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Date : 20071218

Dossier : T-685-07

Référence : 2007 CF 1333

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2007  

En présence de L'honorable Orville Frenette

 

ENTRE :

PIERRE GIRARD

Demandeur

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision du Bureau de gestion des différends (le Bureau), portant la date du 20 mars 2007, refusant au demandeur la possibilité de se prévaloir d’une révision par un tiers indépendant (RTI), suite au refus par l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) de lui octroyer un poste. Le Bureau a considéré que le poste convoité était une mutation latérale temporaire ce qui ne donnait pas ouverture à une RTI, selon le programme de dotation applicable.

 

 

LES FAITS

[2]               L’Agence a été créée en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, c. 17 (la Loi). L’article 54 de cette Loi prévoit que l’Agence peut élaborer un programme de dotation en personnel régissant, notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

 

[3]                Suite à la création de ce programme de dotation, l’Agence a également mis en place les Directives sur les recours en matière de dotation (les Directives) prévoyant trois recours s’offrant aux employés insatisfaits d’une décision prise en regard d’un processus de sélection, soit la rétroaction individuelle, la révision à l’interne ainsi que la RTI.

 

[4]                Le 12 mai 2004, l’Agence transmet à ses employés un avis d’intérêt par voie de courrier électronique afin de combler une poste au sein de la section de l’Évaluation des biens mobiliers pour une période de cinq ans. L’avis d’intérêt était le suivant :

Un poste additionnel de niveau AU-02 au sein de la section de l’Évaluation des biens mobiliers est à combler. Le poste pourra également être comblé par un candidat de niveau AU-01 si son intérêt et ses compétences se démarquent.

 

Il est important que ce poste soit occupé par un candidat qui démontre un intérêt marqué pour le secteur des affaires. De plus, comme le développement d’un évaluateur de biens mobiliers requiert un temps appréciable de formation, le candidat retenu devra accepter d’y consacrer plusieurs années de sa carrière (5 ans).

 

[…]

 

[5]               Le demandeur, détenant un poste de groupe et niveau AU-01, pose donc sa candidature pour ce poste AU-02. La candidature d’une employée de groupe et niveau AU-01 fut retenue et, n’ayant pas été sélectionné, le demandeur se voit offrir une rétroaction individuelle. Il initie ensuite un processus de RTI par une demande écrite au Bureau de l’Agence et au gestionnaire ayant pris la décision contestée. Le Bureau se devait alors de vérifier si les conditions d’admissibilité à la RTI étaient remplies avant de remettre la demande au tiers indépendant pour révision.

 

[6]               Le 1er octobre 2004, une conseillère du Bureau avise par écrit le demandeur qu’il ne peut bénéficier d’une RTI puisque ce recours n’est disponible qu’en regard d’une demande « au cours de l’étape de lancement d’un processus de sélection ou sans processus de sélection interne menant à une promotion permanente ». Comme le demandeur demande une révision d’une mutation latérale temporaire, il ne peut donc bénéficier d’une RTI.

 

[7]                Le demandeur réclame alors une révision judiciaire de cette décision par la Cour fédérale. Mon collègue le juge Harrington, le 30 septembre 2005, accueillit cette demande de contrôle judiciaire et renvoya le dossier devant un nouveau conseiller du Bureau. Il conclut qu’il y avait eu un défaut au niveau de l’équité procédurale puisque le demandeur n’avait pas eu l’opportunité de faire des représentations. Le juge Harrington n’avait pas eu à se prononcer précisément sur la question concernant la nature temporaire ou permanente du poste, mais il a toutefois mentionné, en obiter dictum :

[23] Cette Cour a déjà établit que son rôle n’est ni de trancher la question à savoir si le poste est temporaire ou permanent, ni de déterminer les mérites du concours. Mais sans une explication du raisonnement de la conseillère, la Cour doit se fier à la preuve soumise par les parties afin de déterminer s’il y a eu une décision manifestement déraisonnable. Or, la Cour a beaucoup de difficulté avec la prétention de la défenderesse que le poste était temporaire. L’on ne peut pas simplement se fier sur la déclaration que le poste est temporaire afin de lui attribuer cette désignation. Il est nécessaire d’interpréter la nature même du poste. En raison du fait que le candidat doit dévouer plusieurs années de sa carrière, soit 5 ans, et que le poste existait longtemps avant l’affichage de l’ « Avis d’intérêt », la Cour maintient que le poste était permanent.

 

Voir Girard c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2005 CF 1341 [Girard]

 

[Souligné ajouté]

 

[8]               Malgré l’opinion du juge Harrington sur la nature du poste, la conseillère chargée de réévaluer le dossier a réitéré la première conclusion du Bureau après avoir donné l’occasion au demandeur de faire des représentations sur cette question. La conseillère s’est alors exprimée comme suit :

Dans ce cas, la mesure de dotation qui était à la base de votre demande de RTI n˚ 2004-024s était la mutation latérale temporaire (MLT) de Mme Claudine Tremblay, à partir du 7 septembre 2004. À la suite de l’examen des deux exposés des faits, j’ai confiance que la mesure de dotation initiale pour Mme Claudine Tremblay était une mutation latérale temporaire; pour cette raison, la demande de monsieur Girard n’est pas admissible aux fins de révision par un tiers indépendant.

 

[9]               Le demandeur se pourvoit en révision judiciaire à l’encontre de cette décision en invoquant principalement le refus du Bureau de tenir compte du jugement du juge Harrington et en demandant à cette Cour de se prononcer sur la nature temporaire ou permanente du poste.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Cette demande de révision judiciaire soulève les questions suivantes :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.      Le Bureau a-t-il erré en refusant au demandeur la possibilité de se prévaloir du mécanisme de RTI et la décision est-elle conforme au jugement du juge Harrington?

3.      Les agissements du Bureau et leurs conséquences.

 

 

ANALYSE

 

            1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

[11]           Tout d’abord, la détermination de la norme de contrôle applicable met en cause l'approche pragmatique et fonctionnelle invitant la Cour à rechercher l'intention du législateur au moyen des quatre facteurs contextuels identifiés par la Cour suprême. Ces facteurs sont l’existence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi, l’expertise du tribunal administratif par rapport à celle de la cour de révision, les objectifs de la loi en général ainsi que des dispositions particulières et la nature de la question en cause, voir Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.

 

[12]           Dans le cas qui nous occupe, il ne m’est permis de tirer aucune conclusion du premier facteur puisque la loi est muette en ce qui concerne le contrôle des décisions du Bureau. Elle ne prévoit en effet aucun droit d’appel ou de révision judiciaire de ces décisions et il n’y figure aucune clause privative cherchant à limiter ce contrôle.

 

[13]           Ensuite, la question relative à la nature permanente ou temporaire du poste repose sur les faits particuliers de chaque dossier. S’agissant donc de l’expertise du Bureau par rapport à celle de la Cour fédérale, aucune preuve ne m’a été fournie concernant celle de la conseillère du Bureau ayant évalué la demande de RTI. Je suis toutefois disposé à considérer que le Bureau est mieux à même d’évaluer les circonstances de chaque cas d’autant plus, si on considère qu’il est exclusivement amené à se pencher sur l’admissibilité au RTI lorsqu’une demande est formulée.

 

[14]           En ce qui concerne l’objet de la loi, cette dernière ne fait pas intervenir une question générale de politique publique ni la pondération d’intérêts conflictuels entre divers groupes. Il s’agit plutôt d’un processus établi afin de gérer les différends entre employeur et employé ce qui milite en faveur d’une moins grande retenue.

 

[15]           Le demandeur propose la norme de la décision correcte puisqu’il s’agit de l’interprétation de directives et d’une situation factuelle. Le défendeur soutient que la norme de contrôle judiciaire devrait être celle du manifestement déraisonnable.

 

[16]           La détermination de la nature du poste convoité, est une question surtout factuelle qui nécessite une évaluation des circonstances particulières de chaque cas, à la lumière des directives de dotation. La Cour devrait donc faire preuve d’une plus grande retenue dans sa révision de la décision contestée.

 

[17]           Le défendeur soutient que la norme du manifestement déraisonnable intervient quant aux décisions du Bureau de la gestion des différends de l’Agence qui doivent régulièrement se prononcer sur les expériences des candidats et élaborer des programmes de dotation. Selon lui, le Bureau acquiert une expérience particulaire dans les recours offerts aux employés.

 

[18]           Le demandeur plaide que selon le paragraphe 54(1) de la Loi, il est stipulé que l’Agence élabore un programme de dotation régissant notamment les « recours offerts aux employés ». Il s’agirait d’un facteur militant en faveur d’une déférence moins élevée quant à la qualification ou la nature de postes impliquées.

 

[19]           Les parties ont référé à l’arrêt Anderson c. Canada (Agences des douanes et du revenu), 2003 CFPI 667, [2003] A.C.F.no. 924. Ma collègue la juge Dawson a eu à analyser la norme de contrôle de la décision rendue quant à la rétroaction individuelle d’un candidat à un poste à l’agence. Elle a appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable. À mon avis, son opinion est très valable puisque le décideur agissait à l’intérieur de sa spécialisation tel que prévu à l’article 54(1) de la Loi précitée.

 

[20]           Dans le jugement rendu par mon collègue le juge Harrington quant aux même parties, Girard c. ADRC (Dossier T-1844-04, rendu le 30 septembre 2005), il s’est fondé sur la norme de la décision manifestement déraisonnable parce qu’il avait statué que le demandeur avait été victime d’une violation des règles de l’équité procédurale.

 

[21]            En ce qui concerne l’objet de la Loi, elle n’intervient pas sur une question générale de politique publique ni sur la pondération d’intérêts conflictuels entre divers groupes. Il s’agit plutôt d’un processus établi afin de gérer les différends entre employeur et employé, ce qui milite en faveur d’une moins grande retenue.

 

[22]           Le demandeur propose la norme de la décision correcte parce qu’il s’agit de l’interprétation de directives et d’une situation factuelle. Le défendeur soutient que la norme de contrôle devrait être celle manifestement déraisonnable.

 

[23]            La détermination de la nature du poste convoité, est une question surtout factuelle qui nécessite une évaluation des circonstances particulières de chaque cas, à la lumière des directives de dotation. La Cour devrait donc faire preuve d’une plus grande retenue dans sa révision de la décision contestée.

 

[24]            Dans le présent cas, cette norme pouvait s’appliquer lorsqu’il s’agissait d’une question mixte de droit et de faits mais quant au fait seul, la norme doit être celle de la décision simplement raisonnable. Lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi, c’est la norme de la décision correcte qui doit intervenir. Dans l’affaire Beaulieu c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1308, 2006] A.C.F. no. 1658, mon collègue le juge de Montigny, au paragraphe 35, a appliqué la norme de la décision simplement déraisonnable même s’il a qualifié la décision impliquant le type de question qui « requiert normalement un degré de déférence qui s’apparente à la norme intermédiaire de contrôle ». Il s’agissait d’une demande de révision d’une décision d’un réviseur quant à ses compétences pour un poste à l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC).


2) Le Bureau a-t-il erré en refusant au demandeur la possibilité de se prévaloir du mécanisme de RTI et la décision est-elle conforme au jugement du juge Harrington?

[25]           Contrairement aux allégations du demandeur, il ne fait pas partie du rôle de la Cour de se prononcer définitivement sur la nature temporaire ou permanente du poste. Il ne m’est pas non plus permis d’acquiescer à sa prétention voulant que la conseillère ait omis d’observer les conclusions du juge Harrington concernant la nature du poste. Il ne s’agissait en l’espèce que d’un obiter dictum qui ne liait pas le Bureau. Toutefois même si l’ordonnance du juge Harrington ne visait qu’à remédier à une violation de l’équité procédurale, son opinion sur les faits, méritait d’être respectée. Le Bureau a correctement permis au demandeur de présenter ses observations sur le sujet mais elle sera ignorée dans la décision au fond.

 

[26]           Il appartient donc à cette Cour de vérifier si la conclusion du Bureau est raisonnable. Les Directives accordent une RTI aux employés concernant des « décisions de placement prises depuis le répertoire de candidats préqualifiés pour des promotions à des postes permanents». La version anglaise mentionne plutôt qu’elle est ouverte aux décisions concernant un « permanent appointment ». Comme le mentionnait mon collègue le juge Harrington, cette ambiguïté dans le libellé des versions doit être interprétée en faveur du demandeur. Par conséquent, la seule condition nécessaire afin de bénéficier d’une RTI, est la nature permanente du poste convoité. 

 

[27]           À première vue, il me semble déraisonnable de considérer un poste d’une durée de 5 ans comme étant temporaire quoique je n’exclue cependant pas qu’il puisse y avoir des circonstances justifiant une telle conclusion.

 

[28]           Bien que les Directives mentionne que « [l]e BGD informe les parties des raisons pour lesquelles une demande ne peut être traitée, le cas échéant », je ne crois pas que l’obligation du Bureau aille au-delà de la simple mention qu’il s’agissait d’ « une mutation latérale temporaire; et pour cette raison, la demande de monsieur Girard n’est pas admissible aux fins de révision par un tiers indépendant ». En effet, la rédaction de motifs pour le Bureau n’est pas obligatoire.

 

[29]            Comme le faisait remarquer mon collègue Harrington, il est cependant difficile d’analyser une décision ne faisant état d’aucun raisonnement :

[20] De prime abord, cette Cour n’a pas l’opportunité d’analyser le raisonnement de la conseillère puisqu’elle n’a fait aucune explication de sa décision. Tel que vu dans l’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869 (QL), au paragraphe 15 :

 

…Les tribunaux disent souvent qu’il faut non seulement que justice soit rendue, mais qu’il soit manifeste qu’elle a été rendue, ce à quoi les critiques répondent qu’il est difficile de voir comment il pourrait être manifeste que justice a été rendue si les juges n’exposent pas les motifs de leurs actes. Les tribunaux de première instance, à qui il revient de tirer les conclusions de fait et les inférences essentielles, ne s’acquittent convenablement de leur obligation de rendre compte que si les motifs de leurs décisions sont transparents et accessibles au public et aux tribunaux d’appel.

 

Il est donc impossible pour M. Girard ou cette Cour de comprendre comment elle a conclu que le poste était temporaire. Il est vrai que la rédaction de motifs n’est pas une obligation, toutefois, dans ce contexte comment peut-on donc s’attendre à ce que la Cour décide que la conseillère a prise la bonne décision, ou même une décision déraisonnable?

 

[21] Le fait de ne pas donner d’explication de son raisonnement pose un risque pour la conseillère car même si la décision peut, à priori, ne pas sembler raisonnable, il y a un fil conducteur que la Cour peut suivre afin d’évaluer comme elle en est venue à cette décision…En l’espèce, il n’y a pas de fil conducteur. La Cour doit donc se fier à la preuve soumise par les parties afin d’évaluer si cette décision était raisonnable. Si la preuve suggère un résultat différent de celui établit par la conseillère, il est ensuite difficile pour la Cour d’appuyer le raisonnement de cette dernière.

 

  Voir la décision Girard.

 

La présence de motifs facilite donc grandement le travail de révision de cette Cour. Toutefois, en l’absence de tels motifs, je me dois d’évaluer la preuve soumise par les parties au Bureau afin de tenter de justifier raisonnablement sa conclusion.

 

[30]           Le demandeur a fourni de la jurisprudence ainsi que de nombreux documents lui permettant d’appuyer sa prétention voulant qu’un poste d’une durée de 5 ans soit de nature temporaire. Il a également précisé que l’avis d’intérêt mentionne bien une durée de 5 ans et non de 2 ans tel qu’allégué par son employeur.

 

[31]           La gestionnaire responsable du poste, Mme Andrée Simard, a quant à elle expliqué le contexte qui prévalait au moment de l’acte de dotation afin de supporter la première décision du Bureau. Mme Simard a spécifié que Mme Tremblay avait été transférée de la Division de la vérification, son poste d’attache de niveau AU-01, au secteur de l’Évaluation des biens mobiliers pour occuper un poste de vérificatrice de niveau AU-01 pour une période de 2 ans. Elle a spécifié qu’il s’agissait d’une poste temporaire puisque les employés choisis peuvent réintégrer leur poste d’attache à la fin de la mutation.

 

[32]            Il m’est difficile sinon impossible de comprendre comment le défendeur peut alléguer que le poste était d’une durée de 2 ans alors que l’avis d’intérêt mentionne explicitement qu’en raison d’une longue formation, le candidat choisi devra y consacrer 5 années de sa carrière.

 

[33]           D’ailleurs la preuve au dossier provenait d’études sur le sujet favorisait les prétentions du demandeur à ce sujet.

 

[34]            Mon collègue le juge Harrington, bien qu’en obiter dictum, a mentionné que le poste en question est permanent puisque le candidat sélectionné doit consacrer 5 années de sa carrière à ce poste qui existait longtemps avant l’affichage de l’avis d’intérêt.

 

[35]            Considérant les circonstances particulières de l’espèce et plus particulièrement, cette mention du juge Harrington, je crois que la conseillère se devait de fournir un minimum de raisons pouvant appuyer sa conclusion.

 

3) Les agissements du Bureau et leurs conséquences.

[36]           Le rôle de l’Agence c’est d’établir un programme de dotation de personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés. Dans l’exercice de ce rôle, l’Agence publiait le 12 mai 2004, un avis d’intérêt pour combler un poste à la Direction de l’Évaluation des biens mobiliers pour une période de cinq ans. Un poste additionnel au niveau AU-02, ouvert aux candidats de niveau AU-01 jugés compétents. Le candidat devait se soumettre à une période de « temps appréciable de formation….(5 ans) ».

[37]           Le demandeur exige une rétroaction individuelle, le 6 juillet 2004, insatisfait du résultat, il invoque le processus de RTI. La réponse se fit attendre et le demandeur était avisé le 1 octobre 2004 que sa demande était inacceptable parce qu’elle exigeait « un processus de sélection ou sans sélection interne mettant à une formation permanente » (souligné ajouté).

 

[38]           Dans une lettre du 23 septembre 2004 au demandeur, on l’avisait que l’exercice de dotation était conçue comme une mutation latérale temporaire à titre de stagiaire en évaluation au niveau AU-01.

 

[39]           Le 14 octobre 2004, le demandeur déposa une demande de contrôle judiciaire, laquelle fut accueillie le 30 septembre 2005 par le juge Harrington.

 

[40]           Suite à ce jugement, le demandeur put faire des représentations, mais le 20 mai 2007, il était avisé par lettre qu’il s’agissait d’une mutation latérale temporaire qu’il n’était pas admissible aux fins de révision par un tiers indépendant. Or la preuve démontre que durant l’intervalle, entre 2004 et le 20 mars 2007, l’Agence a effectué des changements majeurs dans ce dossier, soit :

1.      Le poste offert le 12 mai 2004 au niveau AU-02 ouvert aux candidats acceptables au niveau AU-02, était rétrogradé à celui de AU-01

2.      Le poste offert d’une durée de cinq ans était réduit de 5 à 2 ans.

3.      Le poste qui paraissait offrir de grandes chances de promotion était dégradé à celui d’un poste d’une mutation latérale temporaire. Cependant, la candidate choisie en 2004, Mme. Claudine Tremblay, fut promue de niveau AU-01 à AU-02, à AU-03 en trois ans.

4.      Le poste aurait été subséquemment aboli faute de « finance » et afin d’éviter un déficit d’allocations.

 

[41]            De cette série d’événements, le demandeur conclut que l’Agence a sciemment organisé les changements précités pour contourner ses griefs et ce après qu’il eut logé des plaintes et présenté une demande de contrôle judiciaire.

 

[42]           Or, en lisant la documentation produite au dossier de la Cour par le demandeur, j’ai vu un courriel expédié par Frédérick Durso, LL-B à Janice Link, Directrice du Bureau de gestion des différends, le 2 janvier 2007, il constatait que les explications de Mme Andrée Simard dans cette affaire, « débordent de contradictions évidentes » et « manipulation des règles de dotation qui ne visait qu’à éviter la nomination de M. Girard. Depuis le début des contestations de M. Girard… » (Page 277 du dossier du demandeur).

 

[43]           M. Frédéric Durso est décrit comme « agent des relations de travail de l’Institut professionnel de la Fonction publique du Canada, 1000 rue Sherbrooke Ouest, Montréal ». Évidemment cette opinion ne constitue pas de la preuve et ne lie aucunement le tribunal.

 

[44]           Toutefois, lorsqu’on analyse l’ensemble de la situation factuelle incluant la documentation émanant de l’agence, on peut facilement déduire comme le demandeur l’a fait, qu’il y a eu « anguille sous roche », aux fins de brimer ses recours.

 

[45]           Mon collègue le juge Harrington , bien qu’en obiter, a mentionné que le poste en question était permanent puisque le candidat sélectionné devait consacrer cinq années de sa carrière à ce poste qui existait longtemps avant l’affichage de l’avis d’intérêt.

 

[46]           Cette opinion, que je partage, est supportée par la preuve empirique non contestée à l’effet, qu’au Canada qu’entre 74% et 81% de tous les postes ont une durée de moins de cinq ans. Il ne semble pas y avoir de jurisprudence qui cadre exactement avec la situation factuelle dans ce dossier mais la jurisprudence, bien que non nécessairement déterminante ici, interprétant l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique, peut être utile. Dans l’affaire Fixman c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no. 360, ma collègue la juge Tremblay-Lamer a considéré qu’un poste qui fut l’objet de nominations intérimaires pendant deux ans, cessait d’être intérimaire et que de facto, un nouveau poste avait été crée.

 

[47]           Il en résulte que l’on peut tirer des parallèles et validement conclure qu’un poste d’une durée de cinq ans, dont en principe, être considéré comme étant un poste permanent.

 

[48]           Dans le présent dossier, après avoir affiché un poste d’une durée de cinq ans, l’agence a choisi une candidate et subséquemment elle a réduit le temps. La durée de deux ans, avec le résultat de rendre un poste temporaire latérale ainsi brimant les droits du demandeur dans ses demandes et recours.

 

[49]           Tel que mentionné précédemment, la candidate choisie, a occupé le poste pendant plus de deux ans et a depuis atteint le niveau de AU-03.

 

[50]           La décision objet de cette révision, n’a pas tenu compte de l’opinion du juge Harrington quant à la nature du poste ni sa durée de cinq ans. Évidemment il s’agissait que d’une opinion mais le décideur ne pouvait pas l’ignorer complètement.

 

[51]           Une analyse de toute la preuve mène inéluctablement à la conclusion que les changements unilatéraux effectués après le choix du candidat et l’action du poste étaient des manigances effectuées dans le but de contourner les processus de dotation et d’empêcher le demandeur d’obtenir ce poste. La décision attaquée était donc incorrecte, manifestement déraisonnable et doit être annulée.

 

[52]           Les parties n’ont pas débattu la question des dépens mais la procureure du demandeur a requis des frais sur la base procureur-client. La règle générale en la matière, est que les dépens sont accordés sur la base entre parties, règle qui sera suivie ici. (Selon la colonne III, Tarif B, voir Reed v. Canada (Attorney General), 2007 FC 1237, [2007] F.C.J. No. 1591).

 

[53]           Conséquemment, la demande de contrôle judicaire doit être accueillie.

 

 


JUGEMENT

POUR CES MOTIFS, LA COUR

1.                  Accueille la demande de contrôle judiciaire;

2.                  Annule la décision du Bureau de gestion des différends du 20 mais 2007 concernant le demandeur;

3.                  Ordonne que ce litige soit référé à un nouveau réviseur avec directives de choisir et de remettre le litige pour fins de révision à un tiers indépendant. Avec dépens contre le défendeur selon le Tarif B, colonne III.

 

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

                                                            


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-685-07

 

INTITULÉ :                                       Pierre Girard

                                                            c.

                                                            Procureur général du Canada

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               4 décembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     FRENETTE J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      18 décembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julie C. Skinner

 

POUR LE DEMANDEUR

Agnieska Zagorska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sean T. Mcgee

Julie C. Skinner

Nelligan O’Brien Payne

Avocats et procureurs

1900-66, rue Slater

Ottawa, ON  K1P 5H1

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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