Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20071211

Dossier : IMM-35-07

Référence : 2007 CF 1298

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

 

ENTRE :

LUIS EDUARDO CASTILLO NAAR,

DEVIS ROCIO SANTAMARIA AMARIS et

ANDREA CAROLINA CASTILLO SANTAMARIA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire, déposée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) concluait le 14 décembre 2006 que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]               Les demandeurs ont demandé l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

 

Le contexte

 

[3]               Luis Eduardo Castillo Naar, Devis Rocio Santamaria Amaris et leur enfant mineure, Andrea Carolina Castillo Santamaria (les demandeurs), citoyens de la Colombie, ont présenté une demande d’asile sur le fondement des articles 96 et 97 de la Loi. Le demandeur principal, Luis Eduardo Castillo, a allégué craindre avec raison d’être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir sa famille, et du fait des opinions politiques qu’on lui impute. Il a décrit les faits à l’origine de sa demande d’asile dans l’exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels (le FRP).

 

[4]               Le père du demandeur principal travaillait comme enquêteur de police au ministère de l’Administration de la sécurité (le MAS), lequel est chargé de l’immigration et de l’émigration des étrangers et de leurs déplacements en Colombie. Son travail consistait notamment à mener des enquêtes, à assurer le maintien de l’ordre et à réunir des éléments de preuve pour la poursuite. Le demandeur principal allègue que son père a été responsable, à l’époque où il travaillait pour le MAS, de l’arrestation de nombreux membres d’organisations de guérilléros (à savoir les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) et l'Armée de libération nationale (l’ELN)), relativement à divers crimes dont le trafic de la drogue.

[5]               Le demandeur principal prétend avoir reçu chez lui, en mai 2005, un appel téléphonique d’un inconnu qui demandait à parler à son père et, lorsqu’il lui a répondu que son père n’était pas là, l’inconnu lui a dit de dire à son père [traduction] « d’être prudent parce que “ nous ” allons finir par lui faire du mal là où le bât blesse le plus, en s’attaquant à ses fils ». Le demandeur principal soutient que l’inconnu a ajouté [traduction]  « nous les avons repérés; nous savons où chacun travaille ». Lorsque le demandeur principal a demandé à l’inconnu les raisons pour lesquelles il lançait de telles menaces, celui-ci a répondu que son père comprendrait.

 

[6]               Le demandeur principal allègue que son père a reçu un appel téléphonique, en juillet 2005, d’un homme chargé de lui rappeler l’appel précédent. Lorsque le père a demandé à l’interlocuteur de s’identifier, celui-ci a répondu [traduction]  « vous saurez qui nous sommes lorsque nous achèverons Luis Eduardo et Jack, et nous savons où ils travaillent ».

 

[7]               Le demandeur principal affirme qu’il a reçu encore un autre appel menaçant en septembre 2005. Même si, selon lui, l’appel ne provenait pas du même homme, ce dernier a répété les mêmes menaces. Le demandeur principal a signalé ces menaces au Bureau du procureur général le 19 octobre 2005. On ne sait trop si les appels téléphoniques ont été interceptés comme le demandeur principal l’avait demandé dans son rapport.

 

[8]               Le 24 octobre 2005, le demandeur principal a quitté la Colombie pour venir au Canada. Il a été envoyé à Toronto par son employeur pour étudier l’anglais à l’Université York. Le 28 octobre 2005, il s’est rendu à un bureau d’Immigration Canada et a informé l’agent qu’il avait l’intention de présenter une demande d’asile.

 

[9]               Le demandeur principal allègue que son père était en chemin vers un centre commercial le 2 novembre 2005, lorsqu’il a été abordé par un homme qui l’a insulté et menacé et qui lui a rappelé l’époque où il travaillait pour le MAS; l’agresseur s’est ensuite éloigné lentement. Le lendemain de l’incident, le père du demandeur principal a fait une déclaration orale à la police de Puerto Colombia au sujet des menaces reçues par téléphone et de l’incident de la veille. Un rapport officiel a été rédigé et la police s’est engagée à faire enquête. Le jour suivant, le père a signalé l’incident au Bureau du procureur général.

 

[10]           Depuis ces incidents, les parents du demandeur principal ont quitté leur ville pour aller vivre ailleurs avec des membres de la famille. Le frère du demandeur principal craint pour sa sécurité mais espère éviter les menaces du fait qu’il voyage beaucoup. L’épouse et l’enfant du demandeur principal demeurent la plupart du temps avec les parents de son épouse. La demande présentée par les demandeurs a été entendue le 9 novembre 2006 et une décision défavorable a été rendue le 14 décembre 2006. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

La décision de la Commission

 

[11]           La Commission a commencé en indiquant que les demandeurs étaient des citoyens du Mexique cherchant à obtenir l’asile. Je constate que les demandeurs ne sont pas des citoyens du Mexique mais de la Colombie. La Commission a ensuite souligné que les questions déterminantes dans l’affaire portaient sur la crédibilité et sur le bien-fondé de la demande. Elle a précisé que tout témoignage rendu sous serment est présumé véridique, à moins qu’il n’existe des raisons valables d’en douter. Elle a également indiqué qu’elle s’était fondée sur le principe énoncé dans l’arrêt Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.), à la page 357, qui établit que la véracité du récit relaté par un témoin doit être évaluée en fonction de la cohérence de ce récit avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et informée jugerait raisonnable dans les mêmes circonstances.

 

[12]           En rendant sa décision, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

  • Elle a jugé que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible ou digne de foi.
  • Elle a conclu que l’affirmation du demandeur principal, selon laquelle les appels téléphoniques de menaces anonymes avaient été faits par des membres des FARC ou de l’ELN, ne reposait que sur des conjectures.
  • Elle n’était pas persuadée que le demandeur principal ou sa famille avaient déjà été abordés ou menacés par les FARC ou l’ELN au cours de la période indiquée par le demandeur principal.
  • La Commission a jugé que le fait que le demandeur principal ne s’est pas enfui de la Colombie vers le Canada à cause des menaces reçues mais pour étudier l’anglais et que sa famille se trouve toujours en Colombie, démentait sa crainte subjective.
  • Compte tenu des conclusions défavorables qu’elle a tirées en matière de crédibilité sur des questions essentielles et pertinentes quant à la demande du demandeur principal, la Commission a conclu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur principal soit persécuté pour l’un des motifs prévus dans la Convention s’il devait retourner en Colombie.

 

[13]           Concernant l’analyse au regard de l’article 97, la Commission a conclu après avoir examiné toute la documentation que rien n’indiquait que le demandeur principal serait exposé à quelque risque que ce soit, en dehors du risque de violence générale régnant en Colombie. Elle a jugé que le demandeur principal ne serait pas exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ni au risque d’être soumis à la torture s’il devait retourner en Colombie. Enfin, la Commission en est arrivée à la même conclusion quant aux autres demandes étant donné qu’elles étaient fondées sur le témoignage du demandeur principal qu’elle a jugé non crédible.

 

Les questions en litige

 

[14]           Les demandeurs ont soumis à l’examen de la Cour les questions suivantes :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve essentiels aux demandes des demandeurs et en rapportant certains de ces éléments de preuve incorrectement?
  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de donner des motifs valables ou un quelconque motif pour justifier sa décision défavorable?
  3. La Commission a-t-elle a commis une erreur en omettant de bien évaluer la question du risque au sens de l’article 97 de la Loi?

[15]           Je reformulerais les questions en litige de la façon suivante :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
  2. La Commission a-t-elle omis de tenir compte de la preuve documentaire pertinente quant aux demandes des demandeurs?
  3. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible ni digne de foi?
  4. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse distincte au regard de l’article 97?

 

Les prétentions des demandeurs

 

[16]           Les demandeurs ont soutenu que la Commission n’a pas tenu compte, de façon appropriée, de tous les éléments de preuve essentiels à leur demande. Ils ont affirmé être des citoyens de la Colombie et non du Mexique comme la Commission l’avait indiqué. Ils ont soutenu que la Commission avait seulement mentionné un des appels téléphoniques de menaces auxquels le demandeur principal avait répondu et, par conséquent, qu’elle avait commis une erreur en omettant de tenir compte des autres menaces, c’est-à-dire les deuxième et troisième appels téléphoniques, l’attaque contre son père et la filature de son épouse.

 

[17]           Les demandeurs ont plaidé que la Commission a eu tort d’affirmer sans réserve que le demandeur principal avait soutenu « avoir été pris pour cible par les [FARC] ou par [l’ELN] » et de déclarer que son témoignage sur l’identité des auteurs des menaces « ne reposait que sur des conjectures ». Les demandeurs ont fait valoir que le demandeur principal n’avait pas simplement fait d’allégation ou de supposition au sujet de l’identité de ces personnes, mais qu’il avait écrit dans son FRP, et témoigné à l’audience, qu’il était possible qu’il ait été ciblé par des criminels ordinaires à l'arrestation et à l'incarcération desquels son père avait participé. Quoi qu'il en soit, les demandeurs ont plaidé que les conclusions de la Commission, selon lesquelles compte tenu de l’incertitude quant à l’identité des personnes en question les demandes n’étaient pas crédibles, sont déraisonnables.

 

[18]           Les demandeurs ont soutenu qu’en concluant que « rien dans les rapports rédigés par le Bureau du procureur général ou par la police ne permet[tait] de confirmer qu’il s’agissait bien des FARC ou de l’ELN » qui avaient fait les menaces, la Commission a mal interprété la nature de ces documents. Les demandeurs ont fait valoir que les rapports ne contenaient que des observations et qu’il revenait aux autorités de faire enquête et d’établir l’identité des auteurs des menaces. Les rapports décrivent les incidents mais ne précisent pas l’identité des personnes mises en cause.

 

[19]           Les demandeurs ont allégué que la décision du demandeur principal, prise alors qu’il était en route vers le Canada, de demander l’asile appuie plutôt que ne « dément », comme la Commission l’a indiqué, la crainte subjective qu’il éprouve. La conclusion de la Commission, selon laquelle le fait que les parents, le frère et la sœur du demandeur principal vivent toujours en Colombie « dément » la crainte subjective, demeure inexpliquée et inexplicable lorsque, dans les faits, les membres de la famille vivent dans la clandestinité.

 

[20]           Les demandeurs ont allégué que les exemples de manque de crédibilité donnés par la Commission sont non fondés ou injustifés puisqu’elle a simplement supposé qu’il existait des incohérences ou des invraisemblances dans le témoignage du demandeur principal. Il convient d’accueillir une demande de contrôle judiciaire lorsque la Commission n’expose pas clairement dans ses motifs si elle a douté de l’exactitude du témoignage du demandeur ou si, d’après la preuve, le demandeur n’a pas réussi à la convaincre qu’il craignait avec raison d’être persécuté.

 

[21]           Les demandeurs ont également allégué que la Commission avait omis de tenir compte de leur situation particulière eu égard à la preuve documentaire concernant la prise pour cible de membres des familles de personnes qui œuvrent ou œuvraient dans l’administration de la justice. Plus particulièrement, les demandeurs ont souligné que, dans le rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le rapport du HCNUR), il est mentionné que les membres des forces de sécurité de l’État, anciens et actuels, et leurs familles font partie des groupes qui sont exposés à un risque accru d'être persécutés et d'être victimes de graves préjudices et, par conséquent, que la Commission devait expressément examiner ce rapport.

 

[22]           Enfin, les demandeurs ont soutenu qu’en rejetant sommairement la demande fondée sur l’article 97 la Commission n’a pas répondu à l’exigence concernant l’analyse qu’elle était tenue de mener puisqu’elle n’a pas effectué une évaluation de nature individuelle du risque.

 

Les prétentions du défendeur

[23]           Le défendeur a soutenu que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir que la Commission avait omis d’examiner toute la preuve. Il a allégué que, bien qu’elle ait mentionné à tort que les demandeurs étaient des citoyens du Mexique, la Commission était manifestement consciente de la nature de la demande des demandeurs et des craintes qu’ils disaient éprouver en Colombie. Les erreurs isolées et sans importance ne soulèvent aucun motif de contrôle judiciaire (Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81; Nyathi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1119; Gan c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2006 CF 1329). Le défendeur a soutenu que la Commission n’avait pas commis d’erreur en omettant de mentionner les autres appels téléphoniques. La Commission est présumée avoir tenu compte de toute la preuve à moins que le demandeur puisse prouver le contraire (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.)). Le défendeur a allégué que la Commission avait bel et bien examiné le deuxième appel téléphonique et les rapports sur les autres incidents et que, par conséquent, l’argument des demandeurs est sans fondement. Au sujet des conclusions en matière de crédibilité, il a souligné que les demandeurs avaient de toute évidence fondé leur demande sur l’allégation selon laquelle ils étaient vraisemblablement la cible des FARC ou de l’ELN. Ainsi, il était raisonnable que la Commission conclue, compte tenu de la preuve incertaine dont elle était saisie, que les demandeurs n’avaient jamais été abordés ou menacés par les FARC ou l’ELN. Le défendeur a allégué que les demandeurs contestent en fait l’appréciation de la preuve et les conclusions de fait, lesquelles doivent faire l'objet du plus haut degré de retenue judiciaire (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194).

 

[24]           Le défendeur a allégué que les demandeurs n’ont pas soulevé de question grave quant au caractère insuffisant des motifs exposés par la Commission. Il a soutenu que les conclusions de la Commission étaient raisonnables, et que sa décision était suffisamment étayée. Il a aussi soutenu qu’en fait les demandeurs ne contestent pas le caractère insuffisant des motifs, mais plutôt le caractère déraisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle leur crainte subjective n’était pas crédible. Lorsque la norme de contrôle est celle du caractère manifestement déraisonnable, il ne suffit pas de présenter un autre raisonnement  même dans le cas où il peut s'agir d'une explication raisonnable. Ce que les demandeurs doivent faire, c'est souligner une conclusion de la Commission qui n'est aucunement étayée par la preuve (Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 11).

 

[25]           Le défendeur a fait valoir que la prétention des demandeurs, selon laquelle la Commission a commis une erreur en procédant à une analyse sommaire de la demande fondée sur l’article 97, ne soulève aucune question grave qui justifie un contrôle judiciaire. Il a soutenu que, sans preuve crédible sur les éléments essentiels et pertinents de la demande, il était raisonnable que la Commission conclue que les demandeurs ne seraient pas exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ni au risque d’être soumis à la torture, s’ils devaient retourner en Colombie. Lorsqu’il n’existe aucun élément de preuve crédible pour démontrer qu’une demande est fondée sur l’un ou l’autre des motifs de protection prévus à l’article 97 de la Loi, la Cour a jugé qu’il était raisonnable que la Commission rejette la demande (De Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1141, aux paragraphes 9 à 12; Hersi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 426, au paragraphe 7, Nyathi, précitée, au paragraphe 21, Alas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1441, au paragraphe 14).

 

L’analyse et la décision

 

[26]           La première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Dans son examen de la preuve documentaire, la Commission peut évaluer la valeur probante de la preuve, y compris les éléments documentaires, et la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions tirées est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Akhter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 914).

 

[27]           La norme de contrôle à appliquer aux conclusions tirées par la Commission en matière de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable; les conclusions appellent un degré élevé de retenue judiciaire (voir Juan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 809, au paragraphe 2).

 

[28]           Je propose d’aborder la troisième question.

 

[29]           La troisième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible ni digne de foi?

            Les demandeurs plaident que la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible ni digne de foi. Le défendeur soutient que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité appellent le plus haut degré de retenue judiciaire et qu’elles ne devraient pas être modifiées par le tribunal sauf si la Commission ne disposait pas d’éléments de preuve susceptibles de les étayer.

 

[30]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les conclusions quant à la crédibilité appellent le plus haut degré de retenue judiciaire. Dans la décision Juan, précitée, la juge Dawson de la Cour a exposé ce qui suit au paragraphe 2 :

La norme de contrôle à appliquer aux conclusions tirées par la Commission en matière de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Ces conclusions appellent un degré élevé de retenue parce que, suivant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, c'est à la Commission qu'il revient de tirer des conclusions de fait et de se prononcer sur la crédibilité des demandeurs d'asile, puisque c'est elle qui est à même d'observer directement leur comportement et celui des autres témoins qui comparaissent devant elle.

 

 

[31]           Cependant, la juge Dawson a ajouté au paragraphe 4 que, lorsque la Commission conclut à un manque de crédibilité en se fondant sur des inférences concernant la vraisemblance de la preuve :

 […] il faut que la preuve permette d'étayer les inférences en question (voir, par exemple, le jugement  Miral c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 254 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 25). Autrement dit, les inférences ne peuvent être fondées sur de simples réactions intuitives face à la preuve.

 

 

[32]           À la page 3 de sa décision, la Commission écrit :

Ce dernier a d’ailleurs expliqué au cours de son témoignage qu’il n’avait pas fui la Colombie à cause des menaces, mais qu’il avait plutôt été envoyé au Canada, dans le cadre de son emploi, pour apprendre l’anglais. Son témoignage a révélé qu’il avait décidé de demander l’asile après avoir eu une conversation avec une autre personne hispanophone dans l’avion qui l’amenait au Canada. Cette information, associée au fait que le père, la mère, le frère et la sœur du demandeur d’asile vivent toujours en Colombie, dément, selon le tribunal, sa crainte subjective. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[33]           À mon avis, la conclusion de la Commission, selon laquelle la crainte subjective des demandeurs est démentie par le fait que le demandeur principal n’est pas venu au Canada à l’origine pour demander l’asile et que des membres de sa famille vivent toujours en Colombie, est manifestement déraisonnable. L’inférence tirée par la Commission, selon laquelle le demandeur principal n’a pas de crainte subjective parce que son intention première en venant au Canada n’était pas de demander l’asile, est fondée sur de simples réactions intuitives face à la preuve. Rien au dossier n’indique que le fait que le demandeur ait décidé de venir au Canada pour une raison et ait plus tard demandé l’asile dément sa crainte subjective. Dans la présente affaire, le demandeur principal allègue également que ce n’est qu’après avoir eu une conversation dans l’avion qui l’amenait au Canada qu’il a appris qu’il pouvait y demander l’asile. De plus, le FRP rédigé par le demandeur principal prouve amplement que, bien que de nombreux membres de sa famille vivent toujours en Colombie, ils ont tous essayé de déménager ou de s’éloigner de l’endroit où les menaces avaient été proférées. En fait, au cours de l’audition de sa demande, le demandeur principal a témoigné que ses parents et son frère faisaient des démarches pour quitter la Colombie. Ce témoignage était au cœur de la conclusion définitive de la Commission en ce qui concerne la crédibilité et l’existence de la crainte subjective.

[34]           La Commission semble également avoir fondé sa décision quant à la crédibilité sur le fait que les personnes ayant effectué les appels téléphoniques n’ont jamais révélé leur identité, que ce soit au demandeur principal ou à son père, et sur le fait que le récit des demandeurs, selon lequel ces personnes étaient des membres des FARC ou de l’ELN, ne reposait « que sur des conjectures ». Ces faits ne justifient pas la conclusion de non-crédibilité tirée par la Commission à l’égard du demandeur principal. Le témoignage du demandeur principal, selon lequel les personnes ayant effectué les appels téléphoniques étaient des membres des FARC ou de l’ELN, n’était pas pure conjecture. Le demandeur principal a indiqué dans son FRP qu’il était presque certain que les   personnes ayant effectué les appels téléphoniques étaient des membres des FARC ou de l’ELN. De toute façon, le simple fait que les auteurs des menaces n’aient pas révélé leur identité ne permet pas de conclure que le demandeur principal n’était pas crédible.

 

[35]           La Commission a également fait mention des rapports de la police et du procureur général, et elle a précisé que rien dans ces rapports ne permettait de confirmer que les personnes ayant effectué les appels téléphoniques étaient des membres des FARC ou de l’ELN. Une fois encore, cela ne saurait servir de fondement pour juger le demandeur principal non crédible.

 

[36]           En somme, je conclus que la décision de la Commission de juger le demandeur principal non crédible était manifestement déraisonnable.

 

[37]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et l’affaire sera renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur elle.

 

[38]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a souhaité que soit certifiée une question grave de portée générale.

             

 


 

JUGEMENT

 

[39]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur elle.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., trad.


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions pertinentes figurant dans la présente annexe sont tirées de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-35-07

                                                           

 

INTITULÉ :                                                                           LUIS EDUARDO CASTILLO NAAR,

                                                            DEVIS ROCIO SANTAMARIA AMARIS et

                                                            ANDREA CAROLINA CASTILLO SANTAMARIA

                                                                                                c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 20 NOVEMBRE 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE O’KEEFE

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 11 DÉCEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mary E.E. Boyce                                                                      POUR LES DEMANDEURS

 

Maria Burgos                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mary E. E. Boyce                                                                     POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.