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Date : 20071214

Dossiers : T-67-07

T-68-07

 

Référence : 2007 CF 1309

 

ENTRE :

ABDOURAHMAN MOHAMED SADICK

Demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE PINARD

 

[1]               Il s’agit ici de demandes de contrôle judiciaire de deux décisions de la Commission canadienne des droits de la personne (ci-après la « Commission »). La Commission a rejeté les plaintes du demandeur contre son employeur à l’effet que ce dernier avait agi de façon discriminatoire.

 

* * * * * * * *

[2]               Le demandeur a été employé comme agent de soutien administratif de niveau CR-04 du 1er août 2001 au 26 mai 2004. Du 1er août 2001 au 2 juin 2003, il a travaillé sous la direction de monsieur Alain Belleville. Suite à des difficultés entre eux et aussi avec un autre employé, le demandeur a reçu une mutation temporaire à l’unité des renseignements ministériels, sous la direction de madame Ginette Giroux.

 

[3]               Le demandeur a été en congé de maladie du 23 juillet 2003 au 16 novembre 2003. À son retour, il a été placé à nouveau dans l’unité de l’administration des droits publics, sous la supervision de madame Suzanne Cardinal. Le demandeur est retourné en congé de maladie en février 2004. Son contrat n’a pas été renouvelé et il n’est plus sur la liste des employés depuis le 26 mai 2004.

 

[4]               Le 26 mai 2004, le demandeur a déposé une première plainte auprès de la Commission, alléguant que son employeur avait fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique.

 

[5]               Le 30 août 2005, le demandeur a déposé une deuxième plainte auprès de la Commission, alléguant avoir eu connaissance de nouveaux faits et documents et que son employeur avait fait preuve de discrimination envers lui en raison de sa race, de son origine nationale ou ethnique et de sa déficience, ce qui aurait mené à son licenciement.

 

* * * * * * * *

[6]               Louise Chamberland a fait enquête pour la Commission et a préparé deux rapports d’enquête, le 26 mai 2006, où elle a recommandé que les deux plaintes soient rejetées.

 

[7]               Relativement à la première plainte, le demandeur a désigné 34 témoins. De ces témoins, l’enquêtrice a consulté ceux qu’elle considérait comme les plus pertinents ainsi que quelques autres choisis au hasard. Ces témoins incluent les superviseurs du demandeur, Diane Burrows, qui était la superviseuse de monsieur Belleville, et quelques collègues du demandeur. L’enquêtrice a étudié les nombreux éléments de la plainte et a résumé les représentations du demandeur, du défendeur et des témoins qu’elle a interrogés. Elle a déterminé que la preuve n’appuyait pas les allégations du demandeur, qu’elle a plutôt révélé que celui-ci avait des problèmes de rendement et d’assiduité au travail, et que la gestion avait fait de son mieux pour l’aider à améliorer son rendement.

 

[8]               Concernant la deuxième plainte, l’enquêtrice a résumé les représentations des parties et des témoins, pour déterminer que « la preuve a démontré que le plaignant avait des problèmes de rendement et d’assiduité au travail, ce dans les trois postes qu’il a occupés, » et que c’était ceci, non la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale, ou la déficience du demandeur qui constituait la raison pour laquelle son contrat n’avait pas été renouvelé.

 

[9]               Les deux rapports ont été divulgués aux parties et, suite aux réponses de ces dernières, la Commission a communiqué ses décisions par lettre datée du 12 décembre 2006 :

. . . la Commission a décidé, en vertu de de [sic] l’alinéa 44(3)(b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte (20040511) parce que

 

·        la preuve n’appuie pas les allégations du plaignant selon lesquelles il aurait fait l’objet de harcèlement et de traitement différentiel en raison de sa race, sa couleur, et son origine ethnique.

 

     Relativement à la plainte (20051699), la Commission a aussi décidé, en vertu de de [sic] l’alinéa 44(3)(b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte parce que

 

·        les éléments de preuve recueillis n’appuient pas l’allégation du plaignant selon laquelle il a été congédié, en raison de sa race, sa couleur et son origine ethnique ou de sa déficience.

 

 

 

Ce sont ces décisions qui font respectivement l’objet des présentes demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers nos T-67-07 et T-68-07.

 

* * * * * * * *

 

[10]           Les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, (la « Loi ») se lisent comme suit :

  44. (3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

[. . .]

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

  44. (3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

[. . .]

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

 

* * * * * * * *

[11]           Le demandeur se plaint essentiellement d’accrocs à l’équité procédurale dans cette affaire.

 

[12]           Les parties sont d’accord que lorsque la Commission fait une enquête sur une plainte, elles peuvent s’attendre à ce qu'elle procède de façon neutre et rigoureuse. Aucune retenue judiciaire n’est accordée à la Commission si elle n’agit pas conformément aux principes d'équité procédurale (voir Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392 (C.A.) et Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, au paragraphe 56).

 

[13]           En l’espèce, le demandeur prétend que la Commission est en défaut parce que l’enquêtrice a omis d’interroger certains témoins qu’il considère comme clés : l’ombudsman, les représentants syndicaux, le représentant ministériel chargé de la lutte contre le harcèlement en milieu de travail et deux des trois directrices générales. De plus, le demandeur prétend que l’enquêtrice ne s’est pas interrogée pour savoir qui a pris la décision de ne pas renouveler son contrat et donc n’a pas pu déterminer si les motifs de race, origine ethnique ou nationale, ou déficience ont joué un rôle dans cette décision.

 

[14]           Je partage l’avis du défendeur que les témoins suggérés par le demandeur n’auraient en rien contribué à l'enquête, parce qu’ils n’avaient aucune connaissance directe des faits allégués par le demandeur. C’est seulement dans des cas exceptionnels que la Cour peut intervenir dans une décision de la Commission en raison d’une absence d’entrevue (voir, entre autres, Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, [2005] A.C.F. no 543 (C.A.) (QL), Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 2001 CFPI 687, [2001] A.C.F. no 1012 (1re inst.) (QL) et Singh c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 198, [2001] A.C.F. no 367 (1re inst.) (QL)). Ici, l’enquêtrice a interrogé les témoins qui étaient directement impliqués dans les événements qui ont mené aux plaintes du demandeur. L’ombudsman et les représentants syndicaux ont été consultés par le demandeur, mais ces individus n'étaient pas directement impliqués dans les décisions. De la même façon, il n’y a aucune indication que les directrices générales autres que madame Burrows, qui a été interrogée par l’enquêtrice, aient été impliquées dans les décisions concernant le demandeur.

 

[15]           Quant à savoir si des motifs illicites ont joué un rôle dans la décision de ne pas renouveler le contrat du demandeur, il appert que l’enquêtrice ne s’est pas uniquement interrogée sur le rendement de celui-ci, mais qu’elle a aussi déterminé que les motifs illicites allégués par lui n’ont pas joué un rôle dans la décision de ne pas renouveler son contrat. Ma révision du dossier révèle que l’enquête a été suffisamment rigoureuse sur cette question.

 

[16]           De plus, le demandeur semble prétendre que l’enquêtrice n’a pas examiné si l’employeur s’est acquitté de son obligation d’accommodement raisonnable de sa déficience. À mon avis, l’enquête de la Commission a aussi été suffisamment rigoureuse sur cette question. En particulier, dans son rapport, l’enquêtrice fait les remarques suivantes :

Le plaignant allègue qu’aucune mesure n’a été prise par le ministère pour lui venir en aide. Le 03 février 2004, il s’est vu contraint de prendre un deuxième congé de maladie sur les conseils du médecin traitant. Le plaignant ajoute que mesdames Cook [superviseur de Mme Giroux] et Giroux étaient au courant des problèmes qu’il avait eus avec Messieurs Belleville et Virgo [un collègue du demandeur], elles lui ont rapporté que leur milieu de travail serait différent. Il ajoute n’avoir eu aucun problème au niveau de son rendement ou de son assiduité sous la direction de Mme Cook. Le 17 novembre 2003, le plaignant était de retour dans la direction de l'administration des droits publics. Le 14 novembre 2003, son médecin demande à son employeur de l’accommoder.

 

Selon le mis en cause en mai 2003, le plaignant a déposé un grief dans lequel il mentionne avoir été victime de harcèlement de la part de son superviseur et de certains de ses collègues. Afin de résoudre la situation, Mme Burrows a offert au plaignant une nouvelle affectation auprès de l’unité des demandes de renseignements ministériels, un nouveau superviseur, Mme Cook, en lui donnant le minimum d’information sur la situation. Cette affectation a débuté le 4 juin 2003 pour une période initiale de trois mois. Les mêmes difficultés au niveau du rendement et de l’assiduité se sont rapidement manifestées dans ce nouveau poste. [. . .]

 

Le mis en cause explique que le plaignant est retourné au travail dans son ancien poste le 17 novembre 2003. Afin de faciliter sa réintégration, on lui a assigné de nouvelles tâches et un nouveau superviseur, les mêmes difficultés de rendement et d'assiduité se sont manifestées.

 

Selon le mis en cause, Mme Burrows aurait tenté à plusieurs reprises de communiquer avec le médecin du plaignant afin d’obtenir des détails sur les mesures qui pourraient être prises pour aider le plaignant. Le médecin n’a jamais retourné ses appels.

 

 

 

[17]           À mon avis, cet extrait contribue à démontrer que l’enquêtrice a fait les recherches nécessaires sur l’accommodement du demandeur, ce qui exclut l’intervention de la Cour.

 

[18]           Finalement, le demandeur prétend que la Commission avait une obligation de fournir des motifs pour expliquer ses décisions, étant donné le caractère déficient de l’enquête, l’importance de la question posée et la longue période de temps qui s’est écoulée depuis le dépôt des plaintes. Pour sa part, le défendeur plaide que la Loi n’impose aucune obligation à la Commission de motiver ses décisions.

[19]           À cet égard, la Loi est claire que « [l]orsque la décision de la Commission donne effet au rapport de l’enquêteur, la plaignante peut raisonnablement présumer qu’elle a adopté son raisonnement » (Gardner c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 284, [2005] A.C.F. no 1442 (CAF) (QL), au paragraphe 23). Comme l’a bien noté la Cour d’appel fédérale dans Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, au paragraphe 30 : « La Loi n’oblige pas la Commission à donner des motifs et, [. . .] les motifs de la décision de la Commission peuvent se trouver dans le rapport exhaustif remis par l’enquêteur et entériné par la Commission, [. . .] » Vu les rapports d’enquête élaborés, dans la présente affaire, la Commission n’était pas tenue de fournir des motifs distincts additionnels.

 

* * * * * * * *

 

[20]           Pour tous ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées, avec dépens.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

OTTAWA (Ontario)

Le 14 décembre 2007

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      T-67-07 et T-68-07

 

INTITULÉ :                                       ABDOURAHMAN MOHAMED SADICK c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Le 20 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 décembre 2007

 

 

COMPARUTION :

 

 

Me Kibondo Max Kilongozi

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Claudine Patry

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Kibondo Max Kilongozi

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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