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Date : 20071207

Dossier : T-1718-07

Référence : 2007 CF 1291

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES LIMITÉE et

TAP PHARMACEUTICALS INC.

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

NOVOPHARM LIMITÉE et

TAKEDA PHARMACEUTICAL COMPANY LIMITÉE

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Abbott Laboratories Limitée et TAP Pharmaceuticals Inc. (collectivement appelées Abbott) ont demandé par voie de requête une ordonnance enjoignant à Novopharm Limitée (Novopharm) de signifier sa preuve avant qu’Abbott ne signifie la sienne, c’est-à-dire une ordonnance portant que l’ordre de production des éléments de preuve soit inversé. La présente instance concerne une demande présentée en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Le brevet en litige est le brevet canadien no 2,009,741 (le brevet 741).

 

[2]               Il s’agit de la seconde demande d’avis de conformité (AC) présentée à l’égard du brevet 741. Dans l’affaire Abbott Laboratories Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé) (2007), 55 C.P.R. (4e) 48, le juge von Finckenstein était saisi de la question de savoir si la version générique du médicament appelé lansoprazole porterait atteinte au brevet 741 s’il était mis en marché de la manière projetée.

 

[3]               Le juge von Finckenstein a statué qu’il y aurait atteinte au brevet 741 parce que la monographie et l’étiquette du produit fabriqué par Novopharm inciteraient ou encourageraient les médecins à prescrire la version générique de ce médicament en violation du brevet 741.

 

[4]               Novopharm a déposé un nouvel avis d’allégation (AA) concernant sa version générique du médicament après le prononcé de ce jugement. Abbott demande donc que Novopharm dépose sa preuve en premier malgré le fait que c’est Abbott qui demande une ordonnance interdisant la délivrance d’un AC en faveur de Novopharm. 

 

[5]               Abbott invoque les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, soit la nouvelle instruction de la question de l’atteinte. Par conséquent, Abbott fait valoir que Novopharm doit produire une « meilleure preuve » et expliquer pourquoi elle n’a pas présenté au départ ses arguments les plus convaincants, pour éviter que ce deuxième litige ne constitue un abus de procédure.

 

[6]               Bien qu’il soit plutôt illogique pour bien des gens qu’une partie déboutée puisse débattre à nouveau de la question de son AC devant les tribunaux après avoir déposé un nouvel AA, cela se produit parfois en raison de la nature particulière des AC. (Voir Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140)

 

[7]               Novopharm soutient en premier lieu que la Cour n’a pas compétence pour rendre l’ordonnance sollicitée parce que les Règles des Cours fédérales (les Règles) exigent du demandeur qu’il produise sa preuve en premier et, en deuxième lieu, qu’il ne convient pas, de toute manière, de prononcer une ordonnance de ce genre en l’espèce.

 

[8]               Pour les motifs qui suivent, je suis en désaccord avec Novopharm pour ce qui est du premier point, mais je partage son avis quant au second point.

 

A.        Compétence

[9]               L’article 55 confère à la Cour l’autorité de rendre, « dans des circonstances spéciales », une ordonnance dérogeant à la règle habituelle selon laquelle le demandeur doit déposer sa preuve en premier.

 

[10]           Dans le même ordre d’idées, si la procédure de gestion d’instance avait été engagée en l’espèce, ce qui ne s’est pas produit mais qui se produira, le juge ou le protonotaire chargé de la gestion de l’instance aurait eu le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance semblable dans les circonstances indiquées.

 

[11]           En conséquence, la véritable question soulevée dans la présente requête est de savoir s’il convient en l’espèce de rendre une ordonnance inversant l’ordre de production des éléments de preuve et de présentation des observations et s’il existe des circonstances spéciales justifiant une telle ordonnance.

 

B.         Cas particulier / Circonstances indiquées

[12]           La demanderesse invoque ce qu’elle considère comme les faits particuliers de l’espèce, notamment le fait que la même question a déjà été tranchée dans le cadre d’une décision sur un AC. La demanderesse ne dit pas que cette dernière instance concernant un AC constitue un abus de procédure ni qu’elle est visée par le principe de la chose jugée ou celui de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

 

[13]           Il faut amorcer l’analyse du caractère opportun de l’ordonnance demandée en lisant les commentaires du juge Sexton dans Abbott Laboratories, précitée, au paragraphe 46, où il reconnaît la possibilité d’introduire plusieurs instances intéressant un AC qui portent sur l’atteinte à un brevet lorsque les AC respectifs diffèrent grandement de par leur libellé. Ce n’est pas le cas quand on conteste la validité d’un brevet dans le cadre d’un AC.

[14]           Les instances intéressant un AC sont particulières. Une fois l’instance de cette nature introduite, les circonstances dans lesquelles il est permis d’apporter des modifications à un AC sont limtées; en règle générale, le tribunal doit rendre une décision avant que l’on puisse déposer un AC modifié. Le fabricant d’un médicament générique se voit alors imposer un fardeau, car il fait l’objet d’une suspension de deux ans à la suite de la présentation d’un AC modifié, peu importe le bien‑fondé de sa position.

 

[15]           La différence entre la contestation de la validité d’un brevet et la contestation d’un constat d’atteinte quand plusieurs AC sont en cause réside dans les caractéristiques tout à fait distinctes de ces formes de contestation. La contestation de la validité d’un brevet repose sur des faits immuables; le brevet est fixe; il est valide ou ne l’est pas. Pour sa part, la contestation d’un constat d’atteinte se fonde sur l’usage projeté du médicament, usage qui peut être modifié.

 

[16]           Quant à l’atteinte au brevet, le fabricant du médicament décrit l’usage qu’il veut en faire – il incombe alors aux innovateurs de démontrer en quoi cet usage porterait atteinte au brevet.

 

[17]           Compte tenu de la possibilité que des allégations d’atteinte à un brevet donnent lieu à des poursuites concernant un AC, il n’existe aucune circonstance spéciale justifiant un écart à l’ordre normal de la procédure à la suite d’une décision judiciaire sur le même brevet. Le demandeur est le mieux placé pour savoir en quoi le nouveau libellé de l’AC porte atteinte au brevet. 

 

[18]           Il est plus opportun que le juge saisi de l’instance concernant un AC examine la question de savoir si le nouveau libellé de l’AC est très différent de l’ancien, de même que les questions touchant les interrogatoires préalables, la diligence raisonnable et les explications quant à la « présentation des meilleurs arguments ». Il s’agit là d’une façon plus efficace et juste de procéder et aucun argument n’a été avancé ici en vue de faire radier l’AC pour abus de procédure.

 

[19]           La requête est donc rejetée avec dépens en faveur de Novopharm. Puisque la question clé en l’espèce en était une d’atteinte et non de validité, Takeda Pharmaceutical Company Limitée n’avait pas vraiment à prendre part à la présente procédure et aucuns dépens ne lui seront octroyés dans le cadre de cette requête.

 

[20]           Les parties conviennent qu’il serait opportun de gérer la présente instance. La Cour rendra donc une ordonnance distincte portant gestion de l’instance en l’espèce.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée avec dépens en faveur de Novopharm.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1718-07

 

INTITULÉ :                                                   ABBOTT LABORATORIES LIMITÉE

                                                                        et TAP PHARMACEUTICALS INC.

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SANTÉ, NOVOPHARM LIMITÉE et TAKEDA PHARMACEUTICAL COMPANY LIMITÉE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 3 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Leonard

Steven Tanner

 

POUR LES DEMANDERESSES

Jonathan Stainsby

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

NOVOPHARM LIMITÉE

Melissa Binns

POUR LA DÉFENDERESSE TAKEDA  PHARMACEUTICAL COMPANY LIMITÉE

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Heenan Blaikie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

NOVOPHARM LIMITÉE

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE TAKEDA

PHARMACEUTICAL COMPANY LIMITÉE

 

 

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