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Date : 20071212

Dossier : IMM-4499-07

Référence : 2007 CF 1304

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2007

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

ENTRE :

ASSUNTA MARY D'SOUZA

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               Pendant deux heures, au début de l'après‑midi du 5 novembre 2007, à Toronto, j'ai entendu une requête, présentée par Mme Assunta Mary D’Souza (la demanderesse), une citoyenne du Pakistan âgée de 23 ans, en sursis de l’exécution de son renvoi au Pakistan prévu pour le jour suivant à 18 h 00. La requête semblait être une requête habituelle, sauf que la demanderesse avait été arrêtée et était en détention depuis le 13 octobre  2007 au motif qu'elle risquait de s'enfuir.

 

[2]               La décision sous‑jacente contestée dans la demande d'autorisation en contrôle judiciaire déposée le 30 octobre 2007 par la demanderesse a été rendue par l'agente de renvoi Pannu (l'agente de renvoi) qui a refusé de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu'une décision soit rendue quant à une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire (la demande CH) récemment mise à jour afin d'y faire mention d'une union de fait qui a commencé en juin 2006 et d'un facteur additionnel relatif aux difficultés. On a également demandé un sursis en attendant qu'une décision soit rendue quant à une deuxième demande, récemment déposée, portant sur l’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR) fondée sur de nouveaux éléments de preuve datant d'octobre 2006.

 

[3]               L'avocat de la demanderesse a demandé à la Cour qu'on accorde un sursis à cette dernière en attendant qu'une décision soit rendue quant à la demande CH et quant à la demande d'ERAR récemment déposées ou mises à jour ou, subsidiairement, en attendant qu'une décision soit rendue quant à la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire sous‑jacente relative à la décision de l'agente de renvoi de refuser de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

[4]               Après avoir entendu les plaidoiries, j'ai pris l'affaire en délibéré et j'ai mentionné que ma décision serait rendue le jour suivant à 9 h.

 

[5]               Vers environ 17 h, dans l'après‑midi du 5 novembre 2007, alors que j'examinais les plaidoiries et les éléments de preuve qui m'avaient été présentés plus tôt cet après‑midi‑là, le greffier à l'audience m'a informé que je n'avais pas besoin de rendre ma décision quant à la requête en sursis parce que la demanderesse ne serait pas renvoyée le jour suivant car le consulat du Pakistan à Toronto (le consulat) ne délivrerait pas avant 10 jours le titre de voyage exigé, c'est‑à‑dire un passeport valide remplaçant le passeport expiré de la demanderesse.

 

[6]               Vers environ 18 h, dans l'après‑midi du 5 novembre 2007, le greffier m'a remis une copie d'une lettre datée du 5 novembre 2007, émanant de l'avocat de la demanderesse, qui fut envoyée à la Cour à 17 h 22 ce même jour et dans laquelle l’avocat mentionnait que sa cliente avait communiqué avec lui après que l'audition de la demande de sursis dont j'étais saisi fut terminée.

 

[7]               Dans sa lettre, l'avocat de la demanderesse m'a informé de ce qui suit :

 

·        Le matin du 5 novembre 2007, la demanderesse a été escortée par deux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) jusqu’au consulat afin de subir une entrevue liée à la délivrance de son passeport;

 

·        La demanderesse a allégué que, durant son entrevue avec le vice-consul (le vice‑consul) au consulat, celui‑ci lui a posé des questions sur son statut au Canada et sur la raison pour laquelle elle était renvoyée; il lui a posé des questions concernant son dossier d’immigration au Canada, notamment concernant sa deuxième demande d’ERAR; la demanderesse s’est fait dire par le vice‑consul, après qu’il eut reçu un appel téléphonique pendant qu’il était en train de l’interroger [Non souligné dans l’original.], que l’appel qu’il venait de recevoir provenait de l’agente de renvoi qui lui avait dit que le dossier d’immigration de la demanderesse était faux et que l’ASFC avait besoin du titre de voyage pour l’exécution de son renvoi, lequel était prévu pour le jour suivant;

 

·        La demanderesse, à son retour au Centre de surveillance de l’Immigration à Toronto, s’est fait dire par un agent d’immigration qu’elle ne serait pas renvoyée parce qu’elle ne possédait aucun titre de voyage. Cette conversation aurait eu lieu à 14 h 30 le 5 novembre 2007.

 

[8]               Dans sa lettre de la fin de l’après‑midi ou du début de la soirée du 5 novembre 2007, l’avocat de la demanderesse affirmait que ce que la demanderesse lui avait dit soulevait des doutes sérieux quant à la conduite de l’ASFC parce qu’il était clair que l’agente de renvoi avait pris des dispositions en vue du renvoi sans avoir aucun titre de voyage valide en main lorsqu’elle a délivré, le 22 octobre 2007, un avis d’interdiction de séjour pour le renvoi de la demanderesse le 6 novembre mais, plus important encore, parce que sa décision de refuser la demande de sursis de la demanderesse avait été prise en prenant pour acquis que les dispositions prises en vue du renvoi de la demanderesse se dérouleraient comme prévu.

 

[9]               L’avocat de la demanderesse a affirmé que les dispositions prises en vue du renvoi de la demanderesse n’auraient pas dû être prises par l’ASFC avant que celle‑ci n’obtienne un titre de voyage valide. Il a affirmé que la demanderesse a agi en fonction de la prétention de l’ASFC selon laquelle le renvoi se déroulerait comme prévu et, à ce titre, elle a dû assumer des frais juridiques importants afin de déposer une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre elle. L’avocat a souligné le temps qu’a pris la Cour fédérale pour traiter la requête et qu’[Traduction] « il [était] probable que le défendeur [demanderait] le renvoi de la demanderesse dès que le passeport [serait] délivré ». Il a affirmé que la conduite de l’ASFC constituait un abus de procédure et que la doctrine de la conduite irréprochable devrait s’appliquer à sa conduite. Il a affirmé que les renseignements concernant le manque de titre de voyage auraient pu de toute évidence être portés à l’attention de la Cour par l’avocate du défendeur avant l’audience, mais ce ne fut pas le cas. Il a déclaré que la jurisprudence portant sur l’article  48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) exige que l’agent de renvoi détermine s’il y a des empêchements au renvoi et a déclaré que [Traduction] « manifestement, en l’espèce, l’absence de titre de voyage constituait un empêchement au renvoi ».

 

[10]           L’avocat de la demanderesse a ajouté un autre élément à sa lettre du 5 novembre 2007; il a déclaré que l’ASFC [Traduction] « [faisait] maintenant courir davantage de risque à la demanderesse en l’amenant à son entrevue où, encore une fois, on lui a posé des questions quant au bien‑fondé de sa deuxième demande d’ERAR qui porte sur les risques auxquels elle serait exposée au Pakistan ». L’avocat a déclaré ce qui suit : [Traduction] « Il est permis de croire que le consulat du Pakistan est maintenant au courant des affaires d’immigration de la demanderesse et, plus important encore, de la demande d’ERAR ultérieure. La demanderesse est maintenant exposée à un risque sur place. Nous demandons l’autorisation de faire valoir que ce nouvel événement constitue un tort irréparable que subirait la demanderesse si elle était renvoyée au Pakistan ».

 

[11]           L’avocat de la demanderesse a affirmé ce qui suit : [Traduction] « La présente affaire n’est pas prématurée car elle a trait à la décision sous‑jacente rendue par l’agente de renvoi ». Il a affirmé qu’il était dans l’intérêt public de dissuader [Traduction] « ce genre de conduite à laquelle s’[était] livré le défendeur ». Il a conclu en déclarant ce qui suit : [Traduction] « Toutefois, si on conclut que la requête sous‑jacente est devenue théorique, notre cliente a encouru des frais juridiques importants dans le cadre de la présente affaire et elle nous a demandé de réclamer les dépens au défendeur sur une base avocat‑client ».

 

[12]           Le mercredi 7 novembre 2007, la Cour a reçu une copie de l’affidavit à l’appui produit par la demanderesse dans lequel elle relate les événements qui s’étaient déroulés au consulat le 5 novembre 2007 ainsi que ceux qui s’étaient déroulés par la suite.

 

[13]           Ce même jour, le 7 novembre 2007, la demanderesse et la Cour ont reçu de l’avocate du ministre le dossier de réponse du défendeur composé des affidavits de quatre agents de l’ASFC.

 

[14]           Ces affidavits étaient les suivants :

 

·        L’affidavit de Sindi Pannu;

 

·        L’affidavit d’Ian Maynard et l’affidavit de Johanna Cameron qui ont escorté la demanderesse au consulat le 5 novembre 2007;

 

·        L’affidavit de Makedonka Solakov, l’adjointe d’exécution qui a aidé l’agente de renvoi à obtenir le titre de voyage approprié.

 

[15]           Pour l’essentiel, les affidavits des agents faisaient état de l’escorte au consulat, ce qui s’y était passé, quand l’entrevue s’était terminée et le moment où la demanderesse était retournée en détention. L’affidavit de Sindi Pannu et celui de Mme Solakov faisaient état des circonstances entourant les efforts déployés par l’ASFC afin d’obtenir un titre de voyage pour la demanderesse et de la raison pour laquelle son renvoi avait été fixé au 6 novembre 2007. De plus, dans ces affidavits, notamment dans celui de l’agente de renvoi, il y avait contestation des déclarations faites par la demanderesse, notamment en ce qui avait trait à la conversation téléphonique qui, selon la déclaration de cette dernière, avait eu lieu entre elle et le vice-consul au cours de l’après‑midi du 5 novembre 2007.

 

[16]           Saisie d’une preuve et d’observations contradictoires, la Cour a convoqué une audience concernant les récents événements susmentionnés. Cette audience a eu lieu le jeudi 8 novembre 2007. À la fin de l’audience, j’ai délivré une injonction provisoire interdisant le renvoi de la demanderesse et j’ai fixé la tenue d’une audience sur l’affaire au 5 décembre 2007 à Toronto. La Cour a également fixé un calendrier quant au contre‑interrogatoire des divers auteurs des affidavits déposés ainsi qu’un calendrier quant à la soumission d’observations supplémentaires découlant de ces récents événements. La demanderesse et l’agente de renvoi sont les seuls auteurs d’affidavit qui ont été contre‑interrogés.

 

L’historique

[17]           La demanderesse a quitté le Pakistan le 11 octobre 2003 et elle est arrivée aux États‑Unis le même jour. Elle est demeurée aux États‑Unis pendant six mois mais elle n’a pas demandé l’asile. Le 11 février 2004, la demande de visa de visiteur pour le Canada que la demanderesse avait présentée a été refusée par le bureau des visas à Détroit.

 

[18]           La demanderesse est arrivée au Canada en avril 2004 et elle a présenté une demande d’asile qui a été refusée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 1er décembre 2004.

 

[19]           La demanderesse a prétendu devant la SPR qu’elle craignait de subir un grave préjudice ou d’être persécutée du fait de sa religion, c’est‑à‑dire le christianisme. Elle a prétendu que, en avril 2003, elle avait été enlevée par de nombreuses femmes inconnues, membres d’un mouvement du Jihad islamique, et qu’elle avait été obligée de se convertir à l’Islam. Elle a prétendu qu’elle avait été torturée et battue lors de cette épreuve. Elle a prétendu que ses parents avaient signalé l’incident à la police, mais en vain. Elle affirme qu’elle est toujours chrétienne malgré sa conversion forcée.

 

[20]           La SPR n’a pas cru son récit pour un certain nombre de raisons, principalement en raison de l’absence de crainte subjective et du manque de crédibilité. La SPR a fondé ses conclusions relatives à la crédibilité sur des omissions importantes figurant dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) de la demanderesse comme, par exemple, l’absence de mention d’appels de menace qu’elles auraient reçus avant et après son départ, l’absence de mention de la mort du fils d’amis de la famille, mort qui lui fut infligée en raison de son appartenance au christianisme, ainsi que l’absence de mention d’autres incidents. La SPR a également pris note du fait que le frère de la demanderesse avait obtenu l’asile au Canada et qu’elle n’avait produit aucun rapport d’hôpital corroborant qu’elle avait reçu des traitements après avoir été torturée. La demanderesse a demandé à la Cour de l’autoriser à présenter une demande de contrôle judiciaire. L’autorisation a été refusée par un juge de la Cour le 6 janvier 2006.

 

[21]           Après le refus de la SPR, la demanderesse, au milieu de mars 2005, a déposé une demande CH fondée sur les mêmes risques qui avaient été examinés par la SPR. La demande CH a été transmise au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de Scarborough le 28 juillet 2005. Le 3 août 2007 un agent CH a avisé la demanderesse qu’il n’y avait dans son cas aucun motif d’ordre humanitaire justifiant une exemption à l’application de la loi et que son dossier était transmis à un agent d’ERAR afin que celui‑ci décide si les risques qu’elle avait allégués constituaient des difficultés indues et excessives. Ces risques étaient les mêmes que ceux qu’elle avait mentionnés dans sa demande d’asile ainsi que dans sa première demande d’ERAR.

 

[22]           Plus tard ce mois‑là, la demanderesse a également déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en réponse à laquelle, on a conclu, le 5 août 2005, que si elle retournait au Pakistan, elle ne serait pas exposée à un risque de torture, de persécution ou de traitements ou peines cruels et inusités, ou de menace à sa vie.

 

[23]           La décision défavorable rendue au sujet de l’ERAR a été signifiée à la demanderesse le 29 septembre 2005, date à laquelle elle s’est fait signifier une directive lui enjoignant de se présenter à son renvoi à Windsor le 28 octobre 2005. En réponse à une demande de la part de la demanderesse, un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, valide jusqu’au 4 novembre 2005, a été accordée par une agente de renvoi.

 

[24]           Le 1er novembre 2005, la demanderesse a demandé un autre sursis à l’exécution de son renvoi vers les États‑Unis. Ce deuxième sursis a été refusé par un agent d’exécution le 2 novembre 2005.

 

[25]           La demanderesse a ensuite présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent d’exécution avait refusé d’accorder le sursis et elle a également demandé une prorogation du délai imparti pour le dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR. S’appuyant sur ces deux demandes d’autorisation sous‑jacente, elle a demandé un sursis à l’exécution de son renvoi du Canada prévu pour le 4 novembre 2005. Cette requête en sursis a été examinée et rejetée par mon collègue le juge Mosley le 3 novembre 2005. Il n’était pas convaincu que la demanderesse avait démontré qu’il y avait une question sérieuse à trancher en ce qui concerne les deux demandes sous‑jacentes.

 

[26]           La demanderesse ne s’est pas présentée à son renvoi. Elle est entrée dans la clandestinité. Elle fut éventuellement trouvée par la police en octobre 2007. Selon les agents qui ont procédé à son arrestation, la demanderesse demeurait avec ses parents à Silverbell Grove à Toronto, contrairement à la nouvelle allégation qu’elle avait faite dans sa demande CH mise à jour selon laquelle elle vivait avec un conjoint de fait dans un autre endroit.

 

[27]           Selon le dossier, après son arrestation et après avoir reçu signification, le 22 octobre 2007, d’un avis d’interdiction de séjour, la demanderesse a retenu les services d’un autre avocat en immigration.

 

[28]           Comme il a été souligné, le 26 octobre 2007, le nouvel avocat de la demanderesse a déposé une deuxième demande d’ERAR à la lumière de nouveaux éléments de preuve. Ces éléments de preuve consistaient en trois courriels que les parents de la demanderesse avaient reçus en octobre 2006 et qui leur étaient adressés, principalement à la mère de la demanderesse, dans lesquels on les informait que la demanderesse serait exposée à des risques si elle retournait au Pakistan parce qu’ils avaient parlé contre l’Islam. Le même jour, le nouvel avocat a avisé Citoyenneté et Immigration Canada que ses services avaient été retenus par la demanderesse afin de l’informer de l’état de sa demande CH qui avait été déposée 32 mois auparavant et qui avait été transmise à la section ERAR pour évaluation des difficultés. L’avocat a fait part des mises à jour concernant les difficultés que la demanderesse rencontrerait au Pakistan et les difficultés qui découleraient de sa relation avec son conjoint de fait, un résident permanent du Canada avec lequel elle vivait depuis plus d’un an.

 

[29]           Ce même jour, le nouvel avocat a écrit à l’agente de renvoi pour lui demander d’accorder un sursis jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant aux demandes déposées ce jour‑là. Le 1er novembre, l’agente de renvoi a refusé et a motivé sa décision par écrit. Elle a déclaré que l’ASFC était tenue, en vertu de l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), d’exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent et, selon elle, il ne convenait pas dans les circonstances d’accorder un sursis.

 

[30]           L’agente a pris note de la demande CH en instance mais elle n’était pas convaincue que le fait qu’elle soit en instance justifiait l’octroi d’un sursis. Elle a également mentionné que la deuxième demande d’ERAR ne déclenchait pas un sursis légal. Elle a souligné que sa première demande d’ERAR avait été refusée et qu’elle bénéficiait d’un examen des risques. Selon elle, la demande ERAR de la demanderesse en instance ne justifiait pas l'octroi d’un sursis.

 

L’analyse

[31]           Je propose d’examiner d’abord la demande de sursis à l’exécution du renvoi présentée par Mme D’Souza à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve dont je suis saisi, lesquels comprennent les affidavits et le contre‑interrogatoire portant sur ceux‑ci qui ont été déposés après l’audience du 5 novembre 2007 ainsi qu’à la lumière des arguments que j’ai entendus le 5 novembre et le 5 décembre 2007.

 

1. Les questions préliminaires

[32]           Les avocats ont soulevé trois questions préliminaires.

 

a) Le caractère théorique

[33]           Lors de l’audience du 5 décembre 2007, les deux avocats ont convenu que la demande de sursis dont j’étais saisi n’était pas théorique malgré qu’une nouvelle date de renvoi n’avait pas été fixée et que, en fait, ne pouvait pas être fixée compte tenu de l’ordonnance provisoire rendue par la Cour. Je souscris aux observations formulées par les deux avocats sur ce point.

 

[34]           L’intention constante, claire et avouée de l’ASFC de renvoyer la demanderesse du Canada dans le cadre de l’exécution de la mesure de renvoi valide prononcée contre elle et également l’intention claire et avouée de la demanderesse selon laquelle, dans les circonstances de l’espèce, elle ne serait pas renvoyée du Canada et demanderait que l’on sursoit à l’exécution de son renvoi sont importantes. Il y a donc un litige actuel entre les parties et une question non réglée quant à savoir si l’agente de renvoi a eu raison de refuser de surseoir pour les raisons qu’elle a mentionnées. Conjuguée à ces faits, il y a l’existence de nouveaux éléments de preuve entourant les événements qui se sont produits le 5 novembre 2007 et qui ont fait l’objet d’un débat le 5 décembre 2007.

 

[35]           Quoi qu’il en soit, j’ai dit aux avocats lors de l’audience du 5 décembre 2007 que même si j’estimais que la demande de sursis était techniquement théorique, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, je trancherais la demande de sursis dans le cadre de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S 342).

 

b) La compétence quant à la portée du sursis demandé

[36]           Une deuxième question préliminaire doit être réglée. Dans le contexte de l’argument supplémentaire découlant des événements entourant l’entrevue de la demanderesse au consulat, l’avocat de la demanderesse a soulevé comme argument subsidiaire à la question du caractère théorique, la capacité de la Cour d’accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à la plus tardive des dates suivantes; la date à laquelle une décision sera rendue quant à la deuxième demande d’ERAR de la demanderesse et la date à laquelle une décision sera rendue quant à la demande CH mise à jour de la demanderesse, sur le fondement que la Cour peut accorder un sursis indépendant, c’est‑à‑dire accorder un sursis sans tenir compte de la nécessité d’une demande sous‑jacente de contrôle judiciaire. Comme il a été souligné, la demanderesse avait demandé cette mesure comme principale mesure de redressement lorsqu’elle a déposé sa requête en sursis.

 

[37]           L’argument de l’avocat de la demanderesse quant à la capacité de la Cour d’accorder un « sursis indépendant » a fait l’objet d’une prompte réaction de la part de l’avocat du ministre qui a prétendu que la Cour n’avait pas compétence pour délivrer un sursis indépendant en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales. Elle ne pouvait le faire qu’« en attendant la décision définitive sur la demande ».

 

[38]           L’avocat de la demanderesse a mentionné, à titre d’autorité quant à sa prétention, deux causes récentes qui ont été tranchées par mes collègues et dans lesquelles un sursis a été accordé en attendant qu’une décision définitive soit rendue quant à une demande CH en instance. Ces causes sont les suivantes : Trea c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 956, et Acevedo c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 401.

 

[39]           L’avocate du défendeur a invoqué l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales (la Loi) qui est ainsi libellé : « La Cour fédérale peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive ». Il a également invoqué la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Forde c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. B-31, et les décisions rendues par mes collègues dans Muhammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 156, et dans Razzaq c. Canada (Solliciteur général), 2006 CF 442.

 

[40]           Selon moi, l’avocate du défendeur interprète correctement le droit. Comme l’a clairement énoncé le juge Strayer, au nom de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Forde, susmentionné, pour qu’un sursis soit accordé dans une affaire d’immigration, il doit y avoir des procédures d’autorisation ou de contrôle judiciaire dont le sursis est l’accessoire. Ni l’article 18.2 ni l’alinéa 50(1)b) de la Loi n’autorisent la Cour à empêcher un renvoi qui n’est plus contesté, directement ou indirectement.

 

[41]           Sauf le respect que je dois, Trea et Acevedo, susmentionnées, ne sont pas des décisions pertinentes sur la question parce que la question de la compétence n’a pas été soumise à mes collègues qui n’ont jamais eu l’occasion de se pencher sur celle‑ci.

 

c) La présente demande de sursis constitue‑t‑elle un abus de procédure?

[42]           Je m’arrêterai à une question finale soulevée par l’avocate du défendeur. À l’audience du 5 novembre 2007, elle a prétendu que je ne devrais pas entendre la demande de sursis dont je suis saisi parce qu’elle constitue un abus de procédure. Son argument mettait l’accent sur la décision du juge Mosley de refuser la requête en sursis présentée par la demanderesse en novembre 2005. Dans cette requête, l’avocat de la demanderesse a fait mention de la demande CH de mars 2004 en instance et de la première demande d’ERAR. En ce qui concerne la première demande d’ERAR et la décision de l’agente de renvoi de ne pas surseoir au renvoi prévu pour le 5 novembre 2005, le juge Mosley a conclu qu’aucune question sérieuse n’avait été soulevée.

 

[43]           L’avocate du ministre invoque deux décisions rendues par ma collègue la juge Snider. Ces décisions sont les suivantes : Kathirvelu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CF 1404, et une décision qu’elle vient tout juste de rendre dans une ordonnance motivée prononcée dans Abbud c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM-551-07, 26 octobre 2007, dans laquelle la deuxième requête en sursis présentée par le demandeur avait été refusée après que le demandeur ne se soit pas présenté à son renvoi à la suite du rejet d’une première requête en sursis. Dans Abbud, la juge Snider a décidé ce qui suit :

 

[Traduction]

 

Compte tenu que le demandeur a ignoré de façon flagrante les lois canadiennes en matière d’immigration et l’existence d’une ordonnance antérieure rendue par la Cour, la présente requête constitue un abus de procédure. Rien ne peut excuser son comportement. L’accueil – ou même l’audition – de la présente requête récompenserait le demandeur pour ne pas avoir respecté les autorités de l’immigration canadiennes et les lois canadiennes en matière d’immigration […]”

 

Quoi qu’il en soit, la juge Snider a rejeté la requête au motif que la prépondérance des inconvénients favorisait nettement le défendeur parce que [Traduction] « [a]utrement, compte tenu des faits de l’espèce, l’intégrité des lois canadiennes en matière d’immigration serait gravement compromise ».

 

[44]           Je souligne que mon collègue le juge Mandamin dans Trea, susmentionnée, a été saisi d’une question préliminaire semblable. Selon lui, le défaut de la demanderesse de coopérer à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre elle ne peut être excusé en droit puisque la Cour n’avait pas accueilli sa demande de sursis. Il était d’avis qu’il y avait une explication raisonnable quant au fait que la demanderesse ne se soit pas présentée à son renvoi, à savoir, le fait qu’elle était enceinte et qu’il y avait eu des complications au cours de sa grossesse et que, en conséquence, elle avait dû passer du temps en observation dans une clinique médicale. Dans ces circonstances, il convenait, selon lui, que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et entende la demande.

 

[45]           L’avocat de la demanderesse a prétendu que, malgré le fait que la demanderesse ne se soit pas présentée à son renvoi, je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire d’entendre la présente demande de sursis. Il a renvoyé à la récente décision de la Cour d’appel fédérale

Thanabalasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 14, dans laquelle le juge Evans, au nom de la Cour d’appel fédérale, a discuté du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’entendre une demande de contrôle judiciaire dans un cas où le demandeur a sciemment fait de fausses déclarations dans la procédure antérieure d'examen de sa détention. Voici ce que le juge Evans a écrit aux paragraphes 10 et 11 de cette décision :

 

[10]      Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s'efforcer de mettre en balance d'une part l'impératif de préserver l'intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d'empêcher les abus de procédure, et d'autre part l'intérêt public dans la légalité des actes de l'administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l'inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d'une dissuasion à l'égard d'une conduite semblable, la nature de l'acte prétendument illégal de l'administration et la solidité apparente du dossier, l'importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l'acte administratif contesté est confirmée.

[11]      Ces facteurs ne prétendent pas être limitatifs, et tous ne sont pas nécessairement applicables dans chaque cas. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec discernement, mais une juridiction d'appel ne devrait pas intervenir à la légère dans la manière dont le juge de première instance a exercé le large pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré dans les procédures et recours de droit public. Néanmoins, je suis arrivé à la conclusion ici que le juge a erré dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, parce qu'il n'a pas tenu compte du recours offert à M. Thanabalasingham de par son droit d'interjeter appel à la SAI de la mesure de renvoi le concernant, ni n'a tenu compte de l'à-propos de cet appel pour une évaluation des conséquences en cas de maintien de l'avis ministériel de dangerosité.

 

[46]           L’avocat de la demanderesse a prétendu que la demanderesse avait affirmé qu’elle regrettait de ne pas s’être présentée à son renvoi et que cette violation n’était pas grave car la demanderesse ne se comportait pas de façon criminelle; les arguments de la demanderesse étaient solides et son renvoi l’exposerait à des risques importants.

 

[47]           Dans les circonstances de l’espèce, la pondération des facteurs mentionnés dans l’arrêt Thanabalasingham, susmentionné, favorise le ministre. La demanderesse a délibérément fait fi d’une ordonnance de la Cour lorsque le juge Mosley a rejeté sa demande de sursis en 2005. Les demandes sous‑jacentes dans cette affaire étaient à peu près semblables à la demande de sursis dont je suis présentement saisi. La demanderesse n’avait aucune excuse légitime de ne pas s’être présentée à son renvoi. Selon moi, elle n’a exprimé aucun regret. En effet, elle a tenté de justifier le fait qu’elle ne se soit pas présentée à son renvoi en affirmant qu’elle croyait que la demande de sursis présentée au juge Mosley n’avait pas été rejetée sur le fond mais qu’elle avait été plutôt rejetée en raison de son dépôt tardif. En outre, tout au long de son contre‑interrogatoire, la demanderesse a tenté de justifier ses actes en affirmant qu’elle craignait le Jihad islamique au Pakistan et que le fait qu’elle adhérait toujours au christianisme malgré sa conversion forcée à l’Islam serait considéré comme du blasphème au Pakistan. La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible quant à cette question et la même conclusion a été tirée dans sa première demande d’ERAR.

 

[48]           En conclusion, sur ce point, je souscris aux opinions exprimées par la juge Snider dans les deux causes susmentionnées. Cette deuxième demande de sursis qui m’est présentement soumise constitue un abus de procédure et elle n’a pas à être entendue et tranchée.

 

[49]           Néanmoins, comme l’affaire a été complètement débattue devant moi et comme de nouveaux arguments ont été soulevés par l’entrevue de la demanderesse avec le vice-consul, je suis disposé à exprimer mes opinions quant au bien‑fondé de la demande de sursis de la demanderesse.

 

d) Le bien‑fondé de la demande de sursis

[50]           Pour les motifs exposés ci‑après, je suis d’avis de rejeter la présente demande de sursis. Je divise mes motifs en fonction des arguments que j’ai entendus le 5 novembre 2007 quant à la demande de sursis et des arguments qui ont été avancés le 5 décembre 2007.

 

1. Les arguments présentés le 5 novembre 2007

[51]           Suivant la décision de la Cour sur la portée de la réparation qui peut être accordée sur requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, la demande sous‑jacente à la présente requête de sursis est la décision qui a été rendue par l’agente de renvoi le 1er novembre 2007.

 

[52]           Les principes suivants sont bien établis en droit :

 

·        La portée du pouvoir discrétionnaire conféré à l’agent de renvoi par l’article 48 de la LIPR est très limitée;

 

·        Comme l’octroi d’un sursis en l’espèce aurait pour effet que le redressement sollicité dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente serait accordé en partie, la question de l’existence d’une question sérieuse à trancher doit être déterminée non pas en fonction du faible niveau de preuve qui est requis pour déterminer si la question est frivole ou vexatoire, mais plutôt en fonction de la question de savoir si la question soulevée a des chances d’être accueillie;

 

·        L’existence d’une demande CH en instance ou d’une deuxième demande d’ERAR récemment déposée ne constitue pas le fondement, en soi et sans plus, de l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi parce que ces demandes en instance continueront d’être examinées jusqu’à ce qu’une décision soit prise. Il faut démontrer davantage.

 

[53]           Dans le cadre de la demande CH mise à jour, l’avocat de la demanderesse a déclaré, dans la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du 26 octobre 2007, que la demande CH était en instance depuis 32 mois et qu’une décision à son égard serait rendue très bientôt. L’avocat de la demanderesse a fait valoir que la demande CH était une demande particulièrement solide car on y examinait les risques auxquels la demanderesse serait exposée au Pakistan dans le contexte d’une appréciation des risques à l’étranger, les difficultés qui seraient occasionnées par la séparation de la demanderesse de son conjoint de fait au Canada et le degré d’établissement de la demanderesse au Canada.

 

[54]           En ce qui concerne la deuxième demande d’ERAR déposée récemment, les nouveaux éléments de preuve soumis par l’avocat de la demanderesse étaient des courriels que les parents de cette dernière avaient reçus et qui comprenaient des menaces qui leur avaient été faites par des extrémistes islamiques au Pakistan. L’avocat a fait valoir que ces courriels constituaient un changement de situation.

 

[55]           La demanderesse doit convaincre la Cour de l’existence de trois éléments essentiels qui doit être établie afin d’obtenir un sursis : une ou plusieurs questions sérieuses à trancher, un risque de préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients qui favorise la demanderesse.

 

[56]           Comme je l’ai déjà souligné, en l’espèce, la prépondérance des inconvénients favorise le ministre. Le fait que la demanderesse ne se soit délibérément pas présentée à son renvoi en 2005 après que le juge Mosley eut refusé de lui accorder un sursis et le fait qu’elle se soit cachée pour se soustraire à la loi pendant près de deux ans favorisent le ministre qui peut maintenant la renvoyer.

 

[57]           Le fait que la prépondérance des inconvénients favorise le ministre suffit pour que la demande de sursis de la demanderesse soit rejetée.

 

[58]           Je crois comprendre que, tout récemment, des fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada ont décidé que la deuxième demande d’ERAR ainsi que la demande CH mise à jour, lesquelles, malgré que j’en aie reçu copies, je n’ai pas examinées parce qu’elles n’existaient pas lorsque j’ai pris en délibéré la présente demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi après avoir entendu les plaidoiries le 5 décembre 2007. Ces deux décisions rendent théoriques les arguments avancés au sujet de la question sérieuse à trancher et de la question du préjudice irréparable qui ont été débattues lors de l’audience du 5 novembre 2007.

 

2. Les arguments du 5 décembre 2007

[59]           L’objet de mon appréciation des arguments du 5 décembre, des affidavits déposés après l’audience du 5 novembre 2007 et des transcriptions des contre‑interrogatoires de la demanderesse et de l’agente de renvoi consiste à évaluer leur incidence sur le critère à trois volets utilisé pour décider si l’on doit accorder un sursis.

 

[60]           L’avocat de la demanderesse prétend que les événements du 5 novembre 2007 soulève une question sérieuse à trancher : l’agente de renvoi a‑t‑elle commis une erreur en refusant de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi lorsqu’elle a rendu sa décision le 1er novembre 2007 alors qu’elle savait que le consulat voulait interroger la demanderesse le 5 novembre 2007 relativement à la délivrance d’un nouveau passeport. Cet argument repose sur le point de vue non contesté selon lequel il n’est pas raisonnablement possible de renvoyer du Canada une personne qui n’a pas en sa possession un titre de voyage valide.

 

[61]           L’avocat de la demanderesse a également prétendu que l’entrevue de la demanderesse avec le vice‑consul avait constitué une demande d’asile sur place et que, maintenant, à la suite de cette entrevue, un agent du gouvernement du Pakistan sait qu’on a obligé la demanderesse à se convertir à l’Islam mais qu’elle adhère toujours au christianisme et que cela l’expose à se faire accuser de blasphème à son retour au Pakistan.

 

[62]           L’avocate du ministre a prétendu que le contre‑interrogatoire de la demanderesse démontre que la version de ce qui a été dit à l’entrevue n’était pas crédible.

 

[63]           Après avoir examiné très attentivement les transcriptions des contre‑interrogatoires de la demanderesse et de l’agente de renvoi, je conclus que l’entrevue que la demanderesse a eue le 5 novembre avec le vice‑consul ne soulève pas une question sérieuse à trancher et que l’agente de renvoi aurait dû surseoir à l’exécution du renvoi de la demanderesse le 1er novembre 2007.

 

[64]           L’avocat de la demanderesse a contesté la crédibilité de l’agente de renvoi. Selon moi, le témoignage de cette dernière est crédible malgré trois faits qui découlent de son contre‑interrogatoire :

 

·        Le fait que, dans son affidavit, il y avait une légère contradiction en ce qui avait trait à l’une des pièces jointes à sa lettre du 22 octobre 2007 envoyée au consulat et remise en main propre par l’agente Solakov le 23 octobre. Il est vrai que l’agente de renvoi a reconnu en contre‑interrogatoire que la déclaration figurant dans son affidavit concernant cet élément était fausse. Toutefois, un examen de l’ensemble de son témoignage sur ce point révèle que son affidavit comportait des inexactitudes mais qu’il ne visait pas à tromper la Cour. Il s’agissait d’une légère erreur. Selon moi, rien ne repose sur cette question;

 

·        Le fait que l’agente de renvoi a déclaré dans son affidavit qu’elle a parlé au vice‑consul dans l’après‑midi du 5 novembre 2007, mais qu’elle a affirmé en contre‑interrogatoire que, pour elle, « après‑midi » signifiait après 11 h 30. Je ne tire aucune conclusion négative à partir de cette affirmation compte tenu du fait que l’agente de renvoi commence à travailler à 6 h et qu’elle finit de travailler à 15 h;

 

·        Le fait que l’agente de renvoi a invoqué une conversation qu’elle a eue avec le vice‑consul le 18 octobre 2007 quant à la question de savoir combien de temps il faudrait pour obtenir le titre de voyage mais que cette conversation est contredite par sa lettre du 22 octobre 2007 dans laquelle elle dit au vice‑consul qu’elle ne réservera un vol pour le départ de la demanderesse que lorsque le consulat l’informera de la date de réception prévue du titre de voyage. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve et compte tenu de l’assurance que l’agente Solakov a reçue le 23 octobre 2007 lorsqu’elle a remis en main propre au consulat la documentation de la demanderesse. On lui a dit que le document serait reçu au plus tard le 30 octobre 2007, c’est‑à‑dire dans sept jours.

 

[65]           Je conclus, après un examen du témoignage et du contre‑interrogatoire de l’agente de renvoi que, le 1er novembre 2007, celle‑ci s’attendait légitimement à recevoir le nouveau passeport en main à temps pour le renvoi de la demanderesse lorsqu’elle a refusé de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi malgré qu’elle savait à ce moment‑là que la demanderesse subirait une entrevue le 5 novembre au matin au consulat.

 

[66]           La preuve révèle que l’agente de renvoi a souvent traité avec le consulat en rapport avec des affaires d’obtention de titres de voyage dans le cadre de l’exécution de mesures de renvoi. Elle a traité environ 200 cas semblables avec le consulat. En particulier, comme il a été souligné, l’agente de renvoi et l’agente Solakov ont été informées, le 23 octobre, que les documents seraient délivrés dans sept jours, c’est‑à‑dire au plus tard le 30 octobre 2007. Selon l’expérience de l’agente de renvoi, en ne délivrant pas le nouveau passeport de la demanderesse, c’était la première fois que le consulat ne respectait pas la date limite de délivrance qu’il avait garantie.

 

[67]           En outre, le fait que la demanderesse devait subir une entrevue le 5 novembre 2007 n’était pas une raison pour surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi. Selon l’expérience de l’agente de renvoi, les titres de voyage sont délivrés en quelques heures ou une journée après la tenue d’une entrevue. Dans l’ensemble, j’estime que l’agente de renvoi a soumis à la Cour un témoignage honnête et direct des efforts qu’elle a faits pour exécuter la mesure de renvoi prise contre la demanderesse.

 

[68]           Pour ces motifs, je conclus que les événements du 5 novembre 2007 ne démontrent pas l’existence d’une question sérieuse à trancher selon la norme du succès probable.

 

[69]           La revendication sur place de la demanderesse repose principalement sur son témoignage de ce qui est arrivé lorsqu’elle a été interrogée par le vice-consul. L’avocat de la demanderesse affirme que son témoignage a été corroboré par un courriel qu’elle a envoyé à sa mère peu de temps après son retour au centre de détention, vers environ 11 h 35. Pour les motifs exposés ci‑après, j’accorde peu d’importance à ce courriel.

 

[70]           Le moment auquel l’agente de renvoi a téléphoné au vice‑consul est un élément essentiel de l’appréciation de la crédibilité du témoignage de la demanderesse quant à ce qui s’est passé au cours de l’entrevue. Dans son affidavit, la demanderesse a déclaré que l’agente de renvoi a téléphoné au vice‑consul pendant qu’il lui faisait subir l’entrevue. L’agente de renvoi a affirmé dans son témoignage qu’elle a parlé au vice‑consul après 11 h 30, le matin du 5 novembre 2007, afin de savoir quand le passeport serait prêt. Un examen de l’ensemble des éléments de preuve démontre clairement que la demanderesse a quitté le consulat avant que l’agente de renvoi ne téléphone au vice‑consul. À 11 h 30, la demanderesse était sur le point d’entrer au centre de détention. Il faut environ vingt minutes pour se rendre du consulat au centre de détention, ce qui corrobore d’autres témoignages selon lesquels la demanderesse, escortée par deux agents de l’ASFC, a quitté le consulat vers environ 11 h 15 le matin du 5 novembre. La version de la demanderesse en ce qui concerne ce que le vice‑consul lui a dit à propos de ce que l’agente de renvoi lui a dit n’est tout simplement pas crédible. Selon moi, son affidavit quant à cette partie est faux. J’estime que la demanderesse n’a pas démontré de façon crédible qu’elle a fait une demande sur place.

 

[71]           L’avocate du ministre a donné de nombreux exemples qui, considérés ensemble, selon elle, démontrent que l’affidavit de la demanderesse comportait des allégations non fondées qui devraient mener à une conclusion générale relative à la crédibilité défavorable à la demanderesse ou à tout le moins à une sanction sous forme de dépens.

 

[72]           Je rejette les propositions du ministre. Je n’ai pas à traiter de la question de la crédibilité générale de la demanderesse. Les dépens en matière d’immigration ne sont accordés que pour des motifs spéciaux. La longueur des présents motifs démontre que l’avocat de la demanderesse avait des points légitimes à soulever.

 

[73]           Par contre, je refuse d’adjuger des dépens en faveur de la demanderesse. La Cour n’a pas perdu son temps le 5 novembre 2007 car la présente demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi vient maintenant d’être tranchée. De toute façon, après que l’agente de renvoi eut appris du vice‑consul, le 5 novembre, que le document ne serait pas délivré en temps pour l’exécution de la mesure de renvoi prise contre la demanderesse, elle a pris des mesures raisonnables pour tenter de joindre l’avocat, lequel se trouvait en cour. On pourrait affirmer la même chose à propos de la demanderesse.

 

[74]           Je conclus en traitant très brièvement d’une dernière question. L’avocat de la demanderesse a prétendu que ce n’est que le matin du 5 novembre 2007 que la demanderesse a été informée qu’elle subirait une entrevue au consulat, dix minutes avant d’être escortée. L’avocat de la demanderesse a affirmé qu’elle a été privée du droit à l’assistance d’un avocat. La preuve révèle que la demanderesse n’a jamais dit aux agents qui l’escortaient ni au garde au centre de détention qu’elle voulait parler à son avocat. Dans les circonstances, on peut affirmer que la demanderesse n’a pas été privée du droit à l’assistance d’un avocat.

 

[75]           Pour l’ensemble de ces motifs, la présente demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit rejetée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4499-07

 

INTITULÉ :                                       ASSUNTA MARY D’SOUZA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATES DES AUDIENCES :            Le 5 novembre 2007, le 7 novembre 2007 et

                                                            le 5 décembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 décembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Jeinis S. Patel

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Mamann & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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