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Date : 20071130

Dossier : IMM-209-06

Référence : 2007 CF 1265

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

JUAN CARLOS PERALTA RAZO

 

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie au motif que la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) au sujet de la protection de l'État était inadéquate et déraisonnable.

 

[2] M. Peralta Razo est un citoyen du Mexique qui a demandé l'asile en raison des opinions politiques qu'on lui attribue. Il a témoigné qu'à la suite de ses efforts à l'appui du peuple du Chiapas, il a attiré l'attention de la police fédérale préventive (PFP). Des agents de la PFP l'ont emmené de force, l'ont battu, l'ont menacé et l'ont interrogé. Après avoir relâché M. Peralta Razo, la PFP a continué à le rechercher partout au Mexique.

 

[3] La Commission a conclu que le témoignage de M. Peralta Razo était franc et fiable. Elle a cependant conclu qu'il pouvait se prévaloir de la protection de l'État au Mexique. La Commission a exposé trois motifs pour cette conclusion.

 

[4] Premièrement, la Commission a conclu que le bureau du procureur général de la République (PGR) a de vastes pouvoirs et que, si les autorités ne tiennent pas compte des plaintes, « la personne peut s’adresser au bureau du contrôleur interne du PGR. Selon la preuve documentaire, le bureau du PGR a été restructuré en 2001 afin de mettre fin à la corruption interne et de mieux lutter contre le trafic de drogue et le crime organisé. De plus, les personnes qui ont été reconnues coupables de corruption interne ont été suspendues, congédiées ou, dans certains cas, emprisonnée ».

 

[5] Deuxièmement, M. Peralta Razo avait retenu les services d'une avocate à Mexico. La Commission a déclaré : « je ne peux pas comprendre qu’une avocate du Mexique n’ait pas pu l’aider à se présenter à un interrogatoire policier relativement à ses liens antérieurs avec deux personnes [...] qui appuyaient supposément les activités illégales des zapatistes. De plus, j’estime que, si le demandeur d'asile est représenté par une avocate à Mexico, celle-ci devrait être en mesure de le défendre relativement à l’interrogatoire corrompu qu’il a subi le 5 juin 2003. »

 

[6] Finalement, la Commission a conclu qu’il n’y avait aucun mandat d’arrestation non exécuté contre M. Peralta Razo au Mexique.

 

[7] En général, la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable à une analyse de la Commission au sujet de la protection de l'État. Voir : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2007), 362 N.R. 1 (C.A.F.), au paragraphe 38.

 

[8] Une décision est raisonnable si les motifs de la décision résistent à un examen assez poussé. Voir : Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56.

 

[9] En l'espèce, les motifs de la Commission ne résistent pas à un examen assez poussé pour les raisons suivantes.

 

[10] Premièrement, en ce qui a trait au PGR, la Commission a omis d'examiner s'il existait une protection efficace. Il n'est pas suffisant que l'État possède des institutions qui visent à offrir une protection si ces institutions n'offrent pas une protection réelle et adéquate. La Commission devait effectuer une telle analyse compte tenu de la preuve documentaire dont elle était saisie :

                        [traduction]

 

·        Document 2.2, rapport d'Amnistie Internationale de 2005, « Mexique » : la détention arbitraire, la torture et les mauvais traitements infligés par la police constituent toujours un problème généralisé et les autorités n'arrivent pas à combattre ces pratiques ou à assurer un recours judiciaire.

·        Document 2.3, rapport de Human Rights Watch, janvier 2005 « Mexique » : L'une des questions les plus pressantes en matière de droits de la personne au Mexique était la torture et d'autres mauvais traitements infligés par les responsables de l'application de la loi et le défaut d'enquêter et de poursuivre en justice ceux qui sont responsables de violations des droits de la personne.

 

·        Document 10, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, mai 2004, « Mexique : Police » : Les rapports en matière de droits de la personne continuent de décrire les corps policiers mexicains comme étant corrompus et abusifs et continuent de noter que les corps policiers agissent en toute impunité. Les services policiers du Mexique sont loin d'en arriver au point où une plainte d'abus policier sera réglée de façon acceptable.

 

[11]      En ce qui a trait à l'argument de la Commission fondé sur le fait que M. Peralta Razo avait retenu les services d'une avocate à Mexico, une lettre de l'avocate a été déposée en preuve. De plus, une deuxième lettre a été présentée à la demande de la Commission. La Commission semble avoir accepté l'exactitude des renseignements que l'avocate mexicaine a fournis. Cependant, il manquait dans l'analyse de la Commission une explication à savoir comment la participation d'une avocate pouvait protéger M. Peralta Razo, ou pourquoi la Commission avait rejeté le témoignage de l'avocate au sujet de la protection de l'État pour M. Peralta Razo. Ces renseignements étaient nécessaires compte tenu du conseil de l'avocate, qui écrivait : [traduction] « mon client, ayant eu un accrochage avec la police fédérale préventive, n'a pas de marge de manœuvre en ce qui a trait à la procédure judiciaire puisque le problème vient de la même autorité » et [traduction] « tenter d'agir en suivant les formalités légales (en se présentant au même corps policier) reviendrait à s'exposer lui-même ».

 

[12] En termes plus clairs, la Commission n'était pas tenue d'accepter l'opinion de l'avocate. Elle avait cependant l'obligation de rendre des motifs justifiant ce rejet puisqu'elle avait par ailleurs accepté l'exactitude des renseignements fournis par l'avocate.

 

[13] Finalement, la Commission a correctement noté l'absence d'un mandat d'arrestation non exécuté. Cependant, M. Peralta Razo avait été détenu et battu par la police auparavant, même s'il n'y avait pas eu de mandat d'arrestation. Le rapport au sujet du Mexique publié par le Département d'État des États-Unis le 28 février 2005 (document 2.1) signalait que la police continuait de détenir des citoyens de façon arbitraire et que les arrestations et les détentions arbitraires faisaient toujours partie des violations des droits de la personne les plus communes. Compte tenu de cette preuve, la Commission avait l'obligation d'expliquer la pertinence de l'absence d'un mandat d'arrestation par rapport à la question de la protection de l'État.

 

[14] En conclusion, sans que je me prononce sur le sujet, il est possible que la Commission ait pu raisonnablement prendre sa décision en tenant compte de la preuve. Cependant, il n'était pas raisonnable qu'elle rejette la demande d'asile pour les motifs qu'elle a rendus.

 

[15] Aucune question n'a été proposée pour la certification et je conclus que le présent dossier n'en soulève aucune.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés du 22 décembre 2005 est, par conséquent, annulée.

 

2.         L'affaire est renvoyée pour nouvel examen devant un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        IMM-209-06

 

INTITULÉ :                                       JUAN CARLOS PERALTA RAZO

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 27 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 NOVEMBRE 2007

 

Comparutions :

 

J. BYRON M. THOMAS                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Deborah Drukarsh                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. BYRON M. THOMAS                                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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