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Date : 20071214

Dossier : IMM-6691-06

Référence : 2007 CF 1324

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE Orville Frenette

 

 

ENTRE :

SYED HASSAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision, rendue le 22 novembre 2006, dans laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

Les faits

[2]               Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 28 ans qui appartient à la religion sunnite, la religion de la majorité des citoyens de ce pays. Le demandeur a déclaré qu’à l’adolescence, en 1996, il a eu une relation clandestine avec une femme, Fauzia Khan. Lorsque le père de celle-ci a eu vent de cette relation en 1997, il a trouvé le couple dans une voiture. Le père et d’autres hommes qui l’accompagnaient ont kidnappé le demandeur et ils l’ont agressé sévèrement, après quoi ce dernier a été soigné dans un hôpital. Fauzia a été amenée au village de sa famille. Son père était le chef de sa tribu et exerçait un grand pouvoir.

 

[3]               La famille du demandeur a signalé l’agression à la police. En juillet 1997, le couple s’est retrouvé et a tenté de s’enfuir à Karachi. Le père de Fauzia a retrouvé le couple et a emmené sa fille avec lui. Le demandeur n’a pas vu Fauzia depuis 1998.

 

[4]               Le demandeur s’est rendu aux États-Unis pour rencontrer une femme d’origine pakistanaise, que ses parents souhaitaient le voir épouser. Il s’y est aussi rendu pour échapper au danger. Il a épousé cette femme en 1998 et ils ont eu deux enfants. Il a divorcé de celle-ci en 2003.

 

[5]               En 2002, son statut de résident permanent aux États-Unis lui a été retiré en raison d’une condamnation criminelle (à laquelle il avait plaidé coupable) pour avoir utilisé de la fausse monnaie et fait de faux chèques dans un casino. Il a aussi été reconnu coupable d’avoir agressé sa femme. Il a été condamné à une peine comprenant la restitution et à une période de probation de deux ans. Les autorités américaines ont entrepris des procédures de renvoi à son égard.

 

[6]               Il a quitté les États-Unis avant la fin de la période de probation pour retourner au Pakistan en 2003 avec son ancienne femme et ses enfants. Un mandat d’arrestation a été lancé contre lui aux États-Unis.

 

[7]               Si le crime mentionné ci-dessus avait été commis au Canada, il aurait entraîné une peine d’emprisonnement pouvant atteindre dix ans. Il a déclaré qu’en octobre 2003, il a été attaqué au Pakistan par le père de Fauzia et ses hommes.

 

[8]               Il est venu au Canada en janvier 2004, entrant au pays avec un visa de visiteur et, à l’expiration du visa, c’est-à-dire trois mois plus tard, il a revendiqué le statut de réfugié.

 

[9]               Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), il a omis de mentionner son casier judiciaire, expliquant à l'audience qu'il craignait qu’on lui refuse la permission d'entrer au Canada. Il demeure au Canada depuis cette période.

 

La décision de la SPR du 22 novembre 2006

[10]           Dans une décision de 12 pages, la commissaire S. Randhawa a résumé comme suit les faits qui lui avaient été présentés :

i.                     Elle a conclu que la crainte du demandeur de retourner au Pakistan n’était pas étayée par sa conduite et son retour au Pakistan en 2003 avec son ancienne femme et ses enfants. Dans sa déclaration au point d’entrée (PDE), il n’a pas mentionné les attaques qu’il aurait subies en 2003. Elle a constaté des contradictions dans les dates des événements allégués et l’utilisation de la supercherie par le demandeur à plusieurs reprises. Il a déclaré qu’il n’a pas mentionné les attaques dans la déclaration au PDE parce qu’il ne voulait pas être expulsé.

ii.                   Il n’a pas mentionné son casier judiciaire.

iii.                  Il n’a pas démontré que l’État ne pouvait pas assurer sa protection au Pakistan.

iv.                 Des documents sur le Pakistan ont révélé que les femmes y font l’objet de discrimination et qu’il existe des « meurtres au nom de l’honneur ».

v.                   La commissaire a conclu que les réponses et les explications fournies dans sa déclaration au PDE et dans son FRP étaient contradictoires, incohérentes, non corroborées et imprécises.

vi.                 La commissaire a également examiné le retard à demander l’asile politique. Elle a conclu que le comportement du demandeur, un homme instruit, ne montrait pas l’existence d’une crainte subjective.

vii.                La protection de l’État – La commissaire a conclu que le demandeur n’a pas réfuté la présomption selon laquelle le Pakistan, un pays démocratique, peut assurer la protection de ses citoyens. Il appartenait à la confession religieuse de la majorité au Pakistan et a été en mesure d’obtenir un visa en utilisant son passeport pakistanais, même s’il invoquait la crainte en raison des événements décrits plus haut.

viii.              Crédibilité et vraisemblance – La commissaire a conclu, compte tenu de l’ensemble de la preuve, que les réponses, les omissions, les contradictions et les invraisemblances du demandeur rendaient sa version des faits non crédible.

 

Les questions en litige

[11]           a.         Les conclusions de fait et celles relatives à la crédibilité tirées par la commissaire 

                        étaient-elles manifestement déraisonnables?

b.                  La commissaire a-t-elle omis d’analyser de façon appropriée l’existence de la protection de l’État?

 

La norme de contrôle

[12]           L’expertise de la SPR en matière d’appréciation de la crédibilité et de conclusions de fait est bien établie, étant au cœur même de sa compétence, et doit être respectée.

 

[13]           La norme de contrôle applicable à ces conclusions est la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108; Harusha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 2004, [2007] A.C.F. no 1438.

 

[14]           Pour qu’une décision soit manifestement déraisonnable, elle doit être fondée sur un examen « abusif, arbitraire ou de mauvaise foi » de la preuve.

 

[15]           La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la protection de l’État a été examinée en profondeur dans la jurisprudence : voir la juge Danièle Tremblay-Lamer dans Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232. Après une analyse minutieuse de la jurisprudence sur le sujet, elle a conclu que la norme de contrôle appropriée à appliquer est la norme de la décision raisonnable simpliciter et je suis d’accord avec ses conclusions.

 

Analyse des questions soulevées

A. Les conclusions de fait et celles relatives à la crédibilité tirées par la commissaire étaient-elles manifestement déraisonnables?

I.         Le demandeur soutient que les trois conclusions quant à la vraisemblance ne sont pas raisonnables

[16]           Il fait une évaluation très détaillée des faits pour arriver à la conclusion que la commissaire ne pouvait pas raisonnablement conclure à l’invraisemblance de sa version des événements.

 

[17]           Il est vrai que la perception de l’invraisemblance est un exercice subjectif, mais lorsqu’il est fondé sur l’ensemble des éléments de preuve, y compris les incohérences et les contradictions, telles que celles qui se trouvent dans le témoignage du demandeur ou dans son FRP, cette perception ne peut être passée sous silence. En l’espèce, la commissaire a examiné l’ensemble des éléments de preuve et ses conclusions quant à la vraisemblance reposaient sur ces éléments de preuve.

 

II.        Attribution d’une trop grande importance aux omissions et au FRP

[18]           Le demandeur soutient que la commissaire a accordé une trop grande importance aux omissions et aux contradictions dans le FRP et son témoignage. Je ne suis pas d’accord puisque des faits et des événements importants, tels que le casier judiciaire, ont été intentionnellement omis, comme l’a reconnu le demandeur.

 

[19]           Le demandeur est titulaire d’un diplôme universitaire, parle l’anglais couramment et doit subir les conséquences de ses omissions et incohérences volontaires.

 

III.       La commissaire a-t-elle passé sous silence ou mal apprécié les nouveaux éléments de preuve dans ses conclusions quant au retard?

[20]           Il est un fait que le demandeur a revendiqué le statut de réfugié uniquement à la fin ou vers la fin des trois mois correspondant à l’expiration de son visa de visiteur.

 

[21]           La commissaire avait le droit d’appuyer ses conclusions sur ce fait, plus particulièrement compte tenu du niveau d’instruction du demandeur et parce qu’il avait demandé l’avis de divers avocats pendant ses trois premiers mois au Canada. Le demandeur conteste également le raisonnement de la commissaire concernant son absence de crainte telle qu’elle ressort de son retour au Pakistan.

 

[22]           Ces deux arguments sont fondés sur l’interprétation des faits par la commissaire, interprétation qui relève de sa compétence, et ses conclusions ne sont pas manifestement déraisonnables.

 


IV.       Le casier judiciaire non déclaré

[23]           La commissaire a tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur a intentionnellement omis de déclarer son casier judiciaire dans son FRP ou sa déclaration au PDE. Dans son témoignage, il a expliqué qu’il craignait d’être expulsé renvoyé s’il avait déclaré ce fait.

 

[24]           Il ne fait pas de doute que la commissaire avait le droit de tirer une telle inférence défavorable à propos de la crédibilité du demandeur sur ce point.

 

[25]           Si le demandeur a omis de déclarer les faits défavorables qui peuvent avoir une incidence négative sur son statut, il s’agit d’un élément concret pour se prononcer sur sa crédibilité.

 

V.        La commissaire a-t-elle passé sous silence des éléments de preuve dans son analyse de la protection de l’État?

[26]           La commissaire s’est en effet reportée aux documents sur le Pakistan, plus particulièrement ceux concernant les meurtres « commis pour l’honneur » et elle a entendu le témoignage du demandeur selon lequel deux policiers avaient rédigé un rapport, mais n’avaient pas poursuivi l’affaire. Malgré tout, le demandeur est retourné volontairement au Pakistan en 2003 avec son ancienne femme et ses enfants. En conséquence, elle a estimé qu’il ne semblait avoir aucune crainte. Il incombait au demandeur de montrer l’absence de protection de l’État. Pour ce faire, il devait fournir une preuve claire et convaincante de l’incapacité d’agir de l’État : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74.

 

[27]           Il ne suffit pas de simplement affirmer que le gouvernement n’a pas assuré efficacement la protection de personnes dans une situation donnée. La protection policière peut être adéquate même si elle n’est pas parfaite : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.).

 

[28]           Dans l’arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général), 143 D.L.R. (4th) 532, la Cour d’appel fédérale a confirmé une décision déclarant que le revendicateur du statut de réfugié doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’était adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses; voir également Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1191, [2007] A.C.F. no 1536.

 

[29]           Dans un pays considéré comme une démocratie, dotée de systèmes politique et judiciaire efficaces, l’omission de certains membres du corps policier de fournir une protection adéquate n’est pas suffisante en soi pour établir une absence de protection de l’État, voir l’arrêt Kadenko, précité.

 

VI.       La non-utilisation du visa de visiteur canadien par le demandeur

[30]           Le demandeur conteste les décisions de la commissaire parce qu’elle a mal interprété les faits et qu’elle a déclaré qu’il n’avait pas mentionné qu’il avait déjà voyagé au Canada parce qu’il avait un visa canadien. Il s’agissait là d’une erreur de fait, mais il est ressorti de la déclaration du demandeur qu’il avait obtenu un visa de visiteur et ne l’avait pas utilisé.

 

[31]           À mon avis, il aurait été facile de tirer une telle inférence parce qu’il est inhabituel pour un visiteur d’obtenir un visa de visiteur et de ne pas l’utiliser par la suite. Je ne crois pas que cette erreur soit plus qu’une erreur de bonne foi.

 

B. La commissaire a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de l’ensemble de la preuve?

[32]           En droit, les commissaires sont « maîtres chez eux » sur les questions de conclusions de fait, quant à la crédibilité et quant au poids à accorder aux éléments de preuve : Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.). La commissaire n’a pas contrevenu à cette règle en l’espèce.

 

CONCLUSION

[33]           Le demandeur critique la décision en s’appuyant sur un examen microscopique d’éléments de preuve dans leurs moindres détails tout en ignorant l’importance de l’ensemble de la situation. Le principe de base à appliquer en l’espèce ne consiste pas à savoir si je suis d’accord avec la décision, mais à savoir si la commissaire pouvait rationnellement fonder sa décision sur les faits établis.

 

[34]           Je dois conclure qu’elle pouvait interpréter les éléments de preuve de la manière dont elle l’a fait et, par conséquent, je ne peux pas conclure que la décision était manifestement déraisonnable.

 


JUGEMENT

 

Par conséquent, la cour STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6691-06

 

Intitulé :                                                   Syed Hassan

                                                                        c.

                                                            le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

 

Lieu de l’audience :                             Toronto (Ontario)

 

DATE de l’audience :                           le 29 novembre 2007

 

Motifs du jugement
et jugement 
:                                          le juge suppléant Frenette

 

DATE des motifs :                                  le 14 décembre 2007

 

 

 

Comparutions :

 

Leigh Salsberg

 

Pour le demandeur

Ricky Tang

 

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Leigh Salsberg

Jackman & Associates

Avocats

596, avenue St. Clair Ouest, unité 3

Toronto (Ontario)  M6C 1A7

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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