elle affirme que «… le propriétaire aurait été tenu de signer ledit contrat et aucune négociation n’a eu lieu » puisque, selon, elle, la preuve spécifique révèle que c’est la défenderesse qui a sollicité un contrat. (DD, Sentence arbitrale, p. 14.)

 

[14]           L’arbitre a conclut qu’il avait juridiction et « vient à la conclusion que le propriétaire incorporé, la société ou monsieur Gunter M. Kuntze est une personne qui a été congédiée par la compagnie [C.P. Ships]. Il ne fait aucun doute que le plaignant Kuntze était placé sous la plus complète dépendance économique et qu’il est bien une personne qui bénéficie du droit reconnu à l’article 240 du C.t. ». (DD, Sentence arbitrale, p. 17.)

 

QUESTION EN LITIGE

[15]           Les questions en litige dans la présente affaire de contrôle judiciaire sont les suivantes :

(i)                  L’arbitre, monsieur Goulet, a-t-il juridiction pour entendre et disposer de la plainte présentée par monsieur Kuntze au motif qu’il est une « personne » au sens de l’article 240 du Code et cela même s’il rend ses services de camionnage par l’entremise d’une société incorporée?

(ii)                L’arbitre, monsieur Goulet, a-t-il rendu une décision correcte à l’égard de la question de droit, c’est-à-dire, à l’égard de la détermination du statut de « personne » pour les fins du paragraphe 240(1) du Code?

(iii)               L’arbitre, monsieur Goulet, a-t-il rendu une décision raisonnable dans l’application des principes applicables aux faits de l’espèce?

 

ANALYSE

            Le cadre juridique de l’arbitrage selon la Partie III du Code canadien du travail

[16]           Dans le présent dossier, l’arbitre, monsieur Goulet, est saisi d’une plainte présentée par le défendeur en vertu de l’article 240 du Code, lequel prévoit :

Congédiement injuste

 

Plainte

 

 

240.      (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

 

 

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

 

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

Unjust Dismissal

 

Complaint to inspector for unjust dismissal

 

240.      (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

 

 

 

 

 

a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

 

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

 

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

 

Norme de contrôle

[17]           Afin de déterminer la norme de contrôle applicable à une décision d’un arbitre nommée en vertu de l’article 242 du Code, la question consiste à déterminer si le législateur voulait que la question en litige, en l’espèce, la détermination du statut de « personne » pour les fins de l’article 240, soit laissée à la compétence de l’arbitre.

 

[18]           La juge Sharlow, de la Cour d’appel fédérale, passe par l’analyse pragmatique et fonctionnelle afin de déterminer la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision arbitrale qui avait statué que des personnes embauchées à titre d’entrepreneur indépendant pour une compagnie de messagerie étaient des « employés » au sens de la Partie III du Code. (Dynamex, ci-dessus.)

 

[19]           La juge Sharlow conclut dans l’affaire Dynamex, ci-dessus, au paragraphe 45, que la « détermination du statut d’employé doit être examinée en utilisant la norme de la décision correcte […] malgré la présence de causes privatives, car il s’agit d’une question de droit. […] Toutefois, la façon dont ces principes sont appliqués aux faits, ce qui constitue une question mixte de droit et de fait, doit être examinée en utilisant la norme de la décision raisonnable. »

 

[20]           À la lumière de ce qui précède, la Cour soumet que la norme applicable à la détermination de l’arbitre du statut de personne pour les fins du paragraphe 240(1) du Code est celle de correcte et la norme applicable dans l’application des principes aux faits est celle de la décision raisonnable.

 

Évaluation de la preuve

Introduction

[21]           La demanderesse prétend que la plainte de monsieur Kuntze n’est recevable ou n’est pas « arbitrable » au motif que, monsieur Kuntze, n’est pas une « personne » au sens de l’article 240 du Code, qu’il n’est pas son employé et qu’il est un entrepreneur indépendant offrant ses services de chauffeurs de camion par l’entremise de l’Entreprise de la défenderesse.

[22]           La demanderesse attaque principalement le fait que l’arbitre aurait commis des erreurs d’appréciation des faits à l’égard de l’obligation de l’incorporation, de ses effets en regard du soulèvement du voile corporatif et de la sollicitation du contrat, le conduisant à commettre des erreurs de droit dans l’application du paragraphe 240(1) du Code.

 

[23]           L’arbitre n’aurait ainsi aucune juridiction pour procéder à l’instruction de la plainte et décider si le congédiement du défendeur, monsieur Kuntze, est injuste.

 

[24]           Monsieur Kuntze note que l’arbitre, dans sa décision datée du 29 juillet 2005, n’a pas agit sans juridiction, n’a pas excédé sa juridiction ou ne s’est pas arrogé une compétence qu’il n’a pas en vertu des dispositions prévues au Code.

 

[25]           De plus, monsieur Kuntze souligne que les deux arguments ou prétentions de la demanderesse concernant l’incorporation et le contrat ne sont pas étayés par la preuve administrée devant l’arbitre.

 

Le droit

[26]           La Partie III du Code ne définit pas le terme « employé », pas plus qu’il ne définit le terme « personne ».

 

[27]           L’affaire Dynamex, ci-dessus, de la Cour d’appel fédérale, nous précise qu’il est « correcte » pour un décideur siégeant en vertu de la Partie III de ne pas tenir compte ou de se fier peu à la définition de l’ « entrepreneur dépendant » prévue à l’alinéa 3(c) et contenue dans la Partie I du Code et de s’en remettre aux critères de common law dans la détermination du statut d’« employé ». (Dynamex, ci-dessus, par. 49.) 

 

[28]           Dans l’affaire en l’espèce, l’arbitre précisera exactement que le mot « personne » prévue à l’article 240 du Code ne lui permettait pas d’appliquer simplement les définitions d’ « employé » prévues ailleurs dans le Code :

Puisque l’article 240 en la Partie III du Code accorde à une personne le droit de loger une plainte au lieu de l’accorder à un employé, il faut reconnaître qu’en plus des employés, d’autres personnes peuvent avoir ce droit qui est accordé à « toute personne ».

 

Comme rien ne permet de croire que le mot « personne » exclut la personne morale, il faut aussi croire que ce droit est reconnu aussi bien à la personne morale qu’à la personne physique. Si le législateur a utilisé à l’article 240 le terme « personne » au lieu du terme « employé » comme c’est le plus souvent le cas, c’est parce qu’il visait des personnes autres que celles qui sont les employés au sens ordinaire du mot et au sens des définitions retrouvées au code aux articles 3.1 et 122.

 

(DD, Sentence arbitrale, p. 12.)

 

[29]           Par conséquent, l’arbitre, ayant déterminer que le mot « personne » englobe une « plus grande catégorie de personne » que le terme « employé » au sens de la Partie III qui se qualifie à titre de « personne » au sens du paragraphe 240(1) du Code est non seulement raisonnable mais correcte en ce qu’il applique les critères de common law applicables à la détermination du statut d’« employé » et qu’il interprète raisonnablement la preuve administrée devant lui.

 

 

 

L’application des faits au droit

[30]           En faisant abstraction de l’effet de l’incorporation du défendeur, la question est de savoir si le plaignant est un « employé » au sens de la Partie III qui se qualifie à titre de « personne » au sens du paragraphe 240(1) du Code.

 

[31]           La demanderesse retient les services du défendeur comme chauffeur vers le mois de janvier 2001.

 

[32]           Le 23 décembre 2003, la demanderesse a transmis au plaignant l’avis suivant :

Based upon the events of the 11th, 12th, and 13th of December 2003, we are terminating our contract with your company ( Ent. Gunther & Fils). You are in violation of article 3(c) of the present contract. In addition, you indulged in the use of obscene language against your dispatcher Chantal Provencher.

 

It is your responsibility to remove all our company logo’s from your tractor, as well as return all company property, such as the shift lock, company identification card, Port of Montreal identification card, etc. We also take this opportunity to inform you that your tractor is no longer covered under the company insurance policy.

 

(DD, Pièce P-7, p. 91.)

 

[33]           Il existe effectivement un contrat intitulé « Contrat de Propriétaire, Local Montréal » qui lie la demanderesse et le défendeur « Entreprise ». (DD, Pièce P-2, p. 27.)

 

[34]           Monsieur Kuntze, est le seul et unique actionnaire et administrateur de la société « Entreprise Gunter M. Kuntze & Fils Inc. ».

 

[35]           Le contrat en est un par lequel « le propriétaire » (le « camionneur-propriétaire », c’est-à-dire, la compagnie incorporée), est tenu de fournir un véhicule lourd (un « tracteur ») aux fins d’effectuer le tirage de remorques appartenant à la compagnie demanderesse.

 

[36]           En outre, en vertu dudit contrat :

                        (i)                  M. Kuntze s’engage à fournir et à rendre disponible un véhicule routier de marque Kenworth datant de 1990 (art. 7 du contrat);

                      (ii)                  M. Kuntze est responsable de tous les frais et dépenses directs ou indirects reliés à l’exécution de ses obligations, notamment toute « charge sociale », impôts, permis et plaque d’immatriculation, entretien périodique et réparation ainsi que toute dépense d’opération de son équipement (art. 6, 12 et 14 du contrat);

                     (iii)                  Le contrat est inaliénable ou non transférable, sauf pour la « compagnie », soit la demanderesse (art. 4 du contrat);

                    (iv)                  M. Kuntze n’est assuré de transporter aucun volume de marchandises, la distribution des mouvements de transport étant à la seule discrétion de la demanderesse (art. 5 du contrat);

                      (v)                  M. Kuntze doit opérer son équipement routier exclusivement pour son propre bénéfice et celui de la demanderesse et à aucune autre fin (art. 8 du contrat);

                    (vi)                  M. Kuntze doit se soumettre aux inspections de sécurité requises par la demanderesse (art. 9 du contrat);

 

                   (vii)                  M. Kuntze doit apposer sur son véhicule routier les symboles, insignes, décalques, autocollants ou autre identifications de la demanderesse aux frais de la demanderesse (art. 30 du contrat) et les remplacer ou les enlever à ses propres frais (art. 10 et 31 du contrat);

                 (viii)                  La demanderesse met à la disposition de M. Kuntze et installe dans son véhicule routier des équipements radio et de repérage nécessaires à l’exécution de ses obligations (art. 11 du contrat);

                    (ix)                  M. Kuntze est responsable de tous les dommages causés par négligence aux équipements fournis par la demanderesse (art. 13 du contrat);

                      (x)                  M. Kuntze doit obtenir l’autorisation de la demanderesse s’il désire faire conduire son véhicule par une personne autre que lui-même (art. 15 du contrat);

                    (xi)                  M. Kuntze reconnaît ne pas être un employé, un partenaire ou un agent de la demanderesse (art. 16 et 17 du contrat);

                   (xii)                  M. Kuntze reconnaît et tient indemne la demanderesse de toute réclamation rendue contre lui suite au non-respect d’une condition au connaissement ou bon de livraison alors que les marchandises sont sous les soins de M. Kuntze (art. 20 du contrat);

                 (xiii)                  L’exécution du travail est faite conformément aux termes et conditions de la demanderesse (art. 21 du contrat);

                 (xiv)                  La demanderesse a la totale discrétion de prendre à sa charge, aux frais de M. Kuntze, tout mouvement de transport qu’il estime ne pas respecter les termes et conditions du contrat (art. 23 du contrat);

 

                  (xv)                  La demanderesse déduit tous les frais légaux encourus relativement à toutes procédures signifiées à lui et relatives à une réclamation contre M. Kuntze (art. 24 du contrat);

                 (xvi)                  La demanderesse prend les couvertures d’assurance appropriées au nom de M. Kuntze et celui-ci est responsable du paiement de toute franchise (art. 25 et 26 du contrat);

               (xvii)                  M. Kuntze consent à indemniser la demanderesse de tous frais encourus par ce dernier pour les violations et les infractions aux lois (art. 28 du contrat);

              (xviii)                  M. Kuntze doit aviser la demanderesse de tout accident, événement, réclamation ou infraction, tel que requis par les politiques et procédures de la demanderesse ainsi que par son manuel des opérations (art. 29 du contrat);

                 (xix)                  M. Kuntze consent à se soumettre à tous les règlements de la demanderesse et ceux-ci sont réputés faire partie du contrat (art. 34 du contrat).

                  (xx)                  La demanderesse rembourse M. Kuntze, sur présentation d’une preuve de paiement, de tous les péages et tous les permis requis par la demanderesse (art. 22 du contrat);

                 (xxi)                  La demanderesse peut mettre fin au contrat sans avis (a) si M. Kuntze ne respecte pas les termes et les conditions prescrits au contrat ou au manuel des opérations et règlements, (b) en raison de l’usage ou de la consommation d’alcool, de drogue ou autres produits chimiques ou en raison de sa négligence, (c) si M. Kuntze, de façon répétée, fait défaut de respecter les horaires de cueillette ou de livraison de la marchandise ou fait défaut, de façon répétée, de suivre les instructions du répartiteur de la demanderesse, (d) si M. Kuntze ne se comporte pas avec politesse et civisme avec les clients de la demanderesse ou encore (e) si le dossier d’accident le plaignant excède les limites établies par la demanderesse (art. 3 du contrat);

               (xxii)                  Une fois déduits ses frais, M. Kuntze garde la somme qui lui est versée pour l’exécution de son travail suivant les taux fixés unilatéralement par la demanderesse (art. 22 du contrat).

(Dossier du défendeur, par. 49, pp. 120-122.)

 

[37]           Le contenu obligationnel du contrat sera qualifié de véritable contrat d’adhésion par l’arbitre, monsieur Goulet, non seulement en raison du fait qu’il n’a pas donné lieu à aucune négociation, mais aussi, en raison du fait que le contrat n’est qu’une suite d’obligations strictes pour monsieur Kuntze et de droits unilatéraux pour la demanderesse.

 

[38]           En outre, l’arbitre souligne que l’incorporation de l’Entreprise de monsieur Kuntze était incontournable pour pouvoir exécuter le transport de marchandises de la demanderesse.

 

[39]           Depuis le mois de janvier 2001, monsieur Kuntze a rendue des servies exclusifs à la demanderesse et il a été la seule personne autorisée à conduire son véhicule et la seule à le conduire.

 

[40]           Dans l’exécution de ses fonctions, monsieur Kuntze se rapporte au répartiteur de la demanderesse, lequel lui donne ses instructions.

 

[41]           Monsieur Kuntze fait rapport de ses activités, stationne son véhicule là où le permet la demanderesse, suit les horaires de travail qu’on lui indique, rend compte de son temps et reçoit la compensation déterminée par la demanderesse.

 

[42]           De plus, monsieur Kuntze est soumis au « Code d’éthique professionnelle » comme tous les employés, lequel code prévoit notamment ce qui suit :

(i)                  Travailler en conformité avec tout règlement et procédure instaurée ou qui seront instaurée par la demanderesse;

(ii)                Ne pas faire concurrence à la demanderesse;

(iii)               Ne pas divulguer des renseignements privilégiés;

(iv)              Se rendre disponible pour un examen médical, suivre un cours de matières dangereuses aux trois ans, rédiger des rapports d’accident ou tout autre rapport requis par la demanderesse;

(v)                Maintenir les documentations requises à jour (heures de services, vérification mécanique et matières dangereuses);

(vi)              Respecter les « Politiques d’entreprise sur les stupéfiants et l’alcool »;

(vii)             Effectuer les livraisons à l’heure indiquée par le répartiteur;

(viii)           Être vêtu proprement;

(ix)              Ne pas utiliser un langage grossier envers un autre employé;

(x)                Respecter la vitesse maximale tolérée par la demanderesse (100km/h);

(xi)              Ne pas avoir de passager dans le camion;

(xii)             Ne pas transporter de la marchandise non autorisée par la demanderesse;

(xiii)           Aviser au plus tard 30 minutes à l’avance dans le cas d’un retard appréhendé;

(xiv)           Avertir le répartiteur en cas de congé-maladie;

(xv)            Communiquer chaque jour avec le répartiteur avant 10h00 le matin afin de confirmer la disponibilité du chauffeur, à défaut de quoi celui-ci sera réputé être inscrit sur la liste des départs (disponibilité présumée);

(xvi)           Avertir le répartiteur lorsque le temps d’attente est de plus de deux heures chez un client.

(Dossier du défendeur au para. 55, p. 123)

 

[43]           Un manquement au « Code d’éthique professionnelle » peut conduire à des sanctions disciplinaires qui peuvent aller jusqu’au retrait permanent de conduire un véhicule pour le compte de la demanderesse.

 

[44]           La demanderesse s’y exprime davantage comme un employeur plutôt que comme un cocontractant partie à un contrat d’entreprise dans la mesure où son pouvoir emporte à la fois la terminaison du contrat avec l’Entreprise et monsieur Kuntze.

 

[45]           De plus, la partie demanderesse manifeste un grand pouvoir général de direction ainsi que disciplinaire. Les clauses contractuelles et plus particulièrement, le paragraphe 3(c) du contrat, ainsi que les motifs allégué de congédiement par la demanderesse dans leur lettre, daté du 23 décembre 2003, démontre que « La direction de la compagnie a définitivement exercé un pouvoir dévolu à un employeur ». (DD, Sentence arbitrale, p. 17.)

[46]           Au chapitre de la propriété des outils, monsieur Kuntze doit notamment utiliser exclusivement sont tracteur pour exécuter les voyages de la demanderesse, utilise le plan d’assurance de la demanderesse, ne peut développer son achalandage personnel, doit afficher l’emblème de la demanderesse, est le seul autorisé à faire des voyages et stationne son véhicule là où la demanderesse le permet.

 

[47]           De plus, l’analyse du contrôle, la dépendance de monsieur Kuntze est patente : notamment, le contrat, ci-dessus, tout  à l’avantage de la demanderesse, est appliqué scrupuleusement : monsieur Kuntze se rapporte chaque jour au répartiteur de la demanderesse, fait rapport de ses activités, suit les horaires du travail qu’on lui indique, rend compte de son temps, est soumis au « Code d’éthique professionnelle », comme tous les employés et est soumis au pouvoir disciplinaire de l’employeur, tel qu’il appert du contrat, du « Code d’éthique », et de la lettre de congédiement.

 

[48]           Au chapitre des chances de profits et des risques de pertes, la capacité de réaliser un profit ne dépend pas de la capacité de monsieur Kuntze de négocier un prix, son « profit », n’étant en fait qu’une rémunération à l’acte, à la pièce ou au mille, monsieur Kuntze n’a aucun contrôle sur le nombre de voyages qu’il peut effectuer, si ce n’est que d’exprimer une disponibilité et les pertes, sont sous la responsabilité entière de la demanderesse, puisque c’est elle qui développe sa clientèle et répartit ses voyages suivant sa capacité de développer son entreprise de transport.

 

[49]           Dans Stanley v. Road Link Transport Ltd. (1987), 17 C.C.E.L. 176, l’arbitre Pyle était saisi d’une objection de l’employeur à l’effet que l’employé, qui se plaignait d’un congédiement injuste, n’était pas son employé, mais bien un entrepreneur indépendant.

 

[50]           Dans cette affaire, et comme dans le cas de l’espèce, le plaignant était un « camionneur-propriétaire », institué en « registered business » et partie à un contrat écrit aux termes duquel il était notamment tenu de fournir son véhicule servant à son exécution et de s’en servir dans les conditions qui y sont prévues.

 

[51]           Étant d’avis que le mot  « person » englobe le terme « dependent contractor », l’arbitre Pyle n’en applique pas moins le test de common law au cas de l’espèce.

 

[52]           Aux pages 190 et 191 de la décision, on retrouve le passage suivant :

… If I were  to apply the tests such as those set out by Lord Wright in Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1946] 3 W.W.R. 748, [1947] 1 D.L.R. 161 (P.C.), I would have difficulty in concluding that Mr. Stanley had any significant degree of control over his operations. He owned the tractor but for all practical intents and purposes he surrendered that equipment to Road Link. Any chance he retained for the possibility of profit, or loss, in the sense of applying his entrepreneurial skills, is simply not apparent in the evidence adduced in these proceedings.

 

If I were to apply the general test described as the “organization test” and set out by Denning L.J. in Stevenson Jordan & Harrison Ltd. v. Macdonald & Evans, [1952] 1 T.L.R. 101, 69 R.P.C. 10 (C.A.), I would find, on the basis of the evidence before me, that Mr. Stanley was under a contract of service, was employed as a part of the business of Road Link and his work was done as an integral part of the business, I would not find that he was under a contract for services where [work], although done for the business, was not integrated into it but only accessory to it. Mr. Stanley was required to afford to Road Link the complete use of his tractor in the general conduct of its business. Further, he was required to paint his tractor so as to identify it with Road Link, to wear a Road Link uniform and he was treated as an employee for the purposes of the rules and regulations, as well as for the purposes of a comprehensive health and welfare plan.

 

[53]           Dans Masters v. Bekins Moving & Storage (Canada) Ltd., [2000] C.L.A.D. No. 702, le plaignant était aussi camionneur devenu propriétaire de son camion pour une compagnie de transport de marchandises.

 

[54]           Signataire d’un contrat non négocié d’entrepreneur indépendant, le plaignant exerçait ses fonctions exclusivement pour l’employeur.

 

[55]           Celui-ci assurait les marchandises livrées par le plaignant, lui dictait ses assignations, l’obligeait à suivre ses politiques et procédures, notamment quant aux inspections mécaniques, à la désignation de l’employeur sur son camion et au code de discipline.

 

[56]           À titre d’objectif général de la législation du travail, l’arbitre Love, au paragraphe 57, declare: « A major purpose of employment standards legislation such as the Code, is to ensure that those persons, in a position of economic dependency are not exploited by those with economic power ». (Masters, ci-dessus.)

 

[57]           En soulevant l’anomalie législative qui consisterait à lui accorder la protection de la Partie I du Code, tout en le privant, par ailleurs, de son recours en congédiement injuste, suivant la Partie III du Code, l’arbitre analyse la relation du plaignant avec l’employeur sous l’angle de la common law.

 

[58]           Au paragraphe 82, l’arbitre s’exprime ainsi :

In my view the only opportunity for profit and loss in this case is whether Masters was called in to work by Bekins. He did not perform work for others, and under the terms of the contract could not perform work for others given that he had the use of a "branded truck" (cl. 1(b)), and was restricted by contract (cl. 17(b)) from using that truck to provide moving services in competition with the Bekins. Masters work was completely integrated into the business of Bekins, and was integral to the business of Bekins. While he had some "interest" in the tools, namely the truck, a company controlled by Rosenberg had an interest in the truck, and repossession of the truck was taken by Bekins or ABC, after the contract was terminated by Rosenberg.

 

[59]           Statuant que le plaignant est une « personne » au sens du paragraphe 240(1) du Code, l’arbitre conclut ainsi, au paragraphe 84 :

In my view there is a strong dependency of Masters on Bekins, he performed the tasks usually performed by an employee, the lack of opportunity for profit and loss, and the high degree of control, all support a finding that Masters was an employee of Bekins, and a person to whom s. 240 of the Code applies.

 

 

[60]           Dans Dynamex, ci-dessus, il a été décidé que des personnes embauchées à titre d’entrepreneur indépendant pour une compagnie de messagerie étaient des « employés » au sens de la Partie III du Code, pour une réclamation autre qu’une plainte de congédiement, selon les critères de common law applicable à la définition d’« employé ».

 

[61]           Dans cette affaire, les réclamants ont décidé de présenter une réclamation pour demander le paiement de congés annuels et de congés fériés en soutenant qu’ils étaient des employés et non pas des entrepreneurs indépendants.

 

[62]           L’arbitre leur a donné raison, la demande de contrôle judiciaire de l’employeur a été rejetée, tant devant la section de première instance que devant la Cour d’appel fédérale et la demande de permission d’en appeler à la Cour suprême, a été rejetée.

 

[63]           La juge Sharlow, pour la Cour d’appel fédérale, note au paragraphe 49 de la décision Dynmex, ci-dessus, que « l'arbitre a conclu qu'une personne constitue un employé au sens de la partie III uniquement si cette personne est considérée un employé selon les critères de common law. Cet aspect de la décision de l'arbitre n'a pas été contesté et, de plus, il m'apparaît correct. »

 

[64]           La juge Sharlow poursuit en soulignant qu’en analysant la preuve en fonction des principes de common law :

[50]      [...] L'arbitre a reconnu que certains faits militaient en faveur de la thèse des réclamants, qui soutenaient être des employés et que d'autres faits militaient en faveur de la thèse contraire. Il a conclu que tout bien pesé, les réclamants étaient des employés. À cette étape de l'analyse, l'arbitre avait à décider d'une question mixte de faits et de droit et sa décision doit être maintenue si elle est raisonnablement soutenue par la preuve.

 

[65]           De plus, elle souligne la contradiction apparente dans les faits, qui est disposée par l’arbitre de la façon suivante :

[51]      [...]

 

[TRADUCTION]

 

Je demeure troublé par le fait qu'arrivant à la conclusion (comme c'est présentement le cas) que les intimés étaient des employés au sens de la partie III du Code, je leur permets de « ménager la chèvre et le chou » puisqu'ils ont tous librement admis qu'ils étaient pleinement conscients que leurs contrats les définissaient comme des entrepreneurs indépendants et que, dans les faits, ils étaient satisfaits des avantages que cela leur procurait puisqu'ils avaient alors moins de déductions à la source sur leur chèque de paie. Néanmoins, je dois rendre ma décision en m'appuyant sur les faits et, dans la présente cause, la balance penche en faveur d'une relation employeur-employé plutôt qu'un lien d'entrepreneur. L'effet de la présente décision sur les autres questions de déduction à la source n'est pas de mon ressort dans le cadre du présent renvoi.

 

Dynamex, ci-dessus, au paragraphe 52, cite l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Sagaz, ci-dessus, où la juge Sharlow note « [...] que le vocabulaire utilisé dans un contrat n'est pas déterminant afin de décider si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. Le vocabulaire du contrat ne peut prévaloir si la preuve de la relation entre les parties tend à prouver la conclusion opposée, tel que l'arbitre en a décidé dans la présente cause. » C’est-à-dire, la réalité factuelle au delà des apparences.

 

[66]           En l’espèce, comme dans l’affaire Dynamex, ci-dessus, l’arbitre a identifié et appliqué correctement la règle de droit applicable et a appliqué raisonnablement les faits au droit.

 

[67]           Comme on ne saurait discuté du fait qu’un « employé » est une « personne » au sens du paragraphe 240(1) du Code, il convient maintenant de se demander si le seul fait d’être incorporé fait perdre au défendeur soit le statut d’« employé » ou le statut de « personne ».

 

L’effet de l’incorporation

[68]           La question est de savoir si l’incorporation du défendeur a un effet sur la qualification de son statut d’« employé » ou de « personne » au sens de la Partie III.

 

[69]           Dans Transport Damaco International Ltée (1991), 84 di 84, le Conseil canadien des relations du travail disposait alors d’un argument de l’incorporation des camionneurs-propriétaire de la façon suivante :

Il est vrai qu'en droit corporatif, il est admis que les corporations ont une personnalité juridique distincte des personnes qui les ont constituées et qu'on ne peut rechercher directement ces dernières qu'en des circonstances très exceptionnelles. Lorsqu'on le fait, on appelle cela « la levée du voile corporatif » (lifting the corporate veil). Les tribunaux de droit commun ne permettent de lever ce voile que dans des cas de fraude ou lorsqu'il est clairement établi que l'on utilise une incorporation pour tenter de se soustraire aux dispositions d'une loi.

 

Mais en droit ouvrier, les objectifs ne sont pas les mêmes. En tout cas, pas le droit ouvrier que le tribunal administratif qu'est le Conseil canadien des relations du travail se doit d'appliquer, le Code canadien du travail.

 

Le Conseil a l'obligation d'assurer le droit à la syndicalisation de toute personne qui est un employé au sens du Code. cause des concepts très spécifiques inscrits au Code à l'égard des entrepreneurs dépendants, le Conseil croit avoir l'autorité juridique voulue de lever le voile corporatif pour découvrir les détails qui lui permettront de juger du degré de dépendance économique de ces entrepreneurs incorporés. Ce sont là des motifs qui vont au-delà de ceux que l'on retrouve dans d'autres législations, à savoir, la fraude ou une tentative de se soustraire aux dispositions d'une loi.

 

Le Conseil pourrait s'en tenir à cela. Bien sûr, à l'occasion de l'enquête dans laquelle il s'engage à ce chef, il lui arrive comme il fut le cas dans l'instance, de découvrir des situations qui frôlent la tentative de se soustraire aux dispositions de la loi qu'il doit appliquer par le biais de l'incorporation ou d'autres qui pourraient s'apparenter à une fraude; une compagnie qui s'avère ne pas être véritablement administrée par elle-même, une compagnie qui a été imposée à une personne afin de faire obstacle à une demande d'accréditation, une compagnie qui n'en est pas une en réalité face, par exemple, aux exigences de la CSST. Tout cela n'est pas le propos principal de ce Conseil, mais ses découvertes en ce sens, ne pourront qu'ajouter des éléments additionnels dans la jauge qu'il fait du caractère de dépendance économique des entrepreneurs incorporés qui en font des employés au sens du Code.

 

 

[70]           Dans l’affaire Côté (9069-0462 Québec inc.) c. Far-Nic Transport Inc., [2002] D.A.T.C. no 583, le plaignant, un « camionneur-propriétaire » incorporé, est congédié à la suite d’un refus d’effectuer un trajet.

 

[71]           Far-Nic Transport a, devant l’arbitre, comme dans le présent dossier, soulevé une objection relativement à sa juridiction en raison du fait que le recours du plaignant ne lui serait pas « ouvert » en vertu du paragraphe 240(1) du Code.

 

[72]           Signataire d’un contrat de transport en sous-traitance avec l’employeur que l’arbitre qualifiera de contrat d’adhésion, le plaignant devait néanmoins afficher les symboles, insignes ou identifications de Far-Nic Transport sur son tracteur.

 

[73]           Travaillant exclusivement pour le compte de Far-Nic Transport, le plaignant devait être disponible pour effectuer les mouvements de transport requis, respecter des conditions d’exécution de la prestation de travail et fournir des rapports sur les mouvements de transport et son emploi du temps.

 

[74]           L’arbitre Rodrigue Blouin détermine que le plaignant :

[27]      [...] est une personne qui, sous le couvert d'une incorporation, accomplit personnellement des mouvements de transport pour le compte de l'intimée. Il est un chauffeur-propriétaire d'un camion-tracteur qui accomplit une prestation de travail pour l'intimée, en l'occurrence livrer des remorques. Il exécute sa prestation de travail conformément aux directives de l'intimée et ses activités et gestes sont contrôlés par l'intimée. Il reçoit, à toutes fins utiles, une rémunération car il ne peut aucunement capitaliser. En un mot, le plaignant est une personne visée par l'article 240(1) car il est en lien juridique de dépendance personnelle vis-à-vis l'intimée, à tous points de vue.

 

[75]           Il conclut :’

[10]      En somme, l'examen comparatif de ces dispositions atteste que la partie III s'adresse à "toute" personne alors que les parties I et II ne s'intéressent qu'à certaines catégories de personnes, en l'occurrence l'employé auquel est assimilé l'entrepreneur dépendant, d'une part, et le seul employé, d'autre part. Cette conclusion s'impose en raison de la règle d'interprétation voulant que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Or, les définitions sont différentes.

 

[11]      Conséquemment, il est clair que l'expression "toute personne" utilisée à la partie III comprend non seulement l'employé et l'entrepreneur dépendant mais aussi toute autre personne qui est intégrée dans l'entreprise du fournisseur d'ouvrage pour les fins de l'exécution du travail alors octroyé.

 

[76]           Dans l’affaire Transport Damaco, ci-dessus, le Conseil canadien des relations du travail souligne les distinctions fondamentales entre une relation de travail employeur-employé de celui d’entrepreneur dépendant afin de déterminer si un camionneur-propriétaire incorporé pouvait tout de même bénéficier des dispositions de la Partie III du Code.

Le droit de propriété implique le droit exclusif et illimité sur un bien, le droit de le posséder, de l'employer, d'en jouir et d'en disposer à sa guise absolue. Inutile de rappeler à cet égard toutes les restrictions au droit de propriété des conducteurs dits indépendants incorporés ou pas, liés à Damaco, sur leur outil de travail, leur tracteur, qui ressortent des preuves dans la présente cause.

 

[...]

 

Le droit de l'employer est limité de multiples façons. Ils ne peuvent l'utiliser que pour exécuter des voyages de Damaco. Les tracteurs sont limités à l'exploitation exclusive de Damaco et au nom de cette compagnie sans aucune exception. Ils ne peuvent développer aucun achalandage personnel. Ils ne peuvent pas afficher l'identité de leur propre entité juridique si incorporés, non plus que leur identité personnelle si non incorporés. Seuls les couleurs et emblèmes de Damaco doivent être affichés sur les tracteurs.

 

[...]

 

Comment prétendre qu'ils jouissent de leur tracteur quand on leur impose une clause en vertu de laquelle ils ne peuvent refuser aucun type de chargement, aucune sorte de voyage?

 

Ils ne peuvent pas les faire conduire par aucun autre conducteur de leur choix. Ce choix passe par le consentement primordial de Damaco.

 

Ils ne peuvent pas choisir leurs propres trajets pour acheminer une cargaison. Ils ne peuvent pas acheter leur carburant où cela leur plaît.

 

Ils ne peuvent pas assurer leur propriété avec l'assureur de leur choix.

 

Toutes les démarches auprès de la Commission des transports sont faites par Damaco. Les permis sont tous la propriété de Damaco.

 

Dans plusieurs cas la comptabilité des camionneurs incorporés est faite par Damaco. Plusieurs incorporations ont été faites par les agents de Damaco: notaires et comptables.

 

Au chef du contrôle, leur dépendance est patente […].

 

(Transport Damaco, ci-dessus, p. 117.)

 

[77]           Pour tous ces motifs, la Cour est d’avis que l’incorporation de monsieur Kuntze ne lui fait pas perdre le statut d’« employé » ou même de « personne ».

 

CONCLUSION

[78]           L’arbitre a rendu une décision correcte à l’égard de la question de droit, c’est-à-dire, à l’égard de la détermination du statut de « personne » pour les fins du paragraphe 240(1) du Code, notamment, en tirant des conclusions de faits et de droit qui rencontrent les critères de common law fixés par la jurisprudence quant à la détermination du statut d’« employé ».

 

[79]           L’arbitre a rendu une décision raisonnable dans l’application des principes aux faits de l’espèce, notamment, en tirant des conclusions de faits raisonnables à l’égard des conditions dans lesquelles le défendeur exerce ses fonctions, et, notamment, en décidant que le fait d’être incorporé ne fait pas perdre à monsieur Kuntze le statut d’ « employé » ou le statut de « personne »

 

[80]           En conséquence, l’arbitre a juridiction pour entendre et disposer de la plainte présentée par monsieur Kuntze au motif qu’il est une « personne » au sens de l’article 240 du Code et cela même s’il rend ses services de camionnage par l’entremise d’une société incorporée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Le dossier soit retourné à l’arbitre pour qu’il entende l’affaire sur le fond et dispose de la plainte présentée selon le paragraphe 240(1) du Code canadien du travail par le défendeur, monsieur Gunter M. Kuntze.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1469-05

 

INTITULÉ :                                       C.P. SHIPS TRUCKING LTD.

(anciennement connue sous le nom de Cast Transport inc.)

c.

GUNTER M. KUNTZE

et

ENTREPRISE GUNDER M. KUNTZE ET FILS INC.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 23 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 22 novembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Martin Jutras

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Eric Levesque

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KAUFMAN LARAMÉE

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

PEPIN ET ROY, avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.