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Date : 20071130

Dossier : T-1424-07

Référence : 2007 CF 1254

 

IN THE MATTER OF THE INCOME TAX ACT

 

and

 

IN THE MATTER OF A TAX ASSESSMENT MADE BY THE CANADA REVENUE AGENCY UNDER THE INCOME TAX ACT

 

AGAINST:

JEANETTE WACHSMANN-ZAHLER

6243 Wilderton Avenue

Montréal, Québec

H3S 2L3

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE PINARD

 

[1]               Il s’agit ici d’une requête en vertu du paragraphe 8 de l’article 225.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).

 

[2]               Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes :

  225.2 (2) Malgré l’article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l’égard du montant d’une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu’il estime raisonnables dans les circonstances, s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

 

  [. . .]

 

 

  (8) Dans le cas où le juge saisi accorde l’autorisation visée au présent article à l’égard d’un contribuable, celui-ci peut, après avis de six jours francs au sous-procureur général du Canada, demander à un juge de la cour de réviser l’autorisation.

 

  225.2 (2) Notwithstanding section 225.1, where, on ex parte application by the Minister, a judge is satisfied that there are reasonable grounds to believe that the collection of all or any part of an amount assessed in respect of a taxpayer would be jeopardized by a delay in the collection of that amount, the judge shall, on such terms as the judge considers reasonable in the circumstances, authorize the Minister to take forthwith any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) with respect to the amount.

 

  [. . .]

 

  (8) Where a judge of a court has granted an authorization under this section in respect of a taxpayer, the taxpayer may, on 6 clear days notice to the Deputy Attorney General of Canada, apply to a judge of the court to review the authorization.

 

* * * * * * * * * *

 

[3]               Le 3 août 2007, le juge François Lemieux de cette Cour a autorisé l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), dont le ministre du Revenu national est responsable, à prendre immédiatement, à l’encontre de la débitrice fiscale Jeanette Waschsmann-Zahler (la contribuable), une ou plusieurs des mesures de recouvrement prévues au paragraphe 225.1(1) de la Loi. Cette autorisation a été accordée sur la base d’une preuve faisant état, notamment, des faits suivants :

-                     Le 25 octobre 2004, l’ARC a émis à l’encontre de la contribuable quatre avis de nouvelle cotisation portant sur les années fiscales 1997 à 2000 (les avis). Les avis sont fondés sur un revenu non déclaré d’un gain en capital de 1 193 333 $, sur une récupération d’amortissement non déclaré de 685 540 $ et sur des dépenses d’intérêts refusées. L’ARC réclamait alors, par les avis, un impôt à payer de 980 324,82 $. Quant au gain en capital imposable, il découle de la vente, au mois de septembre 2000, d’un immeuble situé à Mississauga (Ontario), immeuble dans lequel la contribuable détenait apparemment des intérêts.

-                     Après confirmation par le ministre du Revenu national, le 11 décembre 2006, des avis de cotisation auxquels la contribuable s’était opposée, celle-ci en a appelé à la Cour canadienne de l’impôt. Cet appel est toujours pendant.

-                     Par ailleurs, depuis l’émission des avis, la contribuable n’a fait parvenir à l’ARC aucun paiement, de sorte qu’au 26 juillet 2007, la dette fiscale de la contribuable s’élevait à 1 213 651,06 $.

-                     Entre les années fiscales 2001 à 2006, la contribuable a déclaré au ministre du Revenu national un revenu annuel imposable moyen de 9 191,83 $.

-                     Le 23 septembre 2005, en réponse à une demande de divulgation d’actifs émanant de la division du recouvrement de recettes de l’ARC, la contribuable a déclaré des actifs totalisant 510 551,96 $, dont un condominium situé à Montréal (Québec), où elle résidait, évalué aux fins de taxation foncière à 324 900 $, et des placements de 185 651,96 $, dont 165 000 $ étaient déposés dans des banques européennes.

-                     À la même époque, la contribuable a précisé que son condominium était à vendre et que ses placements avaient été faits en Belgique. Au moment de la présentation de la requête pour l’obtention de l’autorisation en vertu du paragraphe 225.2(2) de la Loi, l’ARC ignorait l’état de ces placements.

-                     Le 19 juillet 2007, Mark Fidanza, qui était alors l’agent de recouvrement de l’ARC responsable du dossier de la contribuable, a appris que le 3 juillet 2007, elle avait vendu son condominium situé au 6111, avenue du Boisé, appartement 2F, à Montréal (Québec), au prix de 450 000 $, payé comptant par l’acquéreur.

-                     Le 20 juillet 2007, monsieur Fidanza a obtenu de Canada Trust un état de compte révélant que le solde du compte de la contribuable était alors de 427 885 $ provenant vraisemblablement de la vente de son condominium.

-                     À la même date, monsieur Fidanza a demandé à Canada Trust un relevé de tout compte que détenait la contribuable à cette institution. Les états de compte de la Banque Toronto Dominion ont été reçus par l’ARC le 30 juillet 2007.

-                     Au temps de l’obtention de l’ordonnance en cause du juge Lemieux, l’ARC n’avait connaissance d’aucun autre actif saisissable inscrit dans lequel elle aurait eu des droits ou intérêts.

-                     Au soutien d’une requête ex parte présentée dans le cadre d’une poursuite qu’elle avait intentée en Ontario contre son frère et sa belle-sœur pour recouvrer sa part du produit de la vente faite en septembre 2000 de l’immeuble situé à Mississauga (Ontario), elle avait omis de divulguer certains faits qui auraient pu influer sur le montant auquel elle aurait pu avoir droit.

 

[4]               La preuve obtenue depuis l’émission de l’autorisation en cause du juge Lemieux révèle en outre ce qui suit :

-                     Le 3 août 2007, suite à l’autorisation en cause accordée par le juge Lemieux, l’ARC a signifié à la succursale de la Banque Toronto Dominion (Canada Trust) située au 1555, avenue Van Horne (Montréal), cette ordonnance de la Cour autorisant la prise immédiate d’une ou plusieurs mesures de recouvrement décrites au paragraphe 225.1(1) et une demande formelle de paiement fondée sur l’article 224 de la Loi. Si la banque a remis 4 234,53 $, elle a refusé de remettre le solde du compte no 3114613 au motif que ce compte était conjoint.

-                     Toutefois, selon les relevés que la banque a fournis à l’ARC, les comptes visés par la demande formelle de paiement appartiennent uniquement à la contribuable. Seul son nom y est mentionné en tant que titulaire.

 

* * * * * * * * * *

 

[5]               Les principes et la jurisprudence applicables à la révision de l’autorisation accordée en vertu du paragraphe 225.2(2) de la Loi ont été bien résumés par le juge Lemieux dans Canada (ministre du Revenu national) c. Services M.L. Marengère Inc., [1999] A.C.F. no 1840, aux paragraphes 62 et 63 :

     Les dispositions actuelles de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant le recouvrement de protection ont été édictées en 1988; elles précisent les dispositions qui existaient antérieurement en ce sens qu'elles prévoient l'autorisation et la supervision de cette cour. Cette cour a clairement établi les principes juridiques applicables à l'examen d'une ordonnance de protection ex parte qui est effectué en vertu du paragraphe 225.2(8), comme le montrent les jugements Danielson c. Canada (Sous-procureur général), [1987] 1 C.F. 335 (1re inst.), 1853-9049 Québec Inc. c. la Reine, [1987] 1 C.T.C. 137 (1re inst.), Canada c. Satellite Earth Station Technology Inc., [1989] 2 C.T.C. 291 (1re inst.) et Sa Majesté la Reine c. Robert Duncan, [1992] 1 C.F. 713 (1re inst.).

 

     Les principes ci-après énoncés ressortent de la jurisprudence :

 

(1)

 

La disposition concernant le recouvrement de protection porte sur la question de savoir si le délai qui découle normalement du processus d'appel compromet le recouvrement. Il ressort du libellé de la disposition qu'il est nécessaire de montrer qu'en raison du délai que comporte l'appel, le contribuable sera moins capable de verser le montant de la cotisation. En d'autres termes, il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis, mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.

 

(2)

 

En ce qui concerne le fardeau de la preuve, la personne qui présente une requête en vertu du paragraphe 225.2(8) a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) n'a pas été respecté, c'est-à-dire que l'octroi d'un délai pour payer le montant de la cotisation compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant. Toutefois, la Couronne a le fardeau ultime de justifier l'ordonnance de recouvrement de protection accordée sur une base ex parte.

 

(3)

 

La preuve doit démontrer que, selon toute probabilité, il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compromette le recouvrement. Il ne s'agit pas de savoir si la preuve démontre au-delà de tout doute raisonnable que le délai accordé au contribuable compromettrait le recouvrement du montant en question.

 

(4)

 

Le ministre peut certainement agir non seulement dans les cas de fraude ou dans les situations qui s'y apparentent, mais aussi dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour se soustraire au fisc : bref, pour parer à toute situation où les actifs d'un contribuable peuvent, à cause de l'écoulement du délai, fondre comme neige au soleil. Toutefois, le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse compromettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. Comme le juge Rouleau l'a dit dans la décision 1853-9049 Québec Inc., supra, il s'agit de savoir si le ministre a des motifs raisonnables de croire que le contribuable dilapiderait, liquiderait ou transférerait autrement son patrimoine, de façon à compromettre le recouvrement du montant qui est dû. Le ministre doit démontrer que les actifs du contribuable peuvent entre-temps être liquidés ou faire l'objet d'une saisie de la part d'autres créanciers et ainsi lui échapper.

 

(5)

 

Une ordonnance de recouvrement ex parte est un recours exceptionnel. Revenu Canada doit faire preuve d'une extrême bonne foi et faire une divulgation franche et complète. Sur ce point, le juge Joyal a fait les remarques suivantes dans la décision Peter Laframboise c. La Reine, [1986] 3 C.F. 521, à la page 528 :

 

 

 

     L'argument des avocats du contribuable pourrait être défendable si les éléments de preuve dont je dispose se limitaient à ce seul affidavit. Mais, comme les procureurs de la Couronne me l'ont rappelé, j'ai le droit de prendre connaissance de tous les éléments que renferment les autres affidavits. Ceux-ci pourraient aussi faire l'objet d'une savante analyse quant aux motivations profondes du déposant, mais je trouve que, dans l'ensemble, les éléments essentiels que renferment ces affidavits ainsi que la preuve qu'ils apportent satisfont aux critères établis et sont suffisamment étayés pour justifier les mesures prises par le Ministre.

 

 

 

Dans la décision Duncan, supra, après avoir cité les remarques que le juge Joyal avaient faites dans la décision Laframboise, supra, le juge en chef adjoint Jérome a dit que le ministre doit faire une divulgation suffisante (raisonnable).

 

 

 

[6]               Appliquant tous ces principes au présent cas, je suis d’avis que la contribuable n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant des motifs raisonnables de douter que le ministre se soit initialement déchargé du fardeau que lui impose le paragraphe 225.2(2) de la Loi, et qu’elle n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant que le ministre n’a pas adéquatement divulgué tous les faits pertinents.

 

[7]               En effet, tous les faits ci-dessus rapportés ne sont pas contestés. La contribuable ne fait qu’en proposer une autre interprétation, ce qui n’est pas suffisant pour la décharger de son fardeau de preuve d’établir des motifs raisonnables de douter que le ministre ne se soit pas déchargé du sien.

 

[8]               Pour le reste, la requête en révision de l’autorisation repose essentiellement sur l’allégation que le ministre aurait omis de divulguer des faits, principalement l’existence de la lettre que Me Isaac Grubner lui a envoyée le 5 février 2002, faits reliés à la justesse des avis de cotisation émis le 25 octobre 2004. De plus, au sujet du contenu de la lettre de Me Grubner, le ministre, dans sa requête devant le juge Lemieux, a reconnu qu’il était possible que la contribuable n’ait pas reçu sa part du bénéfice découlant de la vente de l’immeuble. Or, la question de savoir si l’escroquerie dont la contribuable se dit victime lui aurait permis d’inscrire un produit de disposition nul et d’être imposée en conséquence relève de la Cour canadienne de l’impôt.

 

[9]               Comme le souligne justement le procureur du ministre, si cette preuve est pertinente à l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt, elle ne l’est pas dans le cadre de la présente requête, puisqu’un avis de cotisation est présumé valide tant qu’il n’a pas été modifié au stade de l’opposition ou par un tribunal (paragraphe 152(8) de la Loi; Ministre du Revenu national c. MacIver, [1999] 4 C.T.C. 203, au paragraphe 7; Marengère Inc., ci-dessus, aux paragraphes 63 et 67 et Canada (ministre du Revenu national) c. Arab, 2005 CF 264, au paragraphe 17). De toute façon, dans le contexte de toute la preuve déposée devant le juge Lemieux, je ne vois rien dans la lettre de Me Gruber qui aurait pu avoir une incidence importante sur la décision d’autoriser ou non la prise immédiate d’une ou plusieurs mesures de recouvrement.

 

[10]           Faut-il enfin rappeler que l’étendue de la divulgation à laquelle le ministre est soumis doit être interprétée en tenant compte du fardeau particulier de preuve qu’il doit rencontrer, à savoir établir qu’il existe des motifs raisonnables de croire que d’accorder un délai à la contribuable pour s’acquitter de sa dette fiscale mettrait en péril le recouvrement.

 

[11]           En ce qui concerne la demande de la contribuable d’une ordonnance subsidiaire à l’effet qu’une partie de la saisie lui soit rendue, je la trouve mal fondée en droit. La Loi ne prévoit pas la possibilité de réduire le montant de la dette fiscale recouvrable par le mécanisme prévu à l’article 225.2 pour tenir compte de la situation financière de la contribuable. Comme le souligne l’avocat du ministre, si le Parlement avait eu une telle intention, il aurait simplement adopté une disposition précise à cet effet, comme il l’a d’ailleurs fait dans le contexte des ordonnances de blocage en droit criminel, une procédure de saisie avant jugement qui présente certaines similitudes avec les dispositions de recouvrement compromis (Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46). À mon sens, il faut déduire du silence du législateur qu’il n’entendait pas donner cette possibilité au contribuable soumis à une ordonnance rendue en vertu de l’article 225.2 de la Loi.

 

[12]           Quant à la demande particulière que soient rendues à sa mère les rentes mensuelles que la contribuable perçoit de sources inconnues, cette dernière, de plus, n’a pas qualité pour en demander la restitution si ces sommes appartiennent bel et bien à sa mère. La contribuable ne peut plaider pour autrui. Il appartient à sa mère, dans les circonstances invoquées, de s’opposer en bonne et due forme à la saisie en déposant toute preuve pertinente.

 

* * * * * * * * * *

 

 

[13]           Pour toutes ces raisons, la requête en révision présentée par la contribuable est rejetée, avec dépens.

« Yvon Pinard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 novembre 2007


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1424-07

 

INTITULÉ :                                       IN THE MATTER OF A TAX ASSESSMENT MADE BY THE CANADA REVENUE AGENCY UNDER THE INCOME TAX ACT AGAINST JEANETTE WACHSMANN-ZAHLER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Le 7 novembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 novembre 2007

 

 

COMPARUTION :

 

 

Me Louis-Frédérick Côté

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

(DÉBITRICE FISCALE)

Me Ian Demers

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

McMillan Binch Mendelsohn

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

(DÉBITRICE FISCALE)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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