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Date : 20071130

Dossier : IMM-6423-06

Référence : 2007 CF 1259

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

CHARITY MALUNGA

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Charity Malunga est une Zimbabwéenne qui a demandé l’asile en se fondant sur ses opinions politiques. Elle dit qu’elle est membre du parti appelé Mouvement pour le changement démocratique (MDC), au Zimbabwe, et que, pour cette raison, elle craint d’être persécutée par les membres du parti au pouvoir, le Zanu–PF.

 

[2]        Sa demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) parce que la SPR n’a pas cru son témoignage. En dépit des observations approfondies et réfléchies de l’avocate du ministre, la demande de contrôle judiciaire est accueillie parce que la SPR a commis une erreur de droit en ne tirant pas de conclusions précises sur la crédibilité de la demanderesse. De plus, hormis les doutes qu’elle avait sur la crédibilité de la demanderesse, la SPR, se fondant sur la preuve qu’elle avait devant elle, a commis une erreur de droit lorsqu’elle n’a pas évalué les conséquences de l’adhésion avérée de Mme Malunga au MDC.

 

Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité

[3]        La SPR a commencé ainsi son analyse de la crédibilité :

En raison d’un grand nombre d’incohérences, d’invraisemblances et de certaines omissions importantes dans l'exposé circonstancié du FRP de la demandeure d'asile, le tribunal a de sérieux doutes relativement à la véracité de la principale allégation de la demandeure. Celle-ci dit craindre d’être exécutée par le Zanu-PF si elle retourne au Zimbabwe en raison de ses démêlés avec ce parti, lesquels ont motivé sa fuite. Les motifs de la décision du tribunal suivent. [Non souligné dans l’original.]

 

[4]        La SPR a alors passé en revue les cinq difficultés que lui causait le témoignage de la demanderesse :

 

i)          Son comportement. La SPR a relevé qu’elle avait dû à plusieurs reprises prier la demanderesse de répondre à ses questions, ajoutant que, selon elle, ses réponses semblaient plutôt évasives.

 

ii)         Le même jour où l’avocat de la demanderesse avait déposé un rapport médical auprès de la SPR, il avait également modifié le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse. La modification tempérait une déclaration contenue dans son FRP selon laquelle les coups que lui avait administrés une milice du Zanu-PF lui avaient fracturé le doigt. Dans la modification, la demanderesse écrivait que son droit, déjà fracturé, avait été meurtri à nouveau durant la correction. La SPR en a conclu que la demanderesse avait « dans le meilleur des scénarios, exagéré ses blessures et, dans le pire des scénarios, les [avait] inventés, de même que l’événement avec la milice ».

 

iii)         La SPR a constaté une « grave incohérence inexpliquée » dans le témoignage de la demanderesse, parce qu’elle écrivait dans son FRP que la milice du Zanu-PF lui avait dit qu’il « lui restait 30 jours à vivre ». Au point d’entrée, elle avait dit à un agent d’immigration : « J’avais 30 jours pour partir, sans quoi ils me tueraient ».

 

iv)        La SPR a constaté une autre « omission grave » dans l’exposé circonstancié de son FRP. Au point d’entrée, elle avait écrit, dans sa déclaration générale, que « quelqu’un est venu à mon lieu de travail et m’a fait comprendre qu’il allait me tuer ». Dans son FRP, elle avait simplement écrit que « ces agresseurs se sont également rendus à mon lieu de travail pour me persécuter ». (Le FRP mentionnait explicitement que l’exposé circonstancié était un résumé et que d’autres détails seraient communiqués au cours de l’audience).

 

v)         La demanderesse avait parlé d’une menace qu’elle avait reçue par téléphone. Son interlocuteur lui disait qu’ils arrivaient pour la tuer. La SPR a trouvé invraisemblable que quelqu’un résolu à faire du mal à la demanderesse lui communique par téléphone son intention.


 

[5]        La Commission a alors conclu ainsi son analyse touchant la crédibilité :

Il est possible que, lorsqu’elles sont examinées individuellement, certaines des conclusions du tribunal ne puissent, séparément, appuyer une conclusion générale de non-crédibilité. Toutefois, le tribunal estime que c’est l’effet cumulatif des incohérences, des invraisemblances et des omissions importantes qui l’amène à ne pas croire la demandeure d'asile et à conclure qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée si elle retourne au Zimbabwe.

 

En ce qui concerne la carte de membre du MDC de la demandeure d'asile déposée en preuve, le tribunal estime que l’appartenance au MDC ne peut pas constituer en soi le fondement d’une crainte réelle d’être persécutée s’il n’a pas jugé cette crainte crédible. Il ne peut donc pas accorder d’importance à la simple appartenance au MDC comme facteur étayant les faits sous-jacents du récit de la demandeure d'asile.

                        [Non souligné dans l’original; notes en bas de page omises]

 

Les principes juridiques applicables

[6]        Il est bien établi en droit que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont des conclusions de fait qui doivent être revues selon la norme de contrôle la plus accommodante. Cependant, deux autres principes de droit intéressent également la décision de la SPR.

 

[7]        D’abord, la SPR est tenue de tirer des conclusions précises sur les faits auxquels elle ajoute foi ou non. Voir par exemple l’arrêt Pour c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. n° 1282 (C.A.), et l’arrêt Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312.

 

[8]        Deuxièmement, la SPR est tenue d’évaluer toute preuve qu’elle juge crédible. S’il en est ainsi, c’est parce que, lorsqu’un demandeur d’asile est jugé non crédible, il pourra néanmoins être considéré comme un réfugié si d’autres preuves répondent aux conditions de l’octroi de ce statut. Voir l’arrêt Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.).

 

Application du droit à la décision de la SPR

[9]        Comme je l’ai indiqué plus haut, la SPR ne dit nulle part dans ses motifs quelles preuves, selon elle, étaient crédibles ou non crédibles. Elle semble avoir accepté que Mme Malunga est membre du MDC; cependant la Cour est laissée dans l’incertitude sur la question de savoir si la SPR a refusé de croire l’ensemble du témoignage de la demanderesse ou seulement « la véracité de la principale allégation ». La SPR a donc commis une erreur de droit, et sa décision sera annulée.

 

[10]      La SPR a aussi commis une erreur en ne tenant pas compte des conséquences de l’appartenance de la demanderesse au MDC. Elle a relevé à juste titre que la simple appartenance de la demanderesse au MDC ne rendait pas véridique son témoignage, mais la documentation que la SPR avait devant elle à propos des conditions ayant cours dans le pays obligeait la SPR à évaluer les conséquences d’une telle appartenance.

 

[11]      Ainsi, le rapport de 2005 du Département d’État des États-Unis sur le Zimbabwe indiquait ce qui suit :

 

·        durant toute la période au cours de laquelle la demanderesse disait avoir été persécutée, les personnes considérées comme des partisans de l’opposition couraient le risque d’être agressées ou victimes d’intimidations;

·        les partisans du Zanu-PF, parfois avec le soutien ou l’acquiescement des autorités  publiques, intimidaient et violentaient les personnes perçues comme favorables à l’opposition.

 

[12]      J’accepte l’argument de l’avocate du ministre selon lequel, pour être exposée à la persécution, il faudrait que la demanderesse ait été connue ou vue comme sympathisante du MDC, mais la demanderesse a dit devant la SPR qu’elle avait participé à une manifestation contre le pouvoir en place, qu’elle avait distribué des t-shirts et des tracts au nom du MDC et qu’un organisateur local du Zanu-PF l’avait identifiée comme sympathisante du MDC. Il est impossible de savoir, à la lecture des motifs de la SPR, si une partie de ce témoignage a été jugé véridique, et, si oui, laquelle. Au vu de la preuve qu’elle avait devant elle, la SPR était tenue d’examiner si l’appartenance de la demanderesse au MDC pouvait justifier une crainte de persécution.

 

Autres réserves

[13]      Les erreurs susmentionnées font en sorte que la décision de la SPR doit être annulée et que la demande d’asile présentée par la demanderesse doit être étudiée à nouveau par un autre commissaire de la SPR.

 

[14]      Il importe que l’examen soit repris depuis le début et que le commissaire qui s’en chargera ne soit nullement influencé par les conclusions tirées par la SPR sur la crédibilité de la demanderesse. Cela est important parce que je suis d’avis que les conclusions de la SPR sont pour l’essentiel manifestement déraisonnables.

 

[15]      Brèves illustrations :

 

i)          L’avocate du ministre a honnêtement reconnu que la SPR a commis une erreur quand elle a qualifié de « grave incohérence inexpliquée » les propos de la demanderesse selon lesquels « il me restait 30 jours à vivre », et ses propos selon lesquels « j’avais 30 jours pour partir, sans quoi ils me tueraient ». L’avocate a vaillamment fait valoir que c’était là néanmoins une incohérence, mais une incohérence est, à mon humble avis, une distinction sans différence. Comme l’avait expliqué la demanderesse dans son témoignage – mais la SPR n’a pas semblé comprendre – elle avait 30 jours pour partir, sans quoi ses persécuteurs la tueraient passé ce délai. Comme elle l’a dit, au bout de 30 jours, « s’ils constatent que je suis encore là, ils me tueront ».

 

ii)         Deux questions se posent à propos de la difficulté que voyait la SPR dans le fait que le FRP n’expliquait pas la menace proférée sur le lieu de travail d’une manière aussi détaillée que la demanderesse l’avait expliquée au point d’entrée. D’abord, la SPR doit toujours faire une distinction entre le cas où un fait est totalement omis du FRP et le cas où le témoignage ne fait qu’ajouter des détails. Dans ce dernier cas, on ne devrait pas en général tirer une conclusion défavorable. Deuxièmement, si un fait important n’est pas mentionné dans un FRP, alors on sera fondé à croire que le témoignage ultérieur n’est pas véridique, mais plutôt qu’il est une pensée après coup destinée à étayer la demande d’asile. La question ne se pose pas lorsque l’information a été révélée au point d’entrée, avant la rédaction du FRP.

 

iii)         La SPR a estimé qu’il était peu vraisemblable que la demanderesse ait reçu des menaces de mort lui donnant le temps de fuir son domicile, mais elle n’a, semble‑t‑il, pas songé à la possibilité que l’objet de l’appel téléphonique ne fût pas d’avertir la demanderesse, mais plutôt de l’intimider. La SPR aurait dû, avant de dire que le témoignage de la demanderesse n’était pas vraisemblable, se demander si c’était là une explication qui, elle, était vraisemblable.

 

[16]      Finalement, je relève que la SPR n’a exprimé ses doutes, à l’audience, sur le comportement de la demanderesse qu’après l’avoir énergiquement interrogée sur les trois points développés ci‑dessus.

 

[17]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les avocats n’ont pas proposé de question à certifier, et je conviens qu’aucune question du genre ne se pose ici.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés portant la date du 16 novembre 2006 est annulée;

 

2.         L’affaire est renvoyée à une autre formation de la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen, repris depuis le début, conformément aux présents motifs.

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                               IMM-6423-06

 

INTITULÉ :                                             CHARITY MALUNGA

                                                                  c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 14 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 30 NOVEMBRE 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley I. Jesuorobo                                 POUR LA DEMANDERESSE

 

Bridget O’Leary                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley I. Jesuorobo                                 POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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