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Date : 20071207

Dossier : T-519-07

Référence : 2007 CF 1289

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

MARJORIE WALLACE

demanderesse

et

 

SYMCOR

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.C. 2002, ch. 8, le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne, en date du 9 février 2007, qui a rejeté sa plainte au motif que la preuve n’appuyait pas ses allégations et qu’une enquête sur la plainte n’était pas justifiée.

 

[2]               La demanderesse s’est représentée elle-même dans la présente demande. Elle se décrit comme une Afro-Canadienne originaire des Caraïbes. En 2003, elle a été recrutée dans une agence pour un travail à temps partiel chez Symcor, une firme qui s’occupe du traitement des opérations financières, par exemple les chèques, pour de grandes banques canadiennes. En août 2004, elle a été embauchée à temps partiel, sur une base permanente, dans un poste de travail allant de 9 heures du soir à 3 heures du matin. Elle travaillait aussi à temps plein durant la journée pour une société de vente au détail.

 

[3]               La demanderesse dit qu’elle a été victime de discrimination chez Symcor en raison de sa race ou de son origine ethnique et qu’elle y a subi une différence préjudiciable de traitement. L’affidavit qu’elle a déposé dans la présente instance contient une liste des présumés comportements discriminatoires manifestés envers elle par ses collègues et ses surveillants : des observations à propos de sa chevelure, une allusion à la gardienne d’enfants de race noire d’une collègue, un supposé incident survenu avec un collègue dans la circulation, l’obligation de laver la vaisselle après une fête d’adieu, le fait d’être renvoyée chez elle tôt et le fait de ne pas avoir été mutée dans un autre service.

 

[4]               En juillet 2005, la demanderesse a fait part de ses difficultés au directeur général de Symcor, qui a immédiatement pris des dispositions pour les faire étudier par des cadres supérieurs de la société. À la suite de pourparlers, qui n’ont pas donné le résultat qu’elle souhaitait, la demanderesse a voulu prendre un congé d’invalidité de courte durée. Sa demande de prestations fut refusée par l’assureur, car la demanderesse n’avait pas semble-t-il apporté la preuve d’une invalidité et continuait d’occuper son poste de jour. Elle n’a pas fait appel de cette décision. La défenderesse dit que ses dirigeants se sont efforcés durant tout l’été de résoudre la difficulté. La demanderesse n’est pas retournée au travail et il a été mis fin à son emploi le 15 octobre 2005 parce qu’elle avait délaissé son poste.

 

[5]               En septembre 2005, la demanderesse a déposé une plainte auprès de la Commission. Elle y alléguait une discrimination fondée sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique, outre l’échec de son employeur à instaurer un milieu de travail exempt de harcèlement. Sa plainte donne le détail d’un bon nombre des mêmes allégations qui figurent dans son affidavit déposé dans la présente instance, et elle fait état aussi de « sévices physiques » prenant la forme de lancements d’élastiques ou de grandes tapes dans le dos à son lieu de travail. La médiation ayant été infructueuse, un enquêteur fut nommé. L’enquêteur a ajouté à la liste des plaintes à étudier la discrimination fondée sur la déficience, parce que la demanderesse avait déclaré souffrir de troubles de l’intestin et de troubles respiratoires.

 

[6]               Les deux parties ont déposé des réponses à la plainte. L’enquêteur a examiné en détail les allégations de la demanderesse et interrogé huit des dix personnes mentionnées dans sa plainte, dont quatre ne travaillaient plus pour Symcor. Finalement, l’enquêteur a conclu que la preuve ne suffisait pas à confirmer la plainte. La demanderesse n’avait par exemple produit aucun élément propre à établir qu’elle avait une déficience, et tous ceux qui furent interrogés ont dit ne pas avoir connaissance d’une telle déficience. La demanderesse croyait sans doute que certaines des personnes qu’elle avait nommées confirmeraient ses accusations de discrimination. Elles ne l’ont pas fait.

 

[7]               Le rapport d’enquête, daté du 14 novembre 2006, était accompagné d’une invitation à présenter d’autres observations, qui seraient soumises à la Commission en même temps que le rapport. La réponse de la demanderesse au rapport fut déposée lors de l’instruction de la présente affaire. La Commission a accepté la recommandation de l’enquêteur de rejeter la plainte, et la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire le 27 mars 2007.

 

POINTS LITIGIEUX

[8]               Les points soulevés dans la présente affaire sont les suivants :

1.   La demanderesse s’est-elle acquittée de son obligation d’établir une erreur susceptible de contrôle?

 

2.   Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle?

 

 

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

[9]               Les paragraphes 18.1(3) et (4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7, sont ainsi rédigés :

 

18.1 (3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

 

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

 

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

 

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

 

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

18.1 (3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

 

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

 

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

 

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

 

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

 

ANALYSE

 

[10]           L’équité procédurale doit être évaluée avec un œil critique. Après avoir dit que les questions relatives à l’équité procédurale sont distinctes de celles pour lesquelles doit être effectuée une analyse pragmatique et fonctionnelle, le juge Allen M. Linden écrivait ce qui suit, au paragraphe 53 de l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. n° 2056 :

La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation.

 

[11]           Cependant, la manière dont la Commission apprécie la preuve et évalue la nécessité d’une enquête complémentaire appelle une certaine retenue : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne) (1re inst.), [1994] 2 C.F. 574, [1994] A.C.F. n° 181. La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à cet aspect de la décision de la Commission est la décision raisonnable.

 

La demanderesse s’est-elle acquittée de son obligation d’établir une erreur susceptible de contrôle?

 

[12]           C’est à la demanderesse qu’il appartient de montrer que les moyens invoqués sont suffisants, selon l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, pour autoriser la Cour à accorder la réparation prévue par cette disposition. Ainsi que l’écrivaient le juge Louis LeBel et le juge Morris J. Fish dans l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] A.C.S. n° 84, au paragraphe 71, « dans une demande de contrôle judiciaire, le demandeur a la charge de démontrer qu’un “office fédéral” a commis une erreur : paragraphe 18.1(4) de la LCF ».

 

[13]           La demanderesse semble ne pas avoir saisi la différence, technique il faut l’admettre, entre un contrôle judiciaire, ce dont il s’agit ici, et un appel. Comme elle l’a reconnu durant l’audience, elle avait l’impression que je pouvais examiner la preuve qui avait été soumise à la Commission et arriver à une conclusion autre en l’appréciant différemment. Mon rôle est d’examiner comment la Commission est arrivée à sa décision de rejeter la plainte, pour voir si elle contient des erreurs, non de substituer mon opinion à celle de la Commission ou de juger la conduite de Symcor ou de ses employés lorsque la demanderesse travaillait à cet endroit.

 

[14]           La demanderesse a invité la Cour à conclure que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas conclu que la preuve révélait des formes subtiles de discrimination raciale qui pouvaient ne pas sauter aux yeux d’autres observateurs, par exemple les huit personnes interrogées. Je relève que les allégations faites par la demanderesse dans sa plainte faisaient essentiellement état d’attitudes discriminatoires manifestes et nullement subtiles et que la demanderesse écrivait, dans sa réponse au rapport d’enquête, que les personnes interrogées avaient raconté des mensonges. La demanderesse n’a pas apporté la preuve de telles allégations et, dans la présente instance, a produit essentiellement les mêmes preuves que celles dont disposait l’enquêteur.

 

[15]           La Commission a les compétences requises pour déceler les comportements discriminatoires, qu’ils soient manifestes ou subtils, et ses conclusions de fait dans ce domaine appellent de la part de la Cour une retenue considérable. Selon moi, eu égard à la preuve recueillie par l’enquêteur, la décision de ne pas aller plus loin avec la plainte était raisonnable. La demanderesse ne s’est pas acquittée de son obligation de montrer une erreur susceptible de contrôle et elle n’a donc pas droit à une réparation sur ce chef.

 

Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle?

 

[16]           La demanderesse dit que la Commission n’a pas fait une enquête approfondie, que la société Symcor n’a jamais été franche dans les renseignements qu’elle a fournis à la Commission, qu’elle n’a jamais tenté de régler le problème et qu’elle-même, la demanderesse, n’a jamais été autorisée à présenter un rapport détaillé sur ses difficultés chez Symcor. Priée durant l’audience de dire précisément ce qu’elle n’avait pas été autorisée à présenter, elle a répété les allégations qui figuraient dans sa plainte déposée à la Commission.

 

[17]           Après examen de cette question, il semble que, si la demanderesse croit que l’équité lui a été refusée, c’est parce que l’enquêteur ne l’a pas interrogée pour obtenir plus de détails sur les difficultés qu’elle a rencontrées chez Symcor. L’enquête s’est déroulée au stade de l’examen préalable de la plainte, stade pour lequel il n’existe aucun droit à une audience : Grivas c. Air Canada, 2006 CF 793, [2006] A.C.F. n° 1096.

 

[18]           La demanderesse a prétendu aussi durant l’audience que, si la médiation tentée par la Commission n’a pas donné de résultat, c’est, d’après elle, parce qu’elle n’a pas été autorisée à tenter d’obtenir de Symcor, dans ce processus, un meilleur arrangement. Ce n’est pas là un aspect dont la Cour est validement saisie dans le présent contrôle judiciaire.

 

[19]           L’obligation d’équité à laquelle est astreinte la Commission englobe, selon la décision Slattery, aux paragraphes 48 et 49, la neutralité et la rigueur. Un examen du rapport d’enquête montre que chaque incident dont s’est plainte la demanderesse a été étudié et que les conclusions de l’enquêteur ont été pleinement et clairement exposées. Il n’est pas établi que l’enquêteur s’est vu refuser tel ou tel renseignement qu’il voulait obtenir. Aucun des témoins interrogés par lui n’a confirmé les allégations de la demanderesse. L’enquêteur a été, d’après la preuve que j’ai devant moi, à la fois neutre et rigoureux.

 

[20]           Par ailleurs, la demanderesse a déposé une longue plainte, a saisi l’occasion qu’elle avait de répondre aux conclusions de la défenderesse et s’est également exprimée sur le rapport d’enquête. Elle a donc eu plusieurs occasions de détailler ses allégations, occasions dont elle dit aujourd’hui qu’elles lui ont été refusées. Aucune mesure ne semble avoir été prise par l’enquêteur ou par la Commission pour empêcher la demanderesse d’obtenir justice. L’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle n’a pas été autorisée à présenter pleinement son cas à la Commission n’a aucun fondement, d’après la preuve que j’ai devant moi.

 

[21]           Finalement, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la société Symcor n’a pas été franche est une allégation grave, qui n’est nullement étayée par la preuve. La demanderesse dit aussi que la société Symcor n’a jamais tenté de résoudre le problème, mais cette affirmation est non seulement sans rapport avec un quelconque moyen pouvant fonder un contrôle judiciaire, elle est également contredite à la fois par l’affidavit de la demanderesse et par la preuve documentaire. Le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour n’est pas le bon moyen d’aplanir les différends pouvant exister entre la demanderesse et Symcor. Mon rôle consiste à évaluer la procédure suivie par la Commission pour arriver à sa décision, et non pas d’apprécier à nouveau la preuve qu’elle avait devant elle.

 

[22]           Je suis d’avis que la demanderesse n’a pas montré qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale dans la manière dont la Commission a traité son cas. Je rejetterai donc la demande.

 

[23]           La défenderesse a sollicité les dépens, afin de signaler à la demanderesse qu’un litige a des conséquences. Je reconnais qu’un tel geste est justifié ici car la demande était selon moi dépourvue de fondement. Je condamnerai la demanderesse à des dépens symboliques de 100 $.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Des dépens de 100 $ sont adjugés à la défenderesse.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-519-07

 

INTITULÉ :                                                   MARJORIE WALLACE

                                                                        c.

                                                                        SYMCOR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 DÉCEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marjorie Wallace                                              POUR LA DEMANDERESSE

(non représentée)

 

William J. Armstrong                                        POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marjorie Wallace                                              POUR LA DEMANDERESSE

174, rue Taravista Nord-Est

Calgary (Alberta)

 

William J. Armstrong, c.r.                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Laird Armstrong

Avocats

Calgary (Alberta)

 

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